Rev Francoph Psycho-Oncologie (2006) Numéro 1: 9–13 © Springer 2006 DOI 10.1007/s10332-006-0109-3 Dossier : « oncogénétique » ARTICLE ORIGINAL Communication des risques en oncogénétique : Impact sur les croyances et comportements de santé Risk communication in cancer genetics: impact on lay beliefs and health behaviour C. Julian-Reynier Ce texte est une actualisation et une adaptation du chapitre publié par le même auteur dans l’ouvrage Prédisposition génétique aux cancers : questions psychologiques et débats de société, Julian-Reynier C, Pierret J, Eisinger F, John Libbey Eurotext, collection « Pathologie Science » 2005, 114 p. Résumé : La communication des risques génétiques de cancer est une activité complexe notamment du fait de la transmission de nombreuses informations de nature probabiliste mais aussi à cause de nombreuses incertitudes difficiles à gérer pour les patients et pour les professionnels de santé. Cette communication, mise en place en France au sein de consultations spécialisées en « oncogénétique », est en cours d’organisation au niveau de différents systèmes de santé et ce en grande partie en relation avec l’offre de tests génétiques. Les études concernant l’impact psychologique de ces récentes activités médicales rendent compte de conséquences « acceptables » en termes statistiques soulignant cependant l’existence de « sous-groupes » particulièrement à risque. C’est dans ces contextes plus fragiles que des études qualitatives sont importantes à mener. Par ailleurs, si le suivi de certaines cohortes de patient(e)s – à risque génétique de cancers du sein et/ou de l’ovaire, ou cancers du côlon – donne certaines indications sur les modifications de comportement liées aux tests génétiques, leur recul est encore insuffisant sur le long terme. Il se doit par ailleurs d’intégrer les spécificités culturelles de la prise en charge. Mots clés : Cancer – Test génétique – Conseil génétique – Comportement – Psychologie Dr Claire Julian-Reynier () Directeur de recherche Inserm Inserm UMR379 Institut Paoli-Calmettes 232, boulevard Sainte-Marguerite 13009 Marseille Tél. : 04 91 22 35 02 Fax : 04 91 22 35 04 E-mail : [email protected] Introduction Abstract: Risk communication in cancer genetics is a complex activity. It involves many uncertainties difficult to manage for patients and health professionals. The majority of health care systems in industrialised countries are organising cancer genetic services, more frequently set up in the context of specific clinics linked to biological services offering cancer genetic testing. Quantitative studies show in their overall majority an acceptable level of psychological consequences for cancer genetic counselling and testing. However, sub-groups of people may be particularly at risk and should be studied more in depth and specifically managed in clinical practice. The impact of ‘‘routine’’ cancer genetic testing on preventive health behaviour has been studied in several cohorts (BRCA1/2 and HNPCC). They give some information about a positive short term impact of this practice but long term follow-up has to be analysed further, taking into account cultural specificities. Keywords: Cancer – Genetic testing – Genetic counselling – Behaviour – Psychology L’évaluation des risques dans le cadre des consultations de génétique du cancer est un processus progressif, commençant sur une base clinique et épidémiologique par le recueil de l’histoire familiale détaillée permettant la construction d’un arbre généalogique. Elle est suivie d’une analyse de cet arbre par l’application de différents modèles de risque pour 10 comprendre les modalités de transmission de la maladie. Cette évaluation peut ensuite être complétée, lorsque les critères d’indication sont réunis, par l’utilisation de tests génétiques qui permettent de préciser ce risque sur une base biologique. Il faut préciser qu’à l’heure actuelle, dans la grande majorité des cas, ces tests réalisés dans de nouvelles familles ne permettront pas d’identifier une mutation délétère d’un des gènes prédisposant au cancer, nous y revenons plus loin dans ce texte. Dans certains cas, la personne qui contacte une consultation d’oncogénétique n’aura qu’un rendez-vous, un avis d’expert isolé qui viendra confirmer/infirmer des croyances préalables sur l’origine familiale d’une maladie. C’est alors dans le cadre d’une seule consultation que le praticien de santé va devoir communiquer le maximum d’informations. Dans d’autres cas, c’est tout un suivi qui se met en place, et c’est par étapes, à travers plusieurs consultations de nature différente, que cette communication va se faire par l’intermédiaire d’un processus plus ou moins organisé, plus ou moins standardisé. Spécificités de la communication des risques de cancer fréquents La communication des risques de cancer du sein/ovaire (mais c’est aussi le cas pour le côlon) est particulièrement complexe : d’une part, parce que des risques de plusieurs natures sont en jeu et peuvent être communiqués, d’autre part, parce que chacun de ces risques est en lui-même composite, pouvant être présenté pour différentes populations et décliné sous de nombreuses présentations dont il est connu qu’elles interfèrent avec la compréhension des risques [10]. Risques de nature diffe´rente Deux grandes catégories de risques sont évoquées au cours de la consultation : le risque de cancer et le risque de prédisposition génétique. Le « risque de cancer » est lui-même à expliquer sous la forme de plusieurs types de risques : par exemple risque de cancer du sein, mais aussi risque de cancer de l’ovaire ou de la prostate associés aux mutations des gènes BRCA1/2. Il en est de même pour le cancer du côlon associé au risque de cancer de l’endomètre pour les mutations des gènes liés au syndrome HNPCC. Pour tous les cancers, il peut s’agir du risque de premier cancer, du risque de récidive ou de deuxième cancer. Pour chacun des cancers évoqués, il existe différents facteurs de risque parmi lesquels se situent le risque familial et le risque génétique quelquefois prépondérants, d’autres plus accessoires [26]. Le risque de référence étant celui de la population générale, il est aussi essentiel de le présenter dans la mesure où il n’est jamais nul, ce qui est une des spécificités de la génétique des maladies communes. Par ailleurs, l’efficacité des mesures de prévention (dépistage, chirurgie prophylactique) intervient sur le niveau de risque ou sur le pronostic du cancer dépisté et cette information de nature probabiliste est importante pour les choix des patients. Le « risque génétique » se décline en différentes composantes probabilistes : la probabilité d’identifier une mutation d’un gène prédisposant au cancer du sein et/ou de l’ovaire dans une famille non encore testée (BRCA1, BRCA2, autres ), la probabilité d’être porteur d’une mutation, la probabilité de la transmettre. La probabilité d’identifier une mutation d’un gène prédisposant au cancer dans une nouvelle famille est faible, ne dépassant pas à l’heure actuelle 20 % même avec des critères de sélection très sévères [4]. Cela entraı̂ne donc dans la majorité des cas des difficultés particulières d’interprétation des résultats négatifs considérés comme « non informatifs » par le corps médical mais pour lesquels les patients peuvent avoir des erreurs de compréhension les considérant comme des résultats faussement rassurants [23]. Présentation et interprétation des risques La présentation d’un même risque peut se faire de manière très diversifiée et ce à l’initiative du professionnel de santé : sous forme chiffrée (ex: « votre risque est de 80 % ») ou sous forme verbale (ex : « Votre risque est élevé »), par l’intermédiaire de risques absolus (ce qui correspond aux deux présentations précédentes) ou de risques relatifs (ex : « votre risque est plus élevé qu’une femme de la population générale »), de manière contextualisée ou non. Les risques peuvent aussi être présentés pour différentes périodes de temps (ex : pour les dix prochaines années ou pour la vie entière) et de manière positive ou négative : la meilleure option étant de présenter la survenue des événements sous leurs deux facettes (ex : le risque de développer un cancer du sein lorsque l’on est porteur d’une prédisposition d’un gène BRCA mais aussi le risque de ne pas développer un cancer du sein lorsque l’on est porteur de cette même prédisposition). La complexité de cette information a amené de nombreuses équipes cliniques à développer des outils complémentaires (CD-Rom, cassettes, livrets) pouvant aider à la communication des risques au cours de ces consultations [5,18]. Il semble qu’actuellement [10] un ensemble d’éléments converge pour indiquer : – que même si les patients ont des difficultés à comprendre les informations chiffrées, ils les préfèrent aux informations verbales beaucoup trop subjectives. La présentation des risques sous forme de la fréquence des événements en question semble la plus explicite (ex : parmi 100 femmes de la population générale, une dizaine développeront un cancer du sein au cours de leur existence). Ainsi les modes d’informations mixtes au cours d’une consultation paraissent devoir être retenus associant aussi présentations de risques absolus et de risques relatifs. Mais il est clair que le praticien devra faire des choix dans le détail des risques présentés et ainsi trouver un compromis entre, d’un côté, la clarté et la simplification 11 nécessaires à la compréhension des patients et, d’un autre côté, la nécessité d’une exhaustivité des informations transmises ; – que la communication des risques sur mesure, c’està-dire adaptée aux caractéristiques personnelles du patient (incluant ses caractéristiques cognitives) soit la plus efficace. Cette individualisation de l’information peut être réalisée à l’aide de documents écrits, et notamment de lettres personnalisées. Elle implique que le praticien prenne le temps de discuter avec le patient pour appréhender ses croyances et notamment les éléments modifiant sa perception du risque de cancer. Les effets de différentes modalités de communication des risques ont été étudiés le plus souvent dans le contexte d’études de psychologie expérimentale et de populations très sélectionnées non malades; il est le plus souvent impossible de réaliser des protocoles expérimentaux réellement pertinents d’un point de vue clinique en contexte réel. Pour mieux interpréter les données de la littérature, il est aussi indispensable de différencier les approches des professionnels impliqués dans les consultations de génétique. Les « genetic counsellors », présents aux États-Unis, au Canada, en Australie, dans certains centres britanniques et aux Pays Bas, sont des personnes ayant suivi cinq années d’université (trois années d’un cursus varié, biologique ou autre puis deux années de Masters en « genetic counselling » correspondant à un enseignement mixte de génétique, de clinique et de psychologie). Cette formation a été mise en place en France en 2004 et reconnue comme nouvelle profession de santé dans le cadre de la loi de santé publique. Cette formation donne les compétences pour construire des arbres généalogiques, pour les interpréter dans des cas simples et pour communiquer l’information sur les risques lorsqu’il n’existe pas de difficulté particulière. Les conseillers génétiques ne posent pas de diagnostic et ne rédigent pas d’ordonnance. En Allemagne, en Italie, en Espagne, ce sont pour l’instant des généticiens et d’autres médecins qui interviennent dans le cadre de la consultation de génétique et la place d’autres intervenants (psychologues essentiellement) est marginale et non systématique. Enfin, certains pays ont organisé une spécialisation en génétique pour certains professionnels paramédicaux, formations moins longues que les masters mais qui permettent à ces professionnels d’intervenir en association avec le médecin (infirmières, infirmières sociales (Belgique, Suède), psychologues (Belgique, Pays-Bas). Objectifs des consultations de génétique du cancer La consultation de génétique peut être conçue comme une activité dont l’objectif principal est la transmission d’informations médicales, ce qui correspond au modèle « éducatif » de Kessler, ou être davantage centrée sur les préoccupations des patients, et relever davantage de l’approche de « counselling » développée par les AngloSaxons [12]. Elle peut aussi associer ces deux objectifs de manière combinée, ce qui est le plus souvent le cas en pratique de consultation de génétique classique. Quel que soit le modèle de consultation choisi, les objectifs médicaux sont le plus souvent l’induction ou la modification de comportements de santé tels que la demande de tests génétiques, la mise en place ou la modification d’un schéma de surveillance et/ou de prévention et enfin la diffusion de l’information dans la famille, et ce en adéquation avec un risque défini de la manière la plus « objective » possible. Une autre catégorie d’objectifs pouvant être aussi considérés comme des objectifs médicaux mais dans une approche plus « centrée » sur le malade concerne l’amélioration de l’autonomie des patients dans le cadre de ces mêmes comportements afin que la demande soit une demande informée et autonome, que ce soit pour la réalisation de tests génétiques ou pour les mesures de surveillance ou de prévention. Évaluation de l’impact psychologique de la consultation de génétique du cancer La perception du risque est un des facteurs socio-cognitifs clés de la prédiction des comportements de santé bien qu’il existe peu d’études longitudinales montrant que la modification de la perception du risque motivera un comportement de précaution/prévention, en raison notamment d’un biais méthodologique lié à une covariance de la perception du risque et du comportement. Les personnes ayant un comportement particulier interprètent et réinterprètent leur risque en fonction de ce comportement. Les travaux quantitatifs publiés montrent que la consultation de génétique en cancérologie n’augmente pas significativement l’anxiété des patients, qu’elle améliore leur connaissance des risques mais qu’elle modifie seulement de manière marginale d’un point de vue clinique leur perception du risque tant que cette consultation n’est fondée que sur l’étude de l’arbre généalogique [1,2,7,8,20]. Les résultats concernant l’impact de la communication des résultats des tests génétiques de prédisposition au cancer du sein/ovaire pour les personnes non malades indiquent dans le cadre des premières études de suivi longitudinal à court terme (une semaine, un mois, et six mois pour l’étude de Schwartz et al.) et pouvant aller jusqu’à un an dans le cas de la cohorte britannique [25] une diminution du niveau de détresse générale (dépression/anxiété) et du niveau de détresse plus spécifiquement liée au cancer pour les personnes n’ayant pas de mutation BRCA1/2. Ces études sont concordantes, que ce soit dans le cadre de protocoles de recherche biologique [3, 13] ou dans celui de réalisation des tests en routine [16, 17, 22, 25]. Pour les personnes ayant une mutation d’un des gènes 12 BRCA1/2, une stabilité ou une légère augmentation de ces symptômes était observée après le rendu des résultats pour retourner vers des seuils plus faibles à un an [25]. Il en est de même pour les personnes malades, et ce quel que soit le résultat de l’identification de la mutation. Dans le cadre de l’étude de Schwartz, l’impact des résultats sur la perception des risques de cancer était très significatif avec une diminution très importante pour les personnes sans mutation BRCA, mais aucune modification pour les personnes avec mutation BRCA. Nous avons retrouvé des résultats comparables dans le cadre d’une analyse intermédiaire du suivi prospectif à six mois de femmes françaises, observant cependant une augmentation significative de la perception du risque de cancer pour les femmes mutées ainsi qu’une augmentation à court terme du niveau de dépression de ces patientes alors que ce paramètre n’était pas modifié pour les patientes non mutées [9]. Lodder a souligné la présence de niveaux de dépression élevés pour les femmes négatives dont une sœur était positive [16]. Une seule étude [24] décrit le suivi psychologique à cinq ans de 65 patientes non malades, 23 porteuses de mutations BRCA, et 42 non porteuses. Cette étude pour laquelle la grande majorité des patientes mutées avaient opté pour une mastectomie prophylactique (19/23), chirurgie associée à une diminution importante des craintes de survenue de cancer, souligne cependant au cours du temps l’augmentation de l’état de dépression et d’anxiété de l’ensemble des femmes comparé au niveau de référence initial. Cette étude souligne aussi l’impact délétère de la mastectomie sur l’image du corps et sur la sexualité, notamment pour les femmes les plus jeunes ainsi que les facteurs prédictifs de la détresse psychique à long terme (existence d’enfants jeunes et deuil lié au cancer dans la famille). Évaluation de l’impact comportemental de la consultation de génétique du cancer L’information sur les risques génétiques de cancer peut avoir comme objectif de modifier les demandes de tests, notamment lorsqu’elles sont non justifiées d’un point de vue médical. Plusieurs interventions ont été évaluées en ce sens essentiellement par des équipes nord-américaines [14]. L’impact de l’information génétique sur les autres comportements de santé et notamment sur les mesures de prévention commence à être décrit dans la littérature, mais nous avons encore peu de recul et peu de grandes études longitudinales publiées. Cependant, certaines tendances se dessinent. Ainsi, dans l’année ayant suivi l’annonce des résultats biologiques, une légère augmentation du suivi mammographique était observée pour les femmes non malades porteuses d’une mutation, comparées aux non-porteuses [21] bien que ce suivi ait été moins bon pour les femmes les plus jeunes. Il est cependant difficile de comparer ici les données de pays différents dans la mesure où l’adhésion aux mesures de surveillance mammographique dépend aussi des modalités antérieures de suivi et du taux de couverture de ces examens. Par ailleurs, l’acceptabilité théorique et réelle de ces mesures de prévention est essentielle à prendre en compte, notamment celle des mesures de chirurgie prophylactique. Ainsi, si plus de la moitié des femmes néerlandaises [17, 19] optent pour une mastectomie prophylactique, les femmes américaines [15] et françaises paraissent plus réticentes. Les femmes britanniques sont en position intermédiaire avec un pourcentage de mastectomie prophylactique de 28 % dans la cohorte anglaise [25]. Ces comportements confirment les différences d’attitudes observées préalablement à la mise en place des tests en routine parmi les femmes françaises, britanniques et canadiennes se rendant aux consultations d’oncogénétique [11]. Un meilleur suivi coloscopique est également observé dans le contexte des personnes prédisposées génétiquement à l’intérieur des familles HNPCC [6]. La question de l’impact des résultats « non informatifs » sur les comportements des patientes déjà atteintes de maladie ne semble pas être délétère en ce qui concerne leur suivi dans une étude néerlandaise récente même si les réinterprétations profanes du message médical transmis sont ici confirmées [23]. En conclusion, l’activité de communication des risques génétiques de cancer est en cours d’organisation au niveau des différents systèmes de santé et ce en grande partie en relation avec l’offre des tests génétiques. Si les premières études concernant leur impact psychologique sont assez encourageantes, il est nécessaire d’être prudent dans leur interprétation. En effet, ces études sont en majorité des études quantitatives dont les indicateurs sont soumis aux lois des interprétations des tests statistiques, à savoir les effets moyens observés. Certains effets délétères peuvent concerner des sousgroupes particulièrement à risque qu’il sera nécessaire d’étudier de manière spécifique en particulier dans le cadre d’études qualitatives et cliniques bien faites. Par ailleurs, le suivi des cohortes de patients, non inclus initialement par le biais de protocoles de recherche, est encore insuffisant pour conclure sur l’impact comportemental de ces pratiques à long terme pour lesquelles l’aspect culturel de la prise en charge est essentiel à prendre en compte. Références 1. 2. 3. 4. 5. Braithwaite D, Emery J, Walter F, et al. (2004). Psychological impact of genetic counseling for familial cancer: a systematic review and meta-analysis. J Natl Cancer Inst 96(2): 122-133 Broadstock M, Michie S, Marteau T (2000). 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