Maladies rares : gare à l’indifférence «La Suisse a-t-elle introduit la peine de mort ?» Les maladies rares constituent un enjeu majeur de santé publique en Suisse et posent des délicats problèmes à la médecine tant sur le plan de la recherche et des mesures thérapeutiques que sur le terrain des valeurs poursuivies par la société contemporaine. J’ai assisté à Berne à la première édition en Suisse de la Journée Internationale des Maladies Rares. ProRaris, Alliance Maladies Rares – Suisse, qui s’est constituée en 2010, en a été le moteur. En agrégeant les efforts des associations spécialisées, en relayant la parole des malades, ProRaris promeut le respect des impératifs éthiques dans la prise en charge de ces maladies : l’égalité de traitement, la justice dans l’accès au diagnostic et aux soins. Une question ne peut manquer de surgir. On manque parfois de ressources pour prévenir et soigner les pathologies les plus courantes qui tuent tant de personnes ; ne deviendrait-il pas problématique d’allouer un surcroît d’énergie aux pathologies rares ? En raison de la finitude de moyens affectés à la santé, faut-il investir de l’argent et des forces uniquement pour le bien du plus grand nombre de sujets, ou bien doit-on assumer une perspective déontique qui vise à traiter avec la même énergie chaque individu porteur d’une dignité égale à celle des autres individus ? A ces questions, un récent arrêt du TF 1 (Tribunal fédéral) répond que l’on ne peut pas exiger de l’assurance de base une somme de 600 000 francs par an pour freiner l’évolution d’une maladie orpheline. Le TF, tout en regrettant les risques d’iniquité, admet qu’un rationnement doit être introduit et fixe une limite à 100 000 francs par an et par patient. Pour chaque traitement qui dépasse le montant indiqué, le couperet peut tomber ou est déjà tombé. Ce qui a fait dire à une patiente présente à Berne, de sa chaise roulante, que le TF a réintroduit la peine de mort en Suisse. Un autre considérant de l’arrêt du TF paraît Pr Marco Vannotti CERFASY Ruelle Vaucher 13 2000 Neuchâtel [email protected] être fortement discutable. On ne peut faire bénéficier un patient d’un traitement avant qu’il soit accessible à tous les patients concernés. Ce raisonnement sonne le glas de la recherche et des essais cliniques. Peut-on remplir les critères de l’EBM avec le nombre justement exigu des malades orphelins ? Après les témoignages entendus à Berne, on ne peut qu’éprouver de la compassion face aux deuils traversés, face aux blessures et aux exclusions humiliantes et de l’admiration face au courage et à l’abnégation dont patients et familles font preuve. Mais la compassion n’est de loin pas suffisante sans une mise en pratique, à différentes échelles, de la solidarité sociale et individuelle. Cette mise en œuvre va évidemment être moins influencée par la perspective éthique des médecins que par la vision dans le domaine de la santé des forces politiques et de leur détermination à freiner les lobbies des grandes entreprises, qui poursuivent des valeurs de profit en faisant fi de la douleur singulière des êtres atteints. Tableau de J.-T. Vannotti carte blanche Les maladies rares touchent en majorité des enfants, pour qui il convient de garder un espoir, une confiance dans un futur possible. C’est ce que patients et familles ont revendiqué avec une authenticité déchirante. Se projeter dans l’avenir ou s’engager sur le long terme sont des étapes difficiles à franchir pour les patients atteints d’une maladie rare. Peut-être que la coopération entre malades, familles, soignants, associations – telle qu’elle s’est dessinée à la Journée Internationale des Maladies Rares – garantira dans la durée un mouvement général de solidarité sans laquelle on ne peut cultiver d’espérance. 1 Arrêt 9C 334/2010 du 23.11.10 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 mars 2011 42_45.indd 2 515 25.02.11 09:05