
© John Libbey Eurotext, 2011
Bull Cancer vol. 98 •N◦5•mai 2011 583
Comment aborder la mort avec les enfants et les familles ?
très régulièrement leurs besoins en matière de forma-
tion et soulignent combien la communication avec les
parents est difficile dans ces situations [18, 19].
Effectivement «l’enfant n’est pas un adulte en minia-
ture »[20] et on ne saurait donc s’occuper d’un enfant
en fin de vie sans prendre en compte les particularités
liées à son développement affectif et intellectuel, à son
autonomie limitée mais néanmoins réelle, à la relation
singulière qu’il ou elle entretient à ses parents, sa fratrie,
le reste de sa famille et ses amis, et enfin à ses besoins
et désirs. À cela s’ajoute une attention nécessaire aux
mouvements psychiques, affectifs et émotionnels, solli-
cités chez chacun des soignants par la connaissance de
la mort annoncée de cet enfant là avec son histoire, sa
famille et la relation que l’on entretient avec lui ou elle.
Tout cela représente donc une charge de travail
physique et psychique importante, ce qui contribue
souvent pour partie au moins aux difficultés que
peuvent rencontrer les soignants et que l’on a coutume
de nommer burn out ou encore syndrome d’épuisement
professionnel du soignant (SPES) [21]. Pour préve-
nir ou limiter l’épuisement des soignants, outre les
interventions portant sur les aspects institutionnels et
organisationnels, le maintien du travail en équipe
multidisciplinaire dans une estime et une confiance
réciproques des différents acteurs soignants apparait
absolument nécessaire [22]. Porter et partager à plu-
sieurs le projet de soins d’un enfant en phase palliative
et/ou en fin de vie, y compris avec les acteurs de proxi-
mité de plus en plus dorénavant impliqués dans le cadre
de l’organisation en réseau de soins (hôpitaux de proxi-
mité, services d’hospitalisation à domicile, soignants
libéraux, etc.), garantit un cadre étayant et rassurant
pour l’enfant et ses proches [23]. Enfin le question-
nement et la réflexion éthique maintenus toujours à
l’œuvre au sein de ces équipes s’avèrent également
indispensables à l’exercice délicat des soins palliatifs
pédiatriques où la tentation de l’obstination déraison-
nable ou a contrario de l’euthanasie existe sous l’effet
des mouvements psychiques intenses (angoisse, déni,
dépression, réparation, deuil anticipé, etc.) mis en jeu
par la proximité de la mort de l’enfant [24].
Parler de la mort ?
Alors que l’on n’en sait rien...
La mort est par essence irreprésentable, en effet
comment se représenter quelque chose auquel par défi-
nition on n’a pas encore eu accès. Comme le disait
Freud l’inconscient ne connait pas la mort et il n’existe
pas de représentation de celle-ci dans l’inconscient :
«Personne au fond ne croit à sa propre mort, ou, ce qui
revient au même, dans l’inconscient chacun de nous est
convaincu de son immortalité »[25]. Difficile à penser
mais aussi impossible à se représenter, la mort est donc
peu accessible à l’être humain qui se trouve très démuni
pour l’appréhender et s’y préparer quand bien même il
le souhaiterait.
Lorsqu’il s’agit d’un enfant, la mort est insupportable,
inconcevable tant elle vient alors heurter les logiques
du temps et des générations. Elle constitue alors «le
scandale le plus grand »[26] et une injustice terrible
pour l’enfant ou l’adolescent en fin de vie, ses parents
et les soignants qui l’accompagnent.
Alors qu’on n’en connait rien, à quoi donc se réfère-
t-on quand on prétend parler de la mort ? Sans doute
aux conditions de la mort, ce qu’on a appelle égale-
ment le mourir, c’est-à-dire les symptômes et conditions
de la fin de vie ainsi que la manière dont proches et
soignants peuvent accompagner le futur défunt et pré-
venir les symptômes douloureux ou gênants jusqu’à
la toute fin de vie. Pour l’enfant ou l’adolescent en
particulier, les questions autour de la mort s’adressent
également à l’après-décès et au deuil de ses proches :
que va-t-il m’arriver ? Que vont-ils devenir sans moi ?
Se souviendront-ils de moi ? Quelle trace aurais-je lais-
sée ? Serais-je remplacé(e) ? Mes parents vont-ils à leur
tour mourir de chagrin à cause de moi ?
Dès lors, il apparait que parler de la mort s’apparenterait
plus à être capable de regarder ensemble dans
une direction inconnue. Accompagner plutôt que
dire, interroger plutôt que savoir, partager plutôt
qu’annoncer et enfin écouter tout autant que parler
seraient les maîtres mots de ces échanges au sujet de la
mort à venir.
Enfin il est utile de rappeler que face à l’angoisse sus-
citée par la mort, la sienne propre, celle de l’autre, de
l’enfant, de son propre enfant, le psychisme humain
se défend, érigeant entre lui et l’implacable réalité de
la mort des aménagements visant à rendre la situation
supportable. Ainsi se délimitent des espaces permet-
tant la poursuite de la vie et d’un espoir, si minime
soit-il. Ce que l’on a coutume de désigner comme
des mécanismes de défense psychiques sont à l’œuvre
chez tous les acteurs de ce drame : enfant malade,
parents et soignants sont traversés par de l’ambivalence,
du déni, de la toute-puissance et enfin des méca-
nismes de clivage qui rendent parfois la communication
Tiré à part auteur