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© Guy TONELLA
L’expérience progressive de ses sensations corporelles amenèrent cette patiente à les identifier
comme « ses forces », éliminant ses hallucinations, et reconstruisant cette continuité corporelle
qui lui faisait défaut.
Dans mon travail avec les psychotiques, j’ai parfois travaillé de cette façon, individuellement,
bien qu’en groupe. Un jeune femme me dit un jour, à l’issue d’un travail, radieuse, ayant quitté
le visage de cire qu’elle avait habituellement : «Je sens battre mon cœur pour la première fois ! »
J’en étais heureux et le lui dis. Elle ajouta : «Vous voulez le sentir battre ?» Je lui répondais que
oui ; elle me prit alors la main et la posa sur son sexe. Je fus évidemment surpris et je lui dis :
«Vous avez le cœur bien bas !» Elle rie mais elle maintint son affirmation, assimilant les
sensations de pulsation vaginale aux sensations de battement du cœur. C’était important pour elle
car elle sortait de l’insensibilité corporelle et de l’absence d’émotions qui l’habitaient depuis
toujours : elle était heureuse de découvrir des sensations et le partageait affectivement avec moi.
Nous avons souvent travaillé en groupe à partir de ce qui émergeait, chez l’un ou chez l’autre, et
en en faisant une situation d’exploration pour chacun. En début de groupe, Stéphane dit un jour
d’une voie très retenue, les yeux chargés de terreur : «Ce qui me fait le plus peur dans une
relation, c’est de faire le premier pas. » Je lui propose alors de se lever, face à moi et à une
certaine distance, et de faire un pas vers moi. Travail difficile :il est terrorisé, paralysé. Puis il le
fait. L’expérience est fructueuse, reproduite avec des variations, proposée à tous, avec plus ou
moins de succès pour les uns ou pour les autres. Cette approche est centrée sur l’interaction
affectivo-motrice et elle sera progressivement payante.
Nous avons également travaillé à partir de jeux d’expression corporelle, de jeux de sons et de
voix. L’accès au cri a été déterminant pour la plupart : crier et entendre crier. Nous avons
beaucoup joué : à nous faire rire, à nous faire peur, à être méchants ou gentils … Des sensations
ont émergé, à la recherche de dénomination, des sentiments se sont exprimés, entre eux et nous,
entre eux, entre eux et l’équipe d’observation qui leur était familière. Des liens ténus de
continuité psychocorporelle se sont tissés, se sont défaits, puis retissés, laissant émerger
l’archaïque brut (Tonella, 2002) pour enfin l’assimiler et le faire Soi.
LE PROCESSUS THERAPEUTIQUE ET LA CONSTRUCTION DU LIEN INTERSUBJECTIF
La conception de ce travail thérapeutique est une conception du travail-dans-le-lien-
thérapeutique, qui ouvre à la reconnaissance et à la mise en forme créative des flux originaires
qui logent dans les espaces interstitiels de l'être et imprègnent ses tissus. Ce sera donc la plupart
du temps dans la présentation agie et non parlée, dans le flux respiratoire et cardiaque, dans le
soubresaut corporel, dans le tremblement qui agite la colonne vertébrale ou l'étau qui enserre la
nuque, dans le courant émotionnel qui s'impose ou jaillit du dedans, dans le regard qui se vitrifie
ou qui s'obnubile,que les forces séquestrées jusqu'alors surgiront. Et c'est parce qu'elles
surgiront ainsi, au sein du lien thérapeutique, qu'elles seront enfin susceptibles de prendre une
forme intersubjective, et, plus tard, un sens personnel. De la présentation agie, de cette proto-
symbolisation se dessinera une autre forme, psychique, susceptible d'être parlée, une re-
présentation, non délirante, et prolongeant, cette fois, l’expérience tonico-sensori-émotionnelle.
L'archaïque qui émerge est créateur de forme, d'abord posturo-émotionnelle et, secondairement
de sens, d'abord imagé. Et quand il émerge à la perception, le sensori-émotionnel précède le
pensé et cherche le lien. Ce qui change alors est que cet archaïque, maintenant lié, n'est plus