2. Les mutations du lien social dans la société contemporaine
2.1 Les instances d'intégration sont désormais en recomposition
2.1.1 Famille et école : de nouveaux rôles sociaux
La cohésion sociale est assurée de façon privilégiée par les instances d’intégration. La famille reste ainsi un lieu de
socialisation important, de même qu’un lieu de solidarité forte. Les liens familiaux doivent donc être appréhendés sous ces
deux angles.
La famille est une instance de socialisation, qui forme les habitus des individus. La famille a alors deux fonctions
essentielles : - une fonction d’éducation (apprentissage de la vie en collectivité),
- une fonction d’inculcation des valeurs et normes familiales, voire de régulation.
La famille est ensuite une instance d’intégration et de solidarité. L’appartenance à une famille garantie des liens
sociaux forts, qui se manifestent fréquemment de 3 manières :
une solidarité familiale informelle au jour le jour (menus services, soutien moral…)
une solidarité sociale de mise à disposition d’un réseau de «connaissances» (assimilable à un capital social, disponible
à tout instant)
Une solidarité matérielle ou financière (aides pécuniaires ponctuelles ou régulières, entre descendants et ascendants).
Cependant, pour T. Parsons, l’industrialisation a eu pour conséquence de faire éclater la famille traditionnelle, d’abord en
l’isolant de son réseau de parenté (idée à nuancer au regard de la proximité géographique des enfants et parents en France),
puis en réduisant la taille du groupe familiale à un ménage conjugal avec un petit nombre d’enfant (soit le modèle de la famille
nucléaire). Deux phénomènes sont alors particulièrement remarquables aujourd’hui.
Les structures familiales sont bouleversées. La famille n’est plus une entité stable, mais plutôt en recomposition
permanente, ce qui fait que l’on peut parler de mosaïque familiale (déclin de la nuptialité, hausse des divorces, développement
des unions libres et du célibat, etc.).
La place de l’individu est de plus en plus renforcée. Ceci se traduit par une évolution des mœurs et un
bouleversement de la représentation de la femme au sein du couple ; par une volonté d’épanouissement personnel au sein de la
famille (l’autre dans le couple devient une sorte de révélateur personnel selon F. de Singly) ; par une plus large permissivité,
etc. Par ailleurs, le législateur a accompagné cette évolution à la faveur des personnes : le divorce par consentement mutuel est
établi en 1975, les concubinages sont reconnus à la faveur du PACS, les enfants sont de plus en plus consultés lors des
séparations de leurs parents…
Dans une vision extrême, cette famille désintégrée conduit alors à une baisse d’intégration généralisée. Les ruptures familiales
expliqueraient ainsi pour partie les phénomènes de déviance juvénile, la montée des indicateurs d’anomie (prise de substances
illicites, consommation de psychotropes en hausse, taux de suicide etc.). Mais ces phénomènes, pour autant qu’ils existent,
restent du domaine de la marge. Parler de la perte supposée des valeurs familiales et de l’affaiblissement du rôle des familles
est donc à nuancer.
De plus, il est trop simple de penser que la famille, en tant qu’institution d’intégration, doit assurer la reproduction et la
stabilité de la société. Puisqu’il y a eu autonomisation des individus, la famille n’est plus un carcan mais plutôt un lieu de
propositions. Par ailleurs, la plupart des enquêtes montrent que les solidarités intergénérationnelles sont plébiscitées, en
particulier par les jeunes.
Au cours du XIXème siècle puis du XXème, l’école est devenue un enjeu national, les hussards noirs de la république se
faisant les chantres du catéchisme républicain. L’école a alors un projet politique : elle permettait d’affirmer les solidarités
nationales. Désormais de nouvelles attentes apparaissent, à caractère plus individuel, ce qui transforme les représentations des
valeurs de l’école. L’institution scolaire est alors chahutée (certains se permettant même d’offrir un poisson rouge à leur
enseignant, manière de lui signifier ce qu’il représente pour eux quand il fait cours…).
Cette remise en cause s’explique principalement par l’incapacité de l’école à tenir la promesse de progrès social et d’égalité
des chances. La méritocratie est une illusion qui ne trompe désormais personne. Les frustrations sont dès lors importantes. La
faiblesse du capital culturel, l’orientation par l’échec, ou encore la déconnexion entre apprentissage scolaire et vécu social font
que l’école ne peut plus être un lieu d’épanouissement personnel. On peut alors parler de crise de l’école ou des projets
scolaires. Vision à relativiser fortement car l’investissement dans l’école dans un but d’ascension sociale reste fort.
2.1.2 Etat et citoyenneté : de nouvelles attentes
Pour les nations démocratiques, les valeurs et les pratiques de la citoyenneté sont à l’origine de la cohésion sociale. C’est parce
qu’il y a sentiments communs de citoyenneté qu’il y a communauté nationale (relisons E. Renan : la nation est un plébiscite de
tous les jours). La citoyenneté politique se définit alors par trois ensembles : des droits civils et politiques, des devoirs de
citoyen, et une participation à la vie de la cité. Mais de plus en plus, une citoyenneté économique et sociale se fait jour. En
effet, il n’est pas possible d’exercer son mandat de citoyen sans un minimum d’intégration économique. La solidarité nationale
supplée alors aux difficultés économique et sociale grâce à l’institution de l’Etat providence.
Se développe ainsi la figure de l’Etat protecteur et solidaire, dans une vision holiste de la société. Cette volonté de lutter contre
l’exclusion et les partitions sociales s’affirme par de nombreuses voies : la protection sociale et les minima sociaux (comme le
RSA), les réglementations face aux dérives du marché, l’intervention économique structurelle, etc. Parmi les «crises» de l’Etat
providence (crise d’efficacité et de financement), on insiste assez rarement sur la crise de légitimité de l’Etat. Or il semble bien