ÉDITORIAL
La Lettre du Psychiatre - vol. I - n° 1 - mars-avril 2005
4
De la vulnérabilité à la prédiction :
une transition à risque ?
From vulnerability to psychosis: a high-risk transition
H. Verdoux*
I
l faut tout d’abord se féliciter de la pertinence du choix édi-
torial : consacrer ce premier numéro de La Lettre du Psy-
chiatre aux troubles psychotiques débutants permet d’aborder
une question tout à fait centrale tant en termes cliniques qu’en
termes d’organisation des soins et de recherche. Bien que tous les
traités de psychiatrie dédient un chapitre aux modalités d’entrée
dans la schizophrénie, mettant l’accent sur le caractère souvent
insidieux de l’apparition des troubles, le développement de pro-
grammes d’intervention ciblés sur les premiers stades de la mala-
die est relativement récent. Identifier le plus tôt possible un
trouble psychotique débutant pour pouvoir intervenir le plus pré-
cocement possible et améliorer ainsi le pronostic, voilà une stra-
tégie dont la pertinence paraît peu contestable. Cette stratégie a
indubitablement pour intérêt d’inciter la communauté psychia-
trique à analyser les processus et filières d’accès aux soins des
personnes présentant un trouble psychotique débutant. Quel que
soit le pays, le constat est que ces filières sont souvent dysfonc-
tionnelles, du fait du manque d’information du grand public et
des acteurs de santé de première ligne sur les symptômes psy-
chotiques, d’une coordination défaillante entre médecins généra-
listes et psychiatres, de délais prolongés d’obtention de rendez-
vous de consultation, etc. Le développement de programmes
d’intervention précoce permet donc de repenser l’organisation
des soins dans son ensemble, puisque les personnes souffrant de
troubles psychotiques n’ont malheureusement pas l’apanage d’un
accès aux soins psychiatriques complexe et trop souvent pro-
longé.
Les professionnels de santé mentale jouent un rôle clé dans
l’amélioration de l’accès aux soins, en particulier par des pro-
grammes de formation et d’information destinés aux autres pro-
fessionnels de santé et au grand public. Il est ainsi souhaitable de
diffuser l’information sur l’état actuel des connaissances concer-
nant les facteurs de risque pour la schizophrénie, tels que les fac-
teurs génétiques ou environnementaux précoces, qui sont passés
en revue dans les différents articles de ce numéro. De même, il
faut encourager une mise à jour des connaissances concernant les
anomalies neuro-anatomiques actuellement identifiées chez les
sujets souffrant de troubles psychotiques débutants. Il paraît donc
essentiel d’associer à cette information un message clair concer-
nant la distinction entre facteur de vulnérabilité et facteur de
prédiction, c’est-à-dire entre une caractéristique qui augmente la
probabilité de survenue d’un trouble et une caractéristique per-
mettant de prédire pour un individu donné l’émergence de ce
trouble. On peut rappeler une étude célèbre conduite chez des
conscrits suédois (1). Les sujets présentant à l’autoquestionnaire
certaines caractéristiques, à savoir moins de deux amis proches,
préfèrer les petits groupes, être plus sensible que les autres et ne
pas avoir de relation amoureuse fixe, avaient un risque multiplié
par 30 de développer une schizophrénie au cours du suivi. Cepen-
dant, seuls 3 % des sujets présentant ces caractéristiques déve-
loppaient un tel trouble. En d’autres termes, ces caractéristiques
représentaient des facteurs de risque, augmentant la vulnérabilité
pour la schizophrénie, mais ne permettaient pas de prédire pour
un individu donné l’évolution vers ce trouble. À la question
“aurait-il été judicieux de traiter ’préventivement’ 97 sujets à
risque pour prévenir trois cas ?”, même les adeptes les plus
convaincus des bénéfices de l’intervention précoce répondraient
indubitablement par la négative. Pourtant, la question équivalente
mériterait d’être posée de manière plus rigoureuse concernant les
critères utilisés pour identifier les états mentaux “à risque” dans
ces programmes. La distinction entre facteurs de risque et fac-
teurs prédictifs ne se résume pas à des subtilités sémantiques, elle
intéresse aussi les sujets inclus dans ces programmes qui rece-
vront de manière injustifiée un traitement “préventif”.
R
ÉFÉRENCE
B
IBLIOGRAPHIQUE
1.
Malmerg A, Lewis G, David A, Allebeck P. Premorbid adjustement and perso-
nality in people with schizophrenia. Br J Psychiatry 1998;172:308-13.
* Université Victor Segalen, Bordeaux 2, INSERM U657, IFR Santé publique.
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