N° 30 / janvier - février 2006 Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture Note de l’UNESCO sur la Politique de la Petite Enfance L’impact de l’enseignement primaire gratuit sur le développement de la petite enfance au Kenya Introduction L’introduction de l’enseignement primaire gratuit (EPG) au Kenya en 2003 a permis à 1,3 million d’enfants pauvres de bénéficier de l’enseignement primaire pour la première fois grâce à la suppression des frais de scolarité 1 . Le taux brut de scolarisation dans l’enseignement primaire est passé de 86,8% en 2002 à 101,5% en 20042. Bien qu’ayant pour objectif de dynamiser l’enseignement primaire, l’EPG a eu des conséquences dans d’autres domaines de l’éducation, dont le développement de la petite enfance (DPE) 3. La présente note a pour objet d’examiner l’impact de l’EPG sur le DPE au Kenya et d’exposer deux options majeures susceptibles de minimiser un éventuel impact négatif4. Quelle est la situation du DPE ? Des études5 ont été menées pour déterminer les effets de l’EPG sur les centres de DPE6. Certaines font état d’effets négatifs et d’autres d’absence d’effets négatifs majeurs. Bien que l’impact global de la politique reste à déterminer, la Mission UNESCO/OCDE d’examen de la politique de la petite enfance qui s’est rendue au Kenya en septembre 2004 a observé que la politique avait d’impact négatif sur les centres de DPE destinés aux enfants pauvres. Dans la Province du Nord-Est, l’une des plus défavorisées du pays, par exemple, on a enregistré une forte diminution des effectifs du DPE depuis la mise en œuvre de l’EPG. Cette baisse paraît si forte et si générale qu’on craint sérieusement l’ « effondrement » des services de DPE. Dans les régions mieux loties, comme la Province de la Vallée du Rift et la ville de Nairobi, on observe un recul des effectifs dans les centres publics et communautaires de DPE, qui accueillent généralement les enfants les plus pauvres, mais pas dans les centres privés, qui accueillent des enfants de familles plus aisées. 1 2 3 4 5 6 Dans le cadre de l’EPG, les parents doivent continuer à prendre en charge diverses autres dépenses en rapport avec la scolarité, comme par exemple les uniformes, les repas, les frais d’examen de fin de 8e année – dernière année du primaire (Free Primary Education : EVERY Child in School, Ministère de l’éducation, de la science et de la technologie (MOEST), 2003). Education Statistical Booklet 1999-2004, MOEST, juin 2004. DPE est l’expression générique utilisée au Kenya pour désigner la protection et l’éducation de la petite enfance destinées aux enfants âgés de 0 à 5ans. Le présent article est fondé sur les conclusions de l’examen des politiques réalisé au Kenya dans le cadre du Projet UNESCO/OCDE d’examen des politiques de la petite enfance. Pour des détails, voir : Policy Review Report : Early Childhood Care and Education in Kenya. Early Childhood and Family Policy Series N° 11 – 2005. UNESCO. Prière de contacter l’UNESCO pour obtenir un exemplaire. The Effects of Free Primary Education on the ECD Programme in Kenya [Effets de l’enseignement primaire gratuit sur le programme de DPE au Kenya], Kenya Institute of Education, 2004 ; Challenges of Implementing FPE in Kenya [Les défis de la mise en œuvre de l’EPG au Kenya], 2005, UNESCO. Le taux brut de scolarisation du groupe d’âge 3-5 ans était de 44% en 2001. Source : Rapport mondial de suivi sur l’EPT 2005, Editions UNESCO. ISSN 1813-6184 La principale raison de ce phénomène est que depuis la mise en œuvre de l’EPG, les parents des familles pauvres préfèrent retirer leurs enfants des centres de DPE et/ou les garder à la maison jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de l’entrée à l’école primaire. Ils refusent de payer les frais de scolarité de DPE pour le motif que le DPE devrait être gratuit comme l’enseignement primaire. La diminution des effectifs a pour conséquence une baisse de la rémunération des enseignants de DPE. Au Kenya, les salaires des enseignants de DPE sont le plus souvent financés par les frais de scolarité acquittés par les parents, contrairement à ceux de leurs collègues des écoles primaires qui sont pris en charge par l’Etat en fonction du barème officiel des traitements des enseignants. Dans les centres de DPE, les sommes versées par les parents sont proportionnelles au nombre d’enfants inscrits et elles servent pour l’essentiel sinon en totalité à rémunérer les enseignants. Le niveau de rémunération des enseignants dépend donc du nombre total d’enfants inscrits ainsi que de l’aptitude des parents à acquitter les montants mis à leur charge. En conséquence, la réduction des effectifs de DPE entraînée par l’EPG a été un coup dur pour les enseignants, dont la rémunération était déjà maigre et instable avant l’entrée en application de l’EPG7. Les parents étant de plus en plus réticents pour payer les services de DPE, l’EPG a eu pour effet de rendre encore plus difficile la mobilisation de ressources auprès des parents pour financer le DPE. L’insécurité de l’emploi s’aggrave et de plus en plus de centres de DPE sont fermés, en particulier dans les communautés démunies. L’EPG a aussi eu des conséquences imprévues pour le DPE sur le plan de l’allocation des ressources. Les classes de DPE installées dans les locaux des écoles primaires publiques8 ont été fermées pour accueillir la foule de nouveaux inscrits résultant de l’EPG. Dans certains cas, les élèves et les enseignants de DPE doivent se contenter d’un espace réduit ; dans d’autres, ils ont été relégués dans les locaux les moins accueillants. Au niveau des districts, l’inspection et la supervision des centres de DPE, qui sont en partie assurées par les inspecteurs scolaires de district, sont semble-t-il devenues moins fréquentes. Ayant été chargés par le gouvernement de suivre de près la mise en place de l’EPG, les inspecteurs de district passent plus de temps à visiter les écoles primaires, et il ne leur en reste guère pour s’occuper des centres de DPE. Options Pour résoudre les principaux problèmes posés par l’EPG, on peut envisager deux grandes options. La première consiste à offrir une année gratuite d’enseignement préprimaire à tous les enfants âgés de cinq ans – à savoir l’année qui précède l’entrée à l’école 7 8 Il a été constaté que les salaires mensuels des enseignants de DPE étaient généralement inférieurs aux salaires minimums de base recommandés par le Ministère du travail et du développement de la main-d’œuvre (John T. Mukui et Jotham A. Mwaniki, décembre 1995, Report of the Sample Survey of ECD Centres). La plupart des centres de DPE créés dans les locaux d’écoles primaires se trouvent dans les zones rurales (Mukui et Mwaniki, décembre 1995). Note de l'UNESCO sur la Politique de la Petite Enfance primaire – enseignée par des enseignants du secteur public (nous l’appellerons l’option EPP). L’autre option consiste à permettre aux centres de DPE de continuer à assurer le développement continu, global, des enfants, en accordant de petites subventions publiques aux enseignants de DPE travaillant dans les communautés démunies, quels que soient les groupes d’âge dont ils s’occupent (nous l’appellerons l’option DPE). On trouvera ciaprès une présentation impartiale des avantages et des inconvénients de chaque option. L’option EPP vise à faire en sorte que tous les enfants âgés de cinq ans suivent au moins une année de préparation à l’enseignement primaire. Considérée comme une stratégie visant à résoudre le double problème de l’impréparation des enfants à l’enseignement formel et du caractère inéquitable de l’accès aux possibilités d’apprentissage précoce, cette option est actuellement étudiée par les autorités nationales et elle a l’appui de nombreux enseignants de DPE et parents. Toutefois, certains font valoir que l’option EPP n’est pas réaliste sur le plan financier, étant donné que depuis des années, le Ministère de l’éducation, de la science et de la technologie – organe gouvernemental responsable du DPE – alloue moins de 1% de son budget total au DPE. Une autre préoccupation que soulève cette option est qu’elle anticiperait très probablement d’une année les effets de l’EPG sur le DPE, causant le surpeuplement des classes de DPE destinées aux enfants de cinq ans tout en vidant les classes destinées aux enfants plus jeunes. Dans ce cas, les centres de DPE se mettraient à privilégier l’enseignement préprimaire et se soucieraient moins de construire les bases de l’apprentissage en veillant au développement des aspects cognitifs, sociaux, affectifs et physiques de l’enfant. De plus, comme cette option impliquerait le financement public des enseignants de DPE s’occupant des enfants de cinq ans, cela voudrait dire que ces enseignants seraient absorbés dans le corps enseignant officiel, d’où une division du personnel de DPE entre les enseignants s’occupant des enfants de cinq ans et ceux s’occupant des plus jeunes. Cela pourrait en conséquence dissuader les enseignants d’enseigner aux enfants de moins de cinq ans et accroîtrait le risque de fermeture des classes destinées aux enfants les plus jeunes. Quant à l’autre option, l’option DPE, elle est conçue pour aider les enseignants du DPE travaillant dans les communautés défavorisées en leur offrant des subventions publiques minimales et en mobilisant les parents et les communautés pour qu’ils consentent à verser le complément de salaire des enseignants. Ceux qui préconisent cette option font valoir d’abord qu’elle profiterait essentiellement aux communautés démunies. En second lieu, et c’est peut-être encore plus important, elle ne causerait pas de fracture systémique entre le DPE pour les enfants de cinq ans et le DPE pour les enfants plus jeunes, mais contribuerait à préserver les centres de DPE en tant que garants d’un développement continu, global, des enfants. En fait, assurer le développement global des enfants – au lieu de leur dispenser un enseignement primaire précoce – est le meilleur moyen de préparer les enfants à une scolarisation réussie. Les enfants ont de meilleurs résultats à l’école quand ils ont eu des possibilités de se développer sur les plans social, affectif, physique et cognitif dans leur petite enfance. Les partisans de l’option DPE pourraient aussi faire valoir que des compétences d’apprentissage spécifiques comme la lecture, l’écriture et l’arithmétique sont plus faciles à acquérir par la suite, à l’école, lorsque les enfants accèdent à la maturité appropriée pour s’attaquer aux tâches abstraites. Les enfants du préscolaire n’apprennent pas dans l’abstrait mais par l’expérience du concret. L’option DPE suscite des préoccupations quant à sa faisabilité financière, encore que les fonds requis seraient moindres que N° 30 / janvier - février 2006 dans le cas de l’option EPP. Un autre inconvénient de l’option DPE est qu’il serait difficile, sur le plan administratif, d’identifier les enseignants de DPE ayant droit aux subventions publiques proposées et d’acheminer ces subventions de manière appropriée. D’autre part, la question de savoir si les enseignants de DPE ayant droit à ces subventions publiques devraient être absorbés dans le corps enseignant resterait posée. Un autre facteur à prendre en compte est que l’option DPE serait beaucoup moins séduisante que l’option EPP pour les parents, dont beaucoup considèrent que la fonction première des centres de DPE est de familiariser les enfants avec l’alphabet et les chiffres et se contenteraient parfaitement de la fourniture d’une année gratuite de services de DPE. Conclusion Il appartient au gouvernement de décider quelle option il juge préférable, et cette décision devrait être fondée sur les besoins spécifiques du pays. Il ne devrait pas y avoir de choix juste ou de choix erroné. Dans semblable situation, cependant, les pays tendent à se prononcer en faveur de l’option EPP ou d’une variante de celle-ci, en tant que stratégie destinée à améliorer la préparation des enfants à la scolarité et aussi à accroître les ressources gouvernementales. Une telle décision ne doit pas être critiquée ; elle pourrait du reste constituer un choix stratégique, si des efforts sont consentis pour faire en sorte que sa pédagogie soit conçue et mise en pratique afin de promouvoir le développement global des enfants. Le choix devrait aussi être acceptable si le gouvernement définit un plan graduel pour les groupes d’âge plus jeunes, indiquant des repères à atteindre pour chacun des autres groupes d’âge du DPE. La planification par étapes et la fixation de priorités sont souvent le seul choix disponible lorsqu’un idéal se heurte à la contrainte de la réalité. Elles devraient être acceptées comme des stratégies viables aussi longtemps qu’elles garantissent le développement global des enfants placés au premier rang des priorités. Yoshie Kaga Spécialiste adjointe du programme Section de la petite enfance et de l’éducation intégratrice Division de l’éducation de base UNESCO, Paris ***************** Pour d’autres numéros de cette série, veuillez cliquer sur : http://www.unesco.org/education/earlychildhood/brief Pour adresser vos commentaires et demandes de renseignements, veuillez contacter la Section de la petite enfance et de l’éducation intégratrice, UNESCO 7, place de Fontenoy, 75352 PARIS 07 SP, France 33 1 45 68 08 15, fax: 33 1 45 68 56 26, [email protected]