De l’expérience phénoménale aux images mentales… H. Cahuzac & B. Claverie
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lumière, que l’on peut quantifier par voie instrumentale : ces éléments
peuvent faire l’objet d’une mesure physique (les quanta).
Les qualia renvoient à une expérience phénoménale correspondant à la
manière dont les choses apparaissent à la conscience, expérience qui
échappe à une description rationnelle simple. Ainsi, l’acidité d’une
pomme, l’inventaire gustatif de décomposition des dégustations œnolo-
giques, les flaveurs et arômes de la gastronomie, les odeurs, la rugosité
des surfaces, le plaisir de la caresse, l’humeur joyeuse ou mélancolique, la
colère et la compassion, sont des qualia dont le sujet donne une descrip-
tion sur un mode analogique.
La dialectique qualia / quanta est particulièrement sensible chaque fois
que se pose la question des frontières du corps : intérieur / extérieur,
singulier / pluriel, expérience passée / expérience présente… Par exem-
ple, le contenu du verre de vin que je goûte va franchir une limite, habi-
ter mon corps, mais aussi continuer une présence mentale (dans mon
espace mental) : en fait, il est déjà “présent” à moi-même (image men-
tale), dans une attente dynamique. Son mode de présence peut être
immédiat : il est dans mon verre, je peux l’explorer avec tous mes sens.
Sa présence peut aussi relever du mode vicarial, sous un statut sémiolo-
gique : sa trace encore odorante dans le verre vide (vidé). Les voies de la
connaissance – et de la reconnaissance – passent par l’activation de plu-
sieurs répertoires sensoriels, à des échelles différentes (individuelle, col-
lective restreinte, culturelle) ; ces répertoires sont mis en relation de plu-
sieurs façons (correspondance, corrélation, conjonction, dominance…).
Ces variations renvoient aux styles cognitifs et au mode de structuration
d’une expérience collective à une échelle communautaire. Réciproque-
ment, mes pensées de vin se réorganisent pour intégrer toute nouvelle
expérience.
Dans une première approche, les qualia sont de l’ordre de la représenta-
tion cognitive (des quanta “donnent” des qualia) : par exemple, le rouge
correspond à une longueur d’onde précise, qui stimule l’aire cérébrale
V4, spécialisée dans la reconnaissance des couleurs et le repérage des
objets porteurs de cette teinte. Le jaune alerte une autre zone, et l’orange
une zone située entre le rouge et le jaune, exactement comme dans le
spectre qui présente en séquence les différentes teintes selon leur lon-
gueur d’onde…Ces qualia de premier ordre sont externes, du côté de
l’objet, du monde. L’interface physiologique permet de représenter le
système sensoriel comme un homunculus, dont les organes capteurs ont
une taille spatiale en proportion de la taille des zones cérébrales qui trai-
tent l’information qui en est issue. C’est une relation homologique, mais
non strictement analogique. Rien d’étonnant que cette proportion surfa-
cique dessine une hypertrophie : il y a autant d’éléments de communica-
tion de posture que de la main et de la face. La sensorialité prend des
faisceaux pour aller dans des zones particulières du cerveau. Ces qualia
sont l’écho de l’activité neuronique, correspondant point à point aux
canaux de perception du monde extérieur.