actualité, info point de vue De quel genre êtes-vous : «pro-inné» ou «pro-acquis» ? (1) 2202 42_45.indd 1 Ils avaient en effet découvert avec un certain effroi qu’un chapitre (celui intitulé «devenir homme ou femme») «privilégiait le genre» ; et que ce genre était considéré com­ me une pure construction sociale au détriment de la différence biologique sexuelle. A cette aune, l’identité masculine ou féminine ne serait pas une donnée anthropologique © iStockphoto.com/Factoria Singular Sans chauvinisme aucun on peut dire que la France a un certain chic pour l’organisation des polémiques. Dans les sphères politiques et économiques c’est une évidence. Mais on peut y associer certaines questions désormais rangées au rayon sociétal. La dernière en date n’est pas sans véhiculer son lot d’incompréhensions. Directement débarquée de quelques universités américaines, souffrant de graves fautes de traduction, mal mise dans des vêtements mal taillés, elle se présente fort mal. On parle à son endroit des gender studies ; c’est tout dire. Dans l’Hexagone, l’affaire commence à la veille de la rentrée automnale des classes quand quatrevingt députés (bientôt rejoints par cent treize sénateurs – soit un tiers du Sénat) adressent une lettre au ministre français de l’Education nationale. Ces élus du peuple demandent de corriger séance te­nan­ te les nouveaux manuels scolaires (ceux des «sciences et vie de la terre»). Il faut retirer en urgence un chapitre qui évoque les gender stu­ dies américaines et obtenir que ces dernières ne puissent faire l’objet d’un sujet d’épreuve au prochain baccalauréat. Que nous disent les sénateurs aiguillonnés, en l’espèce, par une sénatrice ? «Cette théorie sociologique et militante qui affirme que l’identité sexuelle n’est qu’une construction culturelle n’a pas sa place dans une matière scientifique et va à l’encontre des principes de neutralité et de liberté de conscience propres à l’enseignement public, soulignent les signataires de la lettre au ministre. S’il faut veiller à l’égalité des droits entre hom­mes et femmes et dénoncer la suprématie de l’un sur l’autre, l’importance des facteurs biologiques ne peut être niée sauf à vouloir bouleverser l’anthropologie de notre société en fragilisant la famille, qui est sa structure de base, et l’individu.» Plus prompte l’Eglise avait déjà donné de la voix. Avant même le départ en vacances le Secrétariat général de l’enseignement catholique français avait invité les chefs d’établissements au discernement quant au choix des manuels des élèves des classes de 1ères. logie alternative ? Qui dira aux jeunes et aux adultes que l’être humain a vocation à être unifié ? A la lumière de notre vie spirituelle, nous redisons avec Benoît XVI que le masculin et le féminin se révèlent comme faisant ontologiquement partie de la création». Le Vatican au secours des embryologistes et des généticiens ? Inné contre acquis, passe encore. Mais à ce stade, religieux, l’affaire devenait un peu trop complexe. Et elle gagnait encore en complexité quand nous apprîmes (grâce à Noémie La Borie sur le site d’information Slate.fr) que, derrière les faça­ des de circonstance, l’harmonie n’était pas parfaite dans la chorale chrétienne française. mais autre chose, une sorte d’orientation. Puis vinrent, à la rescousse, les évêques. «Les responsables de l’Enseignement catholique sont pleinement dans leur mission quand ils interpellent ces contenus, écrivit le porte-parole des évêques de France, dans l’hebdomadaire Famille Chrétienne. Ce qui Pour le dire au plus simple les dissonances émanaient de «jeunes blogueurs discrets» ou de «représentants plus âgés d’associations homosexuelles et féministes qui n’ont pas pour autant perdu la foi». Ainsi, l’association FHEDLES (Femmes et Hommes, Egalité, Droits et Libertés dans les Eglises et la Société), qui depuis dix ans, travaille à «l’étude cri… La question des rapports entre l’identité tique de la construction religieu­ sexuelle et le sexe biologique n’est pas des se du genre et de ses modes d’inplus simples ni des plus jeunes … fluence dans la société civile». En réponse à l’initiative visant à «réme préoccupe le plus est que l’on distille, viser» le contenu des manuels scolaires dans les années lycéennes où la pensée ne français elle déclare : «Nos 80 députés semfait que se forger, un subjectivisme et un re- blent croire que le compor­tement "masculativisme. Sous l’argument que tout serait lin" ou "féminin" découle en droite ligne de culturel, une manière de parler de la sexua- nos hormones et de la forme de nos organes lité aurait été hégémonique et serait donc, génitaux et certainement pas de notre cul­ aujourd’hui, à remplacer par une anthropo- ture ou d’un rapport de pouvoir. (…) Le Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 9 novembre 2011 04.11.11 10:55 genre est une catégorie d’analyse qui permet de rendre compte des variations, des enjeux et des modalités de la distinction entre les sexes, ainsi que de l’organisation sociale des relations entre les femmes et les hom­ mes. Les analyses de genre sont mises à profit par le programme officiel pour interroger les "préjugés" et les "stéréotypes", ce qui est la base de toute démarche scientifique. Nous sommes loin de la prétendue idéologie qui viserait à ce que chacun(e) fasse tout et n’importe quoi de manière arbitraire.» Pour cette association, l’orientation générale des manuels scolaires est «juste». Il importe selon elle de remettre en question ce qui est souvent présenté comme un destin biologique et qui se solde par l’enfermement des personnes dans les rôles hiérarchisés attribués aux deux sexes. Il ne faudrait d’ail­ leurs plus parler de «théorie du genre» (expression utilisée par les catholiques qui y sont hostiles) mais de sociologie du genre, d’histoire du genre ; nous serions dans la science, nullement dans l’idéologie. Sans doute faudrait-il alors abandonner le vocable d’hypo­ thèse biologique, arme principale des batail­ lons avançant sous les oriflammes des gen­ der studies ? La question des rapports entre l’identité sexuelle et le sexe biologique n’est pas des plus simples ni des plus jeunes. Et ce n’est sans doute pas faciliter son traitement que d’y associer des considérations de nature religieuse sinon théologique, et ce même s’il est vrai que les religions jouent un rôle institutionnel majeur en tant que «créatrices de genre». On sait que cette question renvoie imman­ quablement à toutes celles, récurrentes, con­ cernant le caractère choisi ou non de l’homosexualité. Où l’on observe ainsi la réapparition d’une bien robuste et bien belle controverse : celle qui oppose les tenants de la prédestination à ceux qui ne jurent, ou presque, que par le libre arbitre. La médecine est ici directement concernée. Après les forgeurs de mythes, elle s’est penchée à son tour sur les brouillards de l’intersexualité. En quoi la biologie et la génétique moléculaire triomphantes peuvent ou non, sur un tel sujet, éclairer notre gouverne ? (A suivre) Jean-Yves Nau [email protected] Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 9 novembre 2011 42_45.indd 2 2203 04.11.11 10:55