De quel genre êtes-vous : «pro-inné» ou «pro-acquis» ? (1)

2202 Revue Médicale Suisse
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9 novembre 2011
actualité, info
La question des rapports entre lidentité
sexuelle et le sexe biologique nest pas des
plus simples ni des plus jeunes
De quel genre êtes-vous : «pro-inné»
ou «pro-acquis» ? (1)
Sans chauvinisme aucun on peut dire que la
France a un certain chic pour l’organisation
des polémiques. Dans les sphères politiques
et économiques c’est une évidence. Mais on
peut y associer certaines questions désor-
mais rangées au rayon sociétal. La dernière
en date n’est pas sans véhiculer son lot d’in-
compréhensions. Directement barquée de
quelques universités américaines,
souffrant de graves fautes de tra-
duction, mal mise dans des te-
ments mal taillés, elle se présente
fort mal. On parle à son endroit
des gender studies ; c’est tout dire.
Dans l’Hexagone, l’affaire com-
mence à la veille de la rentrée au-
tomnale des classes quand quatre-
vingt députés (bient rejoints par
cent treize sénateurs – soit un tiers
du Sénat) adressent une lettre au
ministre français de l’Education
nationale. Ces élus du peuple de-
mandent de corriger séance te nan-
te les nouveaux manuels scolaires
(ceux des «sciences et vie de la
terre»). Il faut retirer en urgence un
chapitre qui évoque les gender stu-
dies américaines et obtenir que ces
dernières ne puissent faire l’objet
d’un sujet d’épreuve au prochain
baccalauréat.
Que nous disent les sénateurs ai-
guillonnés, en l’espèce, par une sé-
natrice ? «Cette théorie sociolo-
gique et militante qui affirme que l’identi
sexuelle n’est qu’une construction culturelle
n’a pas sa place dans une matière scienti-
fique et va à l’encontre des principes de
neutralité et de liberté de conscience propres
à l’enseignement public, soulignent les si-
gnataires de la lettre au ministre. S’il faut
veiller à l’égalides droits entre hom mes et
femmes et dénoncer la suprématie de l’un
sur l’autre, l’importance des facteurs biolo-
giques ne peut être niée sauf à vouloir bou-
leverser l’anthropologie de notre société en
fragilisant la famille, qui est sa structure de
base, et l’individu.»
Plus prompte l’Eglise avait déjà donné de
la voix. Avant même le part en vacances
le Secrétariat général de l’enseignement ca-
tholique français avait invité les chefs d’éta-
blissements au discernement quant au choix
des manuels des élèves des classes de 1ères.
Ils avaient en effet découvert avec un cer-
tain effroi qu’un chapitre (celui intitulé «de-
venir homme ou femme») «privilégiait le
genre» ; et que ce genre était considéré com-
me une pure construction sociale au détri-
ment de la différence biologique sexuelle. A
cette aune, l’identité masculine ou féminine
ne serait pas une donnée anthropologique
mais autre chose, une sorte d’orientation.
Puis vinrent, à la rescousse, les évêques.
«Les responsables de l’Enseignement catho-
lique sont pleinement dans leur mission
quand ils interpellent ces contenus, écrivit
le porte-parole des évêques de France, dans
l’hebdomadaire Famille Chrétienne. Ce qui
me préoccupe le plus est que l’on distille,
dans les années lycéennes la pensée ne
fait que se forger, un subjectivisme et un re-
lativisme. Sous l’argument que tout serait
culturel, une manière de parler de la sexua-
lité aurait été hégémonique et serait donc,
aujourd’hui, à remplacer par une anthropo-
logie alternative ? Qui dira aux jeunes et aux
adultes que l’être humain a vocation à être
unifié ? A la lumière de notre vie spirituelle,
nous redisons avec Benoît XVI que le mas-
culin et le féminin se révèlent comme faisant
ontologiquement partie de la création».
Le Vatican au secours des embryologistes
et des généticiens ? Inné contre acquis, passe
encore. Mais à ce stade, religieux, l’affaire
devenait un peu trop complexe. Et elle ga-
gnait encore en complexité quand nous ap-
prîmes (grâce à Noémie La Borie sur le site
d’information Slate.fr) que, derrière les faça-
des de circonstance, l’harmonie n’était pas
parfaite dans la chorale chrétienne fraaise.
Pour le dire au plus simple les dissonances
émanaient de «jeunes blogueurs discretou
de «représentants plus âgés d’associations
homosexuelles et féministes qui n’ont pas
pour autant perdu la foi».
Ainsi, l’association FHEDLES (Femmes et
Hommes, Egalité, Droits et Libertés dans les
Eglises et la Société), qui depuis
dix ans, travaille à «l’étude cri-
tique de la construction religieu-
se du genre et de ses modes d’in-
fluence dans la société civile». En
réponse à l’initiative visant à «ré-
viser» le contenu des manuels scolaires
français elle clare : «Nos 80 députés sem-
blent croire que le compor tement "mascu-
lin" ou "féminin" découle en droite ligne de
nos hormones et de la forme de nos organes
génitaux et certainement pas de notre cul-
ture ou d’un rapport de pouvoir. (…) Le
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genre est une catégorie d’analyse qui per-
met de rendre compte des variations, des
enjeux et des modalis de la distinction entre
les sexes, ainsi que de l’organisation sociale
des relations entre les femmes et les hom-
mes. Les analyses de genre sont mises à pro-
fit par le programme officiel pour interroger
les "préjugés" et les "stéréotypes", ce qui est
la base de toute démarche scientifique.
Nous sommes loin de la prétendue idéolo-
gie qui viserait à ce que chacun(e) fasse tout
et n’importe quoi de manière arbitraire
Pour cette association, l’orientation géné-
rale des manuels scolaires est «juste». Il im-
porte selon elle de remettre en question ce
qui est souvent présenté comme un destin
biologique et qui se solde par l’enfermement
des personnes dans les rôles hiérarchisés at-
tribués aux deux sexes. Il ne faudrait d’ail-
leurs plus parler de «théorie du genre» (ex-
pression utilie par les catholiques qui y sont
hostiles) mais de sociologie du genre, d’his-
toire du genre ; nous serions dans la science,
nullement dans l’idéologie. Sans doute fau-
drait-il alors abandonner le vocable d’hypo-
thèse biologique, arme principale des batail-
lons avançant sous les oriflammes des gen-
der studies ?
La question des rapports entre l’identité
sexuelle et le sexe biologique n’est pas des
plus simples ni des plus jeunes. Et ce n’est
sans doute pas faciliter son traitement que
d’y associer des considérations de nature re-
ligieuse sinon théologique, et ce même s’il
est vrai que les religions jouent un rôle insti-
tutionnel majeur en tant que «créatrices de
genre».
On sait que cette question renvoie imman-
quablement à toutes celles, récurrentes, con-
cernant le caractère choisi ou non de l’ho-
mosexualité. l’on observe ainsi la réap-
parition d’une bien robuste et bien belle
controverse : celle qui oppose les tenants de
la prédestination à ceux qui ne jurent, ou
presque, que par le libre arbitre. La méde-
cine est ici directement concernée. Après les
forgeurs de mythes, elle s’est penchée à son
tour sur les brouillards de l’intersexualité.
En quoi la biologie et la génétique molé-
culaire triomphantes peuvent ou non, sur un
tel sujet, éclairer notre gouverne ?
(A suivre)
Jean-Yves Nau
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