Théorie de laction
économique publique
Définir le droit public économique se révèle une mission presque impossible, dans
la mesure où il constitue une compilation de différentes branches du droit (public
et privé), en relation avec léconomie ; cette dernière nétant pas résumable à un
corpus juridique, puisquelle sintéresse plus globalement à la production, la distri-
bution, la consommation de biens et de services dans la société. Le critère « maté-
riel » de ce droit va donc faire défaut. En identifier un critère « organique »
(cest-à-dire quels en sont les acteurs) va aussi se révéler délicat, même si, nous le
verrons, on peut plus facilement circonscrire ce terme de létude.
La doctrine entreprend finalement didentifier ce droit en deux temps, ou par deux moyens, qui ne
sauraient étonner. Dans une première approche, certains auteurs (p. ex. Gérard Farjat) sattachent à
définir un champ dapplication de ce que serait un « droit économique », comme étant le « droit de
lorganisation de léconomie ». Dans un deuxième temps, une « version » publiciste lui a été accolée.
On saccorde donc sur une identification de type finaliste, basée sur le but de ce droit qui reste
moderne dans ses conceptions.
Définition
Droit public économique : droit de laction publique en matière économique, qui englobe à la
fois les institutions publiques et parapubliques dintervention, ainsi que les mécanismes juridi-
ques qui gouvernent leur action.
Il faut en convenir, cette définition na rien de parfait, puisquelle ne parvient pas à réduire lirré-
ductible référence à léconomie, qui échappe par de nombreux aspects à la régulation purement
juridique. Elle semble par ailleurs impliquer une référence à l« intervention » économique, concep-
tion qui peut paraître datée, mais qui reflète pourtant lidéologie dominante de lÉtat depuis
INTRODUCTION
lAncien régime, et jusquà une période très récente. On doit donc préciser ici quil ne faut pas
comprendre cette référence à lintervention comme celle à une volonté dingérence (cf. R.E. Char-
lier) des personnes publiques dans des affaires qui devraient rester de la sphère privée, mais
comme, on le verra, une nécessité dencadrement juridique du phénomène économique (comme
lensemble de tous les autres secteurs de la vie en société).
Enfin, cette identification, même sommaire, permet de fonder la réflexion qui va nous guider tout
au long de cet ouvrage : le Droit public économique (ci-après DPE) a bien une fonction spécifique,
à savoir létude de lobjet économique de la gestion publique (quel que soit lintervenant en
cause : État, collectivités locales...). Par ailleurs, il est bâti sur les fondations du droit public, ce qui
peut paraître contre-intuitif puisque léconomie est largement réglée par le droit privé. Mais nous
verrons que les grands principes de la vie économique sont immanquablement gouvernés par une
hiérarchie des normes classique (DDH, Constitution, lois...), qui a su sadapter au fil du temps aux
exigences de la modernité économique.
Le DPE est encore aujourdhui contesté par certains, en tout cas dans la dimension « intervention-
niste » de lÉtat (cf. rapport Picq en 1995). En réalité, plus que le DPE, cest une certaine incapacité
des pouvoirs publics à réagir rapidement aux nouvelles exigences de léconomie contemporaine
qui est dénoncée. Il appartient effectivement bien au DPE de fournir des instruments juridiques
daction efficaces aux gouvernants et à lAdministration afin de permettre aux acteurs économi-
ques de développer leur action dans un environnement économiquement efficace, sécurisé et
transparent.
Les pouvoirs publics ont pour rôle dagir dans lintérêt général. Celui-ci ne sentend que dans un
contexte historique, à un moment donné. Le plus simple consiste à envisager comment, dans le
cours de lhistoire, les gouvernants ont voulu et/ou pu influer sur le cours de lÉconomie.
1Le « libéralisme historique »
Le cadre réduit de cet ouvrage ne permettra pas de rentrer dans les détails, subtils, de la mise en
place dune intervention économique de lÉtat. Mais certains grands principes ont été forgés avec
force et conviction dès lAncien régime, et ont laissé des traces jusquà aujourdhui.
Le colbertisme
LÉtat a dès la fin du XV
e
siècle, avec Jean-Baptiste Colbert, mis en place différents moyens dinter-
vention dans léconomie marchande, et notamment dans lindustrie, avec la création de manufac-
tures industrielles (tabac, allumettes, tissus, tapis), détenues par lÉtat pour celles du Roi, ou seule-
ment contrôlées par lui pour celles « privilégiées », avec lidée de mettre en place une autosuffisance
LESSENTIEL DU DROIT PUBLIC ÉCONOMIQUE
14
économique, basée sur des aides à de grands opérateurs nationaux (cf. Gobelins). Pour Colbert, il
faut défendre la nation contre les autres peuples, grâce à une économie de prédation (« On ne peut
augmenter largent dans le royaume, quen même temps lon en ôte la même quantité dans les États
voisins »). Ces activités qui paraissent aujourdhui appartenir au domaine industriel et commercial
étaient considérées alors comme relevant des fonctions régaliennes (contrôle du territoire ; protection-
nisme), ce qui expliquait leur exercice par lÉtat,ainsiquelavolontédexporter plutôt que dimporter.
Le mercantilisme qui en résulte peut directement sanalyser en un nationalisme économique (importa-
tion de matières premières bon marché, valorisées sur le sol national). Lactivité de la poste en est
lexemple le plus emblématique, permettant le maillage du territoire (il en est de même pour la réali-
sation de grands travaux dinfrastructure). On souhaite mettre en place un « ordre public
économique ».
Plusieurs réalisations industrielles, expression de sa politique de mercantilisme, sont pour certaines
toujours dactualité : tapisseries des Gobelins, verre à Saint-Gobain... Le bilan de cette politique
reste toutefois mitigé : les marchands français ont souvent contourné les réglementations, et à
lextérieur, les autres États ont souvent riposté par la mise en place de droits de douane élevés,
ce qui rendait inutiles les subventions accordées aux nationaux. En ce qui concerne létablissement
de compagnies contrôlées par lÉtat, et de comptoirs commerciaux, comme les compagnies colo-
niales (des Indes orientales créées en 1604 par Henri IV ; du Levant, du Nord...), ou les comptoirs
(Pondichéry), il sagissait dorganiser un monopole commercial associant capitaux publics et privés.
Mais la diminution des financements publics a, là encore, conduit à une réorientation de la poli-
tique de Colbert vers plus de libéralisme, avec notamment un abandon partiel des monopoles.
Les rigidités du système, largement basé sur une réglementation stricte (protectionnisme doua-
nier ; contrôle de la qualité des marchandises) ainsi mis en place auront aussi, à terme certains
effets pervers, comme lincapacité de certains secteurs à se réformer, en raison de contraintes
réglementaires ou de fixation des prix (agriculture par ex.).
Les principes révolutionnaires
a) Une vision politique
La Révolution française, en réaction contre lAncien régime, traduit une volonté de libéralisme
économique, notamment par le biais des physiocrates comme Mirabeau, ou Turgot. On souvre à
linfluence des libéraux (économiques) anglais comme Adam Smith. Sans que ce but ait été vérita-
blement pensé à lavance, linterdiction faite aux Parlements de connaître des actes des adminis-
trateurs publics (loi des 16-24 août 1790) va conduire à bâtir un nouveau droit, le droit adminis-
tratif, qui va pouvoir servir de fondement à linterventionnisme économique public.
INTRODUCTION Théorie de laction économique publique 15
b) Une conception économique
Le droit de propriété est « sanctuarisé » dans la Déclaration des droits de lhomme (art. 2 et 17) ; le
décret dAllarde des 2-17 mars 1791 met fin aux corporations ; la loi Le Chapelier des 14-17 juin
1791 consacre la liberté du commerce et de lindustrie en interdisant les coalitions (grèves) ou
regroupements douvriers sous peine de mort. On conçoit lindividualisme de manière très stricte,
par défiance aux états dAncien régime, ce qui va durablement empêcher toute organisation des
salariés (en syndicats). Le contexte va par ailleurs conduire à mettre en place une économie
dirigée de guerre (blocus continental).
2Linterventionnisme libéral
Le XIX
e
siècle
Dans la filiation de la philosophie des Lumières, les penseurs du XIX
e
siècle vont développer lidée
selon laquelle les libertés économiques (commerce, entreprendre...) sont indispensables, et que
les pouvoirs publics doivent laisser agir les opérateurs économiques au maximum. Cela implique
néanmoins de garantir le respect de la propriété privée, et de reconnaître le principe de responsa-
bilité des acteurs économiques. LÉtat est considéré comme illégitime en ce qui concerne la sphère
économique ; ses mécanismes de fonctionnement ne lui permettraient pas dappréhender correc-
tement les besoins, les attentes économiques (A. Smith, dans La Richesse des nations,etsa
théorie de la « main invisible » ; libéralisme politique « classique »). Leur théorie est « lutilita-
risme » : le libéralisme économique est un moyen (parmi dautres) pour parvenir, conformément
au droit naturel, au bonheur de la société. Le Marché a une place variable dans cette théorie :
soit il constitue un facteur certes important, mais soumis au politique (qui doit le « laisser-faire »
le plus possible), soit il devient le fondement même de la vie en société.
Dautres tenants dun libéralisme à optique économique ou « néoclassique » perfectionnent ou
relativisent ces affirmations, reconnaissant linéluctabilité de laction publique, face aux excès ou
carences du marché. Ce courant sincarnera en France avec la physiocratie, valorisant la produc-
tion agricole comme source de valeur, conformément à la providence divine (p. ex. Turgot,
Diderot, Montesquieu, Rousseau). Ricardo affirmera la théorie des avantages comparatifs, fondée
sur le libre-échange. Benjamin Constant va traduire ces idées sur le plan du libéralisme politique,
ainsi que Tocqueville, développant la nécessité de contrepoids au pouvoir du peuple, pour garantir
une démocratie équilibrée, dans laquelle la volonté collective ne peut pas tout imposer au Marché.
LÉtat doit se cantonner dans ses fonctions classiques « régaliennes », peu en contact direct avec
léconomie : sécurité, justice, guerre. Cest ce quon appelle la théorie de l« État gendarme ». La
LESSENTIEL DU DROIT PUBLIC ÉCONOMIQUE
16
concurrence « pure et parfaite » est perçue comme seule à pouvoir fonder un système de prix
tendant à léquilibre. Mais le XX
e
siècle va mettre à mal cette idée.
Le début du XX
e
siècle : le dirigisme
Le libéralisme néoclassique va se perfectionner, sur la base de la théorie de léquilibre général
formulée à la fin du XIX
e
siècle, selon laquelle le marché doit parvenir à coordonner les actions
des acteurs pour conduire à ce que leurs actions soient rationnelles (v. Léon Walras et son équi-
libre économique général). Cette conception va être relativisée par Pareto, qui va introduire une
référence subjective au raisonnement, et définir « loptimum de Pareto ».
Les changements politiques du début du siècle vont conduire à réinterpréter le rôle de lÉtat et à
développer linterventionnisme. Linfluence de J.-M. Keynes va se révéler essentielle (il doit agir en
cas doffre excédentaire pour stimuler la demande, p. ex. en organisant la hausse des salaires ; et
lÉtat peut utilement relancer léconomie en relançant la demande via une augmentation des défi-
cits publics pour notamment lancer de grands chantiers). La Première Guerre mondiale explique
vraisemblablement ce changement de perspective. La grande crise économique de 1929 va aussi
contribuer au phénomène. Le Front populaire va agir clairement dans le sens de laction de lÉtat
dans léconomie (création des congés payés p. ex.). La Révolution russe et la mise en place du
collectivisme ; limplantation durable du socialisme à lEst de lEurope influencent profondément
les réflexions (le général De Gaulle y sera sensible, à la Libération et aussi à son retour au pouvoir
en 1958). La législation juste antérieure à la Seconde Guerre mondiale signe cette prégnance
étatique (cf. loi du 11 juillet 1938 sur lorganisation de la nation pour le temps de guerre). À la
Libération, le modèle dominant est bien keynésien ; on citera ici simplement un texte embléma-
tique : lordonnance du 30 juin 1945 relative aux prix, qui a donné au ministre de lÉconomie le
pouvoir de réglementer les prix des produits et services.
On a souvent résumé cette période par la référence au « dirigisme » : lÉtat dirige léconomie direc-
tement, notamment via la prise de possession de secteurs entiers de léconomie, par différents
moyens institutionnels qui seront détaillés par la suite (nationalisations ; création de personnes
publiques dédiées : les établissements publics ; association de personnes privées sous contrôle à
certains projets dintérêt général). Nous verrons que le service public a ainsi été conçu, en France,
comme un moyen puissant dintervention. Les entreprises publiques constituent le cœur de cette
politique, dans la première moitié du XX
e
siècle, dans le secteur industriel et commercial. Le
« secteur public » ne cesse alors de croître.
Le dirigisme prend aussi la forme, que lon détaillera plus tard, de lincitation, via la programma-
tion (cest la « planification » à la française). Le Plan « Monnet », premier « plan de modernisation
et déquipement » voit ainsi le jour en 1947, et permettra notamment de gérer les aides du Plan
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