Le Corps Médical
PÉRIODIQUE D’INFORMATION ET ORGANE OFFICIEL DE LASSOCIATION DES
MÉDECINS ET MÉDECINSDENTISTES DU GRANDDUCHÉ DE LUXEMBOURG
ANALYSE CRITIQUE DU PROJET DE LOI 7056
PLANIFICATION HOSPITALIÈRE
INTERVIEW DES PORTEPAROLES DE LAMMD 01
54e année | 2016
NUMÉRO SPÉCIAL
Le Corps Médical ® 2016 | 1
Les critiques issues du corps médical sont virulentes face à l’initiative législative
du gouvernement. Quels sont les enjeux, Dr Schmit ?
Alain Schmit : On est tout simplement confronté à un projet de loi ancré dans le passé. Il lui
manque une vision d’avenir. Dans ce contexte il faut préciser que toute la planification hospitalière
se fonde sur les données incomplètes et imprécises de la Carte Sanitaire. Une de nos premières
critiques est la réorganisation du fonctionnement des hôpitaux. Pour ce qui est de la gouvernance,
les médecins hospitaliers seront mis sous tutelle d’une administration elle-même guidée par des
priorités économiques. D’ailleurs cette vue est largement partagée par le Collège médical. La
manipulation de la multitude de rouages du système qu’une telle loi permettra, peut engendrer
une vraie implosion de notre système de santé avec un danger réel pour la population assurée,
nos patients. Donc attention aux actions hâtives avec effets secondaires redoutables.
LAMMD et les Conseils médicaux des hôpitaux ont-ils été consultés par la Ministre avant le
dépôt du projet de réforme ?
A.S. : Il y a eu des séances d’informations mais nous n’avons jamais été invités à une réelle
concertation. Surtout sur les points aussi cruciaux que litigieux quant à lorganisation des hôpitaux
qui n’ont jamais été abordés comme on aurait pu lattendre.
Philippe Wilmes : Nous critiquons fondamentalement l’approche unilatérale de la Ministre
dans les concertations préliminaires à la rédaction du présent projet de loi, ayant amené à un
texte déséquilibré dont lambition primaire est la préservation des intérêts économiques des
Dr Alain Schmit, président de lAMMD
Dr Philippe Wilmes, président du Conseil médical de l’Hôpital Kirchberg – HRS
« Avec ce projet de réforme,
le médecin ne sera plus libre
de ses actions »
Entretien avec les porte-paroles de lAMMD et des Conseils médicaux
des hôpitaux sur les risques du projet de loi 7056 relatif à la planification
hospitalière tel que proposé par le gouvernement.
Interview : Corps Médical Photos : AMMD
« Ce projet est ancré dans le passé.
Il lui manque une vision d’avenir. »
AMMD  INTERVIEW ET ANALYSE CRITIQUE
2 | Le Corps Médical ® 2016
structures hospitalières. Cette logique budgétaire qui charrie les hôpitaux depuis l’instauration
du budget global pèse lourdement sur toute réflexion de qualité et d’innovation dans les projets
de prise en charge de nos patients. Une logique purement économique est toujours au détriment
des patients.
Est-ce qu’il a une nécessité économique à vouloir changer de gouvernance hospitalière ?
A.S. : L’Inspection générale de la sécurité sociale, l’IGSS vient de publier les derniers chiffres de
dépenses en matière de soins de santé. En comparant les dépenses hospitalières du côté des frais
variables, donc les frais directement liés à une prescription médicale, on constate que l’évolution
sur dix ans est même négative. Il n’existe donc pas d’élément laissant entrevoir d’éventuels
dérapages financiers incontrôlés dans le chef de la liberté de prescription des médecins.
Le projet de loi prévoit toute une série de mesures en matière de gouvernance.
Est-ce que le corps médical s’oppose par principe à des « règles » d’organisation et de
fonctionnement dans le milieu hospitalier ?
P.W. : Non, pas du tout. Depuis toujours, les médecins ont participé de manière informelle
à l’élaboration de telles consignes et ont ainsi pris leurs responsabilités au sein même des
structures hospitalières. Ce qui change avec le projet de loi en question, c’est que ladministration
sera dotée dun pouvoir surdimensionné, lavis des médecins pouvant être ignoré. Ceci mènera
inévitablement à des décisions autoritaires ou arbitraires ou même à lencontre du bien-fondé
médical et des intérêts des patients. Comme l’impact informel du corps médical n’est plus
souhaité, il est incontournable d’imaginer une collaboration plus formalisée entre direction
ou administration et les représentants des médecins permettant de rejoindre les impératifs
Conférence de presse du 28 septembre 2016 au siège de lAMMD :
Dr Philippe Wilmes, Dr Hansjörg Reimer, Dr Alain Schmit et Dr Danielle Ledesch-Camus (d. g. à d.)
« Une logique purement économique est
toujours au détriment des patients. »
AMMD  INTERVIEW ET ANALYSE CRITIQUE
Le Corps Médical ® 2016 | 3
de chacun. Toute décision interrant avec lexercice de médecine doit être discutée avec les
médecins concernés. Il est évident que lavis de chaque médecin individuel ne peut pas toujours
être respecté, mais il faut que les décisions se prennent en concertation avec le conseil médical
comme organe représentatif des médecins.
A.S. : Létablissement unilatéral de règles de fonctionnement est en conflit avec la responsabilité
du médecin envers ses patients et la liberté thérapeutique. Les règles opposables aux
médecins ne peuvent être établies que de commun accord avec le Conseil médical, organe
élu et représentant le corps médical, nonobstant le type du contrat régissant les relations de
l’hôpital et des médecins. Le médecin gardera toujours une responsabilité individuelle face à
son patient, ce qui exige que les règles interférant avec l’exercice de la médecine doivent être
établies en partenariat. Un système en équilibre ne peut se fonder que sur une balance des
pouvoirs. Ouvrir au sein de nos hôpitaux la voie à une administration dirigiste revient à priver
le médecin responsable de son patient des moyens d’assumer de plein droit sa responsabilité.
L’hôpital amputé de cogestion par les médecins se vide de sa substance primaire.
Pour vous une chose est claire : les dispositions de ce projet de loi altèreront la relation
entre médecin et patient.
A.S. : Oui. Jusquà présent, le médecin était libre devant le patient pour lui proposer ce qu’il
estimait opportun. Dorénavant, ladministration peut s’immiscer dans les affaires médicales
et même dans les relations patient/médecin mais sans que ceci ne soit rendu évident pour le
patient. Le médecin ne sera plus libre de ses actions ce qui trouble cette délicate relation de
confiance avec son patient. D’aucuns prétendent vouloir agir comme défenseur des intérêts des
patients. De la défense des intérêts des patients, les médecins en ont fait une profession.
Pouvez-vous donner des exemples concrets de cette entrave à la liber?
P.W. : Par exemple, le chirurgien pourrait se voir refuser d’opérer en temps utile un patient
pour des contraintes « organisationnelles ». Ou bien le médecin ne bénéficiera plus de léquipe
para-médicale avec laquelle il avait l’habitude de travailler. Ou bien le chirurgien devra faire
des choix contraignants pour placer seulement un type particulier de prothèse qu’il n’a pas
l’habitude de placer ou qu’il juge non appropriée par rapport aux besoins du patient en question.
Dans ce contexte il faut dire que nous assistons dans les hôpitaux depuis des années à une
dérive hautement dangereuse vers un système bureaucratique de déresponsabilisation
organisée. Avec cette loi, la relation entre patient et médecin ne serait non seulement
perturbée, mais deviendrait carrément impossible en milieu hospitalier. Le médecin se
trouvant dans l’incapacité de contrôler l’environnement de son exercice et d’exercer son rôle
de commettant occasionnel sur les préposes mises à sa disposition et donc d’assumer sa
responsabilité envers son patient.
« Lhôpital amputé d’une cogestion par les médecins
se vide de sa substance primaire. »
« De la défense des intérêts des patients,
les médecins en ont fait une profession »
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