Cohomologie des groupes profinis et classification des groupes de

Cohomologie des groupes profinis et classification des
groupes de Demuškin
Alexandre Jannaud et David Leturcq
Juin 2014
1 Introduction
L’objet de cet exposé sera d’étudier une certaine famille de groupes infinis, mais dont les
propriétés sont proches de celles des groupes finis. On introduira donc d’abord la notion de limite
projective pour définir les groupes profinis qui sont alors obtenus comme limites de groupes finis,
et les pro-p-groupes qui sont limites de p-groupes. On définira en particulier F(n)comme le
pro-p-groupe libre sur néléments.
Après avoir montré quelques propriétés générales sur ces groupes, nous définirons leur co-
homologie, outil très puissant défini à partir des applications continues de Gndans un groupe
abélien discret. Il s’agira alors d’utiliser la définition assez complexe des objets cohomologiques
pour comprendre ce qui se passe en petite dimension. L’interprétation de H1et H2nous per-
mettra alors de donner des informations sur des présentations d’un groupe par générateurs et
relations.
Finalement, nous nous attellerons dans une dernière partie à classifier un certain nombre de
groupes profinis, dits de Demˇuskin, pour lesquels on dispose de deux invariants simples notés n
et q. Le théorème que l’on obtiendra finalement est le suivant :
Théorème 1.1. Soit Gun groupe de Demuškin d’invariants (n, q)avec q6= 2
Alors
G
=F(n)/hxq
1(x1, x2)(x3, x4)...(xn1, xn)i
Serre donne également un autre théorème pour le cas q= 2,nimpair que nous donnons sans
essayer de le démontrer ici :
Théorème 1.2. Soit Gun groupe de Demuškin d’invariants (2m+ 1,2) Alors il existe k
{0,2,4,8,16,· · · } tel que ;
G
=F(n)/x2
1.xk
2.(x2, x3)(x4, x5)...(x2m, x2m+1)
Ces résultats permettent donc de classifier une classe de groupes infinis en fonction de seule-
ment deux entiers. Les groupes profinis apparaissant naturellement comme groupe de Galois
des extensions galoisiennes infinies d’un corps, ces théorèmes permettent alors de déterminer la
structure du groupe de Galois de certaines extensions de corps.
1
Nous essaierons de suivre la démonstration de Serre (dans [5]) au cours de notre exposé. Il en
existe également une seconde plus précise et permettant de traiter le cas q= 2 par introduction
d’un troisième invariant dont nous nous contenterons de mettre le lien en bibliographie ([3]).
2 Groupes profinis, pro-p-groupes
2.1 Limite projective, profinitude
Pour définir l’idée de "limites de groupes" évoquée en introduction, on utilisera une structure
appelée limite projective et définie ainsi :
Définition 2.1. On appelle système projectif de groupes topologiques, la donnée :
D’un ensemble ordonné I, tel que : α, β I, γ tq γ α et γ β(deux indices
admettent toujours un majorant commun.).
Pour tout αI, d’un groupe topologique Gα.
Pour tout α > β, d’un morphisme continu fα,β :GαGβ.
Si (Gα, fαβ)αIαest un système projectif , on définit sa limite projective comme étant le
sous-groupe topologique lim
Gαde QGαmuni de sa topologie produit défini par :
lim
Gα={(gα)αI:α > β, fαβ(gα) = gβ}.
On appellera groupe profini (resp pro-p-groupe) un groupe qui peut s’écrire comme limite
projective de groupes finis (resp. de p-groupes.).
On remarque que les "flèches" vont dans le sens décroissant des indices, ce qui justifie la
notation lim
et la nomenclature assez répandue de limite inverse.
Dans la suite, on notera prα:QGαGαet πα: lim
GαGαles projections canoniques
sur les Gα.
Si Gest un groupe profini et Het Kdeux sous-groupes, on notera (H, K)le sous-groupe fermé
distingué engendré par les commutateurs h.k.h1.k1hH, k K, et Hqle sous-groupe
fermé distingué engendré par les hqhparcourt H.
Comme limites de groupes finis, donc d’espaces discrets, un pro-p groupe va hériter de cer-
taines propriétés topologiques.
Proposition 2.1. Si les Gαsont finis, G= lim
Gαest un groupe compact et totalement discon-
tinu (i.e. a pour composantes connexes des singletons) pour la topologie induite par la topologie
produit sur QGα.
Démonstration.
compacité :
Le théorème de Tychonoff nous assure que le produit est compact, donc il suffit de montrer
que lim
Gαest fermée dans le produit. Pour cela, on remarque que le complémentaire est ouvert.
Soit en effet, (xα)QGα\lim
Gα. Il existe donc β < α, tel que fαβ (xα)6=xβet pr1
α({xα})
pr1
β({xβ})est un ouvert du complémentaire contenant (xα), ce qui conclut.
discontinuité totale :
En effet, si CGest connexe (et non vide), on a par continuité de παque πα(C)est connexe et
donc réduit à un point xα, car un groupe fini est discret donc totalement discontinu. Il s’ensuit
que C={(xα)αI}.
Gest donc totalement discontinu.
2
On remarque aussi également par définition de la topologie sur lim
Gαqu’on a la caractérisa-
tion suivante de la convergence des suites qui nous permet de mieux comprendre le comportement
topologique du groupe que l’on vient de construire.
Remarque 2.1. Soit G= lim
Gαun groupe profini. Alors pour toute suite (xn)n0de Get
élément y= (yα), on a :
(xn)converge vers ysi et seulement si (πα(xn))n0converge vers yαpour tout indice α.
Cette remarque traduit le fait que la topologie produit correspond à la convergence simple
des coefficients et est la "plus petite topologie rendant les παcontinus".
On va maintenant énoncer et démontrer la "propriété universelle de la limite projective" qui
caractérise la structure de la limite projective en fonction des morphismes de groupes topolo-
giques.
Proposition 2.2. Si on a un groupe Ket des morphismes (φα)αItels que le diagramme
Gα
fαβ
K
φβ
φα
>>
Gβ
soit commutatif pour tout αβ,
il existe alors un unique morphisme continu φ:Klim
Gαtq αI, φα=παφ.
On a donc une bijection entre les familles de morphismes compatibles avec les fαβ et les
morphismes à valeurs dans la limite projective. C’est ce qui justifie le nom de propriété universelle
pour cette proposition.
Démonstration.
Connaissant la propriété universelle du produit, on a l’unicité et l’existence de φ:K
QGαtq prαφ=φα
Reste à vérifier que φ(K)lim
(G), ce qui est immédiat.
Pour étudier par la suite les groupes profinis en tant que groupes topologiques nous aurons
besoin de quelques lemmes généraux de topologie des groupes. Le premier concerne la description
d’une base de voisinages de l’élément neutre dans un groupe topologique. Notons que nous ne
parlons que de sous-groupes fermés d’un groupe profini. Nous ne nous étendrons pas sur ce
point, la raison principal en est que si on retire cette hypothèse, le groupe quotient n’est a priori
pas séparé pour la topologie induite.
Lemme 2.1. Soit Gun groupe compact. Alors :
– Les sous-groupes distingués fermés d’indice fini de Gsont exactement ses sous-groupes
distingués ouverts.
Si Gest profini, ses sous-groupes distingués ouverts forment une base de voisinage de l’unité
(i.e. tout voisinage de l’unité en contient un).
Démonstration.
Pour le premier point, on remarque qu’un sous-groupe d’indice fini est le noyau d’un mor-
phisme continu dans un groupe discret. Donc comme c’est l’image réciproque d’un ouvert, il
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est encore ouvert. Réciproquement, si H  G est ouvert, on écrit G=S
gG/H
gH et la défini-
tion de la compacité associée au fait que ce recouvrement soit une partition (donc n’ait pas de
sous-recouvrement strict) prouve que G/H est fini.
Pour le second point, on remarque que si Uest un voisinage de e, il contient par construction
de la topologie produit un voisinage de la forme π1
α1(U1)∩ · · · ∩ π1
αn(Un)avec UiGαipour tout
i, qui contient lui-même π1
α1({e1})∩ · · · ∩ π1
αn({en}), qui est évidemment un sous-groupe ouvert
distingué.
On établit maintenant un critère de densité très pratique pour les groupes profinis, que nous
utiliserons très régulièrement dans la suite, pour conclure certaines démonstrations.
Lemme 2.2. Soient G= lim
Gαune limite projective de groupes (non nécessairement finis), et
Hun sous-groupe de G.
On suppose que pour tout α,πα(H) = Gα. Alors, Hest dense dans G.
En particulier, si, avec les notations de la proposition 2.2, Kest compact et les φαsurjectifs,
alors le morphisme φqu’ils induisent est surjectif.
Démonstration.
Soit Uun ouvert non vide de G, et x= (xα)αIU.
On peut supposer par construction de la topologie produit que U=π1
α1(U1)∩ · · · π1
αn(Un)
avec pour tout i,Uiouvert dans Gαi. On prend alors βmajorant tous les αi, ce qui est rendu
possible par la définition d’un système projectif.
Soit donc alors yHtel que πβ(y) = πβ(x), qui existe par hypothèse sur H. Alors, on vérifie
en utilisant les fβαique παi(x) = παi(y)Uiet donc yπ1
α1(U1) · · · π1
αn(Un).
En particulier UH6=, ce qui conclut.
La conséquence vient juste du fait que si les φα=παφsont surjectifs, on a pour tout indice :
πα(φ(K)) = Gα, ce qui montre que φ(K)est dense. Comme il est également fermé, comme image
continue d’un compact, il est égal à Gtout entier d’où la surjectivité de φ.
Ce lemme de structure très utile va nous permettre de bien manier la topologie des groupes
profinis et d’en étudier les propriétés élémentaires. Une des premières conséquences va être la
proposition qui suit, qui nous montre qu’on peut toujours retrouver, à partir d’un groupe profini,
un système projectif dont il est limite, et nous donne une caractérisation topologique de la
profinitude.
Proposition 2.3. Si G est un groupe compact tel que tout voisinage de l’unité contient un
sous-groupe ouvert, alors on a G
=lim
G/V Vparcourt l’ensemble des sous-groupes ouverts
distingués de G.
En particulier, le résultat s’applique si Gest un sous-groupe fermé d’un groupe profini. Par
conséquent, tout sous-groupe fermé d’un groupe profini est lui-même profini.
Démonstration. Pour Vouvert distingué, G/V est fini, par le lemme 2.1. On a alors un mor-
phisme continu de groupes profinis G
7→ lim
G/V construit par la proposition 2.3
On a Ker() = T
V G ouvert
V={e}, car on regarde l’intersection d’une base de voisinages
dans un espace séparé.
Par le lemme 2.2., est surjectif, car les applications GG/V de sa construction le sont
et que Gest compact. Alors (G) = lim
G/V (1est continu par compacité de G, donc ceci
montre que est un isomorphisme continu).
Pour la seconde partie de la proposition, il suffit de remarquer que si Gest un sous-groupe
d’un groupe profini G0, il est compact, et qu’une base de voisinages de l’unité est donnée par :
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{UG:Usous-groupe ouvert de G0}et que si U < G0est ouvert, UGest un sous-groupe
ouvert de G.
Pour finir cette section, on montre une proposition permettant encore de simplifier le système
projectif donnant naissance à un groupe profini, et qui nous permettra de raisonner de manière
plus itérative.
Proposition 2.4. Soient Gun groupe compact (par exemple profini) et Gnune suite décrois-
sante de sous-groupes fermés d’intersection triviale (on parlera de filtration de G). Alors, Gest
isomorphe à la limite projective des G/Gn.
Démonstration. On a des morphismes GG/Gnqui sont surjectifs et évidemment compatibles
avec les projections G/GmG/Gn(avec m>n), d’où le morphisme annoncé. Par le lemme
2.2, ce morphisme est surjectif, et comme son noyau est l’intersection des Gndonc est trivial,
c’est un isomorphisme. Sa réciproque est aussi continue par compacité de G.
En particulier, dans ce cas la remarque 2.1 se simplifie encore en :
Remarque 2.2. Si Gest un groupe compact et (Gn)n0une filtration de G, alors une suite
converge si et seulement si elle converge modulo Gnpour tout n.
2.2 Pro-(p-)complètion d’un groupe, pro-p-liberté
Définition 2.2. On définit un système projectif pour un groupe abstrait Gdonné par :
I={quotients finis de G}ordonné par l’inclusion inverse des sous-groupes distingués as-
sociés.
(G/H, G/K)I2, tel que HK, les morphismes de projection canoniques φK,H :
G/H G/K.
La limite projective de ce système est appelée complété profini de G, et est notée b
G.
En prenant comme Il’ensemble {quotients de G qui sont des p-groupes}, on obtient le p-
complété de G, noté b
Gp.
Dans le cas où G=Z, on obtient de la sorte le procomplété b
Z(ensemble des entiers profinis) et
le pro-p-complété Zp(ensemble des entiers padiques).
Dans le cas où Gest le groupe libre de rang n,L(n), on notera son pro-p-complété F(n, p)(ou
F(n)lorsque pest défini sans ambiguïté).
F(n, p)est appelé le pro-p-groupe libre à n générateurs.
On a la propriété suivante qui définit les cas où les procédés précédents définissent bien une
"complètion" de G, c’est à dire au moins, un espace dans lequel Gs’injecte de manière dense.
Proposition 2.5. Il existe un unique morphisme continu θ:G7→ b
G, compatible avec les pro-
jections naturelles de Get b
Gsur les G/H.
θest injectif si et seulement si T
HI
H={e}
On a θ(G) = b
G
On a un résultat similaire avec b
Gp
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