actualité, info en marge Les malades alcooliques existent-ils ? … «Comment expliquer qu’une affection qui touche un citoyen sur dix et le tue précocement n’ait pas d’organisation associative» … A leurs proches qui souffrent autant sinon plus, car ne pouvant – ils – se réfugier dans le déni qu’offrent des alcoolémies élevées et récurrentes ? A tous ceux qui redoutent d’entrer dans un cercle généralement qualifié (faute de mieux) d’infernal et dont tant aimeraient enfin sortir ? Complexité médicosociale omniprésente puisqu’il s’agit de vulnérabilité et d’excès, de dépendance et de dépendances associées ainsi, corollaire, que d’un éventail thérapeutique sans équivalent. Comment dans ces conditions oser imaginer, pour reprendre le titre de l’ouvrage, que l’on parviendra un jour à en finir avec l’alcoolisme ? Comment l’imaginer alors même que l’on en sait aussi peu sur une pathologie standardisée dont les déterminants sont essentiellement individuels ? Optimiste, l’auteur aborde à sa façon ce sujet dans la conclusion. «La personnalisation du contenu des soins en fonction du malade est le véritable pari de la recherche en alcoologie pour les dix prochaines années, écrit-il. Elle s’impose parce que les niveaux de manifestations comme les origines de la maladie alcoolique sont pluriels. Certaines alcoolodépendances au- 1894 54_55.indd 1 ront une origine très biologique (voire génétique), d’autres une origine plus psychique, d’autres plus environnementale. Les comportements d’alcoolisation qui en découlent seront très différents les uns des autres, les dommages causés seront variables. Il reste donc à identifier les "bons couples" : pour tel type de malade, tel type de traitement.» Faudrait-il dès lors s’étonner qu’il n’existe pas (pas encore) de reconnaissance collective des malades alcooliques ? Le patient existe certes (du moins quand il en est parvenu au stade d’acceptation de ce statut) mais les patients n’existent pas ; du moins pas en tant recherche alors qu’existent l’Institut du canque communauté souffrante. Pas de reven- cer et celui des maladies du cerveau ? Les dications groupées puisque chacun est le malades de l’alcool sont-ils trop honteux plus souvent renvoyé au péché originel : pour être curieux des progrès scientifiques soit, ici, celui ne pas avoir su résister. Résister réalisés dans la compréhension et le traitenon pas à l’alcool mais bien à ses sirènes. Ne ment de leur trouble ? Se sentent-ils trop inpas avoir su/voulu anticiper l’heure des supplices. Ne pas halter au sortir des débats, les ré­ seaux de soins intégrés, traitant le avoir eu le courage cas de chaque patient de A à Z, «de­ de se faire encorder, Managed care : vront devenir la norme». Selon ces le moment venu, au le Parlement finit modèles, les patients se réfèrent au mât. même interlocuteur, qui coordonne par dire oui la suite du déroulement. Pour inciter L’individualité du Pour Didier Burkhalter, dont la ré­ les assurés à s’affilier à de telles malade n’est d’autre élection au Conseil fédéral n’est pas structures, ceux qui opteront pour part nullement recomplètement acquise en décembre, un réseau continueront à s’acquitter, connue par la stanl’enjeu était de taille. Et le ministre une fois leur franchise atteinte, d’une libéral­radical, qui laisse d’ordinaire quote­part de 10%. Comme aujour­ dardisation de la dopeu transparaître ses émotions, avait d’hui. En revanche, les partisans du se qui conduit au péde la peine à retenir un sourire. A libre choix du médecin verront leur ché. Soit le trop bien moins d’une surprise lors des votes participation aux coûts grimper à nommé verre «stanfinaux de la session, la fastidieuse 15%. dard» (7 cl d’apéritif révision sur les réseaux de soins – la Des pourcentages, a souligné Didier révision dite du Managed Care – est Burkhalter, à mettre en relation avec à 18°, 2,5 cl de digesdésormais sous toit. le montant annuel maximum de la tif – whisky, pastis – Par 111 voix contre 39 avec 10 abs­ participation aux frais, fixé à 500 à 45°, 10 cl de chamtentions, le Conseil national s’est ral­ francs pour les membres d’un ré­ pagne à 12°, 25 cl de lié à la proposition de compromis seau et à 1000 pour les autres. Par élaborée par la conférence de con­ rapport au plafond actuel de 700 bière à 5°, 10 cl de ciliation après sept ans de palabres. francs, les premiers économiseront vin rouge ou blanc à Un soutien assez clair, qui confirme 200 francs par an, les seconds ver­ 12°) et les fréquences celui – 28 voix contre 8 – du Conseil ront leur facture gonfler de 300 (quotidienne, hebdodes Etats la semaine dernière. Au fi­ francs. madaire, mensuelle) nal, la minorité socialiste emmenée Tous les modèles de réseaux exis­ par la Zurichoise Jacqueline Fehr tants ne seront toutefois pas concer­ de son absorption. n’aura pas réussi à ébranler la volonté nés. A l’avenir, ils devront répondre à «Comment explidu parlement (lire ci­contre). un certain nombre de critères, âpre­ quer qu’une affecConcrètement, a résumé Didier Burk­ ment négociés au parlement. Ainsi, tion qui touche un pdphoto.org/Jon Sullivan Rien n’est jamais simple avec l’alcool. Et tout se complique bien vite avec les alcooliques, qu’ils soient ou pas anonymes. Alcoolalcohol. On se plaît souvent à imaginer qu’il ne s’agit ici que de la version occidentale d’un terme arabe (al-khôl) désignant de fines poudres servant de base à l’élaboration de fards. Ce serait bien trop simple et l’étymologie nous conduit en réalité vers la thérapeutique et la spiritualité, la finesse et la subtilité, l’esprit-de-vin et l’eau-de-vie, l’alcool à brûler et la dépendance alcoolique. Tout, ou presque, est dit avant même que d’être bu. Où que l’on aille cette complexité est omniprésente. On la retrouve aujourd’hui dans l’ouvrage 1 que le psychiatre et alcoologue Philippe Batel consacre à ce dévorant sujet. A qui s’adresse un tel livre ? Aux médecins non alcoologues dont l’exercice est directement ou pas concerné par les dimensions pathologiques multiformes de l’alcoolisme ? Aux personnes concernées au premier chef ? citoyen sur dix et le tue précocement n’ait pas d’organisation associative capable de fédérer les actions, d’exercer une pression importante sur les pouvoirs publics pour faire progresser l’accès aux soins et de recueillir des fonds pour la recherche, s’interroge Philippe Batel. Comment expliquer l’absence de conseil scientifique dans les groupes d’entraide ? Comment expliquer qu’une puissante fondation ne fédère pas les actions de Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 28 septembre 2011 26.09.11 12:52 fâmes ou trop perdus pour exiger de leurs médecins les techniques de soins les plus en pointe, et des pouvoirs publics d’avoir un dispositif de soins performant et une recherche très soutenue ? Pensent-ils qu’ils ne "méritent" pas les progrès de la science ?». Et l’auteur, décidément optimiste, de parier qu’une meilleure connaissance des maladies alcooliques serait de nature à favoriser leur reconnaissance. Sans doute est-ce possible. A moins que ne continue à prévaloir la perception fataliste et religieuse du «qui a bu boira». La découverte de la trop fameuse pyramide de Skinner n’a pas à elle seule pu empêcher que l’on continue à en gravir les étages. «Cette folie furieuse et inguérissable de l’alcool qui, parfois, fait ressembler les marins à des brutes déchaînées» écrivit, diton, Octave Mirbeau (1848-1917). Percevonsnous autrement, aujourd’hui, ceux qui, à leur corps ou non défendant, s’adonnent à toutes les formes de l’alcool ? Jean-yves Nau [email protected] 1 Batel P. Pour en finir avec l’alcoolisme (nouvelle édition) Paris : La Découverte­Inserm, 2011. ISBN : 978­2­7071­ 6779­8. Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 28 septembre 2011 54_55.indd 2 1895 26.09.11 12:52