menacée. En effet, l’étant humain refoule ou oublie l’Être, lui préférant les perspectives ou
vues empiriques, plus quotidiennes et rassurantes. L’oubli de l’être, l’arrachement à la
véritable ouverture spirituelle, caractérisent au plus haut point nos cultures contemporaines.
En particulier, la technique de notre temps (laquelle désigne chez Heidegger l’équipement du
tout de l’étant et le savoir lui-même, une certaine façon d’être par rapport à la vérité) exprime
le vide ontologique le plus total. Dans l’univers de la technique, l’homme, « le berger de
l’Être », oublie sa véritable essence et son destin spirituel. En effet, la technique moderne
(contrairement à la « bonne » technique où « Pro-duire a lieu seulement autant que quelque
chose de caché arrive dans le non-caché » : le « pro-duire » est dévoilement) provoque la
nature et en assigne une partie comme réserve d’énergie. L’homme y perd de vue que le
passage du caché au non-caché s’accomplit de soi-même suivant la générosité de l’Être, qu’il
demande seulement à être accompagné ou célébré. La technique moderne du « commettre »
occulte cet aspect, le dénie, l’oublie et prétend à une exploitation éhontée de la facultée
merveilleuse du dévoilement de l’Être. En somme, la technique met l’homme en péril non
seulement parce qu’elle rend possible la destruction de la terre et de l’espèce humaine, mais
parce qu’elle menace l’essence même de l’homme : la pensée.
La banalité quotidienne
L’existant humain, jeté dans le monde et abandonné à lui-même (ce que Heidegger nomme
notre déréliction), est une réalité dont la nature est d’être essentiellement souci. En effet,
quand on dit que l’homme est, c’est qu’il existe, ce qui signifie, conformément à l’étymologie
(ex sistere, se tenir hors de soi) qu’il se projette sans cesse et ne coïncide jamais avec sa
propre essence. Cette manière d’être et d’exister peut donner lieu à l’angoisse. Or ce que veut
précisément la « réalité humaine », c’est s’échapper à elle-même, s’oublier, se dissimuler son
être véritable. Cette dissimulation est appelée inauthenticité. Être inauthentique, c’est se
dérober à ce que nous sommes. Que sommes-nous ? Un « souci », une anticipation de
nous-mêmes vers l’avenir en envisageant des possibilités, c’est-à-dire des manières d’être
possibles, un être jeté au monde pour y mourir.
Aussi le Dasein se réfugie-t-il dans le milieu de la « banalité quotidienne », univers facile où
triomphe le « On », anonymat sans originalité, dissolution pure et simple des