Asamkhyeya
CONCOURS PHILOSOPHER 2015
Des chimères et des hommes
1916 mots
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Qu’est-ce que le désir? Au contraire des animaux, les êtres humains développent des
désirs d’une diversité déconcertante, suggérant qu’à chaque être humain correspond un
lot unique de désirs auxquels celui-ci peut s’identifier. Les désirs semblent ainsi
caractériser la personnalité de leur détenteur, l’intimité même du sujet. Réaliser ses désirs
signifie donc se réaliser soi-même, voire accéder au bonheur. Pensons notamment à la
dégustation d’un bon repas, un désir qui apporte joie et satisfaction à celui qui aime et
désire un mets particulier. Pourtant, certain désirs créent plus de souffrance que de plaisir.
En effet, le désir amoureux pour un individu qui ne nous aime pas en retour entraîne
nécessairement une répression douloureuse, et ainsi, de la souffrance. Comment expliquer
la souffrance qu’entraîne le désir, si celui-ci à pour but premier le principe du plaisir? Il
est éloquent que le désir trace un chemin, la question est de savoir si ce chemin est celui
de la joie ou plutôt celui de la souffrance.
Deux désirs pour deux chemins
Les premières théories sur le désir remontent à l’Antiquité grecque avec les textes de
Platon. Selon Platon, il existe deux formes de désirs : les instincts et le désir de vérité. La
première forme du désir, la forme instinctive, est innée. Ce désir des plaisirs est corporel,
en ce sens où, me s’il prend sa source dans l’âme, il récompense le corps. Ce type de
désir mène, selon Platon, à la démesure, un excès qui crée de la souffrance, contrairement
à la forme rationnelle et raisonnable du désir. Le désir de vérité est acquis et correspond à
l’aspiration au meilleur, c’est-à-dire le désir du bien et de la connaissance. Ce désir
intellectuel se comble par la philosophie et mène à la tempérance. Les désirs de chaque
type dominent l’un sur l’autre selon la tempérance et la démesure de l’individu. Par
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exemple, selon Platon, un individu plus excessif comblera davantage son désir corporel
que son désir de vérité.
Normalement, l’âme est maîtresse de son corps qui lui est soumis. Cependant, en matière
de désir, il semble y avoir un renversement des rôles les désirs corporels dominent sur
le désir intellectuel. Le désir rend donc le corps maître de l’esprit, et le plaisir du corps se
traduit par la souffrance de l’esprit. Pour Platon, le désir de la connaissance du bien
permet de se libérer de nos désirs corporels. Il faut donc, ultimement, rejeter tous nos
désirs corporels. Platon associe cette conception du désir à son allégorie de la caverne. En
effet, les désirs corporels seraient des simulacres qui détournent l’âme de la recherche
d’objets réels, les Idées. Les désirs corporels sont imaginaires et faux, et le rejet de ces
désirs est la purification qui permet l’intellection, soit la recherche de la vérité par une
preuve supérieure qui valorise le respect de la non-contradiction. Les désirs corporels ne
peuvent en effet respecter cette non-contradiction, puisqu’il est possible de désirer une
chose et son contraire. Par exemple, certains souhaitent manger du dessert sucré en tout
en désirant réduire leur consommation de sucre raffinés.
Il faut donc, selon Platon, catalyser la vitalité impétueuse du désir corporel pour
permettre l’intellection. En rejetant tous les plaisirs corporels pour ne se concentrer que
sur la connaissance philosophique, il est possible de faire en sorte que le désir trace le
chemin de la joie intellectuelle plutôt que celui de la souffrance, car celui qui sait ne
souffre plus de réfréner ses désirs.
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Une dualité relative à chacun
Cette classification en bons et mauvais désirs de Platon aura eu des répercutions jusque
dans la philosophie de Baruch Spinoza. Aux yeux de ce philosophe du XVIIe siècle, le
rejet de tous les désirs corporels semble extrémiste, puisque la réalisation de ces désirs ne
mène pas forcément à la démesure ni à la souffrance. Prenons l’exemple du désir sexuel
qui, s’il est accompli avec parcimonie, permet la réduction du stress et la perpétuité de
l’humanité. Le désir est en fait ce qui permet l’existence, puisque « [personne] ne peut
désirer être heureux, bien agir et bien vivre qu’il ne désire en même temps être, agir et
vivre, c'est-à-dire exister en acte. »1 Certain désirs corporels peuvent amener de la joie et
non de la souffrance, amenant Spinoza à redéfinir quels désirs créent de la joie ou de la
souffrance. C’est ainsi que le philosophe distingue les désirs passifs des désirs actifs. Les
désirs passifs témoignent de la passion, et traitent de notre dépendance aux choses
extérieures. Les désirs actifs, quant à eux, sont les actions qui nous sont cause adéquates,
qui proviennent de nous, c’est-à-dire voulues et comprises par la raison, et qui nous
procurent de la joie. Or, pour Spinoza, les désirs ne sont en soi ni passifs ni actifs.
Lensemble des désirs qui permettent de persévérer dans l’être et de trouver le bonheur
est relatif à chacun, et il est absurde de définir une liste de désirs qui créent de la
souffrance ou inversement. Trouver son utilité propre, son désir, c’est réussir à trouver les
désirs qui nous apportent de la joie, et donc, qui nous font persévérer dans l’être de
manière active. Les désirs actifs, en nous procurant de la joie, augmentent notre puissance
d’être, et subséquemment, notre adéquation. Spinoza amène néanmoins la subtilité selon
1 SPINOZA, Éthique, IV, 21
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laquelle un désir d’apparence passif peut devenir actif si celui-ci procure de la joie à
l’individu.
Pourquoi accomplissons-nous les désirs passifs en ce cas? C’est l’imagination, source de
nos erreurs, qui nous fait croire que ce que nous désirons correspond à notre utilité
propre, alors que ce n’est pas forcément le cas. Limagination nous fait croire que certains
désirs passifs nous rendront heureux, alors qu’ils apportent de la souffrance.
Puisque la nature des désirs est relative à l’individu, il faut donc absolument désirer, agir,
vouloir et vivre les bons désirs, ceux qui correspondent à notre utilité propre. Dans le
monde, certains désirs peuvent nous convenir alors qu’ils ne conviennent pas à d’autres,
mais surtout, certains désirs qui nous convenaient par le passé peuvent aujourd’hui nous
disconvenir. Il faut donc vivre des expériences et ainsi trouver son utilité propre. De cette
manière, nos désirs seront actifs et traceront le chemin de la joie et non une spirale de
tristesse et de souffrance.
Tribulations entre souffrance et ennui
C’est en Allemagne du XIXe siècle que la question du désir fait une volte-face. Lhéritage
immense d’Emmanuel Kant, notamment sur la notion de phénomènes et de noumènes, a
eu des répercutions sur plusieurs de ses concitoyens philosophes, notamment Arthur
Schopenhauer. Celui-ci reprend et modifie la conception kantienne des phénomènes et
noumènes pour expliquer l’origine du désir. Ainsi, pour Schopenhauer, les phénomènes
sont les choses telles qu’elles nous apparaissent, des perceptions et, ultimement, des
illusions. Les noumènes, quant à eux, sont l’essence des choses. Le noumène est une
force, une poussée, un dynamisme dans le corps. C’est ce dynamisme du monde, de la
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