AVANT PROPOS Les travaux scientifiques réunis dans ce volume

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AVANT PROPOS
Les travaux scientifiques réunis dans ce volume portent sur les
processus de médiation et d’interaction entre les activités cognitives et
les émotions déclenchées par différentes situations ou conditions de vie.
Il s’agit d’un champ de recherche d’une actualité incontournable dont
l’intérêt théorique et pratique dépasse le domaine de la Psychologie
pour se situer à un niveau interdisciplinaire. En effet, au-delà des études
centrés sur l’éclaircissement de problèmes classiques, comme ceux qui
concernent la nature, l’origine et la séquence des facteurs (physiologiques
et psychologiques) des émotions ou bien comme ceux qui visent à
comprendre le rôle de l’expression faciale ou linguistique des expériences
émotionnelles, ce volume intègre aussi des études qui visent à mettre
en évidence les rapports entre les émotions, les activités cognitives et
des processus générateurs de maladies et de souffrance. C’est le cas des
recherches concernant les rapports entre les expériences émotionnelles
et les altérations du système immunitaire. Les résultats qui en découlent
ouvrent le champ nouveau de la psycho-neuro--immunologie, dont le
développement mobilise des efforts articulés de différentes disciplines.
Mais c’est aussi le cas des recherches sur les rapports entre la perception
des symptômes et les réactions émotionnelles lors des maladies mortelles,
telles la peur, l’anxiété, la souffrance et la douleur. Ces études, de plus en
plus nombreuses, aident à élargir le domaine multidisciplinaire des soins
palliatifs, un domaine de recherche et d’intervention pratique qui est
encore assez jeune mais dont l’essor, dans le prochain avenir, deviendra
de plus en plus accru pour pouvoir correspondre à son importance
psycho-médico-sociale.
Les travaux de recherche scientifique publiés dans ce volume ont fait
objet d’une présentation préliminaire lors des XXVes Journées d’Études
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de l’Association de Psychologie Scientifique de Langue Française (APSLF),
tenues à Coimbra, en Septembre de 1995. Depuis lors, ils ont été enrichis
par des actualisations fondées sur des recherches conduites par leurs
propres auteurs et sur la prise en compte des résultats obtenus par
d’autres chercheurs.
En acceptant le défi de publier pour la première fois un livre en langue
française, l’Imprensa da Universidade de Coimbra, a voulu correspondre,
tout d’abord, au projet de contribuer à l’élargissement de l’espace de sa
diffusion, assuré par la diversité des nationalités d’origine des auteurs
des différents chapitres. Mais le motif majeur de l’acceptation de ce
défi repose, sans doute, sur l’actualité scientifique et sur l’importance
pratique et multidisciplinaire des matières analysées dans ce volume.
Nous voulons adresser nos plus vifs remerciements au Professeur Gilles
Kirouac, de l’Université de Laval, pour son effort en tant que coordinateur
scientifique de cette édition, et au Professeur Manuel Viegas Abreu,
de l’Université de Coimbra, par la persistance qu’il a su maintenir dès
l’organisation des XXVes Journées d’Études de l’Association de Psychologie
Scientifique de Langue Française à la concrétisation du projet de diffusion
des travaux présentés. Notre gratitude s’adresse également à toutes les
institutions dont l’appui a permis la mise en oeuvre de cette publication.
Nous voulons remercier, particulièrement, à l’Instituto de Psicologia
Cognitiva de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education
de l’Université de Coimbra, attaché à la Fundação para a Ciência e a
Tecnologia du Ministère de la Science et de l’Enseignement Supérieur
portugais, au moyen du «Programme Science, Technologie et Innovation»
intégré dans le Quadre d’Appui de la Communauté Européenne.
Coimbra, Janeiro de 2004
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PRÉFACE
Pendant très longtemps (Hilgard, 1980), l’analyse psychologique a
organisé son étude du fonctionnement mental humain en le divisant
en grandes facultés. Parmi ces dernières, on retrouve, en particulier, la
cognition et l’émotion (affection ou affectivité). Il reste à déterminer les
relations qui existent entre ces grandes entités. À ce propos, dès 1980,
Hillgard a montré que, dans une forte mesure, la psychologie cognitive
contemporaine tend à englober ce qui, historiquement au moins,
apparaît comme des aspects séparés au sein des mécanismes de contrôle
du comportement. C’est le cas tout particulièrement de l’émotion.
D’ailleurs, il importe de mentionner que, à la même époque, Norman
(1980) estimait qu’une des questions fondamentales auxquelles devait
répondre la science cognitive pour mieux accomplir son rôle, portait
justement sur la nature de l’émotion. Il ne faut donc pas s’étonner que
l’un des problèmes les plus actuels en psychologie de l’émotion s’avère
justement la nature des relations entre l’émotion et la cognition.
D’un autre côté, il y a une vieille controverse concernant les mécanismes
responsables du déclenchement de l’expérience émotionnelle. Cette
controverse s’est historiquement cristallisée autour de la prise de position
de William James (1884) qui propose une séquence précise des facteurs
responsables de la présence d’une émotion. Il affirme que, contrairement
au sens commun, les changements corporels propres à l’émotion
viennent à la suite de la perception de l’objet évocateur de l’émotion
et que la prise de conscience de ces changements, à mesure qu’ils se
produisent, constitue l’émotion ou plutôt l’expérience émotionnelle. Cet
énoncé théorique, proposé simultanément par Lange (Lange et James,
1967), se révèle la pierre angulaire de ce qu’il est convenu d’appeler,
en psychologie de l’émotion, le problème de la séquence. Les débats
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autour de cette question ont considérablement marqué l’évolution de
la recherche en psychologie de l’émotion.
En fait, une question fondamentale qui recoupe l’ensemble de
la problématique venant d’être soulevée consiste à se demander si
une activité cognitive quelconque (souvent appelée évaluation) doit
obligatoirement précéder l’activation de tout état émotionnel. En d’autres
termes, le problème qui se pose n’est pas tant de savoir si la cognition
est une cause suffisante de l’émotion, mais plutôt si elle constitue une
cause nécessaire. À ce sujet, les opinions ont divergé fortement. Certains
croient qu’il est théoriquement pertinent de considérer que des patrons
déterminés d’activité neurophysiologique peuvent générer l’émotion de
façon indépendante de l’analyse cognitive. À ce moment-là, ils estiment
que l’information afférente peut se transformer directement en émotion
sans médiation cognitive ; ces auteurs font alors appel à l’intervention de
mécanismes non conscients ou préconscients de traitement des stimuli
affectifs. Par contre, d’autres prétendent que la genèse de l’émotion
dépend toujours de mécanismes cognitifs, notamment d’évaluation:
l’émotion constitue alors un phénomène qui est la résultante d’une
interaction entre des changements physiologiques et des processus
psychologiques ou encore de l’intervention exclusive de l’analyse
cognitive.
La profusion des recherches à saveur «cognitiviste», tout particulièrement
celle sur l’évaluation cognitive (voir en particulier Scherer, Schorr et
Johnstone, 2001), oblige à reconnaître le caractère prédominant de
cette approche en psychologie de l’émotion. Les variables cognitives
ont récemment acquis un statut empirique de plus en plus consolidé et
leur impact se traduit en particulier par un foisonnement de conceptions
théoriques. Quoi qu’il en soit, compte tenu de l’importance actuelle
du courant cognitiviste, il faut aussi mentionner un autre débat qui a
occupé très activement les spécialistes de l’émotion en même temps que
se consolidaient les théories cognitives : il s’agit de savoir si l’émotion
est une activité psychologique complètement dominée par la cognition
ou si elle possède une indépendance réelle. Il s’agit, en considérant
essentiellement le système mental humain, de se demander si l’émotion
ou le système actif constitue une entité psychologique distincte et
autonome par rapport à la cognition.
Tout d’abord, il faut se demander de quelle manière, du point
de vue des définitions respectives, on pourrait situer l’émotion et la
cognition en faisant appel à des différences susceptibles d’être définies
opérationnellement. De fait, ces différences, et la relation émotioncognition qui les accompagne, peuvent être considérées sous l’angle
de deux conceptions distinctes. La première postule l’existence d’un
seul système qui possède des fonctions différentes et mesurables. À ce
moment-là, l’émotion constitue un facteur au sein de la cognition et du
traitement de l’information. Par contre, la seconde conception propose
la présence de deux systèmes séparés. Ces derniers seraient fortement
en interaction et, possiblement, interdépendants. Il y aurait alors un
système émotionnel séparé qui traiterait de l’information dite «affective».
Un tel système influencerait le comportement indépendamment des
processus cognitifs.
Il y a plusieurs années, Izard, Kagan et Zajonc (1984) ont montré que
la séparation des mécanismes cognitifs et émotionnels en deux systèmes
a des conséquences importantes pour une composante centrale de
l’émotion, c’est-à-dire l’expérience subjective. Ainsi si cette dernière
se distingue de la cognition, il reste alors à analyser les relations de
cet état avec la cognition et à préciser de quelle façon les sentiments
s’associent ou interagissent avec les images et les symboles. Cette
conception implique aussi que l’expérience subjective doit se définir
comme comportant plusieurs composantes conscientes: les sentiments
émotionnels mais aussi les images, les souvenirs et tous les autres
produits du traitement de l’information. Quant à ceux qui estiment
que l’expérience subjective émotionnelle est essentiellement de nature
cognitive, il leur faut préciser ce qui constitue la composante cognitive
de l’émotion par rapport aux autres produits des processus cognitifs. De
plus, ils doivent aborder la question de la distinction entre la cognition
portant sur l’émotion et la cognition qui est une composante de l’état
émotionnel lui-même. Cette question revient à se demander comment
l’identification et la représentation symbolique de l’émotion sont reliées
à l’expérience subjective de l’émotion. Toutes ces questions posées par
Izard et ses collaborateurs (1984) sont présentes depuis longtemps en
psychologie de l’émotion. Il n’y a guère de réponses unanimes à ces
problèmes.
Le débat portant sur la relation entre émotion et cognition perdure
donc depuis plusieurs années étant donné la vigueur des arguments
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avancés par les protagonistes, l’absence de résultats empiriques
suffisamment concluants et la confusion terminologique qui entoure
souvent la question. Compte tenu du foisonnement de prises de
position sur la question de la relation entre cognition et émotion et des
nombreuses ramifications qu’elle a suscitées, l’Association de psychologie
scientifique de langue française a décidé de consacrer ses XXVe journées
d’études à cette passionnante problématique. Réunis à Coimbra au
Portugal, du 14 au 16 septembre 1995, plusieurs experts dans le domaine
ont exposé leur point de vue sur une variété d’aspects liés à cette très
importante question qui est au centre des études sur les émotions.
Le présent ouvrage est un recueil de la majorité des exposés faits à
l’occasion de ces journées d’études. Leur lecture permettra de mieux
apprécier la richesse des thématiques que renferme cette question.
Gilles Kirouac
Le coordonnateur scientifique
RÉFÉRENCES
Hillgard, E.R. (1980). The trilogy of mind : Cognition, afffection and conation. Journal of
the History of the Behavorial Sciences, 16, 107-117.
Izard, C.E., Kagan, J. & Zajonc, R.B. (1984). Emotions, Cognition and Behavior. Cambridge
: Cambridge University Press.
James, W. (1884). What is an emotion? Mind, 9, 188-205.
Lange, C.G. & James, W. (1967). The Emotions. New York : Hafner. (Réimpression de textes
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