DOSSIER SOIGNER AU LONG COURS
44 SANTÉ MENTALE |149 |JUIN 2010
Résumé :
La temporalité concerne le vécu subjectif du temps par le patient psychotique, mais concerne aussi le long parcours de ses soins, par-
cours marqué par la dépendance. La durée de cette relation de soins est un des facteurs d’usure des équipes soignantes, qu’il s’agit de pouvoir prévenir.
Mots-clés :
Chronicité – Dépendance – Éthique – Relation thérapeutique – Schizophrénie – Temporalité psychique – Travail en équipe.
mêmes instants, dans une temporalité
figée, se vident de leur sens. La diminution
des effectifs accentue encore l’isolement
des soignants. Moins de temps et moins
de disponibilité entraînent des prises en
soins moins personnalisées, plus techniques
et moins investies sur le plan relationnel.
Une forme d’indifférence protectrice peut
s’installer. Les équipes soignantes vont
ainsi souffrir d’un sentiment de manque
d’écoute et de reconnaissance. Une équipe
« maltraitée » risque de devenir « mal-
traitante ».
Le travail en équipe est pourtant un agent
essentiel de la prévention de l’usure des
soignants. Le rôle et la place de chacun
sont verbalisés et partagés, dans une
dynamique d’implication et de soutien les
uns des autres. La présence et la parti-
cipation des infirmiers aux entretiens
médicaux donnent ainsi un sens collec-
tif et partagé aux actes et aux décisions.
Les événements de la semaine sont repris
ensemble et avec le patient. Les réunions
d’équipe sont à maintenir même si la
diminution des lits et des effectifs entame
la disponibilité de chacun. La parole doit
y circuler librement et les tensions, mises
à plat, évitent les risques de clivage. Les
mouvements projectifs violents des patients
doivent être élaborés à travers ce que
ressentent les soignants, pour les contre-
attitudes en miroir. Les synthèses cli-
niques s’efforceront de mettre en relief
l’évolution des patients, aussi ténue soit-
elle, et de dégager le sens de ses conduites
quotidiennes. L’extérieur doit également
exister et être réintroduit dans l’univers
clos de l’hôpital ou du foyer. C’est l’in-
térêt des séjours de rupture ou de pro-
jets « audacieux » que d’introduire un
ailleurs et de l’aléatoire dans des itiné-
raires thérapeutiques trop uniformes,
« en couloir ». Ainsi, la rencontre et la
confrontation avec d’autres institutions et
équipes peuvent apporter une autre cul-
ture et un changement de regard. Enfin,
le travail avec les familles (quand elles
existent) permet de mieux saisir ce que
le patient est conduit à répéter dans sa
relation à l’institution. L’alliance avec
les proches, les entretiens familiaux sont
également un moyen de recréer une his-
toricité avec le patient.
Cette prévention de l’usure s’adresse à l’at-
titude profonde des soignants, à leur
capacité d’investissement dans le temps,
à leur plaisir de soigner, à penser et à ima-
giner individuellement et collectivement :
c’est tout le travail du préconscient qui
fait défaut dans le fonctionnement psy-
chotique. Ces capacités sont protégées et
soutenues dès lors que le soignant a un
sentiment d’appartenance. Il s’identifie à
un tiers institutionnel, à un groupe cohé-
rent qui propose un modèle clair. Le rôle
de chacun est défini, sans rigidité, et
l’organisation globale est explicite quant
à ses objectifs et son sens, partagés par
tous. Chaque soignant a alors le sentiment
de participer à un ensemble cohérent et
ce dans l’intérêt des patients, ce qui ren-
voie à la notion « d’institution mentale »
élaborée par Jacques Hochman (10).
POUR CONCLURE
Le travail institutionnel permet de réins-
crire une temporalité, c’est-à-dire un
avant, un pendant et un après, néces-
saire tant au patient qu’à l’équipe soi-
gnante. La temporalité de la maladie
renvoie finalement à l’éthique des soins;
cette « science de la morale » qui est
une attitude interne mettant en tension
plusieurs principes moraux (11).
In fine
,
la temporalité confronte le principe
éthique de la continuité des soins et
de l’investissement des patients à la
nécessité de leur autonomie et d’une
future séparation.
1- Bonnet C. et coll. (2007), Vivre et dire sa psychose. Tou-
louse, Editions Erès.
2- Muldworf L. (1999), La dépendance des sujets psy-
chotiques. Synapse, No Spécial Réhabilitation, Dec. 1999.
3- Racamier C-P, Antoedipe et ses destins, Editions du
CPGF, 2003.
4- Reynaud M. et col. (1991), Le traitement des schizo-
phrènes. Paris, Editions Frison-Roche.
5- Dreyfuss L. et coll : Notes sur hospitalisation totale, par-
tielle et foyers de postcure, L'information psychiatrique, 1968.
6- Vidon G. (1995), La réhabilitation psychosociale en
psychiatrie. Paris, Editions Frison-Roche.
7- Alagille M., Colonna L., Ginestet D., Hartmann F., Loo
H., « le maniement des neuroleptiques », in Le traitement
des schizophrènes, sous la direction de M. Reynaud, 1991,
Paris, Editions Frison-Roche
8- Freud S. Manuscrit H, in La naissance de la Psychana-
lyse, PUF, Paris 1956.
9- Souffir V. (2007), La rechute. Psychiatrie Française,
Vol. 38, No 1.
10- Hochman J.,L’institution mentale, L’Information Psy-
chiatrique, 1982, 8.
11- Le Coz P. (2007) Introduction à l’éthique du soin.
Psychiatrie Française, Vol. 38, No 3.