ART DE VIVRE La philosophie - amour de la sagesse – a pour "fin ultime" selon Spinoza, la constitution d’une authentique éthique du bonheur et de la liberté ; Cicéron, lui, précise la sagesse est l’art de vivre. Un théologien ne dirait pas autrement. C’est le cas de Hans Kung, dans son dernier livre « Was ich glaube », (Ce que je crois), qui répond à la question : En toute franchise, que croyez-vous personnellement ? La traduction française porte le titre : Faire confiance à la vie. Toute une série de philosophes, des plus anciens, comme Epicure, aux plus modernes, comme Frédéric Lenoir, reprennent le même thème, et c’est dans l’art de vivre qu’on rencontre la voie, la vérité et la vie, qui d’ailleurs n’expriment à leur tour qu’un art d’aimer. Ainsi l’art de vivre recouvre bien une Ethique fondamentale qui n’est autre que la première (Levinas) et la dernière philosophie, en fait l’expression des Droits et des Devoirs du citoyen. «Enlève le droit — et alors qu’est ce qui distingue l’Etat d’une bande de brigands?» dit un jour saint Augustin. Avant d’être une conception, la vie « est », indépendamment de nos cogitations,is de nos doutes légitimes ou non, et en tant que telle elle suppose non pas une définition ma une réponse : Oui ou non, qu’on peut traduire, positivement, en trois moments : - exode : c’est l’ouverture : sortir de soi vers l’autre, de la défiance, ou aller de la méfiance à la confiance … - méthode comportant de multiples cheminements, l’important étant le sommet ; - synode, di grec « cheminer ensemble » : la communion comme joie de vivre. 1. Exode/ sortir à la lumière. Le principe de raison n’étant que le principe de causalité, qui implique une origine mais aussi un sens final, lequel nous est inconnu, on pourra chercher tant qu’on veut mais on n’y trouvera pas une raison qui puisse expliquer le don de la vie. On est dans la pure gratuité. Que faire alors ? Paradoxalement, mais heureusement, cela n’empêche pas de vivre, ni d’aimer, ni même, du moment qu’on s’accepte comme être rationnel, d’exercer ce don sans autres limites que celles fixées par la raison même. C’est vrai, comme dit Pascal que le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas, mais raisonnable ne coïncide pas avec rationnel, si bien qu’on peut arriver à un consensus universel volontaire, à partir d’une trilogie formée d’abord par un langage commun récursif, une grande compassion, mais toujours sur la base d’un minimum de rationalité. . Les hommes face à l’indéfinissable, ne nourrissent pas seulement un désir sans limites qui peut entrer en rivalité avec les autres, suscitant ainsi, comme dit René Girard, un conflit mimétique. Incapable de se résoudre par lui-même, ce conflit débouche sur le sacrifice d’une victime expiatoire, à l’origine du sacré dans la mesure où il amène du moins pour un certain temps une pacification. Cependant ce désir infini peut et doit se conjuguer avec un autre aspect pas forcément concurrent, mais empathique, dont les hommes, à la différence des animaux qui l’ont aussi, sont conscients. En fait l’être humain se trouve toujours dans la situation responsable et raisonnable de concilier rivalité et solidarité, de sorte que s’établisse entre l’une et l’autre plutôt une complicité pour aller toujours mieux et plus haut. Au fond, en un mot comme en mille, l’exode humain s’appelle : amour. Méthode « andante moderato » Ce mouvement musical reflète le bon sens. En effet ce que nous venons de dire n’est que l’étymologie du terme méthode (du grec meth odos), un cheminement au travers d’obstacles, de nombreux doutes, voire de souffrances. Si nous savions ce qu’est la vérité, nous n’aurions pas tant de peine à la chercher. Notre passion du sens est illimitée, mais puisque nous n’arrivons pas à saisir ce sens, nous reste la passion, qui, elle, a l’avantage d’être universelle. Dès lors, ce n’est pas question seulement d’intelligence mais de volonté. Montaigne : dit : Nous sommes nés pour agir, et Spinoza nomme cet effort conatus (puissance d’exister, en latin studium) Pourtant tous les sages conseillent des périodes de « lâcher prise » L’hyperactivité est une maladie moderne, un symptôme qui cache les vrais problèmes et surtout celui du sens.Selon les anciens, la bonne méthode, en théorie comme en pratique, c’est le respect de la mesure (le rythme) équidistant des extrêmes : tels les courants nominalistes ou réalistes, au moyen âge ; idéalistes ou matérialistes au temps moderne ; relativistes et/ou constructivistes dans notre temps postmoderne qui finissent logiquement par la déconstruction de soi-même. Le refus d’un sens de la vie est aussi indécidable que celui de vouloir lui donner un sens précis. Avoir un désir infini, ne permet pas d’exclure le fait que ce désir vient d’ailleurs. En ce sens, très éloquent est ce passage de Ludwig Wittgenstein : Que sais-je de Dieu et du but de la Vie ? Je sais que le monde existe. Que je suis en lui comme mon œil est dans son champ visuel. Qu’il y a en lui quelque chose de problématique, que nous appelons son sens. Que ce sens ne lui est pas intérieur, mais extérieur. Que la vie est le monde. Que ma volonté pénètre le monde. Que ma volonté est bonne ou mauvaise… Que donc bien et mal sont d’une certaine manière en interdépendance avec le sens du monde. Le sens de la vie, c'est-à-dire le sens du monde, nous pouvons lui donner le nom de Dieu. Ce qui n’exclut pas, bien au contraire, un Amour divin et/ou un Dieu d’amour. Synode ensemble ad libitum Sans revenir sur le principe anthropique, selon lequel tout semble prédisposé à la naissance dès l’origine de la conscience humaine, sans pouvoir le contredire non plus, c’est un fait que la dimension « infinie » est inscrite non seulement dans le désir humain, mais encore dans toute science se fondant sur une potentialité à l’infini d’opérations. Mais il y a une chose que ces calculs seraient incapable de créer et c’est encore l’Amour, la joie d’être ensemble, l’art en général, et la musique en particulier. Dès lors paraphrasant Reiner Maria Rilke on peut dire qu’elle soit de la chair ou de l’esprit, la fécondité est une et… l’amour aussi . Mais rien n’est humainement possible sans la liberté, nécessaire comme l’air qu’on respire, celle qui transforme la communication en communion, à savoir relation de vie plurielle et polyvalente comme une symphonie musicale. Encore un chant d’amour. Conclusion : vivre, c’est l’art d’aimer La vie n’étant autre qu’une vie d’amour, l’art de vivre, ou la voie de la vraie vie, ce n’est pas d’abord un ’cogito’ mais un art d’aimer, sous tous ses aspects, que nous pouvons décliner sur un mode musical : L’Ouverture – on parle souvent de la tripartition d’origine aristotélicienne de l’Amour, comme « eros (attraction physique), philia (amitié réciproque) et agapè (fraternité). Nous retrouvons là déjà un écho des Lumières (qui en dit long). Mais si tout cela d’un côté s’intéresse à l’autre humain, il laisse de côté l’Autre qui est en nous et aussi l’AUTRE que Spinoza nomme Deus sive Natura. On peut discuter sur le panthéisme de Spinoza. D’après certains passages, le philosophe fait bien des distinctions sans séparation entre Dieu et la Nature, ce qui est toute autre chose. Difficile en tout cas parler d’un Transcendant sans qu’il soit aussi Immanent, et vice versa. Quoi qu’il en soit, ici, la musique ne joue plus seulement sur trois notes, mais sur au moins cinq notes, une pentaphonie donc, et plus encore, selon le mode et le ressenti de chacun. En fait la Personne se révèle ainsi une sorte de triple personnalité : la sienne l’Autre en lui et l’AUTRE, dans un mouvement binaire, doublement articulé comme le langage, capable de recréer toujours quelque chose de nouveau avec l’ancien. Le Thème principal : Dès lors il s’agit de composer un contrepoint et fugue à plusieurs voix, harmonisant ces cinq voix, et plus, qui toutes chantent l’amour. Au préalable il y a une écriture, qu’on appelle partition, constituée d’une série d’algorithmes, à l’image même de la nature : ressemblance étonnante ! Mais tant la nature que la partition musicale peuvent être exécutées de mille façon diverses, plus ou moins bien, quelquefois innovantes, changeant ainsi de clé ou de mouvement :: l’art, l’amour et la vie n’ayant pas d’autres raisons en dehors d’elles mêmes. Le Concert : c’est là la synthèse où convergent les artistes, les amateurs, où il y a l’exécution et l’écoute, la joie et la jouissance. Mais il ne faut pas oublier la présence du mal, aussi injustifié que le don de la vie, et surtout, la souffrance. Quoique comme dit Tagore « la souffrance relève de l’être même que nous sommes. Personne ne peut se substituer à ma souffrance, car il en va de notre personnalité même. Je suis seul à la traverser… Il convient alors, de se faire de la souffrance sinon un amour, du moins une amie, le creuset où s’effectue notre transmutation, à laquelle c’est à nous donner le cap, le sens au jour le jour . C’est encore une histoire d’amour, qui nous lie à la vie et qui se perpétue, l’amour étant, selon la Bible, plus fort que la mort. Christian Pagano .