La motivation à agir moralement et la collectivité présentation du texte Morality, Individuals and Collectives de Keith Graham par Samuel Dupéré ________________________________________________________________________ Dans la recherche d’une justification post-métaphysique à l’action morale, nous sommes amenés à remettre en doute la capacité motivationnelle des impératifs moraux. Il semble qu’il ne soit plus possible d’agir moralement pour la simple raison que nous désirons être des individus moraux. Or, pour certains, l’éthique n’a de sens que si elle est internaliste, i.e. « auto-motivante ». Je ne défendrai pas cette position. Keith Graham propose plutôt que l’appartenance à une collectivité peut fournir la motivation nécessaire pour motiver rationnellement un agent à agir moralement, le tout dans une perspective plutôt utilitariste. Why should I be moral ? La question essentielle que pose Graham est « Why should I be moral ? ». Puisque la simple crainte d’une punition ou de représailles est une réponse insatisfaisante, nous devons chercher une motivation plus légitime. Dans ce cas, la moralité ne doit pas seulement fournir une opposition aux comportements immoraux, mais aussi fournir une motivation aux comportements proprement moraux. On doit montrer pourquoi les raisons morales sont de bonnes raisons. Graham part du présupposé que la moralité est toujours externe à l’agent et qu’elle doit ainsi posséder un attrait suffisant pour amener celui-ci à agir selon ses préceptes. Motivation rationnelle Le texte de Graham se concentre sur l’importance de trouver une justification rationnelle satisfaisante à la moralité. Il part d’une conception individualiste et instrumentale de la rationalité. Selon une certaine conception de la rationalité assez répandu, il est assez difficile de trouver, a priori, une justification rationnelle à certains actes moraux isolés. Si, à première vue, le fait d’agir moralement semble contrevenir à notre intérêt personnel, la justification devient encore plus problématique. La définition de la moralité qui sert de point de départ est communautaire, la moralité est conçue comme une certaine forme d’altruisme ou de principe de la vie en société. Afin de démontrer comment l’intérêt collectif peut l’emporter sur l’intérêt individuel (et, en ce sens, poussé les gens à agir moralement en société) Graham s’attaque à une conception trop réductrice de l’intérêt personnel (self-interest). Sa définition de la rationalité s’incarne dans des actions qui sont justifiées rationnellement (« action which there is good reason for »). C’est ici qu’il devient important de démontrer pourquoi les raisons morales sont de bonnes raisons. Puisque la moralité doit avoir une motivation rationnelle, la définition de la rationalité devient primordiale. La théorie du choix public Il est possible de voir le texte de Graham comme une critique de la théorie du choix public, mise de l’avant par l’importance que prend la pensé économique aujourd’hui. Graham cite d’ailleurs Buchanan, principal instigateur de cette théorie et lauréat du « prix Nobel » d’économie de 1986. Cette théorie applique les principes de base de la rationalité économique centrée sur le self-interest et élargit sa portée aux décisions politiques individuelles. Selon le concept de l’ignorance de l’électeur rationnel propre à cette théorie, on découvre que le fait d’avoir un bon gouvernement est limité par les motivations rationnelles des agents. En effet, tout comme dans l’exemple proposé par Graham au début de son texte, la motivation à voter ou a s’informer correctement dans le but de voter est minimisé par la faible probabilité que le vote d’un seul individu fasse une différence concrète dans le résultat final. Puisque le fait de s’informer correctement demande un effort soutenu et exigeant, il est probable que la plupart des électeurs n’auront pas la motivation rationnelle nécessaire. Pour Graham, il doit être possible de fournir une telle motivation en soulignant l’importance de l’intérêt collectif pour l’individu. La critique de Graham (qui est aussi celle de Sen) porte principalement sur le caractère réducteur de cette théorie qui condamne la rationalité à au seul service du selfinterest. Graham s’attaque aussi à la pensé économique en général qui dit que la rationalité de l’agent lui sert à combler ses préférences personnelles (maximiser son utilité). Il est facile de démontrer que certaines préférences ne sont pas nécessairement rationnelles. De la même manière, une action non désirée (ou non préférentielle) peut être rationnelle dans une perspective plus globale. L’action collective Pour Graham, l’intérêt collectif peut être compatible avec l’intérêt individuel. Dans ce cas, le tout devient plus que l’ensemble des parties et l’intérêt commun devient supérieur à l’intérêt individuel. Pour lui, la rationalité est toujours relative aux intérêts des agents, mais ne se limite plus au self-interest. On se tourne vers la communauté pour donner l’emprise morale nécessaire puisque que c’est en s’identifiant avec un collectif ayant un pouvoir d’agir supérieur au simple individu que l’on peut être motivé rationnellement à agir dans une perspective dépassant le self-interest. Ce dépassement n’a cependant un sens que si l’individu prend conscience que l’intérêt de la communauté est aussi le sien.