L ETHNIE
sont complémentaires et Lévi-Strauss a pu dire que la première étudiait
les sociétés autres dans le temps, la seconde les sociétés autres dans
l'espace. On ne peut que se réjouir de voir des historiens professionnels
se joindre aujourd'hui aux anthropologues sur des terrains exotiques en
utilisant les mêmes méthodes qu'eux. Inversement, on ne peut que se
féliciter de voir l'anthropologue Michel Izard, se passionner pour la
formation historique d'un royaume africain — celui du Yatenga au
Burkina Faso — pour mieux en saisir le fonctionnement et l'idéologie.
Réconcilier l'histoire et l'anthropologie, telle est bien, me semble-t-il, la
seule façon d'empêcher celle-ci de dépérir et celle-là de sombrer dans
l'historicisme, comme le fait trop souvent l'ethnohistoire. Écoutons une
historienne de l'Antiquité, Nicole Loraux : « ...si l'anthropologue pâtit
d'éviter l'événement, il n'est pas d'événement que l'historien puisse
traiter en lui-même, sans l'ouvrir sur la temporalité latente des réseaux
de signification qui lui donnent son sens » (Loraux, 1996).
Mais, ignorant ces considérations, Catherine Coquery-Vidrovitch
vient de dénoncer en termes virulents, au nom d'une certaine vision
« historique » des sociétés humaines « l'impasse anthropologique ». Elle
félicite une nouvelle génération de chercheurs d'avoir renoncé à
« l'intelligence conceptuelle des systèmes sociaux » (Coquery
Vidrovitch, 1996). Ce n'est là, souhaitons-le, qu'une situation provisoire,
qui traduit peut-être davantage les hésitations d'un certain nombre
de projets actuels qualifiés un peu hâtivement d'anthropologiques. Il
faut évoquer ici l'abandon généralisé des terrains lointains au profit
d'une micro-ethnographie des villes, villages ou régions de la civilisation
occidentale, conduite, non sans hésitation, sur le terrain traditionnelle
ment dévolu aux sociologues, eux-mêmes fort désorientés, oscillant
entre Dürkheim, Marx et Weber. Catherine Coquery-Vidrovitch a beau
jeu dès lors de proclamer la fin de l'anthropologie puisque bien des
chercheurs français, à la recherche d'un terrain à la fois quelconque et
original ne savent plus très bien ce qu'ils vont faire de la discipline que
Marcel Mauss leur a léguée. Mais lorsque ces recherches nouvelles sont
menées dans un village de Bourgogne avec la rigueur de l'anthropologie
classique par Yvonne Verdier, Françoise Zonabend, Tina Jolas et
Marie-Claire Pingaud, elles débouchent sur des œuvres majeures qui
s'inscrivent dans la lignée des grandes monographies africanistes.
Ce détour polémique ne nous a pas éloignés autant qu'il peut le
paraître du problème de l'ethnie. Car, au moment même où les mass
media font un usage abondant — et excessif — du terme à propos de nos
propres sociétés européennes, voilà l'ethnie présentée par des spécialis
tes comme le faux objet d'une fausse science. Catherine Coquery
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