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DOSSIER THÉMATIQUE
Neuro-gynécologie
Méningiomes
et hormonodépendance
Meningiomas and hormonal dependency
G. Kaloshi*, P. Ciccarino**, M. Rossetto**, M. Sanson***
Généralités
* Clinique neurochirurgicale, hôpital
Mère-Teresa, Tirana, Albanie.
** Clinique neurochirurgicale, université de Padoue, Italie.
*** Service de neurologie II, hôpital
de la Pitié-Salpêtrière, Paris.
Les méningiomes représentent environ un tiers
des tumeurs intracrâniennes. En réalité, la découverte fortuite, chez le sujet âgé, est une éventualité
fréquente (1 %) qui suggère une incidence beaucoup
plus importante. Les méningiomes sont 2 à 3 fois
plus fréquents chez la femme.
Ils se développent à partir des cellules arachnoïdiennes
des méninges qui entourent le cerveau et la moelle
épinière. Les méningiomes sont classés en 3 grades
suivant la classification OMS : le grade I (bénin, > 90 %
des cas), le grade III (anaplasique, 1 à 3 % des cas), et
le grade II intermédiaire (atypique, 5 à 7 % des cas).
La prévalence féminine est observée uniquement
dans les méningiomes de grade I, les formes méningothéliales, fibroblastiques et transitionnelles constituant les plus fréquentes. En revanche, on observe
une discrète prépondérance masculine dans les
grades II et III.
À côté des rares formes liées à la neurofibromatose de type II et d’exceptionnels cas de méningiomes familiaux, un locus a été identifié sur le
chromosome 10, récemment associé à la survenue
de méningiomes sporadiques (1). Parmi les facteurs de
risque environnementaux, en dehors du rôle possible
des hormones exogènes (cf. infra), le principal facteur
de risque de méningiome est constitué par les radiations ionisantes, notamment chez des patients ayant
été traités dans l’enfance pour une leucémie ou un
médulloblastome.
Sur le plan moléculaire, l’altération la plus fréquente
est l’inactivation du gène NF2, présente dans plus
de la moitié des méningiomes. Le rôle clé de l’inactivation du gène NF2 a été clairement établi dans
la tumorigenèse méningée. Les méningiomes de
grades II et III sont caractérisés par des anomalies
génétiques additionnelles (2).
196 | La Lettre du Neurologue • Vol. XVI - n° 6 - juin 2012 On distingue, sur le plan anatomique, les méningiomes de la convexité et les méningiomes de la
base du crâne, plus difficiles d’accès, mais souvent
aussi d’évolution plus lente, et très rarement de
grade II ou III.
Le traitement repose sur la chirurgie. Le taux de
récidives est étroitement lié au caractère complet de
l’exérèse et au grade histologique de la tumeur. La
radiothérapie est indiquée en cas de tumeur évolutive
et de localisation inaccessible, ou incomplètement
accessible à la chirurgie. À l’heure actuelle, aucun
traitement médical n’a réellement fait la preuve de
son efficacité, en dehors de cas isolés, qu’il s’agisse
de la chimiothérapie (hydroxyurée notamment), des
antiangiogéniques (bévacizumab) dans les grades II
et III, ou des traitements hormonaux (cf. infra) dans
les grades I.
Récepteurs hormonaux
dans les méningiomes
L’hormonodépendance des méningiomes est d’abord
suggérée par des observations cliniques : prévalence
plus importante chez la femme, accélération de la croissance observée pendant la grossesse ou la deuxième
phase du cycle, association, encore controversée, entre
méningiome et cancer du sein. Ces données suggèrent
avant tout une dépendance à la progestérone.
La présence de récepteurs de la progestérone a en
effet été rapportée dans les méningiomes dès les
années 1980 (3) et apparaît plus fréquente chez la
femme (80 %) que chez l’homme (40 %). Le taux,
élevé dans la majorité des méningiomes de grade I,
notamment le sous-type méningothélial, est inversement corrélé au grade, et les méningiomes de
grades II et III sont habituellement dépourvus de
récepteurs à la progestérone.
Points forts
»» La prédominance des méningiomes chez les femmes, l’accélération rapportée pendant la grossesse,
l’association entre méningiome et cancer du sein suggèrent que les hormones stéroïdes, notamment les
progestatifs, jouent un rôle dans la croissance des méningiomes.
»» De nombreuses études ont été réalisées in vitro avec des résultats souvent contradictoires. Bien que
la majorité des méningiomes expriment les récepteurs à la progestérone, seul un petit nombre semble
répondre à un traitement antiprogestatif.
»» Le rôle de la contraception estroprogestative et du traitement hormonal substitutif demeure controversé
suivant les études. Cependant, ils pourraient être associés à une augmentation du risque de développe‑
ment de méningiomes.
La localisation nucléaire suggère dans la majorité
des cas que ces récepteurs sont fonctionnels. Des
études pré­cliniques, effectuées sur des cellules en
culture et sur la xénogreffe de souris, suggèrent, en
dépit de quelques résultats contradictoires, que la
progesté­rone stimule la croissance des méningiomes
et que les antagonistes (notamment la mifépristone)
bloquent la croissance (2).
Le rôle des récepteurs aux estrogènes et aux
androgènes est beaucoup moins bien établi : ils
sont retrouvés dans moins de la moitié des cas, à
un taux faible. D’ailleurs, le traitement des méningiomes par tamoxifène n’a donné lieu à aucun
résultat probant. En dehors des récepteurs aux
stéroïdes, les méningiomes expriment fortement
des récepteurs à la somatostatine : ils peuvent être
mis en évidence par scintigraphie à l’octréotide. En
revanche, leur rôle dans la croissance des méningiomes n’est pas clairement établi. De rares cas de
réponses à l’octréotide ont été rapportés dans la
littérature. Récemment, un essai de phase I a testé
l’octréotide sur 11 patients, et aucune réponse n’a
été observée (4).
Impact de la grossesse
L’aggravation au cours de la grossesse a souvent été
rapportée. Une part de cette aggravation, commune
à toutes les tumeurs, est liée à une augmentation
du compartiment tumoral extracellulaire, réversible
en post-partum. La régression de la taille tumorale
en post-partum peut être aussi due à la baisse du
taux de progestérone (5). En dehors de cet effet
transitoire et réversible, l’impact de la grossesse
sur la croissance du méningiome à moyen et à long
terme n’est pas établi. En effet, la prévalence du
méningiome a été associée au nombre de grossesses
antérieures (6), avec un risque relatif de 1,8 chez les
femmes ayant eu 3 enfants ou plus par rapport aux
nullipares, alors que d’autres études ne trouvent pas
de lien (7), ou même suggèrent au contraire un rôle
protecteur (8).
En conclusion, c’est surtout le risque d’aggravation
en cours de grossesse qui apparaît bien établi ;
l’impact sur l’évolution de la maladie à long terme
n’est en revanche pas démontré. En cas de locali-
sation menaçante et difficilement accessible (fosse
postérieure, trou occipital, apex orbitaire), ce risque
d’aggravation devra être pris en compte, la patiente
sera informée et l’intervention sera discutée avec le
neurochirurgien (9).
Association entre méningiome
et cancer du sein
L’association cancer du sein et méningiome a été
suggérée par plusieurs études (le risque relatif,
respectivement, de cancer du sein chez les patientes
porteuses d’un méningiome, et de méningiome chez
les patientes traitées pour un cancer du sein est de
1,5) [10, 11]. Cette association ne signifie pas pour
autant un lien avec les hormones sexuelles : elle peut
être due à des facteurs environnementaux autres ou
à des facteurs génétiques. Quoi qu’il en soit, il s’agit
d’un risque relatif très faible.
Impact du traitement
estroprogestatif (contraception
orale et traitement hormonal
substitutif)
Mots-clés
Méningiomes
Récepteurs
à la progestérone
Grossesse
Traitement
estroprogestatif
Highlights
»» Higher prevalence in female,
growth acceleration reported
during pregnancy, association
of meningiomas with breast
cancer suggests that steroids,
and particularly progesterone,
may be involved in meningiomas growth.
»» Despite the majority of
meningiomas express progesterone receptors, only a small
percentage respond to antiprogestative therapy.
»» Although it still remains
controversial, estroprogestative
treatment may be associated
with meningioma risk.
Keywords
Meningiomas
Progesterone receptors
Pregnancy
Estroprogestative treatment
Une vaste étude de cohorte suggère un lien, avec
une fréquence de 865 méningiomes pour 100 000
chez les femmes ayant ou ayant eu un traitement
estroprogestatif versus 366 pour 100 000 pour les
femmes non traitées, ce qui correspond à un risque
relatif de 2,2 pour l’ensemble de la population, mais
de 4 pour les femmes de moins de 55 ans (12),
confirmant des études antérieures (7). Toutefois, ce
lien n’est pas retrouvé par d’autres auteurs (13, 14),
certains suggérant même un effet protecteur de la
contraception orale (8).
En dépit de ces discordances, il faut considérer un
traitement contenant des progestatifs comme
pouvant possiblement favoriser la croissance
tumorale. S’il s’agit d’un méningiome opérable et
ayant bénéficié d’une exérèse complète, rien n’interdit
un traitement estroprogestatif (en prévoyant un suivi
radiologique). S’il s’agit d’une tumeur inopérable, et a
fortiori d’une localisation menaçante, tout traitement
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DOSSIER THÉMATIQUE
Neuro-gynécologie
Méningiomes et hormonodépendance
progestatif doit être suspendu. Entre ces 2 situations,
il faudra peser les bénéfices et les risques, et choisir,
le cas échéant, le plus faible dosage en progestatifs.
Conséquence thérapeutique :
traitement des méningiomes
par antiprogestatifs
Bien que la majorité des méningiomes bénins
expriment les récepteurs à la progestérone, l’effet
des antiprogestatifs, suggéré par 2 études en
ouvert (15-17), s’est révélé modeste et n’a pu être
confirmé dans 2 études randomisées menées secondairement (et non publiées), mais cela peut être
expliqué par un manque de puissance de l’étude,
et l’absence de sélection des patients (par exemple,
l’expression d’un taux élevé de récepteur à la
A
B
progestérone semble être une condition nécessaire,
quoique non suffisante). Toutefois, le suivi au long
cours suggère un bénéfice modeste chez 8 patients,
notamment chez les femmes non ménopausées (16).
Par ailleurs, il existe des cas incontestables de
méningiomes qui ont répondu au traitement par
antiprogestatif (mifépristone [17β-hydroxy-11β-(4dimethylaminophenyl)-17α-(prop-1-ynyl)estra-4,9dien-3-one], ou RU486), voire un cas rapporté de
régression d’une méningiomatose après simplement
l’arrêt d’un traitement progestatif (18). De façon
intéressante, c’est également dans le cas d’une méningiomatose que nous avons observé la réponse la plus
nette au RU486 (figure).
Ces cas isolés renforcent la preuve de concept
d’un traitement antiprogestatif des méningiomes.
L’identification des méningiomes dépendant de
la progestérone et candidats à un tel traitement
requiert probablement une analyse biologique plus
fine, prenant en compte des molécules corégulatrices
qui pourraient expliquer l’hétérogénéité de la réponse
aux antiprogestérones (19, 20).
Conclusion
Figure. A. Patiente de 55 ans traitée pour une méningiomatose (convexité et sphénoïdal
gauche). B. Nette diminution de taille des lésions après 9 mois de traitement par la
mifépristone (RU486). La patiente est toujours contrôlée après 6 ans de traitement.
Bien que l’hormonosensibilité des méningiomes et
la présence des récepteurs à la progestérone soient
connues depuis 30 ans, il n’y a pas eu, dans ce
domaine, d’avancées majeures. En effet, l’hétéro­
généité de la réponse aux antiprogestérones est
encore très mal connue. En attendant les progrès à
venir, la prise en charge du méningiome repose sur
la chirurgie et la radiothérapie. Dans l’impossibilité
de prédire l’hormonodépendance d’un méningiome
donné, la poursuite ou l’arrêt d’un traitement estroprogestatif doivent être discutés, au cas par cas, entre
le neurologue et le gynécologue.
■
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