Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n
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4 - oct.-nov.-déc. 2005
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Proches et différentes, les ethnies
Vocabulaire
E
thnie,mot aujourd’hui indispensable,
est la francisation tardive, à la fin du
XIX
e
siècle, du grec ethnos. Ce dernier était
vivant en français, depuis le Moyen Âge,
sous la forme de l’adjectif alors écrit
etnique,dont le sens est pour nous inatten-
du. Au XIII
e
siècle, comme en latin chré-
tien, les “ethniques”, ce sont les païens,
c’est-à-dire les peuples, les groupes dis-
tincts des Hébreux. Cet usage n’est pas si
différent de celui du mot anglais ethnic.
E
thnos,c’est la “nation”, le groupe
humain qui descend et “naît” d’une origine
commune, le groupe humain doté d’une
existence autonome. Tel est le sens de la
racine indo-européenne qui a fourni, outre
le grec ethnos,le mot êthos,“la manière
d’être, le caractère individuel ou collectif”,
ce qui conduit à l’éthique,dont l’équivalent
latin est la morale.
L
e mot grec – et le vocable français eth-
nique – ont fait des petits lorsqu’on s’est
intéressé de près aux sociétés humaines : le
mot ethnologie est signalé en Suisse en 1787, ethnographie suit d’assez près et,
au XX
e
siècle, on ne compte plus les noms de disciplines qui se réfèrent aux
ensembles humains considérés comme homogènes et à leurs cultures.
E
thnie lui-même apparaît dans l’étude des langues et des civilisations. Sa valeur
moderne se construit par contraste avec les données biologiques de l’anthropolo-
gie physique, qui sont considérées, au XIX
e
siècle et au début du XX
e
siècle,
comme des repères servant à définir cette entité génétique en partie fictive, par
détournement de sens d’un vocable ancien qui signifiait tout autre chose, la race.
Discrédité par des emplois idéologiques qui ont abouti à une monstruosité, le
racisme, le mot race ainsi interprété devait être éliminé et remplacé. Ethnie, sou-
tenu par l’existence d’une science respectable, l’ethnologie, fait l’affaire, encore
qu’il donne une réalité un peu trop substantielle à ce qu’on appelle mieux le
“groupe ethnique”.
E
n dehors de l’anthropologie culturelle, de la linguistique ou de la sociologie, le
concept d’”ethnie” s’impose pour la description des variétés de l’espèce humaine,
pour l’analyse des différences, qu’elles soient culturelles ou physiologiques et
fonctionnelles, et pour la pratique des interactions, quelles qu’elles soient.
C
e mot nous suggère que l’autonomie, la spécificité qu’il signale sont faites pour
être transcendées. C’est même le début de tout humanisme.
Alain Rey,
directeur de rédaction du Robert, Paris