Prise en charge de la cirrhose
C Bureau JM Péron JP Vinel
Service d’Hépato-Gastro-Entérologie. Fédération Digestive CHU Purpan Toulouse
La définition de la cirrhose est histologique. C’est une affection irréversible et diffuse du foie
associant la fibrose et les nodules de régénération. Il en résulte 3 conséquences :
- une insuffisance hépatocellulaire, liée à la diminution de nombre des hépatocytes
fonctionnels et une diminution des échanges entre hépatocytes et courant sanguin
- une hypertension portale responsable du développement d’une circulation collatérale source
d’hémorragies et d’encéphalopathie.
- un état précancéreux avec le risque de développer un carcinome hépatocellulaire (CHC).
La cirrhose est l’évolution ultime de certaines maladies chroniques du foie ou des voies biliaires. Au
cours de l’histoire naturelle de ces maladies, on distingue habituellement 2 grandes phases selon que
les complications sont absentes ou indécelables (cirrhose compensée) ou au contraire présentes
(cirrhose décompensée). Dans la mesure où l’évolutivité de la maladie peut être contrôlée par un
traitement spécifique et où certaines complications peuvent être prévenues ou dépistées en temps utile,
il est important de faire le diagnostic de cirrhose aussi tôt que possible et de mettre en place un
programme de surveillance.
I) Diagnostic précoce
A ce stade, la maladie est pauci ou asymptomatique, elle correspond au stade A de la classification de
Child-Pugh (Tableau 1). Elle doit donc être systématiquement recherchée chez les patients à risques.
Un faisceau d’arguments cliniques et biologiques peut permettre de l’évoquer.
Les signes cliniques qui ont une valeur prédictive pour le diagnostic de cirrhose sont les
suivants (tableau 2): splénomégalie, angiomes stellaires, circulation collatérale, érythrose palmaire,
bord inférieur du foie régulier et tranchant. Le risque de développer une cirrhose étant significatif à
partir de 45 ans, une vigilance accrue doit être portée à partir de cet âge.
Les anomalies biologiques les plus évocatrices de cirrhose sont rapportées dans le tableau 2. Il s’agit
de l’hypoalbuminémie, du bloc βγ (globulines), de la baisse du taux de prothrombine et de la
thrombopénie.
Depuis quelques années, l’intérêt se concentre sur des marqueurs non invasifs de fibrose. Toutefois
leur utilisation en pratique courante n’est pas encore d’actualité.
Associée à ces anomalies, la mise en évidence de signes d ‘hypertension portale est très évocatrice de
cirrhose. Des varices oesophagiennes sont présentes chez la moitié des patients atteints de cirrhose.
Les autres signes endoscopiques d’hypertension portale sont les varices gastriques, et la gastropathie
congestive.
L’échographie peut montrer une dysmorphie hépatique et couplée au Doppler peut également mettre
en évidence des signes d’hypertension portale tels que l’augmentation du calibre de la veine porte,
l’absence de variation respiratoire du diamètre des vaisseaux portes, la présence de collatérales porto-
systémiques, une splénomégalie, ou une ascite infra-clinique.
Seul l’examen macroscopique et microscopique du foie permettent un diagnostic de certitude. La
biopsie peut également orienter vers une étiologie. Elle peut se faire par voie transpariétale ou par voie
jugulaire s’il existe des troubles de la coagulation ou de l’ascite. Sa morbidité est de l’ordre de 0,3 %
et sa mortalité de 0,01%. Toutefois, la biopsie elle-même peut être prise en défaut du fait d’erreurs
d’échantillonnages d’autant plus fréquentes que la cirrhose est macronodulaire.
II) Recherche de l’étiologie
Les étiologies sont résumées dans le tableau 3. Elles doivent être systématiquement recherchées même
si l’une d’elles parait évidente car elles peuvent être intriquées et relever de traitements spécifiques
d’efficacité démontrée, occasionner d’autres états morbides ou encore imposer une enquête familiale.
En cas de cirrhose liée à l’alcool, l’abstinence durable entraîne une amélioration parfois spectaculaire
des fonctions hépatiques, de l’hypertension portale, et donc de l’espérance de vie qui rejoint alors celle
de sujets de la population générale appariés par sexe et âge. La consommation d’alcool doit être
proscrite quelle que soit l’origine de la cirrhose.
Les cirrhoses post-hépatitiques B ou C compensées doivent être traitées.
Les patients atteints d’hémochromatose doivent être traités par saignées même au stade de cirrhose si
elle est compensée. Toutefois le risque de survenue du CHC persiste si le traitement est débuté une
fois la cirrhose constituée.
Le traitement par corticoïdes est tenté dans les cirrhoses auto-immunes, même décompensées, car il
permet parfois une amélioration spectaculaire de l’état du patient.
L’acide ursodésoxycholique peut ralentir l’évolution de la cirrhose biliaire primitive (CBP).
Il est également nécessaire de rechercher des associations morbides liées à la nature même de la
maladie : autres pathologies dysimmunitaires au cours de l’hépatite auto-immune ; diabète,
insuffisance gonadique, myocardiopathie au cours de l’hémochromatose ; cancer du sein dans la CBP ;
pancréatites, neuropathies, cancers ORL ou oesophagiens au cours de l’alcoolisme ; infections par
d’autres virus au cours des hépatites virales ; maladies sexuellement transmissibles dans l’hépatite B.
Certaines étiologies enfin imposent un dépistage ou une prévention dans l’entourage : enquête
familiale dans l’hémochromatose ou la maladie de Wilson ; vaccination de l’entourage d’un porteur du
VHB.
III) Surveillance de la cirrhose compensée
1) Alimentation
Le régime du patient atteint de cirrhose doit être équilibré. Aucun aliment n’est nocif. Il n’y a pas
d’indication d’un régime désodé en l’absence d’ascite et/ou d’oedèmes, ni d’un régime hypoprotidique
au long cours (même en présence d’encéphalopathie) car il est source de dénutrition.
2) Prévention des complications de l’hypertension portale
Ascite
Il n’y a pas de régime ou traitement préventif de l’ascite, en dehors du traitement étiologique qui en
améliorant les fonctions hépatiques peut prévenir la survenue des complications.
Varices oesophagiennes
Des varices oesophagiennes sont présentes chez 50% des patients atteints de cirrhose et leur rupture
est une complication grave dont la mortalité atteint 40 % des cas. Les facteurs de risque identifiés sont
une taille moyenne ou grosses (stade 2 et 3) surtout si des signes rouges sont présents à la surface des
varices. La recherche de tels indices ne peut être qu’endoscopique. Le schéma suivant est ainsi
proposé : endoscopie systématique chez tout cirrhotique, en l’absence de VO contrôle à 2 ans, en
présence de VO de stade 1 contrôle à 1 an. Si les VO sont de stade 2 ou 3 ou s’il existe des varices
gastriques, un traitement préventif de leur rupture doit être prescrit.
La prévention repose sur les β-bloquants non cardio-sélectifs (propranolol ou nadolol). Ces
médicaments réduisent de moitié le risque de saignement. Ils occasionnent peu d’effets secondaires et
doivent être poursuivis à vie. Une fois le traitement initié il n’y a pas d’indication de contrôle
endoscopique. En cas de contre-indication ou d’intolérance aux β-bloquants, une éradication par
ligature des varices oesophagiennes est recommandée.
Quand les varices sont absentes ou petites (stade 1), l’administration de β-bloquants ne prévient pas
l’augmentation de leur taille et n’est donc pas indiqué.
Les traitements pharmacologiques (β-bloquants), endoscopiques (ligature) et radiologique (shunt
intrahépatique porto-systémiques ou TIPS) sont tous efficaces pour prévenir la récidive après un
premier épisode hémorragique (prophylaxie secondaire). Les β-bloquants non cardiosélectifs ont été
les premiers étudiés, ils améliorent la survie et diminuent le risque de récidive hémorragique. La
ligature a supplanté la sclérothérapie. Les TIPS sont plus efficaces que le traitement endoscopique en
terme de récidives hémorragiques au prix d’une augmentation du risque d’encéphalopathie et sans
amélioration de la survie.
La ligature élastique par voie endoscopique et/ou les β-bloquants sont donc être proposés en traitement
préventif de rupture après un premier épisode hémorragique (tableau 4). Le TIPS est réservé aux
échecs de ces 2 méthodes.
3) Place des vaccins
La vaccination contre les virus des hépatites B et A est fortement conseillée, les patients atteints de
cirrhose étant plus à risque d’hépatite aiguë grave. Ces vaccins sont bien tolérés, mais leur efficacité,
en particulier celle du vaccin de l’hépatite B est moindre que chez les patients sans cirrhose.
4) Dépistage du carcinome hépatocellulaire
Le risque annuel de survenue d’un CHC chez un patient cirrhotique est de l’ordre de 3% à 6%. Ce
risque existe quelle que soit l’étiologie, mais est maximum pour l’hémochromatose, les cirrhoses
alcooliques et post-hépatitiques. Les courbes de survie du CHC symptomatique non traité varient de
0% à 4 mois à 1% à 2 ans et seul approximativement 20% des patients pourront bénéficier d’un
traitement curatif en raison de la diffusion tumorale et/ou de l’insuffisance hépatocellulaire. Le
dépistage du CHC devrait permettre de diagnostiquer des lésions à un stade plus précoce et
d’augmenter le nombre de patients pouvant bénéficier d’un traitement curatif. En effet, le CHC répond
aux critères de l’OMS permettant d’identifier les malades nécessitant un
dépistage pour une maladie donnée. Il est fréquent, il s’agit du 4ème cancer en fréquence dans le monde
et son incidence est en augmentation dans les pays occidentaux. Il a un impact significatif en termes de
morbidité et mortalité. La population est facilement identifiable puisqu’il s’agit de patients atteints de
cirrhose et le test de dépistage, l’échographie, est acceptable en termes de sensibilité, spécificité et
morbidité. En revanche, le CHC ne remplit pas clairement un critère pourtant essentiel : l’efficacité du
traitement. On peut toutefois retenir que certaines techniques pourraient être efficaces sur des petites
tumeurs. Le dépistage par une échographie semestrielle est donc recommandé par la plupart des
hépatologues.
IV) Cirrhose décompensée : complications de la cirrhose, traitement et surveillance.
1) Ascite.
Il s’agit de la complication la plus fréquente de la cirrhose. Elle marque un tournant évolutif de la
maladie avec une survie à 2 ans des patients de l’ordre 50%. Le traitement de l’ascite est le régime
désodé (2 à 3 g/j) et les diurétiques qui bloquent la réabsorbtion du sodium au niveau de la branche
ascendante de l’anse de Henlé (furosémide) ou au niveau du tube contourné distal (spironolactone). Il
n’est pas utile d’imposer aux patients un régime désodé trop strict, difficile à suivre et source
d’anorexie et de dénutrition. Il est conseillé d’associer d’emblée les diurétiques. Ce traitement peut
être entrepris à domicile. Il est toutefois recommandé d’hospitaliser la première poussée d’ascite pour
analyser le liquide (pauvre en protides), écarter une infection du liquide d’ascite et faire le bilan de la
maladie (si la première poussée révèle la maladie) Lorsque l’ascite est tendue, on associe des
ponctions évacuatrices totales suivies d’une expansion volémique par albumine, si le volume prélevé
est supérieur à 5 litres.
Les paramètres cliniques de surveillance de ce traitement sont la diurèse et le poids du malade: la perte
de poids ne doit pas dépasser 1 kg/2 jours en l’absence d’oedèmes. Elle comporte également le
dépistage des complications des diurétiques qui sont essentiellement l’hyponatrémie, l’hypo- ou
hyperkaliémie, l’insuffisance rénale et l’encéphalopathie. La cause la plus fréquente d’échec du
traitement est la mauvaise observance du régime ou de la prise des médicaments. Une fois le volume
d’ascite réduit significativement, les diurétiques sont diminués pour obtenir la dose minimale efficace
tandis que le régime sans sel est poursuivi.
Dans 10% des cas le traitement médical est inefficace, il s’agit alors d’une ascite réfractaire dont le
pronostic est très réservé. Le traitement est la transplantation hépatique et en cas de contre-indication,
la ponction évacuatrice associée à une expansion volémique, le shunt péritonéo-jugulaire ou le TIPS.
Les principales complications de l’ascite sont l’infection spontanée du liquide d ’ascite et le syndrome
hépatorénal qui en est l’évolution ultime. Le diagnostic d’infection spontanée du liquide d’ascite est
établi sur un taux de polynucléaires dans le liquide d’ascite supérieur à 250/mm3. Le traitement repose
sur un traitement de 5 jours avec un antibiotique efficace sur les bacilles Gram- et les entérocoques,
secondairement adapté à l’antibiogramme, et associé à une expansion volémique. La survie des
patients sous traitement est de l’ordre de 80%. Le traitement prophylactique de l’infection du liquide
d’ascite repose sur la décontamination intestinale. L’antibiotique de choix est la norfloxacine à raison
d’un comprimé par jour. Il est indiqué à vie chez les patients avec un antécédent d’infection du liquide
d’ascite (prophylaxie secondaire), pendant la première semaine d’une hospitalisation pour hémorragie
digestive pour tout patient avec cirrhose et tout au long d’une hospitalisation si le taux de protide dans
l’ascite est inférieur à 10 g/l. Le syndrome hépato-rénal est l’évolution terminale de la cirrhose avec
décompensation ascitique, son pronostic est mauvais quel que soit le traitement employé.
2) Encéphalopathie hépatique
L’encéphalopathie hépatique est une complication rarement isolée de la cirrhose. Les principales
circonstances déclenchantes sont l’hémorragie digestive, un traitement sédatif, une infection, des
troubles hydroélectrolytiques ou une poussée d’hépatite alcoolique. Les shunts portosystémiques,
qu’ils soient spontanés, radiologiques ou chirurgicaux favorisent ces poussées. L’encéphalopathie
hépatique évolue soit spontanément soit si le facteur déclenchant a été traité. Son traitement
symptomatique repose soit sur le lactitol ou le lactulose donné à une posologie permettant d’obtenir 2
à 3 selles molles par jours, soit sur la néomycine per os. Le régime hypoprotidique au long cours n’est
pas conseillé car il est source de dénutrition.
L’encéphalopathie peut également représenter la complication terminale d’une cirrhose ; elle survient
alors spontanément et aucun traitement en dehors de la transplantation hépatique n’est efficace.
3) Utilisation des médicaments au cours de la cirrhose
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