laisser faire ou regulation ? une synthese des theories

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L AISSER FAIRE OU R EGULATION ? U NE SYNTHESE DES
THEORIES ECONOMIQUES.
Etienne LEHMANN
ERMES – Université Panthéon Assas Paris 2
IRES Université Catholique de Louvain et IZA – Bonn
12 place du Panthéon 75 012 Paris Cedex 05
[email protected]
1
Le rôle que doit jouer l’Etat dans l’économie est sans doute l’une des questions les
plus fondamentales dans les débats politiques contemporains. Ainsi, le XXeme siècle a vu la
plus forte opposition à ce sujet au mome nt de la Guerre Froide avec d’un côté, l’Union
Soviétique dont l’économie était organisée selon une planification obligatoire et centralisée, et
de l’autre les Etats-Unis qui se revendiquaient les défenseurs de la liberté du marché et des
bienfaits de la concurrence. Aujourd’hui, il ne fait plus guère de doutes que le système
soviétique a échoué dans l’organisation de l’économie. Mais assiste-t-on pour autant au
triomphe du Marché sur l’Etat ? En réalité non, car aucune économie de par le monde n’a
réussi à se passer d’un Etat qui établit des lois fiscales ou des règlements régissant l’activité
économique.
Aussi, si les positions sur le rôle de l’Etat dans l’économie sont devenues moins
tranchées qu’au moment de la guerre Froide, la question reste essentielle. Il me semble
toutefois que le problème n’est plus :
Faut- il laisser une place au Marché ?
L’échec de l’expérience Soviétique nous montre clairement que la réponse est positive.
Le problème n’est plus non plus :
Faut- il laisser une place à L’Etat ?
Puisqu’ aucune économie de part le monde n’a pu fonctionner sans un Etat minimal.
Les bonnes questions à se poser me semblent plutôt être :
1) Que doit faire l’Etat pour améliorer le fonctionnement de l’économie ?
2) Que peut faire l’Etat pour améliorer le fonctionnement de l’économie ?
3) Comment l’Etat doit- il intervenir de façon optimale ?
Ces questions définissent ce que je considère comme étant le problème de la
régulation de l’économie. De ce point de vue, j’accorde à ce terme une signification beaucoup
plus générale que la seule régulation des services publics puisque j’y inclus l’ensemble des
modalités d’intervention de l’Etat dans l’économie. En particulier, je considère également des
1
Je remercie Christine Halmenschlager, Dominique Meurs, Emmanuelle Taugourdeau et Jean Pierre
Taugourdeau pour leurs remarques constructives sur une version préliminaire de ce texte.
1
aspects aussi variés que la fiscalité, les prestations sociales, les privatisations, ou l’emploi
public.
Mon but sera d’apporter un regard d’économiste sur le problème de la Régulation de
l’économie ainsi redéfini et de déterminer la meilleure combinaison entre interventionnisme
de l’Etat et libéralisme. Par Marché j’entends une institution dans lesquels s’opèrent librement
des échanges économiques. Par Etat, j’entends une organisation collective et politique
contraignant les actions individuelles des agents économiques. De ce point de vue, ma
définition de l’Etat se veut suffisamment large pour englober des entités juridiques aussi
différentes que l’Etat central, les collectivités locales ou mêmes des administrations privées
telles que les différentes caisses de Sécurité Sociale. L’Etat est donc entendu dans son sens
générique et non dans le sens habituellement retenu par les Juristes.
Mon exposé se fera en trois temps. Tout d’abord, j’expliquerai la portée et la logique
de la théorie de la « main invisible » chère à Adam Smith. Les développements de l’Economie
mathématique dans les années 50 et 60 ont donné à ce résultat le statut de « premier théorème
de l’économie du bien-être ». Je donnerai l’intuition de ce théorème dont une lecture trop
rapide conduit à recommander le désengagement de l’Etat dans l’Economie.
Ma deuxième partie s’intéressera à la remise en cause de ce théorème. Le premier
théorème de l’économie du bien-être repose en effet sur des hypothèses qui sont rarement
vérifiées dans la réalité. C’est le point de départ de l’Economie Publique que d’expliciter ce
que doit faire l’Etat lorsque l’on ne se situe pas dans le cadre idyllique de la concurrence pure
et parfaite sans externalités ni monopole naturel ni préoccupation redistributive. Le
vocabulaire utilisé pour décrire ces situations est à cet égard très explicite puisque les
économistes ont pris l’habitude de décrire ces situations comme des défaillances de marché
(market failures).
Enfin, il me semble essentiel de rappeler que l’Etat ne peut pas tout. Comprendre à la
fois quelles sont les limites de l’intervention de l’Etat et les limites du marché me semble
alors essentiel pour espérer arriver à un compromis acceptable entre le laisser faire et
l’interventionnisme. C’est de plus en prenant explicitement en compte les limites à
l’intervention de l’Etat que l’on peut théoriser les contours des modalités d’une intervention
optimale de l’Etat.
I ) Les avantages du marché.
Pour Edmond Malinvaud, la science économique est
2
« La science qui étudie comment des ressources rares sont employées pour la
satisfaction des besoins des hommes vivant en société ; elle s’intéresse d’une
part aux opérations essentielles que sont la production, la distribution et la
consommation des biens, d’autre part aux institutions et aux activités ayant
pour objet de faciliter ces opérations. ».
2
Edmond Malinvaud, Leçons de théories économiques, Dunod, 1969.
2
A la lumière de cette citation, nous nous rendons compte que l’économie normative se
doit de résoudre des questions incroyablement difficiles. Il faudrait en effet déterminer qui
doit produire quoi et en quelle quantité et qui doit consommer quoi et en quelle quantité.
Lorsque l’on considère à la fois le nombre d’individus et le nombre de biens (et services)
différents qui composent une économie, on se rend compte de toute la complexité et de toute
la difficulté du problème d’allocation optimal des ressources.
Que doit donc faire l’Etat pour s’assurer que le fonctionnement de l’économie
aboutisse à une situation optimale ? Une première réponse a été proposée par Adam Smith.
Elle a le mérite de la simplicité. Il ne faut rien faire du tout, ou plutôt, il faut « laisser faire »
l’économie de marché. C’est la fameuse théorie de la main invisible selon laquelle, le marché
permet de coordonner de façon idéale les actions égoïstes des agents économiques, bien que
ces derniers ne recherchent que leurs intérêts personnels.
Adam Smith a davantage postuler cette prééminence du laisser faire qu’il n’en a
démontré la validité. Ce sont les développements de la théorie de l’équilibre général qui ont
permis d’avancer dans la formalisation de cette question. Les travaux du français Léon Walras
dans les années 1870 puis du Prix Nobel américain Kenneth Arrow et du prix Nobel français
Gérard Debreu dans les années 1950 ont contribué à donner des conditions nécessaires à la
validité de ce résultat. L’exercice de la formalisation mathématique a été poussé si loin que
les économistes parlent aujourd’hui du « premier théorème de l’Economie du Bien-être » pour
dénommer ce résultat.
Que dit ce théorème ? Que le bon fonctionnement d’une économie parfaitement
concurrentielle aboutit à une allocation des ressources telles que l’on ne peut augmenter le
bien-être d’un individu sans que cela ne se fasse au détriment d’au moins un autre. En
simplifiant quelque peu cet énoncé, cela revient à dire que l’économie de marché permet de
rendre maximale la taille du gâteau que constituent les biens et services produits dans
l’Economie et que les agents doivent se partager. A ce titre ce théorème constitue une
formalisation de la théorie de la main invisible. Le mieux que l’Etat puisse faire, du moins s’il
ne cherche qu’à rendre maximal la « taille du gâteau » que se partagent les agents
économiques sans se préoccuper de la répartition de ce gâteau, c’est de laisser faire
l’économie de marché.
Quelle est l’intuition de ce résultat ? Je vais être un peu technique à cet endroit. Cela
me permettra de mieux discuter par la suite des limites de ce théorème. Pour bien comprendre
les choses, caricaturons l’économie en la résumant à un seul bien de production et à la
détention de monnaie. Il y a d’un côté des entrepreneurs qui produisent ce bien pour obtenir
de la monnaie moyennant un coût de production. Les entrepreneurs agissent de manière à
rendre maximal leur profit, c'est-à-dire la monnaie acquise par la vente des biens produits
moins le coût de production. Il y a d’un autre côté des consommateurs qui retirent une
certaine satisfaction de la consommation de ce bien moyennant le fait de devoir se priver de
monnaie. Les consommateurs agissent de manière à maximiser leur surplus, c'est-à-dire la
différence entre la satisfaction apportée par la consommation des biens moins le montant de
monnaie dépensée.
Comment se comportent ces entrepreneurs et ces consommateurs dans un univers
parfaitement concurrentiel ? La théorie marginaliste Walrassienne nous dit que le
comportement des producteurs dépend de la comparaison entre ce que leur coûte la
production d’une unité supplémentaire de bien et ce que leur rapporte cette production
supplémentaire. Le premier de ces termes correspond au coût marginal de production. L’une
des hypothèses du théorème est que ce coût marginal est d’autant plus élevé que la production
3
est elle- même élevée. Le deuxième de ces termes correspond au nombre d’unité de monnaie
obtenu par la vente d’une unité de bien, c'est-à-dire au prix du bien.
Une fois définis ces termes, le raisonnement marginaliste décrit que les producteurs
vont produire la quantité de biens qui va égaliser le prix au coût marginal de production.
Pourquoi ? Parce que si les producteurs produisaient moins, le prix serait supérieur au coût
marginal et ils gagneraient à accroître leur production. Si au contraire le prix était inférieur au
coût marginal de production, les entrepreneurs gagneraient à réduire leur production.
Qu’en est- il maintenant des consommateurs ? Le raisonnement est alors parfaitement
symétrique. La quantité de biens qu’ils consomment égalise leur satisfaction marginale au
prix du bien. Autrement dit le bon fonctionnement d’une économie de marché aboutit à une
situation où la satisfaction marginale de chaque consommateur est égale au coût marginal de
chaque entreprise, toutes ces grandeurs étant rendues égales au prix par les comportements
individuels de chaque agent.
Est-ce une situation optimale au sens de la maximisation des ressources à se partager ?
La réponse est oui. En effet, ce qui compte en terme de bien-être agrégé, c’est de maximiser la
satisfaction totale que chaque consommateur retire de la consommation du bien moins le total
des coûts de production subit par chaque producteur. Or pour maximiser cette quantité il faut
et il suffit que les satisfactions marginales soient égales entre elles, que les coûts marginaux
soient égaux entre eux, et que les deux coïncident. Or, dans une économie concurrentielle,
toutes ces grandeurs sont égales aux prix.
Aussi, le marché et la concurrence garantissent une allocation optimale des ressources.
Il faut toutefois bien comprendre les raisons de ce résultat. L’argument en jeu n’est pas celui
que l’on entend souvent selon lequel la concurrence serait souhaitable parce qu’elle
favoriserait une émulation « saine » entre les entreprises ce qui les stimuleraient. Le bon
argument est tout autre. Pour garantir une bonne allocation des ressources, il faut qu’existe un
mécanisme qui incite les consommateur s à révéler l’intensité de leur satisfaction et qui incite
les entreprises à révéler la structure de leurs coûts. Or laisser faire l’économie de marché
permettrait d’obtenir un système de prix qui fournirait à chaque consommateur et à chaque
entreprise les bonnes incitations pour fournir les bonnes informations concernant la rentabilité
de différentes actions économiques des différents acteurs de l’économie. Si en plus de son
effet informationnel, la concurrence avait un effet émulateur, alors cet effet conduirait à trop
d’effort productif par rapport à ce qui serait socialement souhaitable.
II ) Les limites du marché: pourquoi l’Economie a-t-elle besoin de la régulation de l’Etat ?
Il faut toutefois garder à l’esprit que le premier théorème de l’Economie du Bien-être
repose sur des hypothèses précises qui sont souvent irréalistes. Que se passe-t-il lorsque ces
hypothèses ne sont pas satisfaites ? En général, laisser faire les marchés n’aboutit plus à une
allocation optimale des ressources. On se retrouve alors dans ce que les économistes appellent
les défaillances de marchés (market failures) qui requièrent la mise en place d’une régulation
adéquate de l’économie.
Je parlerai d’abord du problème d’externalité (II.1), puis des problèmes liés à
l’existence des biens collectifs (II.2). J’évoquerai ensuite les problèmes soulevés par
l’imperfection de la concurrence (II.3). Je parlerai alors des monopoles naturels, et plus
4
généralement des problèmes posés par l’existence d’économie d’échelle (II.4). Enfin,
j’évoquerai les difficultés posées par l’économie de la redistribution (II.5).
1)
Les externalités.
Le premier échec de marché réside dans l’existence d’externalité. La définition de
cette notion est assez technique. Pour le Français Pierre Picard, les externalités désigne
des « situations où des décisions de consommation ou de production d’un agent affectent
directement la satisfaction ou le profit d’un autre agent, sans que le marché évalue et fasse
payer ou rétribue l’agent pour cette action ». 3
Les exe mples d’externalités sont nombreux. Prenons le cas de la consommation de
cigarettes. On s’attend à ce que les fumeurs retirent une certaine satisfaction de la
consommation de leurs cigarettes. Mais qu’en est- il de leurs voisins, collègues à qui ils font
subir du tabagisme passif ? On voit bien à travers cet exemple qu’il y a alors une externalité
négative puisque la consommation de cigarette par un fumeur détériore le bien-être de ses
voisins non fumeurs sans que ce dernier effet ne rentre a priori en ligne du compte dans la
décision du fumeur de fumer une cigarette. Un autre exemple important tient aux processus de
recherche et développement 4 « Lorsqu’une entreprise met au point un nouveau procédé de
fabrication, d’autres entreprises sont également susceptibles de bénéficier de ce progrès
technique, même si elles le font avec un décalage dans le temps. L’avantage apporté par
l’innovation à l’ensemble de l’Economie sera alors bien supérieur » aux gains enregistrés par
l’innovateur. Il y a alors une externalité positive.
Pourquoi la présence d’externalités remet-elle en cause la désirabilité du laissez faire ?
Parce que d’après la théorie économique, le laisser faire va aboutir à ce que les gains
marginaux privés soient égaux aux coûts marginaux privés par l’intermédiaire du système des
prix. Au contraire, l’optimum social requiert l’égalité des marges sociales. Dans le premier
exemple, le fumeur va consommer une quantité de cigarette telle que sa satisfaction marginale
personnelle à consommer une cigarette supplémentaire soit égale au prix de la cigarette. Or
l’optimum social demande l’égalité du prix avec la satisfaction marginale du fumeur moins le
désagrément marginale de ses voisins. C’est cette différence en terme de valorisation des
activités économiques qui explique la sous optimalité du laisser faire.
Dans le deuxième exemple, le bien produit est un bien immatériel concernant le savoir
et le progrès technique. Lorsqu’une entreprise doit décider du montant de ses investissements
en recherche et développement, elle ne tient compte que des gains que la recherche peut lui
fournir à elle, négligeant les gains pour les autres entreprises. Une économie de laisser faire
serait alors caractérisée par une trop faible valorisation de la recherche et développement, et
donc par trop peu d’investissements en recherche et développement.
Comment alors réguler l’économie en présence d’externalités ? On peut distinguer
trois types d’instruments : les instruments réglementaires, la fiscalité et la redéfinition des
droits de propriété. Chacun de ses instruments présente ses avantages et ses inconvénients.
3
Picard, Pierre, 1987, Eléments de Microéconomie, Edition Montchrestien.
4
Cet exemple est tiré littéralement de Picard, Pierre, 1987, Eléments de Microéconomie, Edition Montchrestien.
5
La première possibilité consiste à fixer des quotas ou des interdictions sur le fait de
fumer des cigarettes. Pour notre deuxième exemple, elle consiste à obliger les ent reprises à
assurer un minimum de dépenses en recherche et développement en fonction de leur chiffre
d’affaires. L’intérêt de cette méthode est qu’elle est très directe. Son inconvénient est qu’elle
est très directive. Plus exactement, elle oblige tous les fumeurs (ceux qui fument peu comme
ceux qui fument beaucoup) à passer sous le couperet d’une même interdiction
indépendamment de tous mécanismes de marché. D’une façon générale les régulations
réglementaires constituent des entraves au fonctionnement de l’économie de marché, si bien
que ce qui est gagné du côté de la consommation de cigarettes risque fort d’être perdu par
ailleurs.
La deuxième option consiste à instaurer une taxe spécifique. Dans le cas de la cigarette,
cela revient à appliquer le principe du « pollueur - payeur » en mettant en place un impôt
indirect spécifique sur le tabac. C’est précisément ce que l’on fait en France. Pour les
externalités positives on mettra en place une subvention. La logique de l’instrument fiscal
consiste alors à distordre les prix afin que le prix d’un bien soit égal à sa valeur sociale et non
à sa valeur privée. Par rapport aux instruments dits réglementaires, les instruments fiscaux
reposent sur des mécanismes de marché en se contentant de rajouter une information
manquante au système des prix.
Le troisième type d’instrument est motivé par les travaux du prix Nobel américain
Ronald Coase. L’idée est qu’une externalité se manifeste lorsque contingentement à une
action économique explicite il y a une autre opération économique qui existe mais qui ne fait
pas l’objet de transaction marchande. Dans le cas des investissements des entreprises privées
en recherche et développement, il suffit de donner à une entreprise innovante un droit de
propriété sur son savoir. Cela obligerait les autres entreprises souhaitant bénéficier de
l’innovation à verser un revenu à l’entreprise innovante. C’est le principe du système des
licences et des brevets. On voit alors qu’un tel système est susceptible de rétablir les bonnes
incitations en matière de recherche et développement. Dans le cas des fumeurs des cigarettes,
la consommation de cigarette fait l’objet d’une transaction monétaire entre le fumeur et le
bureau de tabac, mais il n’y a pas de transaction entre le fumeur et ses voisins qui sont
victimes de la consommation de cigarette. Que faudrait- il faire pour restaurer l’efficacité ? Il
suffit selon Coase d’accorder à chaque individu un droit de propriété sur l’air qu’il respire
pour obliger un fumeur à verser à chacun de ses voisins une somme négociée compensant le
préjudice de la cigarette. Le prix de la consommation de cigarette serait alors majoré par ce
que doit verser le fumeur à ses voisins. C’est la logique des permis de droit à polluer. On voit
cependant que cette logique semble beaucoup plus difficile à mettre en œuvre dans ce
deuxième exemple que dans le premier. En effet, comment définir correctement les droits de
propriété sur l’air qu’on respire ?
Ainsi, l’existence d’externalité justifie une certaine régulation économique, mais qui
est circonstanciée et dont les modalités dépendent du cas considéré
2)
Les biens collectifs.
La deuxième source de défaillance de marché concerne certains biens et services que
l’on qualifie de biens collectifs. Il s’agit de biens qui peuvent bénéficier simultanément à
plusieurs agents. Une fois produits, la consommation de ces biens par certains agents
6
n’entravent pas leur consommation par d’autres agents. Par exemple, la Défense Nationale
bénéficie simultanément à tous les individus.
Il se trouve que les mécanismes de marché ne permettent pas une allocation efficace
des biens collectifs. L’explication est similaire à celle qui prévaut pour les externalités
positives. Par exemple, dans un système de souscription publique où chacun décide du
montant qu’il est prêt à consacrer à la production d’un bien collectif, chaque individu
n’intègre que les bienfaits qu’il retire personnellement du bien collectif, ignorant l’impact sur
ses voisins. Un tel mécanisme volontaire aboutit donc à une sous-production du bien collectif.
Il est alors souvent beaucoup plus efficace que l’Etat décide directement la quantité de bien
collectif qui doit être produite. C’est pourquoi les économistes qualifient souvent les biens
collectifs de bien publics. Le terme de biens no n rivaux est également parfois employé.
En général les biens collectifs sont des biens produits directement par l’Etat.
L’exemple de la Défense Nationale est à ce titre explicite. Je voudrais toutefois souligner que
la soit disante « nouvelle économie » se caractérise par l’émergence de nouveaux biens que je
qualifierait d’ « intellectuels », reposant essentiellement sur le Savoir 5 . Il en est ainsi des
innovations, des livres, des codes génétiques, des enregistrements de disques, ou de la
conception de roma ns. Pour tous ces biens, l’essentiel des coûts de production concerne
dorénavant la conception intellectuelle du bien et non son support matériel. Or cette
conception consiste essentiellement à accroître le Savoir de l’Humanité. Il s’agit par
conséquent au sens littéral du terme de biens collectifs. Prenons l’exemple d’un logiciel X,
qui serait vendu 100€ dans le commerce. Grâce au graveur de CD vendus maintenant avec
tous les ordinateurs PC, ce logiciel peut être reproduit sans difficulté modulo la modique
somme de 1.5€ pour l’achat d’un CD gravable vierge. Il suffit qu’une seule personne achète
une fois le logiciel ! L’essentiel du logiciel est donc effectivement un bien intellectuel
collectif.
Aussi, l’argument des biens collectifs me semble acquérir une portée et un enjeu bien
supérieur à ce que l’on pourrait croire à première vue. Reste qu’un grand nombre de biens
collectifs sont aujourd’hui produits par le secteur privé en étant protégés de la concurrence par
un système de droits de propriété. Mais ces droits de propriétés sont de plus en plus
facilement contournés par des cyber-pirates, au point de menacer des secteurs entiers de
l’économie, comme celle de la production musicale. Ceci me pousse à m’interroger sur la
viabilité du système actuel qui est entièrement privé, bien que je n’ai pas d’idée très claire sur
les alternatives à proposer.
3)
La concurrence ne subsiste pas naturellement
Le troisième argument remettant en cause la suprématie du laisser faire réside dans la
nature de la concurrence. Le premier théorème de l’économie du bien-être repose sur
l’hypothèse d’une concurrence « pure et parfaite » dans laquelle il est nécessaire que chaque
agent se considère comme trop petit par rapport à la taille du marché pour que ses choix aient
une influence significative sur le système de prix. Or en réalité, l’économie de marché est sans
doute bien mieux décrite par un ensemble d’entreprises produisant un bien spécifique dont
5
L’interprétation du Savoir comme bien économique collectif est assez courante, voir par exemple, Mas-Colell,
A, Whinston, M. and Green J. Microeconomic Theory, Oxford University Press.
7
elles fixent les prix, chaque bien étant plus ou moins en concurrence avec les autres. Il est
donc important de comprendre en quoi un monopole se comporte différemment d’une
entreprise en concurrence pure et parfaite. La réponse est que, par rapport à une entreprise en
situation de concurrence pure et parfaite, un monopole a intérêt à diminuer sa production afin
d’accroître le prix de sa vente. Par ailleurs, laisser faire l’économie de marché signifie
souvent laisser les entreprises mettre en place des collusions et des ententes sur les prix, ce qui
signifie justement la disparition de la concurrence. Autrement dit, le principe du laisser faire
s’oppose au bon fonctionnement de la concurrence.
Ces arguments théoriques amènent à une recommandation claire de politique
économique. Il faut que l’Etat veille à ce que les entreprises ne se regroupent pour constituer
des cartels monopolistiques ou oligopolistiques qui fausseraient la concurrence. Dit autrement,
il faut que l’Etat ne laisse pas faire l’apparition de monopoles. C’est là l’origine de la
législation anti- trust américaine qui a débuté avec le Sherman Act en 1890. En Europe, cette
logique est l’un des piliers fondamental de la construction européenne depuis le traité de
Rome de 1957.
Trois remarques me semblent devoir être soulignées. La première nous vient de
l’économiste Autrichien Joseph Schumpeter (1883-1950). Pour celui-ci, l’innovation et la
recherche et développement n’ont d’intérêt pour les entreprises privées que si elles engendrent
des profits suffisants aux entreprises innovantes. Or, par leur nature même, les innovations
engendrent des positions monopolistiques plus ou moins durables et avantageuses selon
l’intensité avec laquelle le Droit de la propriété intellectuelle protège les innovateurs de leurs
concurrents. En effet, les innovations de produits se concrétisent par l’apparition de biens
nouveaux qui ne sont initialement produits que par les seules entreprises qui les ont inventées.
Par ailleurs, les innovations de procédés permettent de produire un bien préexistant à un
moindre coût et donc de chasser les concurrents du marché.
La régulation de la concurrence serait alors confrontée au dilemme suivant. Selon une
vision de court terme, on devrait lutter contre les monopoles, même lorsqu’ils sont le résultat
d’un processus d’innovation. Au contraire si l’on ne regarde que le long terme, on devrait
protéger les innovateurs par le biais d’un droit de la propriété intellectuelle très stricte au
détriment de l’efficacité économique présente. Un tel dilemme a été remis au goût du jour
récemment en particulier par le français Philippe Aghion et le canadien Peter Howitt. Cet
argument contre des politiques de la concurrence trop agressives a par exemple été employé
par les industries pharmaceutiques contre la volonté du gouvernement sud africain d’importer
des médicaments génériques contre le SIDA.
Je voudrais toutefois le relativiser. Le progrès technique ne peut être issu de la seule
recherche et développement des entreprises privées. La recherche scientifique, qu’elle soit
fondamentale ou appliquée est également un élément indispensable au progrès technique. Or
la Recherche produit typiquement du Savoir qui est fondamentalement un bien collectif. En
tant que tel, le jeu du marché fournit des incitations insuffisantes au secteur privé. Il semble
également indispensable que l’Etat investisse fortement dans une recherche scientifique
correctement organisée et incitée et que l’Etat mette gratuitement à la disposition du plus
grand nombre le produit de cette recherche publique. Le développement de ce « Savoir
Public » me semble tout aussi indispensable qu’un certain degré de protection des innovateurs
privés pour favoriser le progrès technique dans l’économie. D’ailleurs, une lecture rapide des
chiffres de l’OCDE tendent à confirmer la thèse selon laquelle une faible politique de
réglementation du marché des produits, et donc un environnement très concurrentiel est
compatible avec de fortes dépenses de recherche. Ainsi l’indicateur synthétique de l’OCDE
mesurant le degré de réglementation du marché des produits était de 1.4 pour les Etats-Unis
contre 3.9 pour la France en 1998. Or la part des dépenses totales en recherche et
8
développement dans le PIB à cette date était de 2.2% pour la France et de 2.5% pour les Etats
Unis 6 .
La deuxième remarque tient au fait que si les positions monopolistiques sont dans une
certaine mesure nuisibles à l’efficacité économique, les positions monopsoniques le sont tout
autant. Un monopsone est un agent économique qui est en situation d’acheteur unique sur un
marché. C’est donc l’exact inverse d’un monopole. Les situations de monopsones sont
beaucoup moins anecdotiques que l’on pourrait croire. Elles existent sur certains marchés du
travail en particulier dans des bassins d’emplois spécifiques concernant une main d’œuvre peu
mobile. Ils concernent également certains secteurs agricoles et agroalimentaires. Je pense en
particulier aux fruits et légumes dont les producteurs font encore trop souvent face à un
nombre beaucoup trop restreint de centrales d’achats. De ce point de vue, les fusions dans la
grande distribution qui ont eu lieu ces dernières années tel que le rapprochement entre
Carrefour et Promodès ont permis une augmentation des marges des grandes surfaces non
seulement au détriment des consommateurs, mais également au détriment des producteurs de
fruits et légumes, ainsi que l’illustre le spectacle récurrent des manifestations d’agriculteurs
devant les préfectures départementales.
Ma troisième remarque tient aux processus de privatisation. Développer un
environnement concurrentiel, en particulier pour les anciennes économies socialistes « en
transition » vers le capitalisme, ne peut se résumer à la seule privatisation des entreprises
d’Etat. Le prix Nobel Américain Joseph Stiglitz est non seulement l’un des plus brillants
théoriciens de l’Economie Publique, mais il a eu également l’occasion de passer de la théorie
à la pratique, d’abord comme principal conseiller économique de l’administration Clinton,
puis comme économiste en chef de la Banque Mondiale. Ce défenseur d’une économie de
Marché régulée a pu décrire les ravages commis par les recommandations systématiques de
privatisation du Fond Monétaire International dans plusieurs pays en voie de développement.
La privatisation systématique sans définition préalable de règles de la concurrence a souvent
conduit à transformer les monopoles publics préexistants en monopoles privés autonomes et
fortement incités à user de tous les moyens pour empêcher l’apparition de concurrents et
d’une législation concurrentielle, le cas échéant par le biais du lobbying voire de la corruption.
De telles privatisations vont clairement à l’encontre de l’efficacité économique 7 .
Ainsi, l’Etat a un rôle crucial à jouer pour éviter l’émergence non seulement de
positions monopolistiques mais également de positions monopsoniques trop importantes.
Toutefois cette politique de la concurrence doit être atténuée, en particulier dans les secteurs
d’activité où la recherche et développement du secteur privé est une composante importante
du progrès technique. Enfin, privatisation et développement de la concurrence ne sont pas des
synonymes.
4)
La présence d’économies d’échelle
La quatrième source de défaillance de marché réside dans l’existence d’économie
d’échelle dans certains secteurs de l’économie. Il y a économie d’échelle lorsque les coûts
unitaires de production diminuent avec la quantité produite. C’est en particulier le cas lo rsque
6
plus exactement, ces chiffres se contentent de ne pas infirmer cette thèse…
7
Joseph Stiglitz, 2002, La Grande Désillusion, Editions Fayard. Voir en particulier les pages 86 et suivantes.
9
les processus de production impliquent des coûts fixes très élevés indépendamment de la
quantité produite.
Prenons l’exemple du transport ferroviaire à grande vitesse. La construction des 250
kilomètres du TGV Méditerranée a coûté un peu moins de 4 milliards d’Euros (en 5 ans),
alors que le chiffre d’affaires semestriel de l’ensemble du groupe SNCF est évalué à un peu
plus de 11 milliards d’Euros au premier semestre 2004. Ces chiffres mettent en évidence le
poids essentiel des coûts de construction des lignes de chemin de fer dans la structure des
coûts de production du secteur ferroviaire. Or ces coûts de construction sont identiques, que la
ligne TGV Méditerranée soit empruntée par un ou par vingt TGV par jour. Le coût de revient
d’un voyage Lyon - Marseille sera par conséquent d’autant plus faible qu’un grand nombre de
voyageurs utiliseront le TGV Méditerranée.
Dans de tels secteurs de l’Economie avec une telle importance des coûts fixes, est-il
raisonnable de penser pouvoir organiser une concurrence entre les réseaux ferrés ? La réponse
est évidemment négative. Il vaut mieux que la SNCF soit en monopole sur le transport TGV
entre Lyon et Marseille plutôt que d’attendre vainement qu’une entreprise privée réinvestisse
à nouveau 4 milliards d’euros pour concurrencer la SNCF. On fait alors face à ce qu’on
appelle un monopole naturel. La SNCF est naturellement et inéluctablement en situation de
monopole dans la gestion du réseau ferré. Le problème qui se pose est alors celui de la
régulation de ces monopoles.
L’une des particularités de ce problème est que l’on ne saurait juger la rentabilité
économique des monopoles naturels à la lumière du seul critère de leur rentabilité financière.
La raison est la suivante. La production optimale d’un monopole naturel est assurée lorsque le
coût marginal de production est égal à la satisfaction marginale des consommateurs, cette
dernière étant égal au prix. C’est ce que l’on appelle le principe de tarification au coût
marginal. Or lorsque les coûts fixes sont très importants, il est fort possible que cette
tarification optimale au coût marginal ne suffise pas à financer les coûts fixes du monopole
naturel. L’Etat doit alors intervenir financièrement pour combler ces déficits afin de garantir
l’existence d’une activité économique socialement désirable mais qui ne serait pas viable eu
égard au seul critère de la rentabilité financière. Appliquée au cas de la SNCF, ceci justifie
parfaitement la prise en charge par l’Etat et les collectivités locales d’une grande partie des
frais de construction et d’entretien des nouvelles lignes.
Pour concilier à la fois la nécessité d’assurer la pérennité des entreprises en situation
de monopole naturel et les bienfaits de la concurrence, un certain nombre de monopoles
publics se sont vus adjoints par la commission européenne à séparer leurs activités entre celles
qui peuvent être soumises à la concurrence et celles qui restent caractérisés par des coûts fixes
élevés. Dans le cas du transport ferroviaire, cette logique s’est traduite par la création de
l’établissement public Réseaux Ferré de France qui a dorénavant la charge de la gestion du
réseau ferré, au moment où la SNCF voit ses autres activités soumises à la concurrence.
On comprend toutefois que l’intervention de l’Etat dans le financement et le contrôle
des monopoles naturels ne peut pas se faire sans contrepartie. Au contraire, elle doit se faire
par le biais d’une contractualisation incitative. En particulier, les subventions de l’Etat doivent
être conditionnées à la réalisation d’objectifs spécifiés par exemple en terme de prix de vente,
de qualité ou d’accès du service pour les consommateurs. Toutefois, il est assez surprenant de
constater que d’un point de vue formel, le problème de la régulation des monopoles se pose de
façon assez analogue pour des monopoles attachés au secteur privé ou pour des monopoles
appartenant au secteur public. Les deux se doivent d’être régulés par une contractualisation
incitative. Les modalités de cette contractualisation vont toutefois être différentes. Si le
monopole naturel est une entreprise publique, l’incitation devra plutôt se concrétiser par le
10
canal des primes et des promotions de carrière des salariés de cette entreprise. Au contraire, si
le monopole naturel est confié à une entreprise privée, il s’agit d’un contrat d’objectif entre
l’Etat et les dirigeants de l’entreprise en question.
5)
Efficacité versus Equité
Le cinquième argument s’opposant au laisser faire concerne l’équité. Imaginons qu’on
puisse mettre de côté les critiques que nous avons mentionnées ci-dessus à l’égard du laisser
faire. Imaginons un instant qu’il n’y ait ni externalités, ni bien collectifs, ni ententes
monopolistiques ou monopsoniques et ni monopoles naturels. Alors, laisser faire l’économie
de marché permet de rendre maximal la taille du gâteau des ressources économiques dégagées
par un pays. Mais est ce que l’économie de marché permet une répartition équitable de ce
gâteau ?
L’exemple de l’économie américaine est ce titre très parlant. Entre 1979 et 1995, la
croissance économique a été en moyenne de 2% par an. Pourtant sur la même période le
salaire moyen n’a augmenté que de 0.2% par an, une fois corrigé des effets de l’inflation.
Enfin, les salaires reçus par les 10% de salariés les moins bien payés ont diminué en terme
réel au rythme de 1% par an sur la même période. Ces chiffres suggèrent que la croissance
américaine s’est faite au prix du développement des working poors.
Est- il nécessaire que l’Etat intervienne pour corriger de telles inégalités ? Je voudrais
souligner que la réponse à cette question est par essence subjective et arbitraire. Chaque
citoyen a sa propre conception sur le degré d’inégalité qui serait supportable par la société. Il
s’agit sans doute d’un élément fondamental dans la structuratio n des clivages politiques.
J’ajouterai qui si les considérations idéologiques doivent conserver une place dans la
détermination des politiques économiques, cela ne peut être qu’à cet endroit. Ma propre
conception me conduit toutefois à considérer que de telles inégalités de revenu doivent être
corrigées.
L’économiste américain Arthur Okun a eu recours à une métaphore pour décrire le
problème de la redistribution telle qu’il se pose à l’économiste. Tout se passe comme si
redistribuer les revenus revenait à transporter de l’eau des plus riches vers les plus pauvres,
mais en utilisant un seau percé. En effet, pour redistribuer, il faut que l’Etat intervienne. Les
instruments sont nombreux, complexes et interdépendants. Cela va du salaire minimum, à
l’impôt sur le revenu, en passant par les assurances sociales, les minima sociaux voire même
le Droit légale et conventionnel en matière de protection de l’emploi et de licenciement
économique. Or ces interventions impliquent des distorsions dans le système des prix et
constituent de ce point de vue une entrave au fonctionnement de l’économie de Marché. Il y a
donc une question que seul le politique doit résoudre : combien de seaux d’eau doit-on
transporter des plus riches vers les plus pauvres, et donc quelle quantité d’eau accepte-t-on de
perdre au nom de la recherche d’une allocation plus juste des ressources ? Mais pour répondre
à une telle question, il faut préalablement connaître la taille du trou du seau, et éventuellement,
quel autre seau utiliser pour avoir un trou plus petit. Autrement dit, quels sont les instruments
de politique économique les plus efficaces pour assurer une bonne redistribution des revenus
et quels sont alors les coûts économiques de la redistribution ? Or ces deux questions ne
doivent pas être examinées à l’aube de dogmes idéologiques, mais au contraire méritent d’être
examinées d’une façon scientifique.
11
Le développement des enquêtes statistiques a fourni aux économistes des
renseignements permettant de donner des éclairages sur ces questions. J’en reprendrai deux,
qui portent sur l’efficacité de politiques visant à réduire les prélèvements obligatoires. La
baisse des taux de prélèvement de l’impôt sur le revenu n’aurait probablement que très peu
d’effet en terme d’activité économique. Les données suggèrent que les modifications de
comportements les plus significatifs concerneraient les stratégies fiscales des ménages à très
hauts revenus. En revanche, les politiques d’allègements des charges sociales sur les bas
salaires seraient nettement plus incitatives. Les allègements de cotisations patronales menées
en 1995 et 1996 semblent avoir créé ou sauvé en France un nombre d’emplois dont l’ordre de
grandeur tournerait autour de 400 000. Cela confirme que le coût du travail peu qualifié est un
facteur déterminant de l’emploi des personnes peu diplômées. Pour résumer, pour un niveau
donné de prélèvement obligatoire, il est sans doute désirable d’accroître tous les taux
d’imposition de l’impôt sur le revenu et d’alléger encore davantage les charges sociales sur
les emplois à bas salaires. Cette position peut paraître iconoclaste, mais elle témoigne du fait
que l’on pourrait dans notre pays redistribuer les revenus de façon beaucoup plus efficace
pourvu que l’on accepte de désidéologiser les débats sur les modalités de la redistribution8 .
III) Les limites de l’intervention de l’Etat
Nous venons de voir que l’Etat ne devrait plus Laisser faire l’économie de marché dès
qu’apparaissent des externalités, des biens collectifs, des monopoles naturels, ou des
préoccupations redistributives. S’arrêter à cette seule conclusion conduirait tout être
normalement constitué à recommander au plus vite un dirigisme étatique extrême et
l’administration totale de l’Economie par le pouvoir politique. Or les principales expériences
de cette voie, en particulier en Union Soviétique, ont manifestement conduit à un fiasco
économique. Il est donc nécessaire de comprendre quels sont les facteurs limitant l’efficacité
de l’intervention de l’Etat pour bien comprendre jusqu’où peut aller celui-ci.
Je soulignerai essentiellement trois arguments. Le premier tient au fait que l’Etat ne
dispose pas de toutes les informations nécessaires à une bonne administration de l’Economie.
Cet argument peut paraître secondaire, mais il est en fait central car c’est ce qui permet de
conceptualiser pourquoi l’intervention de l’Etat doit se concevoir en tenant compte des
incitations négatives qu’induise souvent son intervention. (III.1)
Dans un deuxième temps, j’expliquerai comment la Science Economique a intégré
l’idée que l’Etat n’est pas nécessairement bienveillant. Je mentionnerai des travaux récents
qui comparent l’efficacité de différentes structures constitutionnelles en termes d’incitation
des élus à choisir les « bonnes » politiques économiques (III.2).
Dans un troisième temps, j’expliquerai que la politique économique peut être victime
d’incohérence temporelle. En particulier, l’Etat peut être conduit à ne pas suffisamment
internaliser les effets de long terme de ces choix de politiques. Le cas de la conduite de la
politique monétaire est à ce titre exemplaire (III.3).
8
Voir Pierre Cahuc et André Zylberberg, Le chômage, fatalité ou nécessité ? Flammarion.
12
1)
L’information
Considérons pour commencer la limite informationnelle à la capacité d’action de
l’Etat. Si l’Etat était omnipotent, il pourrait administrer seul l’économie, sans laisser la loi de
l’offre et de la demande déterminer le système des prix. Sans cette croyance dans
l’omnipotence de l’Etat, l’Union Soviétique Stalinienne ne se serait jamais lancé dans sa
planification centralisée et dirigiste de l’économie. Les conséquences d’un tel choix sur le
niveau de vie de la population soviétique ont été manifestement désastreuses. Une raison
souvent invoquée pour expliquer cet échec tient au manque d’incitation des agents
économiques dans une économie entièrement administrée. Aussi, on considère que la
principale limite à une régulation trop dirigiste de l’Economie tient aux effets désincitatifs de
l’intervention de l’Etat dans l’économie.
Or, les problèmes d’incitations sont toujours et fondamentalement d’abord des
problèmes d’information. L’idée est la suivante. Un problème d’incitation met en œuvre
d’une part un agent qui doit être incité, et d’autre part un principal qui est directement
intéressé par l’action de l’agent. L’agent fournit un effort pour produire un résultat qui
intéresse le principal en contrepartie duquel le principal rémunère l’agent. Dans le cas de la
régulation d’un monopole naturel, l’agent sera le dirigeant de l’entreprise, et le principal sera
la collectivité territoriale en situation de régulateur pub lic. L’effort de l’agent résidera dans
cet exemple dans son travail de gestion de l’activité du monopole public. En l’absence de
problème informationnel, il existe une relation univoque entre l’effort de l’agent et le résultat
de son action. Le principal peut alors inférer sans aucune erreur l’effort de l’agent à partir de
son résultat et il lui est très facile d’inciter l’agent à fournir le niveau d’effort exactement
désiré par le principal. Dans ce cas, ou bien l’agent fournit le bon résultat grâce au niveau
d’effort adéquat, ou bien il n’est pas rémunéré. Les problèmes d’incitations non triviaux
reposent donc sur le fait que le résultat de l’agent dépend non seulement de son effort mais
également de facteurs aléatoires inconnus du principal. Les rémunérations reposent alors sur
une information imparfaite ce qui permet d’expliquer pourquoi le principal ne peut pas
contrôler idéalement l’action de l’agent.
D’un point de vue concret, dans les problèmes de la régulation de l’économie par
l’Etat, c’est ce dernier qui joue le rôle du principal. La prise en compte des contraintes
informationnelles auquel fait face l’Etat permet de comprendre en quoi les modes
d’intervention de l’Etat sont désincitatifs, et donc sont des modes d’intervention de « second
rang ». Le programme de recherche en économie publique consiste alors à considérer l’action
optimale de l’Etat en prenant en compte explicitement les contraintes informationnelles
auxquelles il fait face.
L’exemple de l’économie de la redistribution permet d’illustrer cette démarche. Le
problème a été formalisé par le prix Nobel Ecossais James Mirrlees et repose sur deux idées.
Premièrement, le revenu des agents dépend de deux facteurs : d’une part de leur effort, et
d’autre part de leurs capacités productives innées. Deuxièmement, ces capacités productives
sont hétérogènes, certains agents ayant la chance d’être plus doués que d’autres. Le problème
de la redistribution consiste alors à transférer les revenus des agents qui ont la chance d’être
doué vers ceux qui ont la malchance d’être moins bien lotis. Tout serait simple si l’Etat
pouvait observer les capacités productives des agents. Dans ce cas, il pourrait mettre en place
un impôt redistributif dont le montant serait fonction de cette seule capacité productive. De ce
fait, cette redistribution idéale serait indépendante des efforts des agents et n’aurait aucun
effet désincitatif. Mais dans la réalité, l’Etat n’observe que les revenus bruts qui dépendent
également des efforts des agents. Il fait alors face à un dilemme. Plus le schéma qu’il choisit
13
est redistributif, plus l’effort apparaîtra coûteux aux agents et donc moins ils feront d’effort
pour obtenir par eux même un revenu important. C’est donc précisément parce que l’Etat est
mal informé qu’il ne peut mettre en place qu’un système redistributif de second rang devant
arbitrer entre efficacité économique et justice sociale. Prendre en compte ces contraintes
informationnelles permet de façon très opératoire de calculer des barèmes fiscaux optimaux à
partir d’objectifs redistributifs explicites. De tels exercices quantitatifs constituent des guides
pour bien comprendre la forme que doit prendre la redistribution optimale des revenus. Par
exemple, un article récent du français Emmanuel Saez 9 montre que lorsque les décisions des
individus d’entrer ou non sur le marché du travail sont plus sensibles à la fiscalité que les
choix en terme de durée du travail pour les travailleurs ayant un emploi, le barème optimal
ressemble davantage à un système de type prime pour l’emploi subventionnant les emplois à
bas salaires qu’à un système de type RMI insensible à l’activité des bénéficiaires. Le choix
entre ces deux modes de redistribution tient alors davantage à l’évaluation empirique
quantitative de la sensibilité des choix de participation par rapport au choix d’heures de travail.
Un tel débat peut être tranché par des techniques économétriques adéquates.
La compréhension de cette idée que les contraintes informationnelles sont essentielles
pour comprendre la nature des problèmes d’incitation a permis depuis une trentaine d’années
le développement fructueux de l’économie de l’information et des incitations. Ce corpus
théorique a alors permis des progrès conséquents dans beaucoup de domaines appliqués tels
que l’économie de la régulation des monopoles naturels, l’économie de l’organisation des
entreprises ou l’économie des assurances. C’est pour la réalisation de ces progrès que des
auteurs tels que l’écossais James Mirrlees ou les américains Georges Akerlof, Michael Spence,
Joseph Stiglitz et William Vickrey ont reçu le prix Nobel. En France, ces idées ont connu
beaucoup de succès à la suite notamment des travaux du regretté Jean Jacques Laffont à
l’Université de Toulouse.
2)
L’Etat n’est pas forcement bienveillant.
La deuxième raison que l’on peut invoquer pour expliquer que l’intervention de l’Etat
n’est pas toujours souhaitable réside dans le fait que l’Etat n’est pas forcément bienveillant, et
que lui- même constitue un agent économique devant être correctement incité. L’intervention
de l’Etat se ferait alors au profit des dirigeants politiques ou des cercles de pouvoir et au
détriment du plus grand nombre des citoyens.
L’idée que les dirigeants politiques ne sont pas forcément bienveillants est très
ancienne et n’est pas propre à la théorie économique. Déjà, dans l’Esprit des Lois,
Montesquieu soulignait que la vertu était un ressort essentiel de la démocratie. Toutefois, cette
idée a été réintroduite dans la Science Economique par des auteurs tels que les prix Nobel
Gary Becker et James Buchanan. En fait, cette idée que le politique n’est pas forcement
vertueux est un prolongement logique de la théorie économique qui suppose que chaque agent
se comporte de façon à rendre maximal son bien être individuel. Les dirigeants politiques sont
alors des agents économiques dont on peut étudier l’optimalité des comportements au même
titre que les consommateurs ou les producteurs.
9
Emmanuel Saez, 2002, Optimal income transfer programs: intensive versus extensive labor supply responses,
Quarterly Journal of Economics, 1039-1073.
14
Le suédois Torsten Persson et l’italien Guido Tabellini 10 ont décomposé en deux les
conflits d’intérêt qui sévissent dans la sphère politique. D’un coté, il y a un conflit d’intérêt
horizontal entre les électeurs ayant des préférences hétérogènes. Par exemple, certains
électeurs dits « de gauche » sont en faveur des dépenses publiques élevées d’un état fortement
redistributif, alors que d’autres électeurs dits « de droite » sont faveur de baisses d’impôts. Le
résultat théorique le plus fréquent est conforme à l’analyse d’Antony Downs. Deux candidats
en compétition électorale seront incités à proposer une plateforme politique médiane
satisfaisant le plus grand nombre. Cela revient à modéliser les choix politiques comme ceux
résultant d’une forme de dictature de l’électeur médian. Un certain nombre de modèles sont
venus compléter cette analyse pour intégrer le rôle des groupes de pressions et de lobbies
comme agents économiques agissant de façon à influer les politiques économiques en leur
faveur. Le deuxième conflit d’intérêt oppose cette fois ci l’ensemble des électeurs à leurs
dirigeants politiques. L’objet du conflit concerne la rémunération et l’effort des dirigeants. On
retrouve alors un problème d’agence entre des électeurs jouant le rôle de principaux devant
inciter leurs élus à agir conformément à leurs souhaits.
On peut alors se demander si la démocratie politique constitue un système efficace
pour contrôler l’action des politiques. Un premier groupe d’auteurs autour de Gary Becker
constitue l’école de Chicago et répond par l’affirmative. L’argument est que la démocratie
engendre une concurrence électorale qui fonctionne comme un marché efficace. L’école de
Virginie ou école des choix publics (Public Choice) autour de James Buchanan considère
plutôt la démocratie politique comme un marché imparfait où les politiques en place peuvent
s’octroyer des rentes de situation. Elle en déduit une forte défiance vis-à-vis de toute
intervention de l’Etat.
Une troisième démarche, qui a ma très nette préférence consiste à reconnaître
l’existence de problèmes d’incitations et à rechercher les meilleures règles constitutionnelles
pour résoudre ces problèmes. Les différentes formes de constitutions seront alors comparées
en fonction de leur capacité à fournir aux dirigeants politiques des incitations adéquates. Cette
voie de recherche dite de la « nouvelle » économie politique connaît actuellement des
développements féconds avec entre autres des auteurs tels que Torsten Persson, Guido
Tabellini, Gérard Roland ou Alberto Alésina. Des travaux récents 11 montrent par exemple
que toutes choses égales par ailleurs, des démocraties adoptant des modes de scrutin
majoritaires plutôt que proportionnels seraient associé à des gouvernements moins
dispendieux. Cette régularité empirique peut être expliquée grâce à des outils
microéconomiques et à la théorie des jeux en deux temps. Premièrement, des modes de
scrutin majoritaires incitent davantage les partis politiques à se regrouper et donc induisent
moins souvent des gouvernements de coalition. Deuxièmement, lors de gouvernements de
coalitions chaque ministère a davantage intérêt à tirer la couverture à lui par des programmes
spécifiques et dispendieux. Le premier résultat n’est pas surprenant. Il signifie simplement
que les outils de la théorie économique permettent enfin de retrouver un résultat qui est
familier à beaucoup de spécialistes de sciences politiques. Le deuxième résultat est en
revanche plus original, même s’il repose sur un argument tout à fait standard en théorie
économique concernant la sous optimalité des équilibres non coopératifs par rapport aux
équilibres coopératifs. D’autres articles suggèrent qu’une structure fédérale dans les
prélèvements des impôts aboutit à des niveaux de taxation plus importants, car le fédéralisme
élimine les problèmes de concurrence fiscale.
10
Torsten Persson et Guido Tabellini, Political Economics : explaining economic policy. MIT Press.
11
Perrson, Roland, Tabelinni, 2003, How do electoral rules shape party structures, government coalitions and
economic policies, http://rincewind.iies.su.se/~perssont/papers/prt4_21nov03.pdf
15
Au-delà de ces résultats, je retire surtout de cette littérature qu’il y a sans doute
beaucoup à gagner à renforcer les échanges entre les économistes et les publicistes pour
mieux appréhender l’analyse des constitutions dans une perspective normative. En particulier,
l’idée d’interpréter les systèmes constitutionnels comme des mécanismes incitatifs me semble
essentielle.
3)
L’incohérence temporelle
La troisième source d’inefficacité que je perçois dans l’intervention de l’Etat concerne
la notion d’incohérence temporelle dont la découverte vient d’être couronnée par l’attribution
du prix Nobel d’économie 2004 à Finn Kydland et Edward Prescott.
Il y a incohérence temporelle lorsque la politique qui est optimale antérieurement aux
choix économiques des agents diffère de la politique qui est optimale postérieurement aux
actions économiques des agents. L’imposition des investissements des entreprises est un
premier exemple. On considère souvent qu’il est optimal de subventionne r les entreprises en
proportion de leurs investissements. Une telle politique est perçue comme une incitation forte
à l’investissement des entreprises. Mais une fois les investissements réalisés, on est au
contraire tenté de taxer le capital des entreprises eu égard au caractère irréversible des
investissements. La conduite de la politique de stabilisation macroéconomique, et en
particulier, la conduite de la politique monétaire constitue un deuxième exemple. Depuis la
conférence présidentielle à l’American Economic Association du prix Nobel Milton Friedman
en 1967, le consensus en Macroéconomie considère que la conduite de la politique monétaire
aboutissait à un dilemme entre inflation et chômage à court terme, mais qu’à long terme, la
politique monétaire n’a aucun effet réel sur le chômage ou la croissance. Dans ce contexte, les
gouvernements sont tentés de demander une baisse des taux directeurs de leur banque centrale
dans l’espoir de réduire le chômage à court terme, même s’ils savent que cette politique n’a
que des effets inflationnistes à long terme.
Le mérite de Kydland et Prescott 12 est d’avoir compris que l’existence du problème
d’incohérence temporelle ajoutée à un manque de crédibilité des gouvernements aboutit à des
choix sous - optimaux de politiques économiques. Reprenons l’exemple de la taxation des
investissements. Il suffit que les entreprises anticipent que le gouvernement va mettre en place
une taxe sur les investissements pour que les entreprises réduisent leurs investissements,
même si après coup cette croyance des entreprises se révèle erronée. Dans le cadre de la
politique monétaire, il suffit que les agents anticipent qu’une politique monétaire de relance
va être mise en œuvre pour que des anticipations inflationnistes apparaissent et conduisent à
une inflation salariale qui va effectivement alimenter l’inflation.
Le problè me fondamental est alors de restaurer la crédibilité de la prise de décisions
politiques. L’idée consiste alors à lier les mains du gouvernement en obligeant la politique à
suivre une règle explicite immuable à court terme plutôt que de laisser cette politique se
décider de façon discrétionnaire par des autorités politiques que l’on soupçonnera d’être tenté
par les effets de court terme. La principale modalité consiste à déléguer la politique en
12
Kydland, F. and E. Prescott (1977), “Rules rather than discretion: The inconsistency of optimal plans”,
Journal of Political Economy, 85, 473-490. Les deux exemples que j’ai pris sont ceux qu’ils utilisent dans leur
article.
16
question à une agence indépendante de la discrétion du pouvoir politique ayant pour mission
de remplir des objectifs explicites.
La question de l’indépendance des banques centrales est à ce titre exemplaire. Les
anticipations inflationnistes sont plus faibles lorsque les agents savent que la politique
monétaire est conduite par une banque centrale indépendante auquel on a assigné un objectif
explicite de contrôle de l’inflation. Empiriquement, il semble établi que les pays où la
politique monétaire est conduite par des banques centrales indépendantes sont caractérisés par
des taux d’inflation plus faibles, mais par des taux de croissance et des taux de chômage
similaires aux autres.
Je voudrais toutefois souligner deux points. Premièrement, rien n’oblige les objectifs
assignés à la banque centrale à se retreindre aux seuls taux d’inflation. On peut également
assigner aux banques centrales un objectif de stabilisation conjoncturel ou de réduction des
taux d’intérêt. Ce qui est essentiel, c’est de faire en sorte que la politique monétaire soit
conduite conformément à une règle qui n’est pas immédiatement amendable par des
considérations politiques de court terme. Mais rien n’empêche la révision de cette règle au
bout d’une période de temps conséquente si on se rend compte que les objectifs initialement
assignés ne sont pas adéquats.
Deuxièmement, il me semble que la question de l’indépendance des banques centrales
se pose finalement d’une façon similaire à la question de la séparation des pouvoirs exécutifs
et judiciaires chère à Montesquieu. Le principe de séparation des pouvoirs est justement un
moyen d’empêcher l’exécutif d’intervenir de façon discrétionnaire dans les affaires de Justice.
Mais nul ne songe à retirer aux élus de la République le soin de définir la politique judiciaire
et la politique pénale.
IV) Conclusion : Pour une approche pragmatique
Ce tour d’horizon des théories économiques qui me semblent les plus essentielles peut
laisser l’impression d’une certaine confusion et de contradictions. Je retiendrai toutefois les
messages suivants.
Premièrement, le rôle que doit jouer l’Etat dans la Régulation de l’Economie n’est pas
une question qui doit être traitée par le recours à des idéologies toutes faites. Au contraire, le
rôle de l’Etat doit être pensé en réponse à des échecs de marché clairement identifiés auquel il
convient d’apporter des réponses circonstanciées.
Deuxièmement, les formes d’échec de marché sont relativement limitées. La théorie
économique retient principalement l’existence d’externalités, l’existence de biens collectifs, le
fait de ne pas laisser faire l’apparition de monopoles et de monopsones, la nécessité de
réguler les monopoles naturels et la volonté d’assurer une certaine équité dans la
redistribution des ressources.
Troisièmement, dans ses interventions correctrices des échecs de marché, l’Etat n’est
pas omnipotent car l’Etat est imparfaitement informé. Aussi, les modalités de son intervention
sont elles- mêmes source de distorsions économiques. Le niveau d’intervention optimal de
l’Etat doit alors rechercher le moindre mal entre les échecs de marché que l’Etat cherche à
corriger et les distorsions économiques que son action implique.
17
Quatrièmement, les actions de l’Etat induisent souvent des conflits d’intérêts entre les
individus de la société. Aussi, l’Etat agit rarement pour satisfaire un objectif d’intérêt général.
Les réflexions sur le fonctionnement institutionnel de l’Etat doit alors être appréhendé en
tenant compte des incitations que fournissent les institutions sur les décideurs politiques.
Enfin, la Science Economique possède un certain retard quant à l’analyse des effets
des structures institutionnelles et constitutionnelles sur l’efficacité économique. Un dialogue
approfondi sur cette problématique entre économistes et publicistes me semblent alors
hautement désirable. Je l’appelle de mes vœux.
18
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