Choc cardiogénique et arrêt cardiaque : fin du scepticisme

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Éditorial
mt cardio 2005 ; 1 : 205-6
Choc cardiogénique et arrêt cardiaque :
fin du scepticisme thérapeutique ?
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Gilles Montalescot
Institut de cardiologie,
CHU Pitié-Salpêtrière,
47, boulevard de l’Hôpital,
75013 Paris
<[email protected]>
À
côté des causes virales, médicamenteuses et puerpérales de
choc cardiogénique, l’infarctus du
myocarde (IDM) demeure la cause largement prédominante d’incompétence myocardique aiguë : son
diagnostic est en général fait précocement, mais celui de choc trop souvent
tardivement, lorsqu’il est déjà bien
installé. La fréquence de l’arrêt cardiaque ressuscité augmente avec le développement et l’amélioration des systèmes
d’urgences
mobiles,
de
l’éducation du grand public aux
manœuvres de premier secours et de
la vulgarisation de la défibrillation
dans les lieux publics, au moins dans
certains pays (États-Unis en particulier). Dans le cas de l’arrêt cardiaque
ressuscité, c’est le diagnostic d’IDM
qui est souvent trop tardif devant l’absence fréquente de description de
l’événement, d’interrogatoire avec un
électrocardiogramme parfois d’interprétation délicate, aboutissant au bilan angiographique tardif de l’IDM.
Néanmoins, ces deux complications
dramatiques de l’IDM se rejoignent
actuellement devant les nouveaux territoires thérapeutiques qui s’offrent à
elles. La prise de conscience de cette
évolution est nécessaire tant par les
acteurs de la chaîne de soins que par
les autorités de tutelle qui ont l’impératif d’organiser et de rationaliser (sans
rationner) les moyens en question. Les
étapes de la réflexion peuvent suivre
les étapes chronologiques de l’évolution récente et rapide que nous avons
connue dans la prise en charge de
l’infarctus aigu du myocarde.
Au milieu des années 1990, la fibrinolyse par t-PA confirme « l’hypothèse de l’artère ouverte », mais cette
mt cardio, vol. 1, n° 3, mai-juin 2005
époque apparaît désormais comme la
préhistoire du traitement de l’IDM [1].
Depuis lors, 23 essais randomisés ont
établi la supériorité des interventions
percutanées sur la thrombolyse, soulevant alors la question de l’accès aux
nouveaux standards de soins pour la
population [2]. En effet, la majorité
des patients se présentent dans des
structures ne disposant pas du plateau
technique et/ou de l’équipe nécessaire pour effectuer l’angioplastie de
revascularisation. Faut-il alors retransférer ces patients vers une autre structure plus distante disposant de cette
compétence, avec des délais surajoutés de reperfusion de l’artère coupable, reperfusion qui sera complète et
définitive dans 90 % des cas, ou bien
effectuer sur place la thrombolyse
avec une reperfusion immédiate mais
obtenue dans seulement 50 % des cas
et n’évitant pas une coronarographie
pour autant dans les jours qui suivent ? La méta-analyse récente des
6 essais ayant examiné cette question
suggère fortement de transférer ces
patients, avec des délais pouvant atteindre 3 heures dans DANAMI-2 [3].
Néanmoins, le transfert pour angioplastie s’associe à la survenue de
chocs cardiogéniques (2,5 % dans le
bras angioplastie de CAPTIM versus
0 % pour la thrombolyse) et de quelques fibrillations ventriculaires défibrillées. La réalité est aussi que la fibrinolyse demeure la seule alternative
possible dans bon nombre de régions
où le transfert n’est pas envisageable,
mais elle pourrait dans un avenir proche devenir aussi un traitement orphelin de l’angioplastie après l’arrêt prématuré de l’étude ASSENT-4 pour un
excès de mortalité dans le bras throm-
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bolyse et angioplastie associées. La pharmacologie propose les inhibiteurs de GPIIb/IIIa qui, administrés précocement, reperfusent 30 % des artères coronaires (autant
que la streptokinase), protègent le myocarde, ne font pas
courir le risque d’hémorragie intracrânienne et diminuent
les complications dont le choc cardiogénique [4]. Dans
cette quête de la reperfusion la plus efficace et la plus
rapide possible, l’angioplastie « facilitée » par les inhibiteurs de GPIIb/IIIa combinés à une dose réduite de thrombolyse est également en cours d’évaluation (étude FINESSE). Si « l’hypothèse de l’artère ouverte » est devenue
une réalité, les meilleurs moyens pour l’accomplir demeurent un savant mélange de pharmacologie, de techniques
interventionnelles et d’organisation régionale de prise en
charge de la pathologie.
Dans cette organisation, la nécessité de centres régionaux de gros volume aux compétences multiples et à
disponibilité permanente saute aux yeux pour la prise en
charge de cas déjà compliqués, ou potentiellement graves, ou rares. La défaillance hémodynamique du sujet
jeune en est le parfait exemple : tout ne s’arrête pas à la
contre-pulsion intra-aortique ; la revascularisation la plus
complète possible, souvent longue et compliquée, s’impose en un temps où les décisions rapides d’assistance
cardiaque percutanées ou plus généralement chirurgicales doivent être discutées dans les premières heures ; les
orages d’arythmies ventriculaires nécessitent la prise en
charge par un rythmologue ; les complications vitales
pulmonaires, rénales, hémorragiques ou infectieuses nécessitent la disponibilité sur le site des techniques lourdes
de ventilation, dialyse, endoscopies, d’un centre de transfusion, et de l’ensemble des compétences extracardiologiques. L’arrêt cardiaque ressuscité, le plus souvent sur
l’IDM, nécessite également, dès son arrivée en salle de
cathétérisme, la collaboration de l’urgentiste, du réanimateur et du cardiologue interventionnel. Les techniques
d’hypothermie ont montré dans des essais randomisés leur
efficacité pour réduire la mortalité et, plus récemment, la
première étude randomisée dans l’IDM aigu suggère que
les IDM antérieurs pourraient eux aussi en bénéficier [5].
Là encore, cette technique percutanée, disponible dans
quelques centres français dont la Pitié-Salpêtrière, devrait
être disponible pour les patients les plus graves. Il y a une
vraie logique à combiner support hémodynamique et
hypothermie pour les victimes d’arrêt cardiaque et pour
les chocs cardiogéniques les plus sévères, et la recherche
clinique au travers des essais en cours devra répondre à
cette question.
Nous sommes encore loin de voir les victimes d’arrêt
cardiaque et de choc cardiogénique bénéficier des
meilleurs soins ; il faudra pour cela définir, motiver et
équiper les centres devant les accueillir, améliorer la
perception du problème par les premiers acteurs de soins
en charge de ces patients, développer des algorithmes
décisionnels efficaces et économiquement viables et, enfin, lutter contre le scepticisme devant des pathologies à
lourde mortalité malgré l’élargissement des champs thérapeutiques. Aucune de ces missions ne dépend d’études
randomisées. En revanche, il faut espérer que les études
randomisées qui débutent chez l’homme sur la régénération myocardique après infarctus, utilisant les cellules
souches de moelle osseuse ou des facteurs de croissance,
participent à plus d’ambition et d’optimisme quand vient
l’heure des décisions [6]. La régénération myocardique
pourrait devenir le traitement complémentaire de la reperfusion coronaire, quand celle-ci a échoué, est survenue
trop tardivement ou n’a pas eu lieu. Comme le symbole
d’une deuxième chance, de la réversibilité d’une maladie
trop souvent considérée comme irréversible, elle justifie
les efforts qu’il nous reste à produire pour mieux traiter ces
patients.
Références
1. The GUSTO investigators. An international randomized trial comparing four thrombolytic strategies for acute myocardial infarction.
N Engl J Med 1993 ; 329 : 673-82.
2. Keeley EC, Boura JA, Grines CL. Primary angioplasty versus intravenous thrombolytic therapy for acute myocardial infarction. A quantitative review of 23 randomized trials. Lancet 2003 ; 361 : 13-20.
3. Dalby M, Bouzamondo A, Lechat P, Montalescot G. Transfer for
primary angioplasty versus immediate thrombolysis in acute myocardial infarction. A meta-analysis. Circulation 2003 ; 108 : 1809-14.
4. Montalescot G, Barragan P, Wittenberg O, et al., for the ADMIRAL
Investigators. Platelet glycoprotein IIb/IIIa inhibition with coronary
stenting for acute myocardial infarction. N Engl J Med 2001 ; 344 :
1895-903.
5. The hypothermia after cardiac arrest study group. Mild therapeutic
hypothermia to improve the neurologic outcome after cardiac arrest.
N Engl J Med 2002 ; 346 : 549-56.
6. Stamm C, Westphal B, Kleine HD, et al. Autologous bone-marrow
stem-cell transplantation for myocardial regeneration. Lancet 2003 ;
361 : 45-6.
mt cardio, vol. 1, n° 3, mai-juin 2005
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