Cas clinique De curieuses ulcérations génitales Atypical genital ulcerations Orf • Ecthyma gangrenosum V. Descamps, F. Bouscarat Orf • Ecthyma gangrenosum (Service de dermatologie, hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris) U n jeune patient de 27 ans était venu en consultation pour des lésions génitales évoluant depuis une semaine. Il n’avait aucun antécédent. Il signalait son mariage récent, mais sa jeune épouse ne présentait, selon lui, aucune lésion génitale. Observation L’examen clinique mettait en évidence des lésions nodulaires érosives de 1,5 et 0,8 cm du fourreau de la verge (figure 1). Le reste de l’examen clinique était sans particularité : le patient était apyrétique, en bon état général. Il n’y avait pas d’adénopathie satellite, et l’examen des muqueuses était normal. Devant ces lésions très tumorales, fermes à la palpation et non douloureuses, le diagnostic clinique était hésitant. Parmi les nombreuses hypothèses, la première était infectieuse. La localisation des lésions évoquait une infection sexuellement transmissible. Aucun contage (autre que sa jeune épouse) n’était rapporté. Les chancres syphilitiques semblaient peu probables, car très atypiques par le caractère tumoral des lésions sans adénopathie satellite ; des chancres mous étaient aussi peu vraisemblables, les lésions étant plutôt infiltrées. Un herpès chronique dans une forme tumorale était possible, mais faisant alors redouter une immunodépression sous-jacente. L’hypothèse de 2 botriomycomes ou d’une infection à germe banal à type d’impétigo ou ecthyma semblait peu probable également, le patient ne relatant aucune plaie préexistante. Une origine tumorale (lymphome ou autre tumeur) était possible, mais alors très évolutive car les lésions étaient récentes. Une toxidermie à type d’érythème pigmenté fixe ne correspondait pas à la présentation clinique ; cette hypothèse était écartée, d’autant que le patient ne prenait aucun médicament. Une aphtose tumorale était possible. Il n’y avait aucun antécédent d’aphte buccal ou génital ni aucune manifestation évoquant une maladie de Behçet. Le patient ne signalait aucun antécédent de symptomatologie digestive évocatrice d’une maladie de Crohn. Un Pyoderma gangrenosum ne pouvait être écarté, mais aucune pathologie associée ne pouvait corroborer ce possible diagnostic. Divers prélèvements locaux (cytodiagnostic, culture sur différents milieux à visée bactérienne, recherche de chlamydia par PCR virologique et mycotique) et sanguins (numération sanguine, sérologie VIH, TPHA-VDRL) ont été réalisés. Une biopsie cutanée était réalisée en bordure d’une lésion. Quelques jours plus tard, le patient, inquiet, est revenu consulter avec sa jeune épouse pour recouper ses résultats. L’ensemble des résultats était soit normal, soit négatif. Le résultat histologique de la biopsie cutanée était non spécifique, à type de bourgeon charnu. Le diagnostic restait incertain. Sa jeune épouse montrait alors son index (figure 2), qui présentait une lésion identique à celles observées chez son jeune mari. En fait, cette lésion digitale avait été la première à apparaître, sous la forme d’une pustule évoluant rapidement vers un nodule ulcéré. Elle avait appliqué du nitrate d’argent, qui donnait un aspect noirâtre. On apprenait alors qu’ils étaient musulmans et que ces lésions étaient apparues quelques jours après la fête de l’Aïd. 124 Images en Dermatologie • Vol. VI • no 6 • novembre-décembre 2013 Légendes Figure 1. Deux nodules ulcérés du fourreau de la verge. Figure 2. Nodule ulcéré siégeant sur l’index de la compagne du patient (coloration noire liée à l’application de nitrate d’argent). Cas clinique 1 2 Images en Dermatologie • Vol. VI • no 6 • novembre-décembre 2013 125 Cas clinique Le diagnostic devint alors évident : orf, avec une probable dissémination manuportée au niveau génital. Seule la jeune femme avait participé à la préparation du mouton. Le patient n’avait pas été en contact avec le mouton ni avec les ustensiles ayant servi à la préparation. Discussion L’orf ou Ecthyma contagiosum est une infection cutanée induite par un parapoxvirus épithéliotrope. C’est une zoonose habituellement transmise par les moutons ou les chèvres infectés par un contact direct ou indirect. Ce virus est endémique et de répartition mondiale. On observe cette infection chez les fermiers, les éleveurs, les bouchers, les vétérinaires. Elle apparaît aussi lors de fêtes religieuses comme l’Aïd el-Kébir, au cours de laquelle un mouton est sacrifié ; l’origine de l’animal étant parfois incertaine (différente des filières ovines habituelles, sans passage par les services vétérinaires), la personne en charge du sacrifice peut alors être contaminée. Cette observation est originale car elle évoque une possible transmission interhumaine rarement rapportée. Après une incubation de 2 à 6 jours, la présentation clinique montre généralement une pustule isolée sur les faces d’extension des doigts ou sur le dos de la main. Des lésions multiples sont possibles, pouvant prendre un aspect géant chez le patient immunodéprimé. La ou les lésions cutanées peuvent s’accompagner de signes locaux à type de placard inflammatoire, de lymphangite, d’adénopathie ou de fièvre (représentant un tiers des cas). Cette infection, tout comme l’herpès récurrent, peut se compliquer d’un érythème polymorphe. L’évolution est spontanément favorable en 6 à 12 semaines. Une étude réalisée en Belgique durant 3 ans dans un service de dermatologie à Bruxelles a colligé les cas d’orf de 29 hommes et 15 femmes âgés de 14 à 64 ans (1). Parmi les 44 patients, 42 étaient musulmans. L’orf était associé à diverses complications : érythème polymorphe (7 cas), lymphangite (3 cas), adénopathie axillaire (3 cas), œdème du membre (2 cas), éruption maculopapuleuse généralisée (2 cas) et eczéma de contact à un traitement topique (1 cas). Généralement, ce sont les hommes qui tuent le mouton et sont plus souvent contaminés. Les femmes s’infectent en manipulant la peau ou la viande de l’animal, ou bien au contact du couteau ou des ustensiles utilisés lors du sacrifice rituel. Le diagnostic repose le plus souvent sur l’aspect clinique et sur l’histoire de la maladie. Les diagnostics différentiels sont le nodule du trayeur lié à un autre parapoxvirus, à un botriomycome, ou à un anthrax. Le diagnostic peut être confirmé par l’examen histologique. Une étude en microscopie électronique pourra identifier un virion de type parapoxvirus ; une étude en PCR reste possible pour affirmer le II diagnostic (2). Références bibliographiques V. Descamps déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. 126 1. Ghislain PD, Dinet Y, Delescluse J. Orf en milieu urbain et coutumes religieuses : étude sur 3 ans. Ann Dermatol Venereol 2001;128(8-9):889-92. 2. Al-Salam S, Nowotny N, Sohail MR, Kolodziejek J, Berger TG. Ecthyma contagiosum (orf): report of a human case from the United Arab Emirates and review of the literature. J Cutan Pathol 2008;35(6):603-7. Images en Dermatologie • Vol. VI • no 6 • novembre-décembre 2013