Université de Bourgogne Licence de Mathématiques Département de Mathématiques Compléments d’analyse Chapitre 8: Equations différentielles 1. Le théorème de Cauchy-Lipschitz Soit U un ouvert de R × Rn et (t0 , x0 ) un point de U . Une équation différentielle est une équation de la forme: ( y 0 = f (t, y) (1) y(t0 ) = x0 où f est une application continue de U dans Rn . (t0 , x0 ) s’appelle la condition initiale, une solution est une application dérivable ϕ : I −→ Rn telle que pour tout t de I, (t, ϕ(t)) appartienne à U et ( ϕ0 (t) = f (t, ϕ(t)) ϕ(t0 ) = x0 . Une solution est donc une fonction, c’est à dire un objet beaucoup plus complexe qu’un nombre. Nous nous restreignons aux équations du premier ordre, car les équations d’ordre plus élevé se ramène à des équations du premier ordre par une transformation bien connue. En effet l’équation: y (m) = f (t, y, y 0 , . . . , y (m−1) ) se transforme en posant Y = y y0 .. . y0 y 00 Y0 = .. . , y (m) y (m−1) en Y 0 = F (t, Y ) avec: y0 .. . F (t, Y ) = (m−1) y f (t, y, . . . , y (m−1) ) Les conditions initiales se lisent y(t0 ) = x0 , . . . , y (m−1) x0 x1 Y (t0 ) = ... = xm−1 ou xm−1 1 . . Enfin, dans un premier temps, on pourra se restreindre au cas n = 1, si on veut. Définition (Fonction localement lipschitzienne) On fixe une norme k k sur Rn . Une fonction f définie sur un ouvert U de R × Rn est dite lipschitzienne par rapport à sa deuxième variable si il existe C > 0 tel que pour tout (t, x) et tout (t, y) de U , on a: kf (t, x) − f (t, y)k ≤ Ckx − yk. Une fonction f définie sur U est dite localement lipschitzienne par rapport à sa deuxième variable si pour tout (t0 , x0 ) de U , il existe a, b et C positifs tels que Q = [t0 − a, t0 + a] × B(x0 , b) ⊂ U et pour tout (t, x) et tout (t, y) de Q, on a: kf (t, x) − f (t, y)k ≤ Ckx − yk. Il est clair que si la fonction f est de classe C 1 , elle est localement lipschitzienne, de même si f est continue et x 7→ f (t, x) est linéaire, f est localement lipschitzienne. Théorème de Cauchy-Lipschitz (Existence de solution locale) On suppose que f est continue et localement lipschitzienne par rapport à sa seconde variable. On garde les notations ci-dessus. Soit M > 0 tel que: kf (t, x)k ≤ M, ∀(t, x) ∈ Q = [t0 − a, t0 + a] × B(x0 , b) ⊂ U, b soit T = inf(a, M ). Alors l’équation (1) a une solution et une seule ϕ sur [t0 − T, t0 + T ]. Preuve Quitte à poser t = t0 + s et x = x0 + y, on peut supposer t0 = 0 et x0 = 0, donc Q = [−a, a] × B(0, b) ⊂ U et notre équation est: ( y 0 = f (t, y) (2) y(0) = 0 Alors, ϕ est solution si et seulement si, pour tout t ∈ [−T, T ], Z ϕ(t) = t f (s, ϕ(s)) ds. 0 Cette équation est de la forme ϕ = A(ϕ). On la résout par la méthode des approximations successives, c’est à dire on pose: Z t ϕ0 (t) = 0, ϕk+1 (t) = f (s, ϕk (s)) ds. 0 Nos hypothèses impliquent kϕk (s)k ≤ b et: Z t Z t kϕk+1 (t)k = f (s, ϕk (s)) ds ≤ kf (s, ϕk (s))k ds ≤ |t|M ≤ b. 0 0 2 Donc ϕk+2 (t) est bien défini et on peut construire la suite (ϕk ) par récurrence. Montrons par récurrence que, pour tout k ≥ 1, kϕk (t) − ϕk−1 (t)k ≤ M C k−1 |t|k . k! On vient de le prouver si k = 1. Si c’est vrai en k − 1, si t ≥ 0, t Z kf (s, ϕk−1 (s)) − f (s, ϕk−2 (s))k ds kϕk (t) − ϕk−1 (t)k ≤ 0 t Z Ckϕk−1 (s) − ϕk−2 (s)k ds ≤ 0 t Z ≤ M 0 C k−1 sk−1 C k−1 tk ds = M . (k − 1)! k! Le cas t ≤ 0 se traite de la même façon et est laissé en exercice. On a donc pour tout k, une fonction ϕk telle que pour tout t de [−T, T ], kϕk (t) − ϕk−1 (t)k ≤ ϕk (t) ∈ B(0, b), Posons kψk∞ = sup M (CT )k . C k! kψ(t)k. On a pour tout K, pour tout k ≥ K tout `, t∈[−T,T ] kϕk+` − ϕk k∞ k+` M M X (CT )j < ≤ C j! C j=k+1 ∞ X (CT )j M = RK j! C j=K+1 où RK est le reste d’ordre K de la série convergente eCT = ∀k, ∀ε > 0, ∃K tel que P (CT )j j! . Ce reste tend vers 0, donc: k≥K =⇒ kϕk+` − ϕk k∞ < ε. ∀` La suite (ϕk ) est de Cauchy dans l’espace de Banach des fonctions ψ continues sur [−T, T ], à valeurs dans Rn . La suite (ϕk ) converge donc vers une fonction ϕ. Comme on a kϕk k∞ ≤ b, l’image de ϕ est dans B(0, b). Avec l’inégalité ci-dessus, on a pour tout s de [−T, T ], k ≥ K =⇒ kϕk (s) − ϕ(s)k ≤ ε =⇒ kf (s, ϕk (s)) − f (s, ϕ(s))k ≤ Cε. Donc, pour tout ε > 0 et tout t de [−T, T ], Z t ϕ(t) − < (T C + 1)ε. f (s, ϕ(s)) ds 0 On a donc: Z ϕ(t) = t f (s, ϕ(s)) ds 0 3 et ϕ est solution de (2) sur [−T, T ]. Montrons l’unicité de la solution. Soit ψ une autre solution de (2). Posons Z t kψ(s) − ϕ(s)k ds. g(t) = 0 g est une fonction de classe C 1 sur [−T, T ]. Soit h(t) = e−C|t| g(t). h est de classe C 1 sur [0, T ], positive ou nulle et s’annule en 0. Si t ≥ 0 sa dérivée est: Z t kψ(s) − ϕ(s)k ds + kψ(t) − ϕ(t)k . h0 (t) = e−Ct −C 0 Mais on a aussi: Z t Z t kf (s, ψ(s)) − f (s, ϕ(s))k ds f (s, ψ(s)) − f (s, ϕ(s)) ds kψ(t) − ϕ(t)k = ≤ 0 0 Z t ≤C kψ(s) − ϕ(s)k ds. 0 Ou h0 (t) ≤ 0 sur [0, T ], h décroı̂t, h(t) ≤ h(0) = 0, ou h(t) = 0, g(t) = 0, ψ(t) = ϕ(t). h est de classe C 1 sur [−T, 0], négative ou nulle et s’annule en 0. Si t ≤ 0 la dérivée de h est: Z t h0 (t) = eCt C kψ(s) − ϕ(s)k ds + kψ(t) − ϕ(t)k . 0 Mais on a aussi: Z t Z 0 kψ(t) − ϕ(t)k = f (s, ψ(s)) − f (s, ϕ(s)) ds kf (s, ψ(s)) − f (s, ϕ(s))k ds ≤ 0 t Z 0 ≤C kψ(s) − ϕ(s)k ds. t La dérivée de h est donc encore négative, h est nulle sur [−T, 0], ψ = ϕ. Remarques En général, on a T < a : notre théorème ne donne qu’une solution locale, on ne peut pas espérer un théorème donnant une solution globale (sur [−a, a]) sans des hypothèses beaucoup plus fortes. Par exemple on prend U = R × R, f (t, x) = x2 , t0 = 0, x0 = 1. Nous sommes dans les hypothèses du théorème pour tout segment [−a, a]. Cherchons les solutions ϕ de y 0 = y 2 , Tant que ϕ(t) > 0, l’équation est équivalente 0 ϕ0 (t) 1 1= 2 =− (t). ϕ (t) ϕ Soit 1 1 1 − = −1=− ϕ(t) ϕ(0) ϕ(t) Z t ds = −t, 0 ϕ(t) = 1 . 1−t On ne peut pas prolonger cette solution au delà de t = 1, autrement dit on ne peut pas avoir de théorème sur [−T, T ] avec T ≥ 1. Par exemple, on peut prendre a = 10, b = 1, alors M = 4, T = 14 dans notre théorème. 4 La condition ’f localement lipschitzienne’ est nécessaire pour l’unicité de la solution comme le montre l’exemple du problème de Cauchy: ( p y 0 = 2 |y| (∗) y(0) = 0 Alors pour tout λ > 0, la fonction ϕλ définie sur R par ( (t − λ)2 , t ≥ λ ϕλ (t) = 0, t < λ est solution de (∗). 2. Solutions maximales On essaie maintenant de ‘tirer’ sur la solution locale trouvée ci-dessus. Dans ce paragraphe, on suppose que f est de classe C 1 , donc localement lipschitzienne par rapport à sa seconde variable en tout point de l’ouvert U sur lequel elle est définie. Lemma (Unicité sur des intervalles) Soient J1 et J2 deux intervalles non réduits à un point tels que J1 ∩ J2 6= ∅ et ϕj : Jj −→ Rn deux solutions de l’équation différentielle y 0 = f (t, y). On suppose qu’il existe t0 ∈ J1 ∩ J2 tels que ϕ1 (t0 ) = ϕ2 (t0 ). Alors, pour tout t de J1 ∩ J2 , ϕ1 (t) = ϕ2 (t). Preuve Par définition l’ensemble A = {t ∈ J1 ∩ J2 ; ϕ1 (t) = ϕ2 (t)} est une partie fermée non vide de l’intervalle J1 ∩ J2 . Mais si t appartient à A et qu’il existe α > 0 tel que [t, t + α] ⊂ J1 ∩ J2 ou [t − α, t] ⊂ J1 ∩ J2 , alors le théorème de Cauchy-Lipschitz nous dit que sur [t, t + T ] (resp. sur [t − T, t]), la solution est unique, donc puisque ϕ1 (t) = ϕ2 (t), on a aussi ϕ1 ((s) = ϕ2 (s) pour tout s de [t, t + T ] ou [t − T, t]. Ceci prouve que t est intérieur à A (étudier à part les cas t intérieur à J1 ∩ J2 et t est une des bornes de J1 ∩ J2 , A est ouvert dans J1 ∩ J2 . Comme J1 ∩ J2 est un intervalle, il est connexe et donc A = J1 ∩ J2 , pour tout t de J1 ∩ J2 , ϕ1 (t) = ϕ2 (t). Maintenant si on pose ( ϕ1 (t) si t ∈ J1 ϕ(t) = ϕ2 (t) si t ∈ J2 , on obtient une fonction bien définie sur tout J1 ∪ J2 , on a (t, ϕ(t)) ∈ U et ϕ0 (t) = f (t, ϕ(t)) pour tout t de J1 ∪ J2 , même si J1 ∩ J2 = {t0 }. On a donc trouvé une solution sur tout J1 ∪ J2 . On définit donc Définition (Solution maximale) Soit y 0 = f (t, y) une équation différentielle avec f : U ⊂ R×Rn −→ Rn de classe C 1 sur l’ouvert U . Une solution ϕ : I −→ Rn de cette équation est dite maximale si on ne peut pas la prolonger, c’est à dire si ψ : I 0 −→ Rn est une autre solution telle que I ⊂ I 0 et ψ|I = ϕ, alors I = I 0 , ϕ = ψ. En fait il existe des solutions maximales. Théorème (Existence et unicité des solutions maximales de condition initiale donnée) Soit (t0 , x0 ) ∈ U . Alors il existe une et une seule solution maximale ϕ : I −→ Rn telle que ϕ(t0 ) = x0 . Cette solution est définie sur un intervalle ouvert. On obtient ainsi toutes les solutions maximales de notre équation. 5 Preuve On considère toutes les solutions ϕj : Jj −→ Rn telles que Jj est un intervalle, t0 ∈ Jj et ϕj (t0S ) = x0 . On sait grâce à messieurs Cauchy et Lipschitz qu’il existe de telles solutions. L’union I = j Jj des intervalles est une union de parties connexes qui ont toutes t0 en commun, c’est un connexe de R, donc un intervalle. D’après le lemme ci-dessus, pour tout j et tout k, on a ϕj (t) = ϕk (t) dès que t ∈ Jj ∩ Jk . Donc, pour tout t de I, on peut poser ϕ(t) = ϕj (t) si t ∈ Jj . Ceci définit ϕ(t) sans ambiguı̈té. Maintenant la fonction est définie sur tout I et le même argument que ci-dessus montre que c’est une solution de l’équation y 0 = f (t, y). Elle vérifie par construction les conditions initiales ϕ(t0 ) = x0 . La solution ϕ : I −→ Rn est maximale puisqu’elle prolonge toutes les solutions ψ telles que ψ(t0 ) = x0 . Si donc ψ est un prolongement de ϕ, on a ψ(t0 ) = x0 et ϕ est un prolongement de ψ, c’est à dire ψ = ϕ. De même ϕ est l’unique solution maximale de condition initiale (t0 , x0 ) puisqu’elle prolonge toutes les solutions ayant ces conditions initiales. Si ψ était une autre solution maximale telle que ψ(t0 ) = x0 , ϕ la prolongerait, donc ϕ = ψ. L’intervalle I est ouvert sinon si b est par exemple sa borne supérieure: I = (a, b], alors on a (b, ϕ(b)) ∈ U , donc par Cauchy-Lipschitz, un petit intervalle ]b − T, b + T [ et une solution θ :]b − T, b + T [−→ Rn telle que θ(b) = ϕ(b). Mais alors on peut prolonger ϕ en une solution sur I∪]b − T, b + T [ et ϕ ne serait plus maximales. On a trouvé toutes les solutions maximales puisque si ψ : I −→ Rn est une telle solution, on fixe t0 ∈ I et on pose x0 = ψ(t0 ). D’après ce que l’on vient de dire, ψ est l’unique solution maximale de conditions initiales (t0 , x0 ). Soit ϕ : I −→ Rn une solution maximale. On note Γ = {(t, ϕ(t)) ; t ∈ I} son graphe. Théorème (Le graphe d’une solution maximale est fermé dans U ) Le graphe Γ est une partie fermée de l’ouvert U ⊂ R × Rn . En particulier si U =]α, β[×Rn et si I =]a, b[, soit b = β, soit b < β et kϕ(t)k → +∞ si t → b, soit a = α, soit a > α et kϕ(t)k → +∞ si t → a. Preuve Supposons que Γ n’est pas fermé dans U . Il existe donc (t, x) ∈ U qui est limite d’une suite de points (tk , ϕ(tk )) de Γ mais qui n’appartient pas à Γ. Supposons que t est dans I, comme ϕ est continue, on aurait alors x = lim ϕ(tk ) = ϕ(t) et (t, x) serait un point de Γ, ce qui est faux. Donc t est une des bornes de I par exemple la borne supérieure. Comme (t, x) appartient à U , on peut trouver a > 0 et b > 0 comme dans la preuve de Cauchy-Lipschitz tels que: Q = [t − 2a, t + 2a] × B(x, 2b) ⊂ U. b Posons comme dans Cauchy-Lipschitz T = inf(a, M ) où M est le sup de kf (s, y)k sur le compact Q. Puisque (tk , ϕ(tk )) tend vers (t, x), pour k assez grand, on a |tk − t| < T et kϕ(tk ) − xk < b. On a alors: Q0 = [tk − a, tk + a] × B(ϕ(tk ), b) ⊂ [t − 2a, t + 2a] × B(x, 2b) ⊂ U et on peut appliquer Cauchy-Lipshitz et trouver une solution ψ sur [tk − T, tk + T ] telle que ψ(tk ) = ϕ(tk ). Mais nos hypothèses entraı̂nent que tK + T > t et donc que J = [tk − T, tk + T ] ∪ I contient strictement I. On a vu que ψ et ϕ coı̈ncidant en tk permettent de définir une solution θ sur tout J, cette solution prolonge strictement ϕ, bref ϕ n’est pas maximale. 6 Notre hypothèse était stupide: Γ est fermé dans U . Dans le cas où U =]α, β[×Rn , si b < β et kϕ(t)k ne tend pas vers l’infini lorsque t tend vers b, on a: ∃C tel que ∀η > 0, ∃t, b − η < t < b et kϕ(t)k ≤ C. On prend une suite ηk = k1 et on construit une suite de tk dans I qui tend vers b et telle que kϕ(tk )k est bornée par C. Puisque B(0, C) est compact, on en extrait une sous-suite tki telle que ϕ(tki ) converge vers x. On est alors dans la même situation que ci-dessus et on arrive par le même argument à la même contradiction. Le cas a > α est semblable. Fin du cours de compléments d’analyse 2007 Bonne chance pour l’examen final ! 7