Chapitre 2 : Echecs du marché et intervention de l’Etat Pourquoi l’Etat intervient-il dans l’économie ? 3 fonctions de l’Etat selon Musgrave (1959) : - régulation conjoncturelle (stabilisation de l’économie, lutte contre l’inflation, réduction du chômage conjoncturel par des politiques de relance) - redistribution des revenus (motif d’équité) - allocation ou affectation des ressources (production de biens ou intervention en cas d’échec du marché) 1) La notion d’Etat Pour un économiste, l’Etat est l’ensemble des pouvoirs publics, des services publics et de l’administration. On peut opposer 2 notions très différentes d’Etat : - l’Etat-souverain (= Etat de l’Ancien Régime ou celui des dictatures), séparé des citoyens, et qui agit pour les intérêts d’une nation (mais qui ne représente pas les citoyens). Il ne regarde pas si sa manière d’agir est en concordance avec les préférences des citoyens. Mais ce n’est pas à celui-là que l’on s’intéresse en économie. - l’Etat démocratique, l’Etat-République, élu par des citoyens. Ses choix vont donc correspondre à ceux des citoyens. Il va s’occuper de gérer, d’intervenir pour satisfaire les besoins collectifs : ¤ Etat minimal, c’est-à-dire qu’il intervient juste pour assurer la sécurité et la justice (au sens, garantie des droits de propriété) : armée, juges, codes… ¤ Etat-providence, c’est-à-dire qu’il rentre un peu plus dans la sphère économique et sociale (ex : entreprises nationalisées) 2) Mesure de l’intervention de l’Etat La mesure communément utilisée pour calculer l’intervention de l’Etat est la part des dépenses publiques dans le PIB. Elle est en moyenne de 45% dans les pays industrialisés. Jusqu’à la crise des années 1930 (cf krach boursier de 1929), l’Etat intervient peu dans l’économie. Mais de 1929 à 1974 (cf crise pétrolière de 1974), l’intervention de l’Etat est croissante (= âge d’or de l’intervention de l’Etat) avec les politiques keynésiennes de soutien de l’activité par la demande publique et la reconstruction d’après-guerre. La crise des années 1970 – 1980 marque le renouveau du libéralisme suite à l’échec des politiques keynésiennes et à la mise en évidence des défauts de l’intervention de l’Etat (l’Etat n’est pas toujours mieux informé et les partis au pouvoir peuvent accepter des politiques clientélistes). 3) Justifications de l’intervention de l’Etat Le marché ne permet pas toujours une allocation efficace des ressources. On parle de défaillances de marché lorsqu’une situation coopérative n’émerge pas des choix individuels : a] Le monopole Une entreprise est en monopole si elle est la seule à offrir un bien sans substitut sur un marché. Origines du monopole : - - Réglementation : monopole d’Etat ou protection de la recherche par brevet : la recherche crée des externalités positives (croissance économique, utilisation par les autres) ; donc, pour inciter les entreprises à innover, l’Etat leur donne un brevet pour rémunérer la recherche en leur accordant une rente temporaire Accaparement d’une ressource rare par une seule entreprise (ex : gisements miniers) Monopoles naturels : une seule entreprise est plus efficace que plusieurs dans le cas de rendements d’échelle croissants, c’est-à-dire lorsque le coût marginal de production diminue avec l’échelle de production en raison de coûts fixes très élevés Hypothèses de la concurrence parfaite non vérifiées : - Atomicité : un seul producteur Libre entrée : en cas de réglementation ou de coûts fixes très importants qui empêchent un autre producteur d’entrer sur le marché Problèmes engendrés par le monopole : L’entreprise n’est plus preneuse de prix (« price-taker ») mais faiseuse de prix. Elle choisit sa quantité pour maximiser son profit en intégrant dans son calcul l’effet de sa décision sur le prix. Le prix sera plus élevé qu’en concurrence. La quantité produite sera plus faible qu’en concurrence. Le prix n’est plus égal au coût marginal donc l’équilibre ne correspond plus à un optimum de Pareto : le bien-être du consommateur est réduit et l’entreprise fait un surprofit appelé rente de monopole. D’où intervention de l’Etat : Interdiction des monopoles (loi anti-trust) lorsque le monopole n’est pas justifié par les caractéristiques de la production (monopoles non naturels) Régulation des monopoles naturels : - Réglementation des prix et des quantités produites par le monopole : tarification au coût marginal + subventions des pertes par l’Etat ; tarification au coût moyen ; prixplafond - Supprimer les barrières à l’entrée pour rendre le marché concurrentiel : marchés contestables Exemple de tarification au coût marginal et de subvention des pertes par l’Etat : Rendements croissants : coût marginal 500 pertes (celles que l’Etat va subventionner) 400 coût moyen 300 prix 2 quantité 1000 La première unité coûte 500, la 1000ème unité coûte 2. Rendements décroissants : coût marginal prix d’équilibre coût marginal croissant (hypothèse : chaque unité supplémentaire coûte plus cher à produire) → en concurrence parfaite 300 prix profit quantité 100 Ici, l’entreprise fait du profit jusqu’à 100 unités produites. Au-dessus de la centième unité, elle produit à perte. b] Les biens collectifs (non rivaux et non exclusifs) Principe de rivalité : Deux agents ne peuvent pas consommer simultanément le même bien. Au contraire, la consommation d’un bien collectif par un agent (ex : une route) n’exclut pas la consommation par un autre agent, jusqu’à une certaine limite : la congestion. Principe d’exclusion par le prix : Un agent ne peut consommer le bien que s’il en paie le prix. Dans certains cas, il n’est pas possible de réserver le bien à ceux qui l’ont payé (ex : éclairage public). Problème du passager clandestin : Aucun individu n’a intérêt à révéler sa disposition à payer pour obtenir le bien, car il espère pouvoir en bénéficier gratuitement s’il est financé par les autres. Or, comme tous les individus ont le même comportement, le bien ne sera pas financé d’où une diminution du bien-être de tous. Donc l’Etat produit le bien en le finançant par l’impôt. c] Les externalités C’est une variation d’utilité ou de profit engendrée par l’action d’un autre agent, sans donner lieu à des mouvements de compensation sur le marché, c’est-à-dire une variation de bien-être du fait de l’action d’un autre agent non prise en compte par le prix. Externalité négative : la pollution : coût privé < coût pour la collectivité L’Etat agit pour réduire la quantité produite (entreprise polluante) ou consommée (tabac) en rendant le coût privé plus élevé (par une taxe par exemple). Externalité positive : la recherche, l’éducation : bénéfice privé < bénéfice pour la collectivité L’Etat agit pour augmenter la quantité produite ou consommée en rendant le bénéfice privé plus élevé (rente de monopole dans le cas de brevet) ou le coût privé moins élevé (dans le cas de l’éducation gratuite). d] Les imperfections de l’information Tous les agents ne disposent pas gratuitement de toute l’information sur la qualité des biens échangés. Les prix ne vont donc pas refléter les différences de qualité des biens. Asymétrie d’information : Si un agent dispose d’une information privée, il peut en profiter pour en retirer une rente informationnelle au détriment de l’agent qui ne dispose pas de l’information (= le principal). Aléa moral (C’est quand l’information porte sur le comportement de l’agent. Le principal ne peut pas observer le comportement de l’agent avec lequel il a établi un contrat. Prenons, par exemple, le cas d’une employée de maison qui devrait faire le ménage pendant que son employeur est au travail, mais qui, en fait, regarde la télévision. Il y a donc ici asymétrie d’information avec aléa moral, puisque l’employeur n’a aucun moyen de surveiller la femme de ménage.) : Le comportement d’un agent est inobservable (= opportuniste post-contractuel, c’est-à-dire après contrat) : il a intérêt à tricher (ex : ne pas faire d’efforts au travail, ne pas fermer à clé sa voiture si on a une assurance contre le vol). Il faut inciter l’agent à prendre la meilleure décision du point de vue du principal : intéressement à la performance de l’entreprise (par ex, sous forme de stock-options), franchise (dans le cas des assurances). Sélection adverse (ou anti-sélection) : L’agent dispose d’une information privée sur une variable exogène, caractéristique (= opportuniste précontractuel). ex : le marché des voitures d’occasion (« Market for Lemons ») d’Akerloff (1970) : Le vendeur connaît la qualité de la voiture qu’il vend ; l’acheteur ne connaît pas la qualité. Si l’acheteur propose un prix correspondant à la qualité moyenne, seuls les vendeurs ayant une voiture de mauvaise qualité vont accepter de vendre. Donc les acheteurs le savent, seules les mauvaises voitures sont vendues pour un prix bas L’Etat peut intervenir pour obliger les offreurs à révéler la qualité des biens : contrôle technique obligatoire, labels. Les offreurs peuvent eux-mêmes choisir de signaler qu’ils ont un bien de bonne qualité (label, faire des études pour montrer sa productivité) = théorie du signal (cf Spence). Les assurances offrent des contrats différents permettant de discriminer les agents (ex : contrat plus cher remboursant les lunettes). e] Conclusion - Réglementation des monopoles naturels (dans le cas de rendements d’échelle croissants) pour augmenter la quantité produite et faire diminuer le prix Production de biens collectifs qui ne seraient pas produits sinon en les finançant par l’impôt (cf problème du passager clandestin) Intervention dans le cas d’externalités pour faire coïncider le coût privé et le coût collectif / le bénéfice privé et le bénéfice collectif Intervention de l’Etat pour révéler l’information privée sur les caractéristiques afin de résoudre les problèmes de sélection adverse (ou stratégie privée de signalisation) Intervention de l’Etat pour prévenir les problèmes d’aléa moral (ou rémunération pour désinciter l’agent à tricher) Bien tutélaire : obliger les agents à adopter certains comportements qu’ils n’adopteraient pas, manque d’informations, ou qu’ils regretteraient (se vacciner, cotiser pour sa retraite)