42 | La Lettre du Gynécologue nos 372-373 mai-juin 2012
DOSSIER Neurologie et gynécologie
Généralités
Les méningiomes représentent environ un tiers
des tumeurs intracrâniennes. En réalité, la décou-
verte fortuite, chez le sujet âgé, est une éventualité
fréquente (1 %) qui suggère une incidence beaucoup
plus importante. Les méningiomes sont 2 à 3 fois
plus fréquents chez la femme.
Ils se développent à partir des cellules arachnoï-
diennes des méninges qui entourent le cerveau et
la moelle épinière. Les méningiomes sont classés
en 3 grades suivant la classification OMS : le grade I
(bénin, > 90 % des cas), le grade III (anaplasique, 1 à
3 % des cas), et le grade II intermédiaire (atypique,
5 à 7 % des cas).
La prévalence féminine est observée uniquement
dans les méningiomes de grade I, les formes méningo-
théliales, fibroblastiques et transitionnelles consti-
tuant les plus fréquentes. En revanche, on observe
une discrète prépondérance masculine dans les
grades II et III.
À côté des rares formes liées à la neurofibromatose
de type II et d’exceptionnels cas de méningiomes
familiaux, un locus a été identifié sur le chromo-
some 10, récemment associé à la survenue de ménin-
giomes sporadiques (1). Parmi les facteurs de risque
environnementaux, en dehors du rôle possible des
hormones exogènes (cf. infra), le principal facteur
de risque de méningiome est constitué par les radia-
tions ionisantes, notamment chez des patients ayant
été traités dans l’enfance pour une leucémie ou un
médulloblastome.
Sur le plan moléculaire, l’altération la plus fréquente
est l’inactivation du gène NF2, présente dans plus
de la moitié des méningiomes. Le rôle clé de l’inac-
tivation du gène NF2 a été clairement établi dans
la tumorigenèse méningée. Les méningiomes de
grades II et III sont caractérisés par des anomalies
génétiques additionnelles (2).
On distingue, sur le plan anatomique, les ménin-
giomes de la convexité et les méningiomes de la
base du crâne, plus difficiles d’accès, mais souvent
aussi d’évolution plus lente, et très rarement de
grade II ou III.
Le traitement repose sur la chirurgie. Le taux de
récidives est étroitement lié au caractère complet de
l’exérèse et au grade histologique de la tumeur. La
radiothérapie est indiquée en cas de tumeur évolutive
et de localisation inaccessible, ou incomplètement
accessible à la chirurgie. À l’heure actuelle, aucun
traitement médical n’a réellement fait la preuve de
son efficacité, en dehors de cas isolés, qu’il s’agisse
de la chimiothérapie (hydroxyurée notamment), des
antiangiogéniques (bévacizumab) dans les grades II
et III, ou des traitements hormonaux (cf. infra) dans
les grades I.
Récepteurs hormonaux
dans les méningiomes
L’hormonodépendance des méningiomes est d’abord
suggérée par des observations cliniques : préva-
lence plus importante chez la femme, accélération
de la croissance observée pendant la grossesse ou
la deuxième phase du cycle, association, encore
controversée, entre méningiome et cancer du sein.
Ces données suggèrent avant tout une dépendance
à la progestérone.
La présence de récepteurs de la progestérone a en
effet été rapportée dans les méningiomes dès les
années 1980 (3) et apparaît plus fréquente chez la
femme (80 %) que chez l’homme (40 %). Le taux,
élevé dans la majorité des méningiomes de grade I,
notamment le sous-type méningothélial, est inverse-
ment corrélé au grade, et les méningiomes de grades
II et III sont habituellement dépourvus de récepteurs
à la progestérone.
Méningiomes
et hormonodépendance
Meningiomas and hormonal dependency
Gentian Kaloshi*, Pietro Ciccarino**, Marta Rossetto**, Marc Sanson***
* Clinique neurochirurgicale, hôpital
Mère-Teresa, Tirana, Albanie.
** Clinique neurochirurgicale,
université de Padoue, Italie.
*** Service de neurologie II, hôpital
de la Pitié-Salpêtrière, Paris.
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Points forts
»
La prédominance des méningiomes chez les femmes, l’accélération rapportée pendant la grossesse,
l’association entre méningiome et cancer du sein suggèrent que les hormones stéroïdes, notamment les
progestatifs, jouent un rôle dans la croissance des méningiomes.
»
De nombreuses études ont été réalisées in vitro avec des résultats souvent contradictoires. Bien que la
majorité des méningiomes expriment les récepteurs à la progestérone, seul un petit nombre semble répondre
à un traitement antiprogestatif.
»
Le rôle de la contraception estroprogestative et du traitement hormonal substitutif demeure controversé
suivant les études. Cependant, ils pourraient être associés à une augmentation du risque de développement
de méningiomes.
Mots-clés
Méningiomes
Récepteurs à la
progestérone
Grossesse
Traitement
estroprogestatif
Highlights
»
Higher prevalence in female,
growth acceleration reported
during pregnancy, association
of meningiomas with breast
cancer suggests that steroids,
and particularly progesterone,
may be involved in menin-
giomas growth.
»
Despite the majority of
meningiomas express proges-
terone receptors, only a small
percentage respond to antipro-
gestative therapy.
»
Although it still remains
controversial, estroprogestative
treatment may be associated
with meningioma risk.
Keywords
Meningiomas
Progesterone receptors
Pregnancy
Estroprogestative treatment
La localisation nucléaire suggère dans la majorité
des cas que ces récepteurs sont fonctionnels. Des
études pré cliniques, effectuées sur des cellules en
culture et sur la xénogreffe de souris, suggèrent, en
dépit de quelques résultats contradictoires, que la
progesté rone stimule la croissance des méningiomes
et que les antagonistes (notamment la mifépristone)
bloquent la croissance (2).
Le rôle des récepteurs aux estrogènes et aux andro-
gènes est beaucoup moins bien établi : ils sont
retrouvés dans moins de la moitié des cas, à un taux
faible. D’ailleurs, le traitement des méningiomes par
tamoxifène n’a donné lieu à aucun résultat probant.
En dehors des récepteurs aux stéroïdes, les ménin-
giomes expriment fortement des récepteurs à la
somatostatine : ils peuvent être mis en évidence par
scintigraphie à l’octréotide. En revanche, leur rôle
dans la croissance des méningiomes nest pas claire-
ment établi. De rares cas de réponses à l’octréotide
ont été rapportés dans la littérature. Récemment, un
essai de phase I a testé l’octréotide sur 11 patients,
et aucune réponse n’a été observée (4).
Impact de la grossesse
Laggravation au cours de la grossesse a souvent été
rapportée. Une part de cette aggravation, commune
à toutes les tumeurs, est liée à une augmentation
du compartiment tumoral extracellulaire, réversible
en post-partum. La régression de la taille tumorale
en post-partum peut être aussi due à la baisse du
taux de progestérone (5). En dehors de cet effet
transitoire et réversible, l’impact de la grossesse
sur la croissance du méningiome à moyen et à long
terme n’est pas établi. En effet, la prévalence du
méningiome a été associée au nombre de grossesses
antérieures (6), avec un risque relatif de 1,8 chez les
femmes ayant eu 3 enfants ou plus par rapport aux
nullipares, alors que d’autres études ne trouvent pas
de lien (7), ou même suggèrent au contraire un rôle
protecteur (8).
En conclusion, c’est surtout le risque d’aggrava-
tion en cours de grossesse qui apparaît bien établi ;
l’impact sur l’évolution de la maladie à long terme
n’est en revanche pas démontré. En cas de locali-
sation menaçante et difficilement accessible (fosse
postérieure, trou occipital, apex orbitaire), ce risque
d’aggravation devra être pris en compte, la patiente
sera informée et l’intervention sera discutée avec le
neurochirurgien (9).
Association entre méningiome
et cancer du sein
L’association cancer du sein et méningiome a été
suggérée par plusieurs études (le risque relatif,
respectivement, de cancer du sein chez les patientes
porteuses d’un méningiome, et de méningiome chez
les patientes traitées pour un cancer du sein est de
1,5) [10, 11]. Cette association ne signifie pas pour
autant un lien avec les hormones sexuelles : elle peut
être due à des facteurs environnementaux autres ou
à des facteurs génétiques. Quoi qu’il en soit, il s’agit
d’un risque relatif très faible.
Impact du traitement
estroprogestatif (contraception
orale et traitement hormonal
substitutif)
Une vaste étude de cohorte suggère un lien, avec
une fréquence de 865 méningiomes pour 100 000
chez les femmes ayant ou ayant eu un traitement
estroprogestatif versus 366 pour 100 000 pour les
femmes non traitées, ce qui correspond à un risque
relatif de 2,2 pour l’ensemble de la population, mais
de 4 pour les femmes de moins de 55 ans (12),
confirmant des études antérieures (7). Toutefois, ce
lien n’est pas retrouvé par d’autres auteurs (13, 14),
certains suggérant même un effet protecteur de la
contraception orale (8).
En dépit de ces discordances, il faut considérer un trai-
tement contenant des progestatifs comme pouvant
possiblement favoriser la croissance tumorale. S’il
s’agit d’un méningiome opérable et ayant bénéficié
d’une exérèse complète, rien n’interdit un traitement
estroprogestatif (en prévoyant un suivi radiologique).
S’il s’agit d’une tumeur inopérable, et a fortiori d’une
localisation menaçante, tout traitement progestatif
doit être suspendu. Entre ces 2 situations, il faudra
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DOSSIER Neurologie et gynécologie
peser les bénéfices et les risques, et choisir, le cas
échéant, le plus faible dosage en progestatifs.
Conséquence thérapeutique :
traitement des méningiomes
par antiprogestatifs
Bien que la majorité des méningiomes bénins expri-
ment les récepteurs à la progestérone, l’effet des anti-
progestatifs, suggéré par 2 études en ouvert (15-17),
s’est révélé modeste et n’a pu être confirmé dans 2
études randomisées menées secondairement (et non
publiées), mais cela peut être expliqué par un manque
de puissance de l’étude, et l’absence de sélection des
patients (par exemple, l’expression d’un taux élevé de
récepteur à la progestérone semble être une condi-
tion nécessaire, quoique non suffisante). Toutefois, le
suivi au long cours suggère un bénéfice modeste chez
8 patients, notamment chez les femmes non méno-
pausées (16). Par ailleurs, il existe des cas incontes-
tables de méningiomes qui ont répondu au traitement
par antiprogestatif (mifépristone [17β-hydroxy-11β-
(4-dimethylaminophenyl)-17α-(prop-1-ynyl)estra-
4,9-dien-3-one], ou RU486), voire un cas rapporté de
régression d’une méningiomatose après simplement
l’arrêt d’un traitement progestatif (18). De façon inté-
ressante, c’est également dans le cas d’une ménin-
giomatose que nous avons observé la réponse la plus
nette au RU486 (figure).
Ces cas isolés renforcent la preuve de concept
d’un traitement antiprogestatif des méningiomes.
L’identification des méningiomes dépendant de
la progestérone et candidats à un tel traitement
requiert probablement une analyse biologique plus
fine, prenant en compte des molécules corégulatrices
qui pourraient expliquer l’hétérogénéité de la réponse
aux antiprogestérones (19, 20).
Conclusion
Bien que l’hormonosensibilité des méningiomes
et la présence des récepteurs à la progestérone
soient connues depuis 30 ans, il n’y a pas eu, dans
ce domaine, d’avancées majeures. En effet, l’hété-
rogénéité de la réponse aux antiprogestérones est
encore très mal connue. En attendant les progrès à
venir, la prise en charge du méningiome repose sur
la chirurgie et la radiothérapie. Dans l’impossibilité
de prédire l’hormonodépendance d’un méningiome
donné, la poursuite ou l’arrêt d’un traitement estro-
progestatif doivent être discutés, au cas par cas, entre
le neurologue et le gynécologue.
Figure. A. Patiente de 55 ans traitée pour une méningiomatose (convexité et sphénoïdal gauche). B. Nette diminution de taille des lésions
après 9 mois de traitement par la mifépristone (RU486). La patiente est toujours contrôlée après 6 ans de traitement.
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DOSSIER
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