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L’argent est-il un outil thérapeutique à l’hôpital de jour ?
Par l’équipe de l’Hôpital de Jour des Quatre Saisons(Marseille)
Dr Ghozael Psychiatre coordonnateur
Eric Witters, ergothérapeute
Céline Gelly, psychologue clinicienne
Les patients accueillis au quotidien en hôpital de jour de psychiatrie adulte nous confrontent à de
multiples questions autour de l’argent :
- l’argent qu’ils n’ont pas, autrement dit la précarité, permet-il une relation thérapeutique adéquate ?
- l’argent que nous leur demandons parfois pour certaines activités est-il moteur dans leur
engagement ?
- l’argent qui circule entre les patients, en dehors du contrôle soignant, est-il à proscrire ou au
contraire un marqueur de lien social ?
- l’argent au niveau institutionnel, par le biais du budget des activités, est « donné » par qui, comment,
pourquoi et quelle incidence a-t-il sur l’efficience du soin ?
En conclusion, la question de l’argent va du contenu pédagogique et éducatif ancré dans le réel
jusqu’au rapport au symbolique toujours difficile mais toujours présent pour nos patients psychotiques.
Les patients accueillis au quotidien en hôpital de jour de psychiatrie adulte nous confrontent à de
multiples questions autour de l’argent :
1. L’argent qu’ils n’ont pas, autrement dit la précarité, permet-il une relation thérapeutique
adéquate ?
A l’hôpital de jour, l'argent est un sujet qui peut être embarrassant ; à la fois tabou et partie prenante
de la prise en charge.
On sait que l'argent est en même temps l'élément de base du lien, dans la satisfaction des besoins
quotidiens, et, partant, l'absence d'argent devient synonyme d'impossibilité de vivre, de s'inscrire dans
le monde normal, social: On retrouve ici toutes les problématiques de l'exclusion, de la désaffiliation,
ou, de la pauvreté.
De manière symptomatique, quand Rilke énonce que " les pauvres sont aussi silencieux que les
1
choses" , il signifie bien que c'est l'argent qui permet à l'individu de s'exprimer et de tenir sa place
dans la société.
Sans argent, l’individu devient "chose", à la fois déshumanisé et asservi. L’argent n'est plus le simple
intermédiaire de l'échange, comme on voit trop souvent et de manière réductrice l'argent, mais ce qui
autorise tout échange. L'argent garantit une existence sociale, il façonne l'histoire de l'individu au point
de nier l'existence de ceux qui en manquent. La paupérisation croissante de toute une partie de la
société dont les patients nous renvoient à la question de l'argent, et surtout du manque d'argent.
Cela
signifie
t-il
pour
autant
que
sans
argent,
aucun
lien
n’est
possible ?
Avoir et être. Comme si « sans rien, je n’étais rien »….
Avoir de l'argent permet de vivre au quotidien une vie dite normale, « d'avoir des choses, de pratiquer
des loisirs… » « Etre comme tout le monde ? »
1
R.M. Rilke, Le livre de la pauvreté et de la mort, 1903, trad. fr. 1982, Actes Sud.
L'argent est un outil nécessaire pour s'inscrire et être au monde. Avoir de l'argent permet l'échange et
le choix entre les diverses modalités du lien social. Avoir de l'argent individualise et donne ou redonne
une place à la personne en tant sujet désirant et acteur de sa vie.
L'argent est aussi le symbolon des Grecs, l'objet brisé qui sert de moyen de reconnaissance entre
deux personnes qui ne se connaissent pas. Ainsi l'argent peut réunir et atteste en tout cas de la
capacité de symbolisation de l'homme et son aptitude à l'échange.
Qu'en est-il de l'argent à l'hôpital de jour ?
En tant que soignants ou acteurs dans le soin psychique, nous intervenons aussi autour de
l'intégration ou du maintien, dans la vie sociale, d’individus souffrant de maladies psychiques.
Une de nos missions à l’hôpital de jour est d’inscrire le patient dans une perspective de mieux-être et
d'autonomisation progressive.
Argent, psychose chronique et institution :
C’est Patricia, 52 ans qui a questionné l’équipe sur le cheminement thérapeutique lorsqu’on travaille
avec des psychotiques, sur les notions de répétitions à l’identique de quelque chose qui se veut
immuable, inchangé, d’inerte, sur l’espace institutionnel et sur l’argent.
Outre la tendance contenante de l’institution, la pathologie psychotique démunit les patients de leurs
ressources personnelles, de leurs ressources d’adaptation, de leurs liens familiaux. C’est une
pathologie de la déliaison.
“Être schizophrène ou psychotique, c’est être différent des autres, c’est vivre autrement sa relation au
monde ”
Créer de la vie et du sens, maintenir des liens, respecter et valoriser les ressources du patient, lui
redonner sa place de sujet… Cela requiert aussi des ressources importantes chez les soignants.
Mais de quelles ressources s’agit-il ?
A l’hôpital de jour, ici et bien plus qu’ailleurs, l’approche individuelle qui cherche à personnaliser les
soins est au cœur de la prise en charge et un défi à relever. La psychose tend toujours à déborder sur
la vie d’une équipe, à en enrayer le fonctionnement et parfois, à semer la confusion.
Il nous faut des habiletés, de l’imagination, du savoir-être, du savoir-faire pour établir, maintenir et
mener plus ou moins à terme une relation d’aide…pour maintenir ce si fragile lien « thérapeutique » ;
aussi décousu soit-il…
Chaque accompagnement est singulier et pluriel. C’est toujours la même chose et pourtant, c’est
toujours différent. La psychose demande de la souplesse et de la solidité. Nous avançons avec
beaucoup de tâtonnements en rectifiant et réajustant les attitudes et contre-attitudes. Pour cela, nous
avons besoin d’un cadre, à la fois figé et ouvert… ouvert sur d’autres modalités de prises en charge,
toujours à imaginer… et figé, pour que la psychose (et nous soignants) puisse s’appuyer sur quelque
chose de solide.
L’argent fait aussi partie de ces nécessités incontournables de la prise en charge. C’est un des piliers
irréductibles dans la lutte contre les débordements de la psychose et l’autonomisation progressive du
patient.
2. L’argent qui circule entre les patients, en dehors du contrôle soignant, est-il à proscrire
ou au contraire un marqueur de lien social ?
L’incohérence du monde extérieur est extrême chez le psychotique mais nous avons pu constater
quotidiennement un système d’échanges sociaux à l’intérieur des murs de l’hôpital de jour qui
ressemble étrangement à celui des gens dits normaux.
Ce système d’échanges sociaux se base en partie sur l’argent ; sur tout un système d’échanges
économiques, de transactions et d’attente de compensation. (vente/échanges d’objets en fraude
d’objets, dons de vêtements, revente de cigarettes, rackets à petite échelle, mendicité, prêt ou
avance…).
L’argent est un moyen d’échange qui a une valeur importante car, muni d’argent, le patient peut
prétendre à faire des achats que ce soit à l’hôpital de jour ou à l’extérieur.
Le patient sous curatelle ou tutelle a le droit à une certaine somme toutes les semaines, son « argent
de poche » ou « de vie » ou sa « paye », comme il le nomme parfois.
A défaut, et lorsqu’il vient à manquer, la cigarette peut remplacer l’argent et servir de monnaie
d’échange.
Ces sources de revenus, d’échanges rituels, de don et contre-don sont la base d’un système
d’échanges sociaux important et peuvent même être d’une qualité relationnelle intéressante.
Cependant, il nous faut être attentif et soucieux de préserver le patient quel qu’il soit.
Il semblerait que pour la majorité des patients, l’argent est comme un attribut de la vie normale. C’est
un moyen d’échanges rituels et pas simplement économiques. L’argent positionne la personne en tant
qu’individu et sujet dans les relations sociales. Il permet de s’inscrire et d’être au monde…
L’argent est-il un des tous premiers facteurs de réinsertion, resocialisation, réhabilitation ?
Donne-t-il une identité à celui qui en possède, même si ce n’est que deux euros ?
Argent, psychose et accompagnement social :
A l’hôpital de jour, la prise en charge dépend aussi de certaines problématiques liées à
l’argent. L’argent peut entrer en ligne de compte dans le suivi médical, soignant, social. Nous savons
tous que la prise en charge d’un patient désocialisé nécessite en premier lieu le retour à l’inscription
sociale et une régulation des ressources…même si nous ne devons pas oublier de créer du lien
relationnel ; avant tout.
Avec les patients, nous explorons leurs possibilités, leurs ressources qui vont, sur les lieux
d’achats, se trouver actualisées, réactualisées, mises en pratique. Ils intègrent ainsi des données où
ils prennent conscience de leurs capacités et/ou de leurs incapacités, et d’où peuvent émerger des
solutions d’avenir (prendre conscience qu’on ne peut pas vivre seul, qu’on ne sait pas gérer…ou, au
contraire qu’on se débrouille ; faire des choix en fonction de ses propres besoins ; se confronter à la
réalité).
Les ressources doivent servir à l’entretien, à réinscrire le patient socialement.
Nous nous rendons compte, par nos observations au quotidien, des dysfonctionnements, des
ruptures, des pertes mais aussi de ce qui a été préservé malgré la maladie. Nous sommes là, prêts à
recevoir ce quotidien si terrible, avec eux. Il nous faut, inlassablement, toujours aller vers une vision
positive respecter et valoriser les ressources du patient, susciter sa participation et surtout son désir
de se prendre en charge…
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