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ALCOOLISME :
TROIS CLÉS POUR COMPRENDRE
NICE, 1992, 2è Congrès de Médecine Pratique
Trouble du comportement émergeant donc à l’extrémité de la chaîne des besoins et des
motivations, l’alcoolisme est à l’évidence multifactoriel.
Au croisement du somatique, du psychique et du socioculturel, sa guérison authentique passe
par son élucidation rigoureuse et aussi complète que possible.
Intégrées à leur pratique, trois clés peuvent aider les soignants dans leur regard et dans leur
relation à l’alcoolique : ce sont les clés génétique, psychologique et symbolique.
La clé génétique est la moins souvent évoquée. Il existe pourtant incontestablement des
prédispositions génétiques à l’alcoolisme. Deux ordres de faits permettent de l’affirmer : d’une part
le fait que le risque morbide chez les fils et les filles d’alcooliques est de trois ou quatre fois supérieur
à celui de la population générale. Mais à lui seul, ce fait ne permet évidemment pas de faire la part
de l’inné biogénétique de celle de l’acquis psycho-familial. Cette limite est levée par les études des
devenirs adoptés (travaux de David GOODWIN) qui évaluent le risque de développer un alcoolisme
chez les enfants de parents alcooliques élevés ou non par leurs parents biologiques. Le résultat est
sans ambiguïté : le risque de développer un alcoolisme est trois ou quatre fois plus élevé chez les
enfants d’alcooliques adoptés, qu’ils soient ou non élevés par des parents adoptifs alcooliques.
Ces prédispositions génétiques pourraient intervenir à deux niveaux : hépatique bien sûr, par
l’intermédiaire des nombreuses iso-enzymes de l’ADH ou de l’ALDH mais aussi centrale : les individus
qui ont une prédisposition génétique pourraient éprouver les effets euphoriques et dysphoriques de
l’alcool de façon plus intense que les individus qui ne sont pas prédisposés (qu’il s’agisse soit de
troubles de la perméabilité membranaire, soit d’anomalies dans la synthèse de neuromédiateurs du
fait de la présence de l’éthanol ou des produits de son métabolisme).
Cette clé génétique devrait être intégrée à la pratique alcoologique par la recherche active des
antécédents familiaux d’alcoolisme chez les patients : la découverte – non exceptionnelle – d’une
forme à composante familiale vraisemblable, exclusive ou dominante, est gratifiante pour le soignant
(en lui offrant une simplification thérapeutique inespérée) et déculpabilisante pour le malade (on
n’est pas responsable de ses gênes...).
La deuxième clé est la clé psychologique. Elle vise à permettre une bonne connaissance de la
problématique alcoolique pour que le soignant puisse adapter son comportement et orienter sa
relation en conséquence en évitant autant que possible les contre-sens et contre-attitudes
dommageables pour l’établissement d’un lien de bonne qualité.
Cette problématique est : narcissique et identitaire, orale, addictive, non triangulée. Chacun
de ces éléments a son corollaire au niveau des impératifs de la relation thérapeutique :
A problématique narcissique, relation chaleureuse, respectueuse, réassurante (et rassurante),
valorisante, sécurisante.
A problématique orale, relation nourrissante : le soignant devra donner de lui-même dans la
relation (et sans espoir de retour, car des deux en présence, un seul compte).
Mais à problématique addictive, relation limitante : ce qui veut dire que le soignant devra
savoir poser les limites à son temps et à sa disponibilité.
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Enfin, la problématique alcoolique étant celle d’une absence ou d’une insuffisance de
triangulation par le père (le père bien souvent a fait défaut et il y a bien de fait un défaut dans la
cuirasse), le médecin doit savoir qu’il sera souvent investi de cette image-fonction manquante avec
ce que cela présuppose d’anxiété (par insécurité et crainte du jugement-sanction), d’ambivalence
(car ce personnage manquant est à la fois désiré et indésirable), voire de franche hostilité : car de
même que la Loi tout à la fois protège et contraint, le père défend et interdit (il défend et défend
de), et le médecin d’un côté soigne mais de l’autre « ordonne ».
Enfin, dans cette rubrique des « clés psychologiques », rappelons avec J.P. DESCOMBEY que
dans son fonctionnement mental l’alcoolique est apsychognosique, asomatognosique,
anosognosique et athanatognosique, ce qui veut dire qu’il est comme atteint de cécité vis-à-vis de
son corps, de la maladie et vis-à-vis de la mort même. Ceci a une conséquence pratique de taille,
c’est que tout discours visant à lui faire prendre conscience des risques pour lui de sa conduite est
totalement inopérant car il n’arrive pas au destinataire. Au pire, la perspective de la destruction
possible pourrait être comme un appel pour les forces mortifères en œuvre. L’autre conséquence est
que l’un des buts de la thérapie vise justement à permettre au patient d’accéder à la conscience de
sa vie psychique et de celle de son corps.
Le troisième clé est la clé symbolique. Elle est représentée par le fait que l’alcool,
incontestablement, est un signifiant phallique, c'est-à-dire qu’il symbolise à la fois la Force et la
Virilité, c'est-à-dire la Puissance. Et que si cette Puissance doit – chez l’alcoolique – être recherchée à
l’extérieur, c’est bien qu’elle manque à l’intérieur, qu’elle fait défaut. Le soignant le sachant pourra
vérifier au passage si l’épouse du malade est autoritaire, classiquement castratrice, détentrice du
phallus (prenant la place du père manquant) ou plus âgée que son mari (prenant la place de la mère
perdue). Il pourra tout aussi bien et plus simplement se poser qui des deux « porte la culotte ». Il faut
savoir que cette nécessité d’une « reconstruction » phallique chez l’alcoolique est un enjeu crucial de
la réussite thérapeutique.
Ces différentes clés en main doivent permettre au soignant d’avoir l’attitude qui convient avec
le malade alcoolique : faite ainsi d’un subtil mélange de bienveillance chaleureuse et de fermeté non
agressante.
Dr J.P. FRESCO
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