Trop d’impôt tue-t-il l’impôt ?
I. La hausse des taux d’imposition implique nécessairement des effets désincitatifs et des
comportements d’évitement mais dont l’ampleur est relativement faible
I.A. Un effet Laffer…
1. L’idée popularisée par Arthur Laffer dans les années 1970 repose sur un principe a priori peu
contestable : plus la pression fiscale augmente, moins les revenus tirés de l’offre sont élevés,
donc moins les individus sont incités à offrir. La conséquence sur l’assiette fiscale semble donc
évidente : « un impôt exagéré détruit la base sur laquelle il porte » (Say (1803)).
2. Laffer suppose que la relation entre le taux d’imposition et les recettes fiscales a la forme
d’une parabole concave. Il existe donc un taux d’imposition optimal qui maximise les recettes
de l’Etat et au-delà duquel l’effet négatif de la diminution de l’assiette l’emporte. Selon les
supply-siders, l’effet serait d’autant plus fort qu’à l’arbitrage en faveur du loisir s’ajouteraient
des comportements d’évitement (optimisation voire fraude fiscale, fuite vers des paradis
fiscaux…)
I.B. … qui nécessite des élasticités peu réalistes
1. Si l’on s’intéresse à la seule offre de travail, on montre que les recettes fiscales diminuent
avec l’augmentation du taux d’imposition t lorsque l’élasticité de l’offre de travail (par rapport
au salaire) est supérieure à (1-t)/t soit, par exemple, supérieure à 1 pour t=0.5 . Or, les études
empiriques (Gruber et Saez (2002) par exemple) montrent que cette élasticité est faible,
inférieure à 0.5 (soit un taux d’imposition optimal supérieur à 66%) ; soit parce que l’arbitrage
travail-loisir est quasi impossible (pour les revenus faibles et moyens et/ou du fait de rigidités
de l’emploi), soit parce que l’effet revenu l’emporte sur l’effet substitution.
2. Il faut toutefois préciser que l’effet Laffer n’est pas dû uniquement à la baisse de l’offre de
travail mais aussi à la baisse de l’offre de capitaux (épargne), à l’offre de biens et services de la
part des entreprises… Et, l’ampleur des effets désincitatifs sur les différentes composantes de
l’offre varient selon le type de prélèvement considéré (IRPP, IS, cotisations sociales…) ; par
exemple l’augmentation de l’IS a des effets importants sur les délocalisations dans une
économie globalisée.
I.C. … ce qui explique en partie pourquoi les baisses d’impôts n’augmentent généralement pas les
recettes fiscales
1. L’exemple le plus connu est celui de la politique de Reagan au début des années 1980 : les
tax cuts s’accompagnent d’une baisse des recettes de l’Etat fédéral jusqu’en 1984, alors que
les effets incitatifs (au moins pour l’offre de travail) auraient dû être quasi-immédiats.
2. De plus, lorsque ces baisses d’impôts s’accompagnent d’un maintien voire d’une
augmentation des dépenses, le déficit budgétaire est susceptible, à court-moyen terme, de
créer une relance par la demande. Dans ce cas, même si les recettes de l’Etat augmentent, ce
n’est pas le fruit des mécanismes d’offre sous-jacents à l’expression « Trop d’impôt tue
l’impôt ». Et, il semble bien que c’est ce schéma keynésien qui est le plus pertinent pour
expliquer l’évolution de la conjoncture aux E-U au début des années 1980 ; notamment parce
que, si la croissance de l’offre avait précédé celle de la demande, le déficit commercial
(augmentation des importations) n’aurait pas plongé aussi rapidement.
II. Toutefois, la nature des dépenses financées par l’impôt doit être prise en compte
II.A. Des dépenses publiques improductives…
1. Le raisonnement de Laffer repose sur un principe général : seul le secteur privé est créateur
de richesses ; en prélevant des impôts, l’Etat évince des dépenses privées productives pour
financer des dépenses publiques improductives. Pour se trouver dans la partie croissante de la
courbe, il faut que l’Etat se contente de prélever les impôts finançant les dépenses minimales
lui permettant de remplir ses fonctions régaliennes.
2. Parmi les dépenses improductives qui sont généralement mises en avant :
- les dépenses de fonctionnement : on retrouve ici notamment les arguments sur la
bureaucratie (Niskanen) ou la sclérose institutionnelle (Olson)
- les dépenses de redistribution qui se heurtent au dilemme équité-efficacité voire qui sont
issues d’un Etat influencé par des groupes de pression ; une telle « socialisation » de
l’économie risquant de conduire à la faillite de l’Etat.
II.B. … ou favorisant la croissance économique (donc les recettes de l’Etat) ?
1. L’histoire du développement économique ne semble pas correspondre au schéma
pessimiste précédent. Au contraire, les recettes et les dépenses des Etats augmentent sur le
long terme. La cause n’est pas seulement que la structure des besoins se modifie en faveur de
services non marchands fournis par l’Etat, mais aussi que les dépenses de l’Etat contribuent à
la croissance économique. Qu’il s’agisse du take off au XIXe siècle ou, plus récemment, des
pays émergents, les recettes des Etats augmentent parce que l’augmentation des
prélèvements permet de mobiliser des capitaux (épargne forcée) et de financer des dépenses
d’infrastructures, d’éducation, etc., facteurs de croissance.
2. Les théories de la croissance endogène apportent un fondement à une telle conception du
rôle de l’impôt. Une accumulation optimale de capital physique ou humain nécessite, du fait
des externalités positives, en particulier des subventions, notamment pour favoriser le
décollage des pays en retard. Si, chez Barro (1990), il existe effectivement, dans le cas du
capital public, un taux d’imposition optimal (les effets désincitatifs de l’impôt n’étant plus
compensés par les effets positifs des dépenses d’infrastructure au-delà d’un certain seuil), son
modèle ne conduit pas au point de vue radical de Laffer.
II.C. L’impôt : un mal nécessaire lorsqu’il sert à diminuer la dette publique ?
1. En revenant à un horizon de court-moyen terme, un autre argument remettant en cause la
relation négative entre pression fiscale et recettes de l’Etat concerne le cas particulier d’un
Etat fortement endetté. La charge de la dette constitue en effet des dépenses qui, d’une part,
ont des chances d’être improductives et, d’autre part, risque d’augmenter de manière
incontrôlable lorsque les conditions d’un effet boule de neige sont remplies. A l’extrême,
l’issue est une crise financière. L’impôt peut alors être l’instrument permettant d’éviter une
telle issue qui serait synonyme d’effondrement de l’activité économique, donc des recettes de
l’Etat.
2. Il faut néanmoins préciser que le recours à un tel instrument risque de ne pas avoir les effets
escomptés lorsqu’il est utilisé en période de récession. Dans ce cas en effet, la hausse des
prélèvements obligatoires risque de créer un effet récessif (effet multiplicateur) tel que les
recettes de l’Etat vont diminuer. C’est un des enjeux essentiels des débats sur les solutions
face à la montée des dettes publiques depuis 2008.
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