Ecthyma gangrenosum chez le nourrisson - chu

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Journal de pédiatrie et de puériculture (2014) 27, 41—44
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CAS CLINIQUE
Ecthyma gangrenosum chez le nourrisson :
penser à un déficit immunitaire
Ecthyma gangrenosum in infant: Think about an
immunodeficiency
I. Maaloul a,∗, I. Chabchoub a, L. Gargouri b,
M. Amouri c, C. Regaig a, T. Kamoun a, H. Turki c,
A. Mahfoud b, M. Hachicha a
a
Service de pédiatrie générale, CHU Hédi-Chaker, route El-Ain-Km 0,5, 3029 Sfax, Tunisie
Service d’urgences et réanimation pédiatrique, CHU Hédi-Chaker, route El-Ain-Km 0,5, 3029
Sfax, Tunisie
c
Service de dermatologie, CHU Hédi-Chaker, route El-Ain-Km 0,5, 3029 Sfax, Tunisie
b
Reçu le 29 septembre 2013 ; accepté le 13 novembre 2013
MOTS CLÉS
Introduction
Ecthyma
gangrenosum ;
Enfant ;
Pseudomonas
aeruginosa ;
Déficit immunitaire ;
Insuffisance
hépatique
Les infections cutanées à Pseudomonas aeruginosa surviennent volontiers chez
l’immunodéprimé et peuvent constituer un signe précoce de septicémie au pronostic très
sombre [1]. La forme clinique classique de l’atteinte cutanée est l’ecthyma gangrenosum
[2] pouvant apparaître isolément [3] ou en contexte de septicémie [4]. D’autres formes cliniques sont décrites, dont les lésions bulleuses hémorragiques, les cellulites gangréneuses,
les fascéites nécrosantes, les hypodermites inflammatoires et les folliculites [5,6].
Nous rapportons 2 nourrissons ayant un déficit immunitaire ; congénital dans un cas et
acquis dans l’autre cas, et qui avaient présenté un ecthyma gangrenosum dans le cadre
d’une septicémie avec une évolution fatale.
KEYWORDS
Observations
Ecthyma
gangrenosum;
Child;
Pseudomonas
aeruginosa;
Immunodeficiency;
Liver failure
∗
Cas no 1
Il s’agit d’un nourrisson de sexe masculin, issu de parents consanguins de 2e degré. Il a
présenté des broncho-pneumopathies récidivantes depuis l’âge de 6 mois. Il a été admis à
l’âge de 1 an pour détresse respiratoire aiguë.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (I. Maaloul).
0987-7983/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
http://dx.doi.org/10.1016/j.jpp.2013.11.002
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Figure 1. Lésion ecchymotique faisant 2 cm de grand axe au
niveau du mollet gauche.
À l’admission, il était fébrile 39,5◦ , polypnéique à
45 cycles/minute avec tirage sous-costal. L’auscultation pulmonaire a mis en évidence des râles sibilants et crépitants.
Par ailleurs, l’examen était sans anomalies. À la biologie, il
avait un syndrome inflammatoire biologique avec une hyperleucocytose à 23 000 et une CRP à 90 mg/L. La radiographie
thoracique a montré un aspect de broncho-pneumonie bilatérale. L’évolution sous traitement symptomatique était
marquée par une aggravation rapide avec le recours à la
ventilation artificielle avec apparition de lésions érythémateuses et ecchymotiques (Fig. 1) devenues ultérieurement
ulcéro-nécrotiques (Fig. 2) intéressant le tronc et les
membres inférieurs évoquant un ecthyma gangrenosum.
L’examen bactériologique du prélèvement cutané et trachéal distal était positif à Pseudomonas aeruginosa. Malgré
les mesures de réanimation et une antibiothérapie adaptée (ceftazidime + amikacine), le patient est décédé dans un
tableau de défaillance multi-viscérale secondaire à un état
septicémique réfractaire après trois semaines de ventilation
mécanique.
Figure 2. Lésion ulcéro-nécrotique faisant 4 cm de grand axe
avec apparition d’autres lésions ecchymotiques au niveau du mollet
gauche.
I. Maaloul et al.
Figure 3. Lésion ulcérée creusante au niveau de la face entourée
d’un halo érythémateux.
Devant la notion de broncho-pneumopathies à répétition et l’infection actuelle type ecthyma gangrenosum,
un bilan immunitaire a été effectué confirmant l’absence
de lymphocyte B, avec diminution des différentes classes
d’immunoglobulines plaidant en faveur d’une agammaglobulinémie ou maladie de Bruton.
Cas no 2
Un nourrisson de sexe féminin, issue de parents non consanguins, a été admise à l’âge de 4 mois pour lésions cutanées
ulcérées généralisées avec œdèmes. Dans ses antécédents
familiaux, elle avait six tantes maternelles décédées au bas
âge dans un tableau d’ictère cutanéo-muqueux.
L’histoire de sa maladie remontait à 15 jours avant son
admission marquée par l’apparition de lésions érythémateuses intéressant la face, les membres inférieures, les
fesses. L’évolution était marquée par l’apparition de décollement cutanée avec perte de substance.
À l’admission, elle était fébrile à 38,9◦ , hypotrophe. Elle
avait des œdèmes généralisés avec présence de multiples
ulcérations par endroit creusantes et recouvertes de croûtes
noirâtres associées à de multiples érosions superficielles
entourées d’une bordure cicatricielle siégeant au niveau de
la face (Fig. 3) et des membres inférieurs (Fig. 4).
Figure 4. Multiples ulcérations par endroit creusantes et recouvertes de croûtes noirâtres. Multiples érosions superficielles
entourés d’une bordure cicatricielle.
Ecthyma gangrenosum chez le nourrisson : penser à un déficit immunitaire
Le prélèvement bactériologique au niveau de ces lésions
était positif à Pseudomonas aeruginosa, celui-ci a été isolé
également au niveau des urines.
L’enfant a été mise d’emblée sous ceftazidime + fosfomycine. La numération formule sanguine a
objectivé une anémie à 7,1 g/L, une thrombopénie à
25 000 sans neutropénie. Le bilan hépatique a objectivé une
cytolyse hépatique avec une cholestase biologique et un
TP bas à 40 % non corrigé par l’injection de vitamine K. La
protidémie était basse à 37 g/L. Le nourrisson est décédée
rapidement dans un tableau de défaillance multi-viscérale.
Le bilan immunitaire était normal. La chromatographie des
acides aminés sanguins et organiques urinaires a objectivé
un taux augmenté de succinyl acétone urinaire plaidant en
faveur d’une tyrosinémie de type 1.
Discussion
L’ecthyma gangrenosum (EG) correspond à la manifestation
cutanée la plus classique de l’infection à P. aeruginosa [7],
cependant des lésions identiques à l’EG ont été rapportées
avec d’autres germes : Serratia marcescens, Candida albicans, Staphylococcus aureus [1,2].
L’EG est une dermatose caractérisée par son polymorphisme clinique, elle présente différents aspects variant
selon son stade d’évolution. Il débute par une plaque, une
papule ou une macule, inflammatoire et douloureuse, évoluant d’abord vers une bulle hémorragique, puis vers une
ulcération arrondie, indolore, à centre nécrotique, ou surmontée d’une épaisse croûte noirâtre à bords érythémateux
indurés [8]. Chez l’enfant, il siège préférentiellement dans
la région périnéale (57 %), il peut affecter les extrémités
(30 %), le tronc (6 %) et la face (6 %) [9].
L’EG est habituellement considéré comme la manifestation cutanée d’une infection bactériémique ou non à
P. aeruginosa. Chez l’enfant immunodéprimé, il s’agit plutôt
d’une forme bactériémique dont le pronostic est réservé ; le
taux de mortalité avoisine les 80 % [10]. Dans les formes non
bactériémiques, l’EG peut être l’expression de l’inoculation
du bacille pyocyanique à la peau, de pronostic favorable.
L’EG survient plus fréquemment chez l’immunodéprimé,
cependant il peut survenir chez des enfants immunocompétents [9—11]. Nos 2 observations illustrent bien la forme
septicémique de l’EG sur terrain d’immunodépression ; dans
la première observation, l’EG était révélateur d’un déficit
immunitaire congénital : l’agammaglobulinémie ou maladie de Bruton, de transmission récessive liée à l’X et qui
est définie par l’absence des lymphocytes B et constitue
par conséquent un déficit sévère de l’immunité humorale.
Dans la deuxième observation, il s’agit d’un déficit immunitaire acquis secondaire à l’insuffisance hépato-cellulaire.
En effet, cette dernière est associée à une susceptibilité aux
infections dont l’origine est multifactorielle. L’altération
fonctionnelle de la cellule de Kupffer, majorée par le déficit
en fibronectine, permet un passage systémique de bactéries ou résidus bactériens d’origine digestive. Il s’y associe
une perte des propriétés phagocytaires du polynucléaire
neutrophile, avec déficience de l’opsonisation et chute du
complément sérique. Enfin, l’activité de l’interleukine 2,
indispensable à l’expression des lymphocytes T et B, est
réduite [12].
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Le traitement de l’EG repose sur une antibiothérapie
parentérale précoce et adaptée. En cas de septicémie
à P. aeruginosa, l’association de 2 ou 3 antibiotiques pourrait être nécessaire [3]. Certains auteurs ont souligné
l’intérêt des perfusions d’immunoglobulines humaines en
cas d’agammaglobulinémie et de facteurs de croissance
granulocytaires en cas de neutropénie profonde [3,13]. La
prise en charge peut nécessiter l’intervention du chirurgien
plasticien surtout lorsque la zone de nécrose est étendue
(diamètre supérieur à 10 cm), ou située à proximité des
organes génitaux externes ou la marge anale afin de réaliser une excision avec dérivation des selles et des urines
permettant ainsi une cicatrisation dirigée [14].
Conclusion
L’EG est une affection rare chez l’enfant. Nous soulignons l’intérêt d’une détection précoce des lésions afin de
démarrer rapidement une antibiothérapie adaptée et d’une
exploration de l’immunité même chez des enfants antérieurement sains.
Références
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