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L’analytique existentiale, qui consiste en l’examen des structures d’être de
cet étant appelé Dasein, se présente comme une voie d’accès au sens de l’être
(Être et Temps, § 2). L’intention de Heidegger était, dès le départ, de passer de
l’élucidation de l’être de l’étant à celle de l’être en général. C’est la raison pour
laquelle il a pris soin de définir sa recherche comme « une avancée en direction
du concept d’être, et ce, par le chemin d’une interprétation spéciale d’un étant
déterminé, le Dasein, à partir duquel doit être conquis l’horizon nécessaire à
une compréhension possible de l’être. » (Être et Temps, § 8).
En fait, tout se passe comme prévu. L’analytique existentiale s’achève sur la
définition de l’être du Dasein comme totalité articulée et unifiée par le « souci ».
Celui-ci apparaît comme une structure unifiante. Mais nous ne savons pas
encore, à la fin de la première section, ce qui constitue ontologiquement l’unité
de cette multiplicité. C’est la deuxième section qui se consacre à remonter du
résultat de l’analytique existentiale à son fondement : « la question ontologique,
écrit Heidegger au terme de son analyse du souci, doit être menée encore plus
loin, jusqu’à la mise à découvert d’un phénomène encore plus original, qui
porte ontologiquement l’unité et la totalité de la structure multiple du
souci. » (Être et Temps, § 41). La question du sens de l’être se ramène donc à la
question de savoir ce qui rend possible l’unité articulée par le souci. En somme,
la première section a consisté à remonter de la diversité des modes d’être du
Dasein à la totalité du souci, la deuxième s’est interrogée sur le fondement de
l’unité de cette totalité.
Les concepts fondamentaux qui nous intéresseront, principalement, dans le
cadre de notre thèse, sont : étant, être, Dasein, mort, déréliction, facticité. En
effet, selon Heidegger, l’homme, dans son univers, se trouve dans un état de
déréliction totale. Mieux, l’homme est jeté et abandonné dans un univers qui lui
est imposé et qu’il n’a pas choisi. Le Dasein est fini dans ses connaissances et
menacé en permanence par la mort. L’oubli et la mort finissent par avoir raison
sur toutes ses œuvres. Il éprouve constamment le souci et l’angoisse. La
déréliction se présente donc comme le caractère du Dasein jeté dans le monde et
abandonné à lui-même. Le Dasein est certes jeté dans son « là », mais il ne s’est
pas donné son « là ». C’est ce que Heidegger appelle la facticité de l’être-jeté.
Le Dasein ne peut jamais revenir en-avant, ou en-deçà de son être jeté. Il est
toujours déjà remis à cette facticité qui constitue son fondement.
Ce fondement n’est cependant pas une chose du passé, révolue comme un
sous-la-main. Pour dire que l’existence est un pur fait, impossible à expliquer,
Heidegger utilise le concept de facticité. Il veut dire par là que je constate mon
existence comme toujours déjà là sans que j’ai pu choisir d’y entrer. La facticité
ou la déréliction se marque en ceci que le Dasein se découvre comme étant
toujours-déjà-là.