Quelles évolutions attendre du DSM-5? JD GUELFI Professeur émérite de Paris Descartes Sce Pr F Rouillon CMME – 100 rue de la santé 75674 PARIS CEDEX 14 [email protected] 25/07/2013 1 Conflits potentiels d’intérêt • Au cours des trois dernières années j’ai eu des activités de conseiller-consultant, assuré des conférences, et coordonné des études multicentriques contrôlées pour les firmes pharmaceutiques suivantes : AstraZeneca, BMS-Otsuka, BoehringerIngelheim,Janssen, Lilly, Lundbeck, Pfizer et Servier 25/07/2013 2 Quelles évolutions attendre du DSM-5? - Mai 2013 Sortie du DSM nouveau 947p www.PsychiatryOnline.org - Recrudescences des critiques - Principaux arguments - Evolution depuis le DSM- IV - Comment sortir de l’impasse 25/07/2013 3 Première évolution possible: Le boycott mondial. La disparition du DSM La liberté de penser retrouvée La découverte de l’étiopathogénie des troubles mentaux La mort de l’industrie pharmaceutique et la disparition des médicaments psychotropes La démédicalisation de la société Disparition des psychiatres et disparition des troubles 25/07/2013 4 Une évolution alternative Les tensions s’apaisent; ls journalistes se reposent et les chercheurs retravaillent Les historiens et les philosophes des sciences cherchent à comprendre les tenants et les aboutissants du chaos actuel et à aider les psychiatres à sortir de l’impasse. Tout avait pourtant bien commencé. Le DSM-IV de 1994 allait être révisé en 2000 25/07/2013 5 Le processus de révision du DSM- IV - Début 1994 – DSM-IV –TR, 2000 - Analyse des principales limitations du Manuel (Validité, incertitudes nosographiques, utilité pratique en question) - Nomination de la Task Force pour le DSM- 5 (DJ Kupfer) avec de nouvelles modalités de travail. Principes de base : - Maintien de la continuité avec les éditions précédentes - Nécessité de disposer de preuves de progrès avant d’accepter des modifications - Harmonisation, rapprochement voire alignement du DSM sur la classification internationale de l’OMS 25/07/2013 6 Les insuffisances du Manuel • Comment améliorer encore la fidélité interjuges des diagnostics? • Comment s’assurer de la validité des catégories diagnostiques? • Dans quels domaines des modèles mixtes ou purement dimensionnels sont préférables aux catégories ? • Quelles nouvelles clés vont s’avérer utiles pour le progrès des connaissances ? 25/07/2013 7 Les nouvelles modalités de travail pour l’élaboration du DSM-5 • Maintien des principes de base comme les critères diagnostiques MAIS importance nouvelle accordée à l’utilité clinique de la classification, primauté donnée au « jugement clinique ». • Maintien des commissions d’experts MAIS élargissement des instances consultées et diversification des travaux préparatoires à l’élaboration de la nouvelle classification. 25/07/2013 8 Une position de principe de D Kupfer Pour faciliter l’ internationalisation de la classification et l’ harmonisation entre CIM et DSM, diverses initiatives ont été prises comme le développement de conférences sponsorisées par le NIMH centrées sur divers diagnostics et la publication d’un livre blanc publié en 2002 : A research Agenda for DSM-V. 25/07/2013 9 LES 13 APA/NIH Conference Series (suite) Conférence initiale sur les méthodes 18-20 02 04 Troubles de la personnalité 1-3 12 04 Substances 14-17 02 05 Stress et peurs 23-24 06 05 Démence 15-17 09 05 Deconstructing Psychosis 15-17 02 06 Spectre obsessionnel-compulsif 20-22 06 06 Le Dimensionnel 26-28 06 06 Tableaux somatiques 6-8 09 06 Externalizing disorders de l’enfance 14-16 02 07 Dépression et Trouble anxieux généralisé 20-22 06 07 Santé publique et révision de la classification 25-26 09 07 Autisme 3-5 08 2008 25/07/2013 10 La Task Force du DSM-5 David Kupfer Darrel Regier William Narrow Maritza Rubio-Stipec Francisco-Xavier Castellanos (Tr externalisés) William Carpenter (Psychoses) Wilson Compton Joel Dimsdale (Tr somatoformes) Javier Escobar Jan Fawcett (Humeur) Steven Hyman, Rapporteur, Spectra Study Group Dilip Jeste (Delirium, démence…) 25/07/2013 11 La Task Force du DSM-5 (suite) Helena Kraemer Daniel Mamah James McNulty Howard Moss Charles O’Brien (substances) Roger Peele Katharine Phillips (anxiété) Daniel Pine (enfant) 25/07/2013 Charles Reynolds (sommeil) Andrew Skodol (personnalité) Susan Swedo (autisme) Timothy Walsh (alimentation) Philip Wang William Womack Kimberly A Yonkers (gender 12 et cross-cultural) L’élaboration du DSM-5 • Les travaux se sont déroulés de 2007 à 2012 • Les recommandations initiales des groupes de travail ont été mises en ligne en février 2010. Plus de 13 000 commentaires ont été reçus et analysés • Deux vagues d’enquêtes sur le terrain (field trials) avaient été programmées pour tester la faisabilité du système et les cpncordances interjuges des diagnostics (kappas) • Les décisions définitives ont été prises en nov 2012 25/07/2013 13 • Le manuel a été publié en mai 2013 Les principales nouveautés du DSM-5 • Réorganisation générale • Suppression de l’évaluation multiaxiale • Section I Introduction et mode d’emploi • Section II 20 principaux chapitres diagnostiques • Section III « Emerging Measures and Models » 25/07/2013 14 La section II du DSM-5: Troubles • Neurodéveloppementaux, avec déficiences intellectuelles, troubles de la communication, spectre de l’autisme, déficit de l’attention// Hyperactivité, troubles moteurs • Schizophrenia spectrum and other psychotic • Bipolar and related • Depressive • Anxiety • Obsessive- compulsive and related • Trauma and Stressor- Related • Dissociative • Somatic Symptom and Related • Feeding and eating •25/07/2013 Elimination 15 La section II du DSM-5: Troubles • • • • • • • • • • • Sleep- Wake Sexual Dysfunctions Gender Dysphoria Disruptive, Impulse- Control and conduct Substance- Related and Addictive Neurocognitive Personality Paraphilic Other MD Medication- Induced MD Other Conditions 25/07/2013 16 La section III du DSM-5 • Emerging Measures and Models - Cross-cutting Symptom Measures - WHO Disability Assessment Schedule WHODAS 2.0 - Cultural Formulation - Alternative DSM-5 Model for PD - Conditions for Further Study Attenuated Psychosis Syndrome, Depressive episodes with Short Duration Hypomania, Persistent Complex Bereavement Disorder, Caffeine Use Disorder, Internet Gaming Disorder, Neurobehavioral Disorder Associated with Prenatal Alcohol Exposure,Suicidal Behavior Disorder, Non Suicidal Self Injury 25/07/2013 17 Commentaires • Autism Spectrum Disorder Déficit marqué de la communication ET patterns restreints de comportements, intérêts et activités…Impact du changement discuté sur la prévalence et l’accès aux soins : C Lord (- 10%), Mattala (-50%) • Binge Eating Disorder • Troubles de l’humeur: le Disruptive Mood Dysregulation Disorder 25/07/2013 18 Commentaires Suite • Pour les troubles psychotiques la principale proposition du groupe de travail présidé par W Carpenter s’est limitée à l’individualisation d’un syndrome psychotique atténué qui possède une validité prédictive, mais dans la section III. Les adolescents concernés sont beaucoup plus à risque de développer une schizophrénie dans les deux ans :10 à 30% vs 0,2% 25/07/2013 19 Commentaires Suite • Pour la schizophrénie des évaluations dimensionnelles avaient été recommandées pour tous les symptômes du critère A: Hallucinations, idées délirantes et les deux domaines des symptômes négatifs: expression émotionnelle diminuée et Avolition. L’évaluation dimensionnelle du déficit cognitif n’a pas été retenue dans le critère A car jugée insuffisamment spécifique 25/07/2013 20 Commentaires Suite • L’état de stress post-traumatique inclus dans Trauma et Stressor- Related Disorders avec une plus grande attention accordée aux symptômes comportementaux • Le deuil enlevé des critères d’exclusion pour un diagnostic d’épisode dépressif majeur • Le Hoarding Disorder, Thésaurisation pathologique ou Syllogomanie • L’ancien Substance Use Disorder devient le Substance- related and Addictive Disorder sans distinction entre abus et dépendance mais avec une augmentation du nombre minimum de critères nécessaires pour le diagnostic(2 ou 3 au lieu de 1) 25/07/2013 21 Les troubles de la personnalité dans le DSM-5 • Définition générale: Altération du sens de l’ identité personnelle (sens de soi et détermination) et de la capacité à avoir un fonctionnement interpersonnel adapté (empathie et intimité) • Recommandations initiales du groupe de travail le 10 février 2010 (AE Skodol): maintien de 5 catégories sur les 10 du DSM-IV. Dimensionnalisation: Critère B: Six dimensions proposées correspondant à 37 facettes de traits • Réactions du monde scientifique très négatives 25/07/2013 22 Les troubles de la personnalité dans le DSM-5 • Recul du groupe de travail en 2011-2012 • Retour aux 10 catégories du DSM-IV dans la section II • Introduction du modèle alternatif dimensionnel dans la section III avec 5 dimensions et 25 facettes de traits: Affectivité négative (vs stabilité émotionnelle), Détachement (vs Extraversion), Antagonisme (vs Agréabilité), Désinhibition (vs caractère consciencieux), Psychoticisme (versus lucidité) 25/07/2013 23 Les troubles de la personnalité dans le DSM-5 • Exemple du critère B pour la personnalité Borderline Au moins 4 des 7 traits pathologiques suivants, au moins l’un d’entre eux devant être l’impulsivité, la prise de risque ou l’hostilité Labilité émotionnelle, Tendances anxieuses, Insécurité liée à la séparation, Dépréssivité (quatre facettes de l’Affectivité négative), Impulsivité, Prise de risque (deux facettes de la Désinhibition) et Hostilité (facette de l’ Antagonisme) 25/07/2013 24 Le DSM, une impasse?, un échec? • Sans doute! au minimum en tous cas, un aveu d’impuissance! • Un préalable indispensable pour un futur progrès des connaissances? Peut-être! • Comment transformer une classification descriptive en une nosographie? • La philosophie des Sciences peut- elle 25/07/2013 25 nous aider? L’apport de la Philosophie des Sciences • Steeves Demazeux a soutenu en 2011 une thèse de philosophie sous la direction de Jean Gayon (Paris I) : « Le lit de Procuste du DSM-III; classification psychiatrique, standardisation clinique et ontologie médicale » (668p). Il a résumé ce travail dans un livre qui vient d’être publié Qu’est ce que le DSM? Paris, Editions d’Ithaque, 251p 25/07/2013 26 L’apport de la Philosophie des Sciences Suite • La standardisation de la pratique a des avantages mais elle appauvrit la clinique et stérilise la recherche • La nosographie doit a priori pouvoir bénéficier de l’apport des philosophes des Sciences. Aux EU : Christopher Boorse, Tristram Engelhardt, Jerome Wakefield ( avec le concept de Dysfonctionnement préjudiciable ou Harmful Dysfunction) ou encore Kenneth Fulford en Angleterre qui souhaite réhabiliter la prise en compte des valeurs et des jugements de valeur dans la 25/07/2013 27 classification A propos d’une stérilisation possible de la recherche • L’engouement pour le coefficient kappa (Cohen,1960) se montre en définitive assez stérile pour faire progresser les connaissances, surtout si on prend en compte la nécessité de savoir tenir compte des jugements de valeur au lieu de chercher à les gommer. Pour les troubles de la personnalité le kappa variait selon les études de .19 à . 56, pour les troubles thymiques de .10 à . .47, pour les psychoses de . 32 à .77 28 25/07/2013 Les résultats des premières enquêtes sur le terrain du DSM-5 • Les fidélités interjuges s’avèrent décevantes sauf pour quelques troubles comme le trouble neurocognitif majeur (kappa 0.78), le spectre autistique (0.69), ou l’ Etat de stress (0.67) MAIS il est de 0.28 pour l’EDM!!! • L’hétérogénéité d’un centre à l’autre est trop marquée: BIP I Mayo Clinic 0.71, San antonio 0.27!! BLPD, à Toronto 0.75, à Houston/ Menninger 0.34!! • Les conditions ne sont même pas réunies pour avoir une estimation fiable des coefficients kappa pour les troubles BIP II, lpour les personnalités obs et schizotypiques, lou le trouble neurocognitif léger… Am J Psychiatry, Janv 2013, vol 170, Editorial R Freedman et al (13 auteurs) 25/07/2013 29 A propos d’ une stérilisation possible de la recherche Suite • Une classification utile serait celle qui rendrait les plus explicites possibles tous les jugements de valeur impliqués dans les critères retenus en matière de motivations, émotions, sexualité, imagination, croyances etc.(K Fulford) • Les divergences diagnostiques sont parfois liées à l’imprécision des critères mais aussi, souvent, à des désaccords sur les valeurs sous25/07/2013 30 jacentes A propos du choix délibéré d’avoir privilégié la fidélité interjuges au détriment des validités • Sur les différents types de validité: Blashfield, Kendell, Cronbach, Meehl etc. Au modèle médical de Robins et Guze s’oppose le modèle des construits psychologiques appliqué dans le domaine des troubles de la personnalité • Sur les techniques d’analyse statistique, beaucoup d’espoirs avaient été fondés jusqu’aux années 60- 70 sur les analyses factorielles 25/07/2013 31 L’approche dimensionnelle par analyse factorielle: la déception • « La tentative de résoudre nos problèmes de classification en procédant à des analyses statistiques des données cliniques a échoué jusqu’à aujourd’hui et il est probable qu’elle continuera d’échouer par la suite… » Everitt BS, Gourlay AJ, Kendell RE An Attempt at validation of traditional Psychiatry Syndromes by Cluster Analysis 25/07/2013 Brit J Psychiatry 1971, 119, 399- 412 32 Les validités ( suite) • Elles n’ont pas permis en tous cas de répondre à la question : continuité ou discontinuité en psychiatrie ou catégories ou dimensions ( cf la littérature anglaise sur les dépressions). Les chercheurs ont aussi été déçus par la variabilité des résultats des analyses en clusters • De nouveaux espoirs ont surgi avec les analyses taxométriques de Nick Haslam ( The latent structure of mental disorders: A taxometric update on the categorical vs dimensional debate . Current Psychiatry 25/07/2013 Reviews 2007, 3, 172- 7) 33 Conclusions de Steeves Demazeux • L’impasse actuelle est liée à l’oblitération sur le plan épistémologique de l’hétérogénéité de la clinique et à l’uniformisation des descriptions cliniques. Il est nécessaire d’accepter l’hétérogénéité, c’est à dire des frontières naturelles pour certaines catégories, des catégories d’intérêt pratique pour d’autres données et certaines dimensions pour des non- 34 25/07/2013 catégories etc. Comment sortir de l’impasse… • Abandonner l’idée d’utiliser une classification unique qui puisse servir à la fois à la pratique psychiatrique, à la médecine générale et à la recherche clinique concernant l’élaboration d’hypothèses théoriques ( en cela le modèle de la CIM- 10 est supérieur à celui du DSM) • Utiliser les critères améliorés du DSM CONJOINTEMENT à d’autres systèmes reposant, eux, sur des hypothèses et sur 25/07/2013 des modèles théoriques que l’on teste 35 Comment sortir de l’impasse… • Développer le projet initié par le NIH en 2009 (T Insel) sur la taxinomie: les Research Domain Criteria avec des construits théoriques intégrant les données récentes des neurosciences génétiques, neurophysiologiques, d’imagerie représentant de nouveaux paradimes, p ex les circuits neuronaux impliqués dans: l’émotionnalité négative, l’émotionnalité positive, les processus sociaux, les processus cognitifs, le système d’éveil etc • Adopter un pluralisme ontologique, revenir à l’approche polydiagnostique défendue par certains psychiatres européens comme P Berner et H Katschnig à Vienne, Charles Pull 25/07/2013 au Luxembourg ou P Pichot à Paris 36 Comment sortir de l’impasse • Cette nécessité de tester des modèles théoriques originaux est préconisée par un nombre croissant d’auteurs, p ex H Akiskal pour les troubles thymiques, J Foucher pour les classifications des psychoses (intérêt de la classification de Leonhard), ou encore un modèle à deux facteurs conduisant à de nouveaux découpages: l’ externalisation( trouble des conduites, p antisociale et abus de substances) et l’internalisation comprenant : la Peur (panique et anxiété sociale) et la Détresse anxieuse 25/07/2013 37 (Dysthymie, dépression et TAG) Des œuvres de référence - RE Kendell The role of diagnosis in Psychiatry , Oxford, Blackwell Scientific Publication 1975 - RK Blashfield : The classification of psychopathology. Neo-Kraepelinian and quantitative Approaches, New York Plenum Pub Corp 1982 - Steeves Demazeux : Qu’est-ce que le DSM? Genèse et transformations de la bible américaine de la psychiatrie, Ithaque, 2013 25/07/2013 38