PHILOSOPHIE PROFESSEUR WAHIB
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Cependant, peut-on dire que l’homme est vraiment heureux avec son désir ? Le désir est
avant toute chose la constatation d’une absence, d’un manque (Platon). Le vide laissé par
ce manque cause une souffrance chez l’homme. Le désir commence donc par une
souffrance, mais il se termine aussi par la souffrance ou par l’ennui. Schopenhauer
explique que telle une pendule qui oscille entre deux pôles, l’homme se balade
incessamment entre deux souffrances. Il veut fuir la souffrance par le désir, mais ce
dernier l’achemine vers la souffrance. L’homme est encerclé par la souffrance, une
souffrance présente partout. Le point de départ du désir, c’est la privation, la frustration,
le manque. Pour combler ce manque, le sujet se lance à la recherche de la chose désirée
afin de l’acquérir. Or, pour obtenir la chose désirée, le sujet désirant doit engager une
énergie, un effort considérable. Il doit se donner de la peine pour la satisfaction de son
désir : une autre souffrance. Mais une fois son désir réalisé avec tant de peines et de
souffrances, le sujet n’est pas entièrement satisfait du résultat, il est déçu, il souffre
encore. C’est ce que Rousseau constate très bien dans cette très belle formule : « on n’est
heureux qu’avant d’être heureux ». La joie est dans l’attente de la satisfaction, la
satisfaction imaginaire du désir, et non dans la possession réelle de la chose. L’imagination
est plus plaisante que la réalité. La fin du désir pourrait donc être désagréable,
insatisfaisante.
Pire encore, le sujet n’aura pas le temps de digérer la maigre satisfaction tirée de son
désir. La satisfaction du premier désir déclenche une avalanche d’autres désirs. Plusieurs
autres portes s’ouvrent, d’autres espoirs naissent et d’autres désirs se profilent à l’horizon.
C’est le début d’un nouveau cycle de souffrance. Un cycle de souffrance (et ennui) mais
aussi de conflit, de violence. Puisque nos désirs sont illimités, infinis et sans bornes, ils
peuvent croiser, se frotter et percuter les désirs des autres désirants. Peut donc naitre de
ce choc entre les trajectoires de nos désirs des conflits, des violences. Dans son œuvre Le
Léviathan, Hobbes s’intéresse à cet aspect particulier du désir. En analysant les désirs des
hommes, il conclut que ces derniers ne désirent pas vraiment les objets mais le pouvoir,
l’honneur, l’orgueil, la supériorité. Les hommes désirent volontairement les objets désirés
par d’autres hommes pour les avoir et montrer aux autres leur supériorité, leur pouvoir.
Chaque homme lutte, selon Hobbes, pour anéantir le désir de l’autre et d’affirmer le sien :
c’est la « guerre de tous contre tous ».
Dans ce monde d’ici-bas, le désir est par essence insatisfait. On ne peut pas satisfaire
définitivement notre désir, mettre fin à tout désir. Il est impossible de réaliser une
satisfaction définitive du désir, car chaque fois qu’un désir est satisfait, un autre apparaît.
Seule la mort peut mettre un terme à l’insatiabilité du désir humain. Le désir n’est-il pas
rien d’autre que le désir de la mort ? Ce que Nietzsche appelle la « pulsion de mort ». La
recherche effrénée de la satisfaction totale de tous nos désirs n’est-elle pas la recherche
de la mort, d’une vie morte et sans désir. Ou bien est-elle, au contraire, la manifestation
d’un désir désespéré d’immortalité comme expliquait Diotime à Socrate dans un dialogue
de Platon. La procréation, la recherche de la gloire, de la célébrité par la politique, l’art, le
sport… ne sont-ils pas les témoins de ce désir d’immortalité ? Une immortalité physique à