LECERCLE DUMATINDIMANCHE Ne détraquons pas nos mécanismes salariaux A PASCAL BROULIS Conseiller d’Etat vaudois l’initiative de l’Union syndicale suisse nous votons le 18 mai prochain sur l’introduction d’un salaire minimum national. Il est prévu qu’il soit fixé par la Confédération pour tout le pays «en tant que limite inférieure contraignante applicable à tous les travailleurs». Appelée à être indexée, cette limite a été fixée à 22 francs de l’heure soit 4000 francs par mois. Je combats cette initiative. Je suis persuadé que sa bonne intention de «protection des salaires équitables» pavera – si elle s’impose – des lendemains qui déchantent pour nombre d’entreprises et de travailleurs. Et d’abord pour les plus vulnérables d’entre eux. En comparaison internationale le salaire minimum proposé serait de loin le plus élevé du monde, près de deux fois le SMIC français qui est son modèle. A ce niveau ce n’est plus une protection, c’est une barrière. L’installer rigidifierait notre marché de l’emploi dont la souplesse est un atout. Or l’accès à l’emploi est le meilleur vecteur de cohésion sociale, la meilleure arme contre la précarité. C’est comme un escalier. Pour avoir des chances de le gravir, il faut d’abord franchir sa première marche. Si cette première marche est trop haute, aucune des suivantes n’est d’une quelconque utilité. Une première marche à 4000 francs est trop haute. Elle l’est pour les entreprises les plus concernées, qui sont d’abord de petites entreprises de quelques employés, actives dans des secteurs où les gains de productivité sont difficiles. Elle compliquera l’embauche des travailleurs les moins qualifiés, derniers venus sur le marché du travail ou présentant des parcours de vie cabossés. Si l’on estime à 390 000 (9% du total) le nombre des emplois suisses rémunérés à moins de 22 francs de l’heure, il faut se demander combien d’entre eux disparaîtront si le salaire minimal proposé s’impose. Comme on l’observe avec le SMIC, une première marche trop haute est contournée. C’est l’explosion des «stages» et des contrats de courte durée. L’accès à l’emploi stable, qui permet de se bâtir un avenir, sera entravé pour nos jeunes. Et le travail au noir, gangrène de l’économie loyale et des assurances sociales, deviendra d’autant plus tentant. Une première marche trop haute aplatit les suivantes Une première marche trop haute aplatit les suivantes. A 4000 francs par mois le salaire minimal deviendrait salaire de référence, déstabilisant ceux qui sont un peu plus élevés, nivelant vers le bas la pyramide existante. Alors qu’aujourd’hui l’ancienneté dans l’entreprise est pour les plus bas salaires un gage d’augmentation. Ce «SMIC national» a d’autres défauts, tout aussi graves. Il suppose une intervention étatique dans notre économie d’une ampleur et d’un centralisme inconnus à ce jour. D’un chiffre qui s’imposerait de Genève à Romanshorn et de Schaffhouse à Chiasso il prétend balayer les différences de niveau de vie et de structure économique des régions. Le salaire médian est pourtant de 25% plus élevé à Zurich qu’au Tessin. Il ôterait enfin aux conventions collectives – adaptées à la réalité économique des branches qu’elles couvrent – un pan entier de négociations salariales. Or ce n’est pas à l’Etat de fixer les salaires. Le niveau des salaires suisse est l’un des plus élevés du monde et l’écart salarial y est stable depuis des décennies. Notre taux de chômage est l’un des plus bas d’Europe, le chômage des jeunes (3,4%) est ici sept fois inférieur à la moyenne européenne (23,5%)! Notre système fonctionne, ne le détraquons pas. x F lecercle.lematin.ch Retrouvez les textes des personnalités du Cercle du «Matin Dimanche» et participez au débat. 15