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L’Enseignement Philosophique 
Éditorial de mai - juin 2005
 
  
DE LA POLITIQUE EN PHILOSOPHIE 
 "Au lieu de frapper à coups d’épée, contentez-vous plutôt de regarder tranquillement, placé 
sur le terrain sûr de la critique, ce combat qui doit être pénible pour les champions, mais qui 
pour vous est un passe-temps agréable dont l’issue, à coup sûr, ne sera pas sanglante, mais 
fort avantageuse à vos connaissances." (1) 
  
A nouveau, l’affaire Heidegger 
La publication du livre d’Emmanuel Faye (2) , comme l’introduction de Heidegger dans le 
programme de l’agrégation de philosophie, relancent la question du nazisme de Heidegger. Le 
débat  est  ancien  et  souvent  confus  car  la  polémique  théorique  se transforme  aisément  en 
guerre idéologique, voire en conflit de positions universitaires. Le problème de fond n’est pas 
simplement de savoir si une pensée est indépendante des engagements sociopolitiques de son 
auteur, mais si la critique interne des textes philosophiques peut être totalement coupée de la 
causalité externe des rapports sociaux. Au-delà du partage de l’idéologie d’une époque, y a-t-
il une proximité intrinsèque entre la pensée heideggérienne et le nazisme ? Adorno le pensait 
déjà,  lorsqu’il  déclarait,  dans  un  entretien  à  un  journal  étudiant :  "La  philosophie  de 
Heidegger  est  fasciste  jusque  dans  ses  composantes  les  plus  intimes."  (3)  Le  Jargon  de 
l’authenticité  insistait  notamment  sur  la  glorification  heideggerienne  de  la  mort :  "La 
protestation contre le refoulement de la mort aurait sa place dans une critique de l’idéologie 
libérale : cette protestation devrait remettre en mémoire une naturalité qui est déniée par la 
culture, parce que celle-ci, en tant que domination, propage la naturalité elle-même dans ce 
qui se méconnaît en se prenant pour l’antithèse de la nature. Mais de même que le fascisme, 
Heidegger défend la forme la plus brutale de la naturalité, contre la forme plus médiatisée, 
plus sublimée." (4) De même, dans sa conférence sur Martin Heidegger, Habermas déclare 
que ce qui l’intéresse "c’est la question de savoir comment le fascisme est intervenu dans le 
développement  même  de  la  théorie  heideggerienne."  (5)  Faut-il,  pour  autant,  réduire 
Heidegger à n’être qu’un idéologue nazi ? Si Adorno, Habermas, mais aussi Sartre, Levinas, 
Ricœur, Derrida et bien d’autres  ont  consenti à débattre avec cette pensée, c’est qu’il n’y 
voyaient pas une simple production idéologique. 
Mais la question de l’interprétation de l’œuvre de Heidegger est minée par un problème 
"pédagogique" :  si  cette  pensée  est  contaminée  par  une  idéologie  dangereuse,  faut-il  la 
supprimer des programmes d’enseignement ? 
 
Y a-t-il un "philosophiquement correct" ? 
Misogynie,  ethnocentrisme,  justification  de  l’esclave,  on  peut  trouver,  chez  bien  des 
philosophes, des prises de positions qui sont devenues, pour nous, inacceptables. On pourrait 
objecter qu’il n’y a là rien de comparable  (si ce n’est  l’admission de l’esclavage) avec  la 
tragédie  concentrationnaire  et  le  déni  d’humanité  portant  sur  tout  un  peuple.  Comme  le 
souligne Habermas, ce qui irrite, chez Heidegger, est moins la profession de foi en faveur de 
Hitler et de l’Etat national-socialiste en 1933 que "le refus et l’incapacité du philosophe à 
admettre, ne serait-ce que par une phrase, son erreur lourde de conséquences politiques, après 
la fin du régime national-socialiste." (6) 
Mais la censure n’est jamais une bonne solution. Il est toujours dangereux de réclamer un 
censeur, comme les grenouilles désirent un roi, car, se faisant, on abandonne en route son 
autonomie de jugement au profit des autorités académique, religieuse ou politique. Ce n’est