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publications  d’articles,  etc.),  qui  visent  à  stabiliser  des  énoncés.  L’objectif  est  que  ces 
affirmations, in fine, ne soient plus remises en cause, et passent du statut de controverses à 
celui  de  faits.  Dans  ce  but,  les  acteurs  mobilisent  des  dispositifs  qui,  au  bout  du  compte, 
parviennent  à  occulter  les  processus  par  lesquels  les  situations  ont  été  construites  et  les 
controverses  qui  les  ont  précédées.  Les  énoncés  qui  paraissent  « tenus  pour  acquis »  à  un 
moment donné (Latour et Woolgar, 1979) ont donc en réalité été fabriqués, non pas par l’effet 
de  forces  préexistant  dans  un  champ,  mais  par  le  fait  d’associations  d’acteurs  humains  et     
non–humains  devenues  irréversibles,  cadenassées  comme  des  « boîtes  noires »  (Latour  et 
Woolgar, 1979), au hasard de circonstances et d’incertitudes qui y auront aussi joué une large 
part.  
Hors  du  champ  de  la  sociologie  des  sciences,  la  sociologie  de  la  traduction  permet  de 
penser les logiques d’actions, les réseaux d’acteurs et les jeux de pouvoir qui y ont trouvé de 
nombreux  points  d’application  dans  le  domaine  de  l’innovation,  du  changement,  du 
management et du marketing (Callon, 1986 ; Amblard et al., 1996 ; Barrey, 2004 ; Akrich et 
al.,  2006 ;  Azimont  et  Araujo,  2007 ;  Denis,  2008).  Les  opérations  qui  se  jouent  dans  ces 
différents  domaines  –  scientifique,  politique  ou  gestion  d’entreprise  (Latour,  1990)  –, 
engendrent  des  conflits  et  des  luttes  qui  créent  des  lieux  d’affrontement,  ce  que  Latour  et 
Woolgar (1979, p. 251) nomment un « champ agonistique ». Certains acteurs problématisent 
des situations et y déploient des stratégies pour en enrôler d’autres. Des humains mais aussi 
des  non-humains  –  objets  et  dispositifs  –  sont  assemblés  pour  former  des  réseaux,  des  « 
associologies  »  (Callon  et  Latour,  1981)  engagées  dans  des  opérations  de  persuasion 
rhétorique  (Laufer  et  Paradeise,  1982).  Visant  à  rendre  des  énoncés  crédibles  et  non 
questionnables,  ces  opérations  procèdent  par  traduction,  c’est  à  dire  métaphoriquement  et 
physiquement par un double déplacement des acteurs et du sens. Selon la définition de Latour 
(1989,  p.  284),  parler  de  traduction  signifie  «  à  la  fois  que  l’on  propose  de  nouvelles 
interprétations et que l’on déplace des ensembles ». Plus explicitement encore, les formes par 
lesquelles la traduction opère, permettent de mettre au jour « l’ensemble des négociations, des 
intrigues, des actes de persuasion, des calculs, des violences grâce à quoi un acteur ou une 
force se permet ou se fait attribuer l’autorité de parler ou d’agir au nom d’un autre acteur ou 
d’une autre force » (Callon et Latour, 1981, p.12). Traduire, à la différence d’une conception 
foucaldienne du pouvoir, consiste moins à agir sur les actions des autres en contrôlant leurs 
mouvements  (Foucault,  1982),  qu’à  définir leur  problème,  porter  leur projet,  parler  en  leur 
nom et s’autoriser à dire « nous » pour les représenter.