84 Éditorial
psychiatre, et même simplement toute personne connec-
tée, peut donc apporter ses commentaires ou contributions.
C’est la démocratie participative... sans doute avec son cor-
tège de leurres.
L’intégration d’approches dimensionnelles
La complexité jusqu’à présent croissante du DSM d’édition
en édition laisse craindre une poursuite dans cette voie. Elle
pourrait s’exprimer à travers, entre autres, des évaluations
complémentaires de natures dimensionnelles et transver-
sales, c’est-à-dire transnosographiques. Une classification
nosographique qui paradoxalement intègre des évaluations
transnosographiques aura au moins le mérite de ne pou-
voir être taxée de sectarisme catégoriel. Les approches
transversales proposées concernent, à titre d’exemples,
l’évaluation du risque suicidaire, de l’humeur dépressive,
du degré d’anxiété, des troubles du sommeil. L’intention
est que ces évaluations complémentaires à la catégorisa-
tion diagnostique soient «cliniquement utiles »et qu’elles
permettent «d’établir une ligne de base et des rééva-
luations lors des consultations de suivi pour détecter un
changement ». Outre l’accroissement de la complexité de
l’outil «DSM », c’est un glissement importun d’objectifs
diagnostiques vers des objectifs de prise charge clinique.
On peut s’interroger sur ce glissement, s’en étonner et
inévitablement s’en inquiéter. Standardiser est toujours par
nature un appauvrissement. Pour un objectif de classifica-
tion, cet appauvrissement est une nécessité incontournable,
consentie dès le départ, délibérément acceptée puisqu’elle
apporte en contrepartie des bénéfices heuristiques, et pra-
tiques pour certains objectifs (exemple : homogénéité des
groupes de patients étudiés pour la recherche). Pour la prise
en charge clinique, on peut avoir quelques doutes quant à
l’utilité de la standardisation et même quelques craintes sur
un plan légal dans un monde judiciarisé. En un mot, la stan-
dardisation diagnostique, passe encore, la standardisation
de la clinique, voilà qui serait trop.
L’excès des comorbidités et des troubles
«non-spécifiés »
Deux autres reproches faits aux versions antérieures sont
le grand nombre de comorbidités et le grand nombre de
patients que les cliniciens sont amenés à classer dans une
catégorie de trouble «non-spécifié ». Comme implicitement
suggéré plus haut, le DSM n’est pas une classification essen-
tialiste, c’est-à-dire, définissant des entités qui seraient
distinctes par essence, impliquant leur caractère discret
entre elles. Le DSM est au contraire une classification nomi-
naliste. Il suit en cela la méthode de toute nosographie en
psychiatrie jusqu’à présent, à savoir observer des patients,
les décrire, identifier des attributs observables (les cri-
tères diagnostiques), rassembler des groupes de patients
sur la base d’attributs partagés et nommer des groupes
(les catégories diagnostiques) qui sont donc des créations
par convention nominale. Mais, il y a structurellement au
moins trois choses qu’une approche nominaliste ne peut
pas faire. Les deux premières sont de pouvoir classer tout
échantillon de terrain (en l’occurrence un patient) et de
donner la liste exhaustive de toutes les catégories exis-
tantes. Trivialement, ces deux limites aboutissent à ce que
certains sujets ne rentrent pas dans les cases. Ils sont alors
soit dans les fameuses pseudocases «Not otherwise speci-
fied », soit nulle part dans la classification. La troisième est
d’obtenir des classes discrètes. Trivialement, il y a des sujets
qui rentrent dans plusieurs cases, des comorbidités. Idéale-
ment, les zones de frontière entre les catégories devraient
être ce que l’on appelle des «zones de rareté »et non des
zones agglomérant des foules de patients comorbides. Le
DSM-5 ne paraît pas avoir spécifiquement cherché à minimi-
ser le pourcentage de patients des catégories non-spécifiées
et des comorbidités. On peut donc craindre que les mêmes
reproches soit faits à ces égards à la nouvelle édition.
Le contrariant tango du couple
sensibilité/spécificité
Comme toute approche diagnostique, le DSM est confronté
au problème de la sensibilité et de la spécificité et, par-là
même, aux risques de faux-positifs et faux-négatifs. Trois
épidémies de faux-positifs ont été induites par le DSM-
IV : le trouble autistique, le trouble hyperactivité avec
déficit de l’attention et le trouble bipolaire de l’enfant.
L’émergence de taux élevés de ce dernier trouble, multi-
pliés par 40 en une décennie aux États-Unis [2], est plus
que déconcertante pour les cliniciens d’adultes, dont je
suis, qui n’ont jamais trouvé un début dans l’enfance en
interrogeant leurs patients bipolaires ! On peut craindre que
les encouragements à être innovant, à penser «out of the
box », données aux groupes de travaux du DSM-5 n’aient
des conséquences fâcheuses. La première, en multipliant
les diagnostics, serait de complexifier encore une classifi-
cation déjà malaisée à utiliser aux yeux de beaucoup. La
seconde est, comme le redoute Frances, qu’elles n’induisent
de nouvelles épidémies [1]. Ainsi, plusieurs diagnostics
«innovants »tels que trouble mixte anxiété-dépression,
syndrome de risque prépsychotique, trouble neurocognitif
mineur, hyperphagie boulimique (boulimies sans les compor-
tements compensatoires inappropriés) sont proposés. Ces
diagnostics sont centrés sur des symptômes fréquents en
population générale. Il en découlera une meilleure sensi-
bilité mais au prix d’une baisse de spécificité. Pour prendre
l’exemple du trouble mixte anxiété-dépression (d’ailleurs
peu innovant puisqu’il figure dans la CIM-10 (F 41.2) à la
section «autres troubles anxieux »), il est vrai que cer-
tains patients, surtout en soins primaires, ont un degré de
souffrance significatif avec incapacité fonctionnelle, sans
néanmoins présenter assez de critères pour être classés dans
une catégorie dépressive ou anxieuse du DSM. La nouvelle
catégorie créée, très sensible, aura le mérite d’intégrer ces
patients, mais, peu spécifique, pourrait induire une réduc-
tion du champ de la normalité. Nouvelles épidémies de
faux-positifs en perspectives ?
Conflit d’intérêt
L’auteur n’a aucun conflit d’intérêt à déclarer.
Références
[1] Frances A. Wither DSM-V? Br J Psychiatry 2009;195:391—2.