Les défauts du marché nécessitent-ils de faire obstacle aux mécanismes de marché ?
Les défauts du marché renvoient à ses défaillances et aux imperfections de la concurrence.
Les mécanismes du marcauxquels l'intervention de l'Etat est susceptible de faire obstacle sont l'ajustement
par les prix l'Etat pouvant encadrer voire fixer le prix-, l'entrée et la sortie du marché, les stratégie de
production et de vente des entreprises.
On peut choisir de se concentrer sur le critère de l'efficacité au sens de Pareto pour s'interroger à la fois sur la
pertinence et les modalités de l'intervention publique. L'absence d'intervention n'est-elle pas parfois préférable à
une intervention correctrice elle-même potentiellement génératrice d'effets pervers ? Les défauts du marché
peuvent correspondre à des effets pervers des mécanismes marchands les externalités par exemple-, mais aussi
à des facteurs exogènes qui altèrent ces mécanismes des rendements d'échelle croissants par exemple. Les
modalités de l'intervention publique doivent-ils alors contrecarrer ou rétablir les mécanismes de marché ?
I) L'économie normative soumet l'intervention publique à un "principe de précaution" :
ses coûts et avantages doivent être soigneusement soupesés.
A) L'Etat pallie les défauts du marché
- L'économie classique normative définit de façon résiduelle la sphère d'intervention de l'Etat. Outre ses
tâches régaliennes, Smith attribue à l'Etat un rôle dans l'éducation et les infrastructures, préfigurant ainsi
l'analyse des externalités par Marshall et celle des biens publics par Samuelson.
- Cette intervention n’est opportune que si l’Etat, instruit par la science économique, est capable de corriger
les défauts du marché. Cette thèse est contestée par Hayek, pour des raisons épistémologiques le
fonctionnement de l'économie relève de la "catallaxie" et non d'un ordre soumis à des lois générales que pourrait
décrire l'économie et politiques l'intervention publique même réduite à sa plus simple expression représente
un pas sur "la route de la servitude".
- Les défaillances du marché hypothèquent l'existence même du marché. Dans le cas des asymétries
d'information, l'encadrement du marché, par des garanties, par des labels de qualité, par une répression des
fraudes, peut suffire. L'action de l'Etat revient alors à rétablir des mécanismes de marché perturbés par
l'existence d'asymétries d'information. En revanche, les biens publics purs ne peuvent pas s'échanger sur un
marché, et les externalités échappent totalement à l'allocation marchande.
B) Faut-il faire obstacle aux monopoles ?
Les imperfections de la concurrence (relâchement de la condition d'atomicité) rendent le marché inefficace au
sens de Pareto, induisant une perte sèche correspondant au triangle d'Harberger (schéma).
Cette perte sèche du monopole doit être comparée à ses avantages avant d'opérer à une réglementation.
- La situation monopolistique d'une entreprise ne l'incite pas à fournir des efforts d'optimisation de la
production et de la gestion. Cependant, l'intervention publique sous forme de nationalisation ou de
réglementation, déconnectée des informations et sanctions du marché, peut être moins efficace encore que la
gestion privée, entraînant par exemple une surproduction, ou aggravant l’"inefficience-X" (Leibenstein). Ceci
peut justifier les privatisations de services de réseaux opérées dans les pays industrialisés depuis les années 80, la
gestion publique se cantonnant souvent aux infrastructures pour lesquels les coûts fixes prédominent (cf. RFF /
SNCF).
- L'inefficacité statique du monopole peut être contrebalancée par une efficience dynamique : la dynamique du
capitalisme, fondée sur la "destruction créatrice" de l'innovation, a pour moteur la rente de monopole
(Schumpeter). La question de la durée optimale des brevets, qui doit être suffisamment longue pour stimuler
l'innovation et suffisamment brève pour en permettre la diffusion par imitation, y fait écho.
C) Faut-il faire obstacle aux comportements oligopolistiques ?
Ce même "principe de précaution" doit s'appliquer aux comportements oligopolistiques.
- Certes, les imperfections de la concurrence réduisent le bien-être collectif : la politique de la concurrence peut
donc chercher à modifier la structure du marché pour le rendre plus atomistique en démantelant les monopoles
(approche structuraliste de l'école de Harvard). L'approche en termes de contestabilité du marché (Baumol)
invite à une politique de la concurrence plus modérée : ce n'est pas le nombre d'entreprises en présence mais
l'absence de barrières à l'entrée qui stimule la concurrence.
- Elle peut aussi astreindre les entreprises à adopter un comportement concurrentiel, en sanctionnant les
collusions et les abus de position dominante. Cependant, des comportements apparemment collusifs peuvent en
réalité résulter de facteurs exogènes touchant simultanément des entreprises oligopolistiques : variation des coûts
de production ou de la demande. La collusion est donc difficile détectable. Stigler a par ailleurs souligné qu'il
s'agit d'une stratégie difficilement soutenable. Elle est soumise à un "dilemme du prisonnier". C'est seulement
dans un secteur parvenu à maturité et dont les perspectives de développement sont prévisibles que l'horizon du
jeu de la collusion est suffisamment éloigné pour rendre la collusion crédible.
- Les lois Royer et Raffarin, motivées par la volonté de soutenir le petit commerce de détail face à la position
dominante des grandes surfaces, ont engendré des barrières à l'entrée dans ce secteur qui ont finalement lésé les
consommateurs. (cf. Askenazy & Weidenfeld)
- De même, le caractère nocif de la concurrence monopolistique est controversé. La différenciation des produits
peut ainsi répondre aux goûts des consommateurs, mais aussi être excessive. De même, la publicité, qu'elle soit
informative ou persuasive, peut jouer le rôle d'un signal de qualité améliorant l'information sur le produit.
II) L'économie normative préconise des modalités d'intervention publique aussi proches que
possible des mécanismes de marché.
A) Dans le cas du bien public, le calcul économique du planificateur doit simuler le marché
- Les conditions de Bowen-Lidahl-Samuelson spécifient la quantité optimale de bien public à produire, mais le
financement du bien public pose le problème épineux de l'agrégation et de la révélation des préférences. Pour
déterminer le niveau de production du bien public, les procédures de décision les plus éloignées des mécanismes
de marché sont les plus insatisfaisantes. Le vote à la majorité n'aboutira ainsi à l'optimum que sous des
conditions très restrictives (D. Black) et en l'absence d'opportunisme des électeurs. Plus généralement, les
procédures démocratiques ne peuvent concilier efficacité et liberté (Arrow et Sen).
- Aussi, la théorie économique a exploré des procédures qui tendent à répliquer les mécanismes marchands. Le
planificateur peut annoncer un prix et produire une quantité de bien public égale à la somme des demandes
individuelles (équilibre par souscription), ou encore annoncer une quantité de bien public, sommer les prix
personnalisés que les consommateurs déclarent être prêts à payer pour la quantité annoncée, puis comparer cette
somme au coût global de production (équilibre de Lindahl). Ces deux solutions se heurtent cependant au
problème de la révélation des préférences. La taxe à la Clarke permet de le contourner, mais elle est difficilement
praticable. L'expérience suédoise (Bohm) montre qu'en reproduisant les mécanismes du marché, l'Etat peut
ajuster ses prestations de service public à la demande.
B) Dans le cas du monopole naturel, la régulation du prix par l'Etat doit préserver les incitations
de marché.
La tarification au coût moyen n'incite pas le monopole à réduire ses coûts. Une politique de type "price cap"
sauvegarde les incitations de marché à innover, sans ser le consommateur. Dans le cas d'un monopole multi-
produits, l'optimum de second rang peut être atteint par le principe de Ramsey-Boîteux, qui stipule de fixer un
prix d'autant plus élevé que la demande est inélastique, et se rapproche donc "mark-up pricing" du monopole
privé…
C) Les instruments économiques sont préférables aux réglements pour résorber les externalités.
- A priori, dans le cas d'externalités négatives telle que la pollution atmosphérique, fixer de façon coercitive un
quota, une norme ou taxer la production source d'externalités paraissent équivalents. Cependant, il est préférable
d'internaliser les externalités par un instrument économique comme les taxes et subventions. En effet, cette
procédure plus souple incite chaque agent économique à modifier son comportement selon ses spécificités : ainsi
une taxe pigouvienne incitera à dépolluer davantage les entreprises pour lesquelles la dépollution est moins
coûteuse, alors que la norme s'applique indistinctement à l'ensemble des entreprises (schéma). Le surplus
collectif est alors maximisé, car la taxe, contrairement à la norme, laisse jouer pleinement les mécanismes du
marché.
- Le théorème de Coase invite à aller plus loin dans la décentralisation de la régulation des externalités.
L'intervention publique revient alors à créer de toutes pièces un marché pour les droits à polluer. Alors que
l'efficacité de la taxe est soumise à une bonne appréhension par le planificateur des coûts de dépollution des
entreprises, les droits d'émission s'échangeront, comme n'importe quel bien marchand, à un prix assurant
l'optimum au sens de Pareto (possibilité d'inclure le schéma de la boîte d'Edgeworth). Notons cependant que le
théorème de Coase repose sur l'hypothèse d'absence de coûts de transaction. Le choix de la taxe, de la
réglementation ou de la négociation marchande doit alors reposer sur des paramètres exogènes comme la
structure des marchés.
Le consensus autour de la nécessité de l'intervention publique en économie aujourd'hui réside en grande partie
dans l'existence de défauts de marché. Cependant, la théorie économique a dégagé des conditions d'opportunité
et d'efficacité de cette intervention, montrant que certaines solutions apparemment « de bon sens » comme le
principe pollueur-payeur ou la décision collective par vote n’ont pas les effets escomptés. Régulation marchande
et régulation étatique n’apparaissent alors pas comme alternatives, mais comme complémentaires.
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