Texte 7

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Texte 7
APPRENDRE ! André Giordan, Débats Belin, 1998, p 95 à 100.
LE DESIR D'APPRENDRE
« Donner à l'enfant le désir d'apprendre
et toute méthode sera bonne »
Jean-Jacques Rousseau, L'Emile, 1762.
« On n'apprend pas sans être motivé ! » Voilà un consensus largement partagé, une manière de pont
aux ânes dans le monde de l'éducation. Pour confirmer ce précepte, un proverbe est appelé à la
rescousse. Ne dit-on pas : « On ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif » ? Dès lors, tout le monde est
satisfait. Nos pédagogues des pédagogies nouvelles n'ont plus qu'à clamer en chœur : « Motivation,
motivation » ou « Faut motiver, faut motiver ». Et les sceptiques des innovations peuvent avancer : «
Avec le goût d'apprendre, tout se passe sans effort. Plus besoin des sciences de l'éducation, de la
didactique ou des méthodologies de l'apprentissage. »
Au milieu de l'enthousiasme général, se fait pourtant entendre un petit hic puisque, ces slogans
une fois lancés, on reste coi et bien embarrassé quand on est enseignant ou parent. On ne se trouve
guère plus avancé sur le plan pratique ! Comment, en effet, donner envie d'apprendre à ces chères têtes
blondes ou brunes ? Comment obtenir ce déclic, le goût pour le savoir ? Comment s'y prendre, en
particulier avec des enfants que plus rien ne touche ? Il y a dix ans, il était de bon ton de parler de la
génération « bof ». Le phénomène s'est encore aggravé avec la crise économique et l'émergence de
nouvelles formes d'exclusion. Un nombre grandissant de jeunes n'a plus envie d'apprendre.
Alors, privés de solutions, bien des professionnels de l'école jettent l'éponge et se bornent à
noter sur les carnets de notes trimestriels : « Elève peu motivé, travail nettement insuffisant», « Elève
démotivé, résultats peu brillants », « N'a pas le désir d'apprendre », « N'a aucun projet ». Il est vrai
que, par manque de formation, certains enseignants continuent de penser que la matière qu'ils
incarnent est suffisamment motivante en elle-même.
DEPASSER « LA CAROTTE OU LE BÂTON »
Mais inutile de désespérer. Aujourd'hui, et c'est heureux, il est possible d'avancer en dépassant
« la carotte ou le bâton », seuls universaux envisagés. Pour cela, à l'instar de nombreux aspects
approchés dans ce livre, il nous faut renier quelques évidences fichées dans nos têtes. Commençons
par l'essentiel, faute de quoi nous risquons d'engraisser d'énièmes désillusions. Il nous faut tout d'abord
tordre le cou à une idée fréquente chez tout parent ou tout enseignant en matière d'éducation : l'idée
qu'on peut trouver à coup sûr une solution pédagogique simple, définitive, complète et valable pour
tous les moments et tous les individus (comme s'il s'agissait de presser un bouton électrique pour
allumer la lumière).
Certes, le jeu et l'activité motivent d'entrée le jeune enfant. De même, un projet est toujours
porteur pour tout adolescent ou tout adulte. Mais le résultat, lui, n'est jamais automatique. Des
procédés n'ont pas forcément d'impact seuls, à n'importe quelle condition. Pour être dynamisants, ils
demandent des spécificités très précises. Et puis, il y a activité et activité, projet et projet...
La motivation et son rôle dans l'apprendre ne sont pas des mécanismes de la plus haute
simplicité. Le désir pour le savoir est un processus multiforme, le terminus d'un enchaînement
d'éléments. Il recouvre divers « ressorts » qui participent du biologique, du psychologique et du
culturel. Il engendre à son tour de nouveaux processus et, surtout, s'enracine dans l'histoire de
l'individu. Dès lors, notre propos ne peut être simple, sans qu'il faille, pour autant, en exagérer la
difficulté.
La motivation peut être extrêmement facile à exciter. Un simple mot, une petite phrase
suffisent parfois à entraîner un individu pour le meilleur ou ...pour le pire. Combien de Français,
d'Allemands ou de Japonais sont descendus dans la rue ou sont partis à la guerre motivés par quelques
paroles qui ont immédiatement fait «tilt ». Elles renvoyaient à un besoin immédiat, à un intérêt latent
ou à des valeurs défendues par l'individu. Il arrive même qu'il soit inutile de motiver !
La motivation peut exister à priori, à « fleur de peau ». Il suffit de la connaître ou de la faire
émerger. Pas la peine de perdre son temps pour déclencher un intérêt sur certains thèmes. Les
dinosaures, les volcans, l'Univers, les galaxies ou les hommes préhistoriques titillent d'entrée la
curiosité. Le désir de savoir est déjà au rendez-vous, préalable à la situation. Cette motivation fait
écho à certains de nos mythes, de nos fantasmes, de nos craintes ou encore à l'une des grandes
préoccupations humaines : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? »
MOTIVER = MISSION IMPOSSIBLE
A contrario, motiver peut s'avérer une mission impossible ! L'enseignant a beau proposer une
panoplie complète de moyens captivants (l'humour, le charme, une accroche, une intrigue ou des
technologies nouvelles), rien n'y fait. La mayonnaise, comme on dit, « ne prend pas ». Quelque chose
bloque : la situation, le comportement de l'orateur, l'image du savoir pour l'apprenant, le rapport aux
copains de classe...
De nos jours, c'est ce qui arrive très fréquemment à l'école. L'institution, pour une frange de
plus en plus large d'adolescents, est synonyme d'ennui et d'inutilité puisqu'elle ne permet plus
d'accéder à un emploi. La démotivation à l'école ne date pas d'hier. La question a déjà fait l'objet de
longs et âpres débats entre chercheurs et pédagogues. Quelques mots sur cette histoire nous
permettront d'avancer plus vite et de dégager la plupart des facteurs qui influencent, positivement ou
négativement, la motivation des élèves.
Pour Burrhus Skinner, le chef de file de l'approche béhavioriste, un élève se démotive à la
suite d'échecs trop fréquents. Les punitions morales ou corporelles ou le manque d'encouragements
participent de ce phénomène. Pour Skinner, tout est - relativement - simple. Des stimuli extérieurs, tels
des activités, des récompenses ou des encouragements, sont à rechercher pour déclencher une
irrésistible envie d'apprendre et mobiliser l'énergie ad hoc. Enseigner est l'art d'identifier ces facteurs
déclenchants. Par la suite, des renforcements seront mis en place pour en prolonger l'effet.
A l'opposé, dans les années soixante, le philosophe Carl Rogers et les pédagogues des courants
humanistes ont estimé que la véritable source de motivation résidait dans les besoins intrinsèques de
l'individu. Pour ce courant de pensée, la libido sciendi procède du besoin de s'épanouir. Le médecin et
pédagogue belge Ovide Decroly tenait pour sa part l'apprendre pour un besoin parmi d'autres.
L'enseignant, à son estime, se doit d'encourager ou de « diriger les besoins innés » ou acquis propres à
chaque enfant ou adulte, et d'en faire naître de nouveaux. En réponse au besoin de défense chez
l'enfant, par exemple, Decroly proposait d'inventorier avec lui les animaux dangereux, les plantes
vénéneuses, de lister les moyens de défense (les coups, les cris, les attaques...), ou de protection (les
écailles, les cornes, les dents...), pour faire naître l'envie de mieux connaître le comportement de ces
animaux.
Le succès de l'approche constructiviste a momentanément mis le débat sous le boisseau. La
motivation était logée dans une relation permanente entre l'élève et son environnement. Celle-ci prend
son origine dans les perceptions et les attentes d'un individu. Les possibilités d'interventions
pédagogiques deviennent immédiatement plus vastes. L'enseignant peut s'appuyer sur les besoins
internes de l'élève, ses intérêts, ses désirs et ses attentes générées par la situation d'enseignement. Dans
le même temps, il peut mettre en place des « moyens externes de persuasion » oraux, écrits ou
médiatisés. Pour les plus jeunes, le jeu et l'action occupent une place privilégiée.
Toutefois, rien ne coule de source dans la pratique quotidienne. La motivation ne peut se
résoudre en termes de recettes. C'est un délicat dosage qu'il s'agit d'organiser. Ce qui importe est de
susciter un intérêt porteur qui incite l'individu à se surpasser. Tout juste peut-on prévoir les difficultés
majeures qui inhiberont la motivation. Par exemple, cette dernière est rarement induite directement par
des renforcements externes. Bien que très pratiquée dans de nombreux musées pour enfants, une telle
approche ne produit qu'un intérêt très superficiel. De même, le fameux « carotte ou bâton » n'a que des
effets très fugaces. La présentation d'images, la réalisation d'expériences, l'utilisation d'interactifs
peuvent être un facteur déclenchant pour l'enfant, mais cet intérêt reste limité et inefficace s'il n'est pas
relayé par un intérêt plus profond.
LA MOTIVATION CHEZ LES SOURIS
Dans les années quarante, l'éthologue Clark Hull, en poste à l'université de Yale (Etats-Unis),
avait déjà remarqué chez les souris que, pour faciliter l'apprentissage d'un parcours dans un labyrinthe,
il ne suffisait pas de fournir une récompense aux rongeurs. Encore fallait-il que celle-ci soit perçue
comme telle. En l'espèce, l'animal devait être affamé. Réaliser un parcours était alors le résultat d'une
combinatoire entre un besoin (la faim) et la réponse à ce besoin (la nourriture). Si l'animal n'a pas faim
ou peu faim, la nourriture perd tout son intérêt. Hull proposait la loi scientifique suivante
Apprentissage = Motivation x Habitude formule que l'on pourrait ainsi amender
Motivation = Besoin x Intérêts
En fait, la motivation est toujours le résultat - du moins en première approximation - de
l'interaction entre l'état interne d'un individu et de multiples éléments de son environnement. Un
nouvel état interne, moteur pour l'apprendre, doit être créé et enclencher toute une dynamique. Telle
est toute la difficulté !
La motivation est donc, sans contexte, l'ensemble des mécanismes internes « poussant »
l'individu à apprendre. Elle peut être comparée à une force, à une pulsion, à une tension et permet le
déclenchement d'une action, tout en orientant l'apprenant vers des situations capables de le satisfaire.
Dans le même temps, la motivation entretient l'énergie nécessaire pour mener un projet à son terme.
Elle maintient l'attention et l'esprit en éveil, malgré les difficultés cognitives qui surgissent.
Mais la motivation n'est rien sans l'environnement. Elle est une sorte de réponse à ce dernier.
Dès lors, pour un être humain, la question devient vite très complexe. Elle ne dépend pas uniquement
de ses besoins immédiats. L'individu présente des intérêts, des désirs voire des passions qui facilitent
ou empêchent le processus de motivation. Tout se joue entre une résonance entre les besoins, les
intérêts, les désirs, les attentes, les aspirations (c'est selon) d'un apprenant et les propriétés d'une
situation à même de les satisfaire.
Idées essentielles du texte :
Introduction
La motivation, des idées qui persistent dans notre société, en particulier chez les professionnels de
l'éducation ; questionnement relatif au « déclenchement » de la motivation.
1° paragraphe
dépasser les idées reçues (recettes)
différencier contexte, moyen... (projet, jeu...) et résultats
préciser la motivation, le désir dans la complexité (ressorts)
deux exemples de motivation, par un déclencheur « facile », par une « préexistence » due aux
supports (volcans... )
2° paragraphe
difficulté de motiver et dans la pratique de classe et par la représentation de l'institution
quelques études pour une pratique
Skinner (conditionnement), Rogers (besoin intrinsèque), Decroly un besoin parmi d'autres.
Approche constructiviste peu satisfaisante.
La motivation n'a pas de recettes ; elle viendrait d'intérêts plus profonds (relation
motivation/intérêt).
3° paragraphe
Etude de C. Hull, la motivation serait l'interaction d'un état interne avec un environnement. La
motivation serait une force au service de l'action, une énergie qui entretiendrait cette action, une
synergie entre les désirs de l'apprenant et les propriétés de la situation environnementale.
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