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Chapitre. Le désir (ES, S et l)
INTRODUCTION
Etymologiquement, le mot désir vient du verbe latin (desiderare) qui signifie constater
l’absence de quelque chose. Ainsi le désir est l à la notion de manque : nous désirons
souvent une chose qui nous manque. Le désir est donc une tendance, un mouvement, un
élan vers quelque chose qui m’intéresse mais qui n’est pas ma propriété et que je cherche
donc à obtenir.
Que désirons-nous? Qu’est-ce qui motivent nos sirs? Désirons-nous les choses pour
leurs valeurs ou pour d’autres raisons ? Quel est le but final du sir ? Comment bien
désirer ? Quelle philosophie pour un meilleur désir ?
I. L’homme, un être de désir
1. Que désire l’homme ?
De toutes les espèces vivantes, l’homme est le seul être qui sire. Son effort de
conservation s’accomplit dans son désir. C’est pourquoi Spinoza affirme que le désir (ou
l’Appétit) « n’est rien d’autre que l’essence même de l’homme. » Le désir n’est pas donc
un phénomène accidentel chez l’homme mais un phénomène naturel et humain. Le but du
désir humain est la conservation de la vie (Voir la partie II de ce chapitre). Mais qu’est-ce
que les hommes désirent pour préserver leur vie? Plusieurs choses. Une infinité de
choses. Ces choses sont-elles les mêmes ? Non. On peut les classer généralement en deux
grands groupes : d’un côté, il y a les désirs vitaux ou les désirs naturels et nécessaires
(Epicure) et, de l’autre, les sirs artificiels. Les désirs vitaux sont les désirs dont la
privation entraine l’arrêt de la vie. Sans le désir vital, la vie n’est pas possible. Par exemple,
boire, manger, dormir, se reproduire, etc. sont des désirs vitaux et nécessaires. On appelle
aussi ces désirs les besoins. Le besoin est une tendance naturelle et biologique vers un
objet vital ; il porte sur un nombre de choses limité. Ces choses sont universelles : car ils
sont identiques chez tous les hommes (et même essentiellement chez les êtres vivants). Ils
sont naturels et invariables.
En revanche, les désirs artificiels (ou conditionnels) désignent tous les désirs qui portent
sur des choses non nécessaires à la vie. Le désir artificiel est donc de l’ordre de
l’imaginaire ; il est indéterminé, variable, puisqu’il dépend de la culture, de
l’environnement du désirant. Il est particulier, individuel, changeant et illimité. Ainsi
l’homme peut désirer entre autre une personne (une personne aimée, une célébrité..),
une idéologie, un culte, une religion, une activité (sportive, sociale..), etc. Cependant, il est
difficile parfois de délimiter clairement la frontière qui sépare entre les différentes
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catégories de désirs, entre le nécessaire et l’artificiel, l’utile et l’inutile. Car si manger est
un besoin naturel, la nourriture qu’on mange et la manière de l’assouvir peuvent relever
du désir. L’homme peut satisfaire artificiellement un désir nécessaire et vital (boire de
coca cola). Il peut jusqu’à transformer l’artificiel, le superflu en nécessaire vital, en
indispensable (le khat, l’alcool, la drogue, etc.)
2. Que cherchons-nous dans les désirs ?
Quel que soit l’objet désiré, l’homme désire les choses pour se procurer du plaisir. La
finalité de notre désir, c’est la satisfaction, le plaisir. Cette finalité hédoniste du plaisir est
bien vue par Epicure. Epicure, le philosophe du jardin, explique que la satisfaction du désir
se termine nécessairement par la joie, la jubilation, le plaisir. C’est la recherche du plaisir
qui anime donc notre désir. Si l’objet désiré n’est pas source de plaisir, personne ne le
désirerait. Pourquoi désire-je, par exemple, le voyage ? Je désire voyager pour découvrir
d’autres pays, pour passer des moments agréables dans des endroits magnifiques,
touristiques et très visités : la Tour Eiffel de Paris, la plage de Rio de Janeiro, le Lac Assal de
Djibouti, les Pyramides de l’Egypte, etc. L’homme a connu la satisfaction, la joie, le plaisir :
dans le jardin d’Eden, l’homme vivait en abondance. Il ne lui manquait rien. Il n’avait aucun
désir, aucune douleur, aucune souffrance (le Coran). Il veut revivre nostalgiquement cette
vie joyeuse dans ce monde à travers ses désirs.
Animé par le plaisir, le désir est le moteur de notre existence. Il est au service de la survie
de l’humanité. La visée suprême de notre désir, c’est la préservation de la vie (Spinoza). Il
est l’expression de notre puissance, de notre force, un excès de vie, une volonté de
conservation, etc. Darwin et Freud partagent tous les deux cette idée de Spinoza. Darwin
propose une théorie qui postule que l’évolution des espèces serait régulée par la sélection
naturelle. La nature sélectionne par le biais des mutations nétiques, du hasard, de la
nécessité les êtres les mieux adaptés à leurs milieux, et éliminent les êtres peu
intéressants. Dans sa théorie de l’inconscient, Freud montre, de son côté, que le désir est
une tendance. Le désir veut toujours se manifester, s’exprimer. Même lorsqu’il est refoulé
et interdit par la conscience pour son caractère immoral, le désir ne s’endort jamais, il
cherche opiniâtrement à s’exprimer, il s’active inlassablement.
Le désir, c’est aussi ce qui élève l’homme au-dessus de l’espèce animale. Ce qui distingue
l’homme de l’animal. L’animal ne désire pas. Il n’a que des besoins, mais pas des désirs. Le
désir est donc spécifiquement humain car seul un être humain désire quelque chose. Il est
aussi responsable de la grandeur de l’espèce humaine. Car l’homme conscient de son
imperfection, de sa misère et de son malheur désire la perfection, la satisfaction, le
divertissement (Pascal) : le désir tire l’homme vers la perfection, le progrès, le bonheur.
L’animal stagne, sa condition de vie ne bouge pas. Car l’animal imparfait ignore son
imperfection et ignore le parfait.
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Cependant, peut-on dire que l’homme est vraiment heureux avec son désir ? Le désir est
avant toute chose la constatation d’une absence, d’un manque (Platon). Le vide laissé par
ce manque cause une souffrance chez l’homme. Le désir commence donc par une
souffrance, mais il se termine aussi par la souffrance ou par l’ennui. Schopenhauer
explique que telle une pendule qui oscille entre deux pôles, l’homme se balade
incessamment entre deux souffrances. Il veut fuir la souffrance par le désir, mais ce
dernier l’achemine vers la souffrance. L’homme est encerclé par la souffrance, une
souffrance présente partout. Le point de départ du désir, c’est la privation, la frustration,
le manque. Pour combler ce manque, le sujet se lance à la recherche de la chose désirée
afin de l’acquérir. Or, pour obtenir la chose désirée, le sujet désirant doit engager une
énergie, un effort considérable. Il doit se donner de la peine pour la satisfaction de son
désir : une autre souffrance. Mais une fois son désir réalisé avec tant de peines et de
souffrances, le sujet n’est pas entièrement satisfait du résultat, il est déçu, il souffre
encore. C’est ce que Rousseau constate très bien dans cette très belle formule : « on n’est
heureux qu’avant d’être heureux ». La joie est dans l’attente de la satisfaction, la
satisfaction imaginaire du désir, et non dans la possessionelle de la chose. L’imagination
est plus plaisante que la réalité. La fin du désir pourrait donc être désagréable,
insatisfaisante.
Pire encore, le sujet n’aura pas le temps de digérer la maigre satisfaction tirée de son
désir. La satisfaction du premier désir déclenche une avalanche d’autres désirs. Plusieurs
autres portes s’ouvrent, d’autres espoirs naissent et d’autres désirs se profilent à l’horizon.
C’est le début d’un nouveau cycle de souffrance. Un cycle de souffrance (et ennui) mais
aussi de conflit, de violence. Puisque nos désirs sont illimités, infinis et sans bornes, ils
peuvent croiser, se frotter et percuter les désirs des autres désirants. Peut donc naitre de
ce choc entre les trajectoires de nos sirs des conflits, des violences. Dans son œuvre Le
Léviathan, Hobbes s’intéresse à cet aspect particulier du désir. En analysant les désirs des
hommes, il conclut que ces derniers ne désirent pas vraiment les objets mais le pouvoir,
l’honneur, l’orgueil, la supériorité. Les hommes désirent volontairement les objets désirés
par d’autres hommes pour les avoir et montrer aux autres leur supériorité, leur pouvoir.
Chaque homme lutte, selon Hobbes, pour anéantir le désir de l’autre et d’affirmer le sien :
c’est la « guerre de tous contre tous ».
Dans ce monde d’ici-bas, le désir est par essence insatisfait. On ne peut pas satisfaire
définitivement notre désir, mettre fin à tout désir. Il est impossible de réaliser une
satisfaction définitive du désir, car chaque fois qu’un désir est satisfait, un autre apparaît.
Seule la mort peut mettre un terme à l’insatiabilité du désir humain. Le désir n’est-il pas
rien d’autre que le désir de la mort ? Ce que Nietzsche appelle la « pulsion de mort ». La
recherche effrénée de la satisfaction totale de tous nos désirs n’est-elle pas la recherche
de la mort, d’une vie morte et sans désir. Ou bien est-elle, au contraire, la manifestation
d’un désir désespéré d’immortalité comme expliquait Diotime à Socrate dans un dialogue
de Platon. La procréation, la recherche de la gloire, de la célébrité par la politique, l’art, le
sport… ne sont-ils pas les moins de ce désir d’immortalité ? Une immortalité physique à
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travers la procréation, la néalogie, Et une autre « selon l’âme » : à travers la poésie, la
musique, l’art, la littérature, la doctrine, la théologie, etc.
II. La motivation de notre désir
Pour la philosophie traditionnelle, les choses sont désirées en fonction de leurs utilités et
de leurs valeurs. Une chose n’est donc désirée par les hommes que si elle a une utilité,
une valeur particulière. Selon cette explication, le désir de la chose est déterminé par la
chose elle-même. C’est la chose désirée qui détermine le désir. C’est elle qui active notre
désir par sa désirabilité. Sinon comment désirer une chose sans aucune valeur de
désirabilité ? Peut-on désirer l’indésirable? Il semble donc évident que la chose est désirée
quand elle est désirable, et qu’elle n’est pas désirée quand elle est indésirable. Le sujet
désirant ne désire que ce qui est désirable, il ne désire pas la chose non désirable. Mais
cette idée est vraie, si et seulement si la chose sirable est désirée par tout le monde ;
autrement dit si la chose désirable serait universellement sirée. Alors pourquoi ne
désirons-nous pas les mêmes choses ? Pourquoi nos désirs sont-ils particuliers et non
identiques ?
Spinoza semble avoir une réponse à cette question. Pour Spinoza, la valeur de désirabilité
d’une chose n’est pas déterminée par la chose elle-même, mais par le sujet désirant : c’est
parce que nous la désirons qu’une chose est désirable. En réalité, elle n’est ni bonne ni
mauvaise en soi. Ainsi, pour Spinoza, si nous sirons une chose, ce n’est pas pour sa
valeur, mais, c’est parce que nous l’investissons illusoirement une valeur : « nous ne
désirons pas les choses parce qu’elles sont bonnes ; elles nous semblent bonnes parce
que nous les désirons » lit-on dans sa citation. C’est pourquoi les hommes ne sirent pas
les mêmes choses. C’est pourquoi nos sirs sont si différents et si variés les uns des
autres. Chacun désire des objets qu’il valorise subjectivement. Ce qui est subjectivement
désiré par moi n’est pas objectivement désiré par mon ami ou un proche. Nous nous
trompons dans nos sirs, car nous ignorons véritablement les vraies causes de nos désirs.
Nous avons conscience de nos désirs, ils ne sont pas inconscients, mais nous ne
connaissons pas les causes réelles qui expliquent nos désirs.
René Girard a une troisième explication : il introduit un nouvel élément entre le sujet
désirant et la chose désirée. Pour ce philosophe, le désir n’est pas linéaire, il est
triangulaire. Un désir est linéaire lorsque le rapport entre le désirant et le désiré, entre le
sujet qui désire et l’objet désiré est direct, c’est-à-dire lorsqu’il n’y a aucun médiateur,
aucun autre élément étranger entre les deux. Selon la thèse de Girard, notre désir est
triangulaire, il n’est pas rectiligne. Dans sa description du mécanisme du désir mimétique,
il observe qu’il existe une présence humaine entre le sujet et l’objet désiré. Le sujet désire
une chose médiatement, par l’intermédiaire d’un autre sujet : c’est la chose désirée par un
autre que nous désirons, nous voulons posséder la même chose qu’autrui, copier son
désir, jalouser sa satisfaction. Cette situation entraine une rivalité. Le désir mimétique est
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source de violence. Pour casser ce cercle vicieux et stopper cette violence permanente, la
société invente un bouc émissaire et canalise cette violence sur quelqu’un, un ennemi
commun : d’où le sacrifice.
Hegel rejoint lui aussi la conception de René. Il écrit que l’objet de notre désir n’est que
l’objet du désir de l’autre. C’est essentiellement le désir du désir de l’autre, c’est
l’imitation des désirs des autres. Ce mécanisme est bien compris par les publicités qui
mettent en scène une star, une personnalité très célèbre ou une personne quelconque,
jouissant d’un objet ou d’une marchandise afin de réveiller chez le spectateur une jalousie,
un désir mimétique. Ce n’est pas la valeur de l’objet ou du produit présenté qui nous
intéresse mais la personne qui la possède : ces chaussures sont désirables parce qu’elles
elles sont chaussées par Messi ; cette lunette est désirable parce qu’elle est portée par
Brad Pitt. Ce n’est pas la lunette en soi que désire le sujet, mais c’est la personne qui la
porte qu’il désire. Je veux porter la même lunette que Brad Pitt, les mêmes chaussures que
Messi, avoir la même coupe que Rihana, prier de la même façon que notre prophète
MOHAMAD (PSL), etc.
Mais quelle que soit la motivation de notre désir, une question se pose : toute chose est-
elle désirable ? L’homme doit-il tout désirer ? Notre désir doit-il avoir une limite ? Quelle
philosophie devrons-nous adopter pour bien désirer : la maitrise de nos désirs ?
L’annulation de tous nos désirs ? La satisfaction anarchique de nos sirs ? La sublimation
des désirs ?
III. Quelle attitude faut-il adopter devant nos désirs ?
1. Minimiser les désirs
La philosophie stoïcienne conseille au sujet désirant de désirer uniquement les choses
dont la satisfaction est facile et à sa portée. Le stoïcisme classe les désirs en deux : les
superflus et inaccessibles, et les désirs accessibles et réalisables. Selon ce courant
philosophique, pour ne pas souffrir, il ne faut pas chercher les sirs superflus, luxueux
dont la satisfaction demande des moyens gigantesques. La philosophie stoïcienne veut que
l’individu ne vise que les sirs qu’il peut réaliser pour qu’il puisse vivre heureux ; ils
déconseillent des hommes de courir derrière des choses qu’ils ne peuvent pas atteindre,
qui sont en dehors de leur portée. La recherche de ce genre des désirs qui nous dépassent
peuvent nous conduire à la déception et donc à la souffrance. Désire ce que tu peux avoir,
et oublie ce que tu ne peux pas avoir : nous dira un stoïcien.
On retrouve cette me philosophie de vie dans les religions. Par exemple, notre religion,
l’islam, préconise à ses fidèles de désirer le peu, le minimum, l’accessible, et se
désintéresser du difficile, du luxueux et de l’impossible. Notre prophète (PSL) nous a
montré le chemin : il vivait modestement avec peu de choses, partageait le surplus avec
les autres (la nourriture, la richesse, etc.). Humble, discret, modeste, on n’arrivait même
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