1 Electrons bidimensionnels sous champ magnétique fort : la physique des effets Hall quantiques Notes de cours, 2006 Mark Oliver GOERBIG Pascal LEDERER Laboratoire de Physique des Solides, CNRS-UMR 8502 Université de Paris Sud, Bât. 510 F-91405 Orsay cedex 2 Table des matières 1 Introduction 7 1.1 Motivation du cours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 1.2 Histoire de l’effet Hall quantique . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 1.3 Echantillons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 2 Particule chargée dans un champ magnétique 2.1 Traitement classique . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.1 Formalisme lagrangien . . . . . . . . . . . . 2.1.2 Formalisme hamiltonien . . . . . . . . . . . 2.2 Traitement quantique . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.1 Fonctions d’onde dans la jauge symétrique . 2.2.2 Etats cohérents et mouvement semi-classique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 19 20 22 22 25 29 3 Propriétés de transport – effet Hall quantique entier 33 3.1 Calcul de conductance d’un niveau de Landau rempli . . . . . 33 3.2 Localisation dans un champ magnétique fort . . . . . . . . . . 36 3.3 Transitions entre plateaux – image de percolation . . . . . . . 41 4 L’effet Hall quantique fractionnaire – de la théorie de Laughlin aux fermions composites 4.1 Modèle d’électrons restreints à un seul NL . . . . . . . . . . . 4.1.1 Calcul des éléments de matrice . . . . . . . . . . . . . 4.1.2 Algèbre des densités projetées . . . . . . . . . . . . . . 4.1.3 Le potentiel effectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2 La fonction d’onde de Laughlin . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2.1 Quasi-particules de charge fractionnaire . . . . . . . . . 4.2.2 Energie du fondamental . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2.3 Modes collectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 45 46 48 50 51 54 56 58 63 4 TABLE DES MATIÈRES 4.3 La généralisation de Jain – fermions composites . . . . . . . . 67 5 Théories de Chern-Simons et la physique des anyons 5.1 Transformations de Chern-Simons . . . . . . . . . . . . 5.2 Transmutation statistique – les anyons en 2D . . . . . . 5.2.1 Les anyons dans les théories de Chern-Simons . 5.2.2 Charge fractionnaire et statistique fractionnaire . . . . 71 71 75 77 78 6 Théorie hamiltonienne de l’effet Hall quantique fractionnaire 6.1 Théorie miscroscopique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.1.1 Traitement des fluctuations de ACS (r) . . . . . . . . . 6.1.2 Transformation de découplage à petit vecteur d’onde . 6.2 Théorie effective pour tout vecteur d’onde . . . . . . . . . . . 6.2.1 Traitement approximatif de la contrainte . . . . . . . . 6.2.2 Calculs des gaps d’énergie . . . . . . . . . . . . . . . . 6.2.3 Autosimilarité dans le modèle effectif . . . . . . . . . . 81 82 82 87 91 94 96 99 . . . . . . . . . . . . 7 Les phases quantiques dans les niveaux de Landau élevés 7.1 Raisonnements qualitatifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.2 Solides électroniques dans l’approximation de Hartree-Fock . 7.2.1 Energie des phases d’ı̂lots . . . . . . . . . . . . . . . 7.2.2 Energie des phases de rubans . . . . . . . . . . . . . 7.3 Liquides quantiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.3.1 Energie des liquides de Laughlin à ν̄ = 1/(2s + 1) . . 7.3.2 Energie des liquides à ν̄ 6= 1/(2s + 1) : excitations de quasi-particules et de quasi-trous . . . . . . . . . . . 7.4 Comparaison des énergies dans n = 1 et 2 . . . . . . . . . . 7.4.1 Phases quantiques dans n = 1 . . . . . . . . . . . . . 7.4.2 Phases quantiques dans n = 2 . . . . . . . . . . . . . 7.4.3 Diagramme de phase – comparaison aux arguments d’échelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 106 108 112 113 114 114 . . . . 115 115 118 121 . 123 8 Spin et effet Hall quantique – ferromagnétisme à ν = 1 127 8.1 Pertinence des interactions à ν = 1 . . . . . . . . . . . . . . . 127 8.1.1 Fonctions d’onde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128 8.1.2 Comparaison avec le ferromagnétisme dans les métaux 130 8.2 Structure algébrique du modèle avec spin . . . . . . . . . . . . 131 8.3 Modèle effectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134 TABLE DES MATIÈRES 8.4 8.3.1 8.3.2 Phase 8.4.1 Intrication spin-charge . . . . . . . . . Energie dans le modèle effectif . . . . . de Berry et transport adiabatique . . . Applications au magnétisme quantique de spin dans un champ magnétique . . 8.4.2 Application aux textures de spin . . . 5 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . – Dynamique . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Les 9.1 9.2 9.3 9.4 bicouches d’effet Hall quantique Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Analogie de pseudo-spin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Différences avec le cas de la monocouche ferromagnétique . . Données expérimentales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9.4.1 Diagramme de phase . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9.4.2 Gap d’excitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9.4.3 Effet d’un champ magnétique parallèle . . . . . . . . 9.4.4 L’effet quasi-Josephson . . . . . . . . . . . . . . . . . 9.4.5 Expérience de courants antiparallèles . . . . . . . . . 9.5 Superfluidité excitonique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9.5.1 Mode collectif – dynamique du condensat excitonique 9.5.2 Excitations topologiques chargées . . . . . . . . . . . 9.5.3 Transition de Kosterlitz-Thouless . . . . . . . . . . . 9.5.4 Effet du terme tunnel inter-couches . . . . . . . . . . 9.5.5 Effets combinés d’un terme tunnel entre couches et d’un champ Bk . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9.5.6 Effet d’une différence de potentiel entre couches . . . 10 Le graphène et l’effet Hall quantique relativiste 10.1 Modèle de liaisons fortes – sans champ . . . . . . . . . . . . 10.2 Limite continue – modèle de basse énergie . . . . . . . . . . 10.3 Limite continue avec champ magnétique . . . . . . . . . . . 10.3.1 Niveaux de Landau relativistes . . . . . . . . . . . . 10.3.2 Dégénérescences des niveaux relativistes . . . . . . . 10.3.3 Vérification expérimentale . . . . . . . . . . . . . . . 10.4 L’effet Hall quantique relativiste . . . . . . . . . . . . . . . . 10.5 Modèle d’électrons en interaction . . . . . . . . . . . . . . . 10.5.1 Le potentiel d’interaction effective dans le graphène et l’EHQF . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10.6 Le ferromagnétisme de chiralité . . . . . . . . . . . . . . . . . 137 . 140 . 141 . 146 . 147 . . . . . . . . . . . . . . 149 149 151 152 155 155 157 158 159 160 163 167 168 171 172 . 174 . 177 181 . 182 . 187 . 189 . 190 . 194 . 195 . 197 . 199 . 204 . 207 6 TABLE DES MATIÈRES Chapitre 1 Introduction 1.1 Motivation du cours Deux décennies après la découverte de l’effet Hall quantique entier (EHQE, en 1980) [1] et fractionnaire (EHQF, en 1983) [2], les systèmes bidimensionnels d’électrons soumis à un champ magnétique perpendiculaire restent un domaine de recherche intense tant au niveau expérimental que théorique [3]. Dans des échantillons de la meilleure qualité obtenue jusqu’à maintenant, les physiciens ont réussi à augmenter la mobilité µ des électrons à l’interface des hétéro-structures de GaAs/AlGaAs, qui constitue un des prototypes dans lesquels un gas bidimensionnel d’électrons est réalisé, jusqu’à µ ' 30 × 106 cm2 /Vs. Cette mobilité accrue permet l’observation d’une structure beaucoup plus fine dans les courbes de résistance que celle trouvée au moment de la découverte de ces effets dans les années 80. Empruntant un terme du langage de la spectroscopie, une meilleure “résolution” est maintenant accessible, et il semble que le plafond ne soit pas encore atteint. L’observation des effets Hall quantiques, notamment de l’EHQF, fait partie des découvertes qui ont bouleversé notre compréhension du fluide électronique en physique de la matière condensée. En effet, le comportement collectif des électrons dans les métaux a été décrit avec succès dans la théorie de Landau du liquide de Fermi [4] : les interactions entre électrons modifient adiabatiquement l’état fondamental déduit dans un modèle de particules libres, c’est-à-dire qu’elles peuvent être considérées comme une perturbation qui renormalise les paramètres du modèle sans interactions. D’un point de vue technique, les principales méthodes utilisées dans ce contexte 7 8 Introduction sont la théorie de perturbation (les diagrammes de Feynman) et la théorie du groupe de renormalisation. La supraconductivité des métaux a également trouvé une explication dans le cadre des liquides de Fermi avec la théorie BCS (Bardeen-Cooper-Schrieffer) : à basse température, la mer de Fermi devient instable vers la formation de paires d’électrons, due à une attraction effective causée par échange de phonons, quanta des vibrations du résau cristallin [5]. Les paires d’électrons, obéissant à une statistique bosonique, condensent dans un état suprafluide qui est à l’origine de la supraconductivité. Les liquides de Fermi semblaient donc être le point de départ inévitable pour la description du comportement collectif des électrons. A cette époque, les conducteurs unidimensionnels, qui sont plus correctement décrits par le concept du liquide de Luttinger, constituent la seule exception connue, avec les isolants de Mott et la physique de l’3 He solide. Cette image théorique n’a pas seulement été mise en cause par la découverte de l’EHQF mais aussi par celle de la supraconductivité à haute température critique par Bednorz et Müller en 1986 [6]. Les matériaux qui exhibent ce dernier phénomène consistent en des plans de cuivre-oxygène faiblement couplés et constituent donc un système quasi-bidimensionnel. Ils possèdent un diagramme de phase très varié en fonction de la température et du dopage, ce dernier étant la densité de trous dans les plans de cuivre-oxygène ; la plupart des phases ne se comprennent guère en termes de liquide de Fermi. En effet, ce dernier est trouvé uniquement à haute densité de trous. A faible dopage, ces systèmes sont des antiferromagnétiques isolants, tandis qu’à dopage intermédiaire, on trouve des liquides de spin, une phase supraconductrice et, à plus haute température, un métal étrange avec des propriétés très différentes d’un liquide de Fermi. Même si, à première vue, les matériaux qui révèlent cette forme de supraconductivité paraissent peu semblables aux hétéro-structures de semiconducteurs, dans lesquelles on observe les effets Hall quantiques, la physique des deux phénomènes est contrôlée par la présence de corrélations fortes entre les électrons. Contrairement au cas du liquide de Fermi, leurs interactions mutuelles ne peuvent donc être traitées comme une perturbation qui modifie un état fondamental obtenu pour des électrons libres, mais elles déterminent ce dernier. Un autre système, dont les propriétés sont affectées de façon essentielle par des corrélations fortes, avait été étudié peu avant les découvertes de l’EHQF et de la supraconductivité à haute température critique. Il s’agit des matériaux de fermions lourds, où les interactions entre électrons causent une augmentation de la masse électronique d’environ un facteur 100 dans la phase conductrice [7]. En rai- Motivation du cours 9 son d’une haute densité de moments magnétiques, cette phase fait place à une phase isolante avec un ordre antiferromagnétique sous certaines conditions expérimentales (par exemple sous pression ou application d’un champ magnétique). D’un point de vue théorique, ces découvertes ont nécessité de nouveaux concepts pour traiter ces nouveaux phénomènes [8]. La méthode la plus intuitive s’est avérée être également la plus réussie : elle consiste à deviner une fonction d’onde à N particules pour l’état fondamental. C’est le chemin qui a mené Laughlin au Prix Nobel en 1983. Il a correctement deviné une telle fonction d’essai pour décrire l’EHQF [9]. C’est aussi dans le contexte de la supraconductivité à haute température critique que cette méthode a trouvé son application. En 1987, Anderson a proposé une fonction d’onde qui décrit des paires d’électrons dans un état singulet de spin sur des sites voisins de cuivre [10]. Cet état consiste en des liens de valence résonants et ressemble à une fonction d’onde du type BCS, où la projection de Gutzwiller interdit une double occupation de chaque site sur lequel les électrons ressentent précisément une forte répulsion coulombienne. Cette fonction est censée décrire l’état fondamental d’un modèle effectif, le modèle de Hubbard. L’étude de tels modèles effectifs, qui caractérisent des excitations de basse énergie en présence de corrélations fortes et qui sont parfois empruntés aux théories des champs quantiques, a suscité plus d’intérêt après les découvertes des années 80. Dans le contexte des systèmes à effet Hall quantique, ce sont les théories de Chern-Simons qui ont été utilisées avec le plus grand succès [11, 12, 13]. Ces théories ont mis en évidence nombre de phénomènes étranges, qui sont liés à leur caractère topologique, comme la fractionnalisation de la charge et la statistique fractionnaire satisfaite par les excitations élémentaires des liquides électroniques. Un nouveau concept, émergeant des études de ces modèles effectifs, est celui des transitions de phase quantiques et du point critique quantique [14]. Contrairement à leur cousin classique, les transitions de phase quantiques ont lieu à température nulle et sont contrôlées par un paramètre différent de la température. Dans le contexte des fermions lourds, où ce concept a trouvé un vaste champ d’application [8, 14], ce paramètre peut être une pression variable, un champ magnétique appliqué ou le dopage chimique des matériaux. Le point critique quantique sépare une phase antiferromagnétique isolante d’une phase conductrice. A température finie, il évolue en une région “critique quantique” sur une gamme plus large du paramètre de contrôle. Le concept des transitions de phase quantiques a également été appliqué 10 Introduction au cas des matériaux supraconducteurs à haute température critique, où la phase supraconductrice couvrirait éventuellement un point critique quantique qui sépare une phase de liquide de spin d’une phase métallique (liquide de Fermi). Dans ce scénario, le métal étrange est associé à la région critique quantique. Pourtant, on ignore encore si le point critique quantique est un concept pertinent pour la compréhension de la phase supraconductrice dans ces matériaux. 1.2 Histoire de l’effet Hall quantique Préhistoire – l’effet Hall classique On ne peut commencer une introduction à l’effet Hall quantique sans mentionner l’effet classique, qui a été prédit par E. Hall en 1879 : lorsqu’on fait passer un courant I à travers une couche métallique soumise à un champ magnétique perpendiculaire B = Bez , on crée un gradient de densité électronique perpendiculaire à la direction du courant. Ce gradient mène à une tension V , et la résistance associée (dite de Hall) est proportionnelle au champ et inversement proportionnelle à la densité électronique, RH = −B/enel (Fig. 1.1). Ici, nel est la densité surfacique, et −e est la charge d’un électron. Le phénomène se comprend de façon relativement simple dans le modèle de Drude, avec l’équation du mouvement d’un électron p dp p = −e E + ×B − , dt m τ où E est le champ électrique, m la masse (de bande) de l’électron, p son impulsion et τ le temps moyen de diffusion par des impuretés du système. On cherche la solution stationnaire de cette équation, dp/dt = 0, py 0 = −e Ex + B − m px 0 = −e Ey − B − m px , τ py . τ Avec la fréquence cyclotron ωC ≡ eB/m et la conductivité de Drude σ0 = Histoire de l’effet Hall quantique 11 I gaz d’électrons 2D résistance longitudinale −I résistance de Hall Fig. 1.1 – Système bidimensionnel d’électrons sous champ magnétique. Le courant I passe par les deux contacts noirs. La résistance longitudinale est mesurée par deux contacts au même bord, et la résistance de Hall par deux contacts sur les deux bords opposés. nel e2 τ /m, cela s’écrit px py σ0 Ex = −nel e − nel e (ωC τ ), m m px py σ0 Ey = nel e (ωC τ ) − nel e , m m ou, en termes de densité de courant j = −nel ep/m, sous forme matricielle E = ρ j, avec le tenseur de résistivité −1 B σ0 1 1 ωC τ enel = . ρ= − enBel σ0−1 1 σ0 −ωC τ La conductivité s’obtient par inversion matricielle, σL −σH −1 σ=ρ = , σH σL (1.1) (1.2) avec σL = σ0 /(1 + ωC2 τ 2 ) et σH = σ0 ωC τ /(1 + ωC2 τ 2 ). Dans la limite d’un métal sans impuretés (diffuseurs), où ωC τ → ∞, on a B 0 0 − enBel enel ρ= , σ= . (1.3) enel − enBel 0 0 B 12 Introduction Notons que la conductivité diagonale (longitudinale) s’annule en même temps que la résistivité longitudinale. L’effet Hall classique est utilisé encore aujourd’hui pour mesurer la densité de porteurs dans des conducteurs, ainsi que pour déterminer si le courant est porté par des charges négatives ou positives. Un soupçon de mécanique quantique – la quantification de Landau Avec l’application de la mécanique quantique à la physique des métaux, à partir des années 1930, le physicien russe L. Landau s’intéressa au traitement quantique d’un électron 2D dans un champ magnétique. Il trouva que, de même qu’un oscillateur harmonique, les niveaux dénergie de l’électron sont équidistant, avec un écart de h̄ωC . Le caractère 2D du problème se manifeste par une haute dégénérescence de chaque niveau : le nombre d’états par niveau « de Landau » (NL) est NB = nB A, où A est la surface du système et nB = B/φ0 la densité de flux mesurée en unités de quantum de flux φ0 = h/e. En raison de leur statistique fermionique, les électrons remplissent successivement les NL, et il est naturel de définir un facteur de remplissage ν= nel . nB (1.4) Ce traitement quantique est l’objet du chapitre 2. Un phénomène quantique macroscopique – l’effet Hall quantique L’EHQE, découvert par v. Klitzing en 1980, est une conséquence de cette quantification de Landau [1]. Il se manifeste à basse température, lorsque kB T h̄ωC , et consiste en des paliers dans la résistance de Hall, qui est quantifiée en RH = (h/e2 )1/n, où n est un entier. Il est la partie entière du facteur de remplissage n = [ν]. Chaque palier dans la résistance de Hall est accompagné d’une résistance longitudinale nulle (Fig. 1.2). Ce qui est remarquable concernant la quantification de la résistance est son indépendance de la géométrie – et des propriétés tout court – de l’échantillon : la résistance de Hall est donnée par les constantes fondamentales e et h. La précision de sa valeur à n = 1 est tellement bonne (10−9 ) que le palier à n = 1 sert Histoire de l’effet Hall quantique 13 3.0 2.0 Ix Vy 2.5 Vx 1.5 ρxx (kΩ) 2 ρxy (h/e ) 2.0 6 54 3 1.0 1.5 1 2 3/ 2 3/ 4 2/3 1/ 2 3/5 4/9 4/7 5/9 4/3 5/3 8/5 7/5 0.5 5/7 4/5 0 4 2/5 1.0 5/11 6/11 8/15 0 3/7 7/13 8 6/13 0.5 0.0 7/15 12 16 Field B (T) champMagnetic magnétique B[T] Fig. 1.2 – Signature expérimentale de l’effet Hall quantique. Chaque palier est accompagné d’une résistance longitudinale nulle. La courbe classique est représentée par la ligne grise en pointillé. Les nombres indiquent le facteur de remplissage ν, ν = n pour l’EHQE et ν = p/q pour l’EHQF. aujourd’hui en métrologie d’étalon de résistance, appelé la constante de v. Klitzing, RK−90 = 25 812, 807Ω. La découverte inattendue de l’EHQE ne fut pas la seule surprise : en 1983, D. Tsui, H. Störmer et A. Gossard découvrirent l’EHQF [2]. Il se produit à des fractions « magiques » du facteur de remplissage, notamment dans le plus bas NL. Les premiers états observés étaient ceux à ν = 1/3 et 2/3. Depuis, on a trouvé toute une zoologie d’états, comme au début de la physique des particules élémentaires. L’effet est particulièrement remarquable parce que, au niveau de l’énergie cinétique qui donne lieu à la formation des NL, il y a pour un remplissage non entier une dégénérescence énorme des états à N particules. C’est l’interaction de Coulomb, qui devient alors la seule échelle d’énergie (à part les impuretés), qui lève la dégénérescence originale – on est donc face à un système d’électrons fortement corrélés. Notre comprehension de l’EHQF est, encore aujourd’hui, due à une théorie proposée par R. 14 Introduction Laughlin en 1983 : elle consiste en une fonction d’onde à N particules (en première quantification) qui décrit un liquide électronique incompressible, dont les excitations élementaires et collectives sont séparées par un gap de l’état fondamental [9]. Suite à cette proposition et à la découverte d’autres états d’EHQF, qui ne sont pas classifiés par la théorie originale de Laughlin, plusieurs généralisations ont été proposées. Dans la même année, B. Halperin généralisa la fonction d’onde de Laughlin au cas avec un degré de liberté discret, comme le spin [15], et J. Jain proposa en 1989 une généralisation aux états trouvés à ν = p/(2sp+1), avec s et p entier, en termes de fermions composites (FC). La théorie de FC nous permet de comprendre l’EHQF comme un EHQE de ces quasi-particules, qui seront l’objet du chapitre 4. 1.3 Echantillons La découverte des EHQE et EHQF est intimement liée au progres dans la fabrication des échantillons et des gaz d’électrons 2D. Comme on possède depuis assez longtemps des couches métalliques d’assez bonne qualité, on pourrait se poser la question pourquoi ces effets ont été découverts si tard. Un raisonnement en ordres de grandeur fournit la réponse : la densité élecronique dans les métaux étant essentiellement donnée par la densité d’atomes du < 10−9 m, la densité surfacique est réseau, avec un pas caractéristique de a ∼ nettement plus grande que nel = 1018 m−2 = 1014 cm−2 . La physique de l’effet Hall quantique se manifeste lorsque la densité électronique est de l’ordre de la densité de flux, nel ∼ nB = eB/h, ce qui, avec e = 1, 6 × 10−19 C et h = 6, 6×10−34 Js, nécessiterait des champs magnétiques de l’ordre de 1000T. Même les aimants les plus puissants, à notre disposition aujourd’hui pour les expériences, ne dépassent pas des champs de l’ordre de 40T dans le régime continu et 80T pour des champs pulsés. Des champs plus intenses ne sont accessibles que dans des expériences destructrices, i.e. des expériences qui détruisent les échantillons et parfois même les aimants. Une grandeur p utile pour caractériser les distances est la longueur magnétique, l = h̄/eB = B p 25, 7nm/ B[T], qui constitue une longueur minimale du système. Des densités électroniques moins élevées, typiquement nel ∼ 1011 cm−2 , peuvent être atteintes dans des structures semiconductrices. Les échantillons utilisés pendant la découverte de l’EHQE étaient des MOS FET, FET pour « transistor à effet champ » (en anglais : Field Effect Transistor) et MOS pour ses composantes, métal-oxyde-semiconducteur. Une telle structure est Echantillons 15 (a) métal oxyde (isolant) semiconducteur I bande de conduction niveaux d’accepteurs EF z métal oxyde semiconducteur V G bande de valence II z (b) E1 E0 (c) métal oxyde (isolant) métal semiconducteur VG niveaux d’accepteurs bande de valence z oxyde (isolant) z électrons 2D bande de conduction bande de conduction EF E niveaux d’accepteurs EF VG bande de valence z Fig. 1.3 – Transistor à effet champ (MOS FET). L’encadré I montre le schéma d’un MOS FET. (a) Structure des niveaux. Dans la partie métallique, la bande est remplie jusqu’au niveau de Fermi (EF ) tandis que l’oxyde est un isolant. Dans le semiconducteur, le niveau de Fermi se trouve dans le gap entre la bande de valence et la bande de conduction. Près de la bande de valence, mais au-dessus de EF , se trouvent les niveaux des dopants (accepteurs). (b) Le potentiel chimique dans la partie métalique peut être piloté par une tension de grille VG . L’introduction de trous a pour effet une courbure des bandes dans la partie semiconductrice, et (c) à partir d’une certaine tension, la bande de conduction se remplit près de l’interface avec l’isolant, ce qui crée le gaz d’électron 2D. Son potentiel de confinement a une forme triangulaire, dont les niveaux (sousbandes électroniques) sont représentés dans l’encadré II. 16 (a) EF Introduction AlGaAs (b) GaAs EF dopants (récepteurs) z AlGaAs dopants (récepteurs) GaAs électrons 2D z Fig. 1.4 – Hétérostructure semiconductrice (GaAs/AlGaAs). (a) Une couche de dopants (récepteurs) se trouve du côté de AlGaAs, à une certaine distance de l’interface avec GaAs. L’énergie de Fermi se trouve dans les niveaux des dopants. La bande de conduction de GaAs étant plus basse que ces niveaux, il est énergétiquement favorable pour les électrons qui occupent les niveaux des dopants proche de l’interface de se mettre dans la bande de conduction de GaAs. (b) Cette polarisation mène à une courbure des bandes, et un gaz d’électrons 2D se forme à l’interface, du côté de GaAs. esquissée dans la figure 1.3. Une couche métallique est séparée d’un semiconducteur, dopé avec des accepteurs, par une couche isolante (oxyde). Le potentiel chimique du métal peut être contrôlé par une tension de grille VG . A VG = 0, le niveau de Fermi EF se trouve entre la bande de conduction et la bande de valence dans le semiconducteur, en-dessous des niveaux d’accepteurs [Fig. 1.3(a)]. Lorsqu’on abaisse le potentiel chimique par VG > 0 dans le métal, on y introduit des trous qui, par l’effet capacitif, attirent les électrons du semiconducteur vers l’interface avec l’isolant. Cela a pour effet de courber vers le bas les bandes du semiconducteur lorsqu’on s’approche de l’interface. D’abord, les électrons attirés vers l’interface remplissent les niveaux d’accepteurs, qui se trouvent maintenant en-dessous de EF [Fig. 1.3(b)]. En abaissant davantage le potentiel chimique dans le métal, la bande de conduction du semiconducteur peut être courbée en-dessous du niveau de Fermi près de l’isolant, et les électrons qui peuplent cette partie de la bande de conduction forment le gaz d’électrons 2D. La dynamique de ces électrons, malgré l’extension de leur fonction d’onde dans la direction z, est purement 2D si le confinement est suffisamment fort pour que la séparation entre les sousbandes électroniques, E0 (partiellement rempli) et E1 (vide), soit plus grande que l’énergie thermique kB T (encadré II de la figure 1.3). Echantillons 17 Le problème du MOS FET est le manque de séparation spatiale entre le gaz d’électrons 2D et les dopants, qui agissent également comme des diffuseurs. Cela mène à un libre parcours moyen relativement court et donc à une basse mobilité des électrons 2D. Ce problème est contourné dans un gaz 2D qui se forme à l’interface d’une hétérostructure semiconductrice, comme par exemple dans le composé III-V GaAs/AlGaAs. Les deux semiconducteurs n’ont pas le même gap entre leurs bandes de conduction et de valence respectives. Lorsqu’on dope le côté Alx Ga1−x As, avec le plus grand gap, les niveaux des dopants récepteurs sont occupés par des électrons, et l’énergie de Fermi est donc accrochée aux niveaux des récepteurs, qui peuvent avoir une plus haute énergie que la bande de conduction dans GaAs. Il est donc énergétiquement favorable pour les électrons qui occupent les niveaux des récepteurs proche de l’interface de sauter dans cette bande de conduction [Fig. 1.4(a)], et cette polarisation a pour effet une courbure des bandes, similaire à celle dans un MOS FET. On obtient ainsi un gaz d’électrons 2D à l’interface, mais cette fois-ci du côté de GaAs qui n’est pas désordonné par les dopants. Cette séparation spatiale permet donc d’avoir une mobilité accrue par rapport aux MOS FET. Notons enfin que le progrès technologique dans la fabrication des hétérostructures semiconductrices pendant ces vingt dernières années a permis d’augmenter la mobilité électroniques par deux ordres de grandeurs : l’EHQF a été découvert en 1983 dans un échantillon avec une mobilité de µ ' 0, 1×106 cm2 /Vs [2], tandis que les échantillons du même type (GaAs/AlGaAs) utilisés aujourd’hui ont une mobilité de µ ' 30×106 cm2 /Vs. 18 Introduction Chapitre 2 Particule chargée dans un champ magnétique Notre compréhension des effets Hall quantiques, intégral et fractionnaire, est essentiellement basée sur le traitement quantique d’un électron dans un champ magnétique lorsqu’on restreint sa dynamique au plan x−y. C’est l’objet de ce chapitre, qui commence par une discussion du mouvement classique de l’électron, avant d’aborder son comportement quantique. 2.1 Traitement classique L’équation du mouvement d’un électron (de charge −e et de masse m) dans un champ magnétique B = Bez s’écrit ẍ = −ωC ẏ, ÿ = ωC ẋ, (2.1) ce qui se déduit de la force de Lorentz F = −eṙ×B – on rappelle la fréquence cyclotron ωC = eB/m. L’équation s’intègre formellement, ẋ = −ωC (y − Y ), ẏ = ωC (x − X), (2.2) où R = (X, Y ) est une constante du mouvement. Avec η = (ηx , ηy ) = r − R, on a η¨x = −ωC2 ηx , η¨y = −ωC2 ηy , (2.3) et l’on obtient comme solution x(t) = X + r sin(ωC t + φ), y(t) = Y + r cos(ωC t + φ), 19 (2.4) 20 Particule chargée dans un champ magnétique B η R r Fig. 2.1 – Mouvement cyclotron d’un électron dans un champ magnétique autour du centre de guidage R. où r est le rayon caractéristique du mouvement cyclotron, et φ un angle arbitraire (constantes du mouvement). La signification physique de la constante du mouvement R devient plus transparente : il s’agit du « centre de guidage » autour duquel tourne l’électron en cercle de rayon r (Fig 2.1). 2.1.1 Formalisme lagrangien La stratégie de la mécanique lagrangienne consiste à trouver une fonction L (d’énergie) qui reproduise les équations du mouvement du système classique. Cette fonction est définie dans l’espace des configurations (positions qµ et vitesses q̇µ ) et satisfait aux équations d’Euler-Lagrange d ∂L ∂L − = 0, dt ∂ q̇µ ∂qµ (2.5) pour tout indice µ. La fonction appropriée pour notre cas est 1 L(x, y; ẋ, ẏ) = m ẋ2 + ẏ 2 − e [Ax (x, y)ẋ + Ay (x, y)ẏ] , 2 (2.6) où A = (Ax , Ay ) est un potentiel vecteur constant dans le temps. Ce n’est pas autre chose que le couplage minimal d’une particule chargée à un champ Traitement classique 21 électromagnétique qui s’écrit de façon covariante (avec la convention d’Einstein) 1 Lrel = mẋµ ẋµ − eẋµ Aµ . 2 Les moments conjugués, dont on aura besoin dans le cadre de la formulation hamiltonienne et donc de la mécanique quantique, sont px ≡ ∂L = mẋ − eAx , ∂ ẋ py ≡ ∂L = mẏ − eAy . ∂ ẏ (2.7) Les équations d’Euler-Lagrange fournissent les équations du mouvement [Eq. (2.1)] mẍ = −eẏ(∂x Ay − ∂y Ax ), mÿ = eẋ(∂x Ay − ∂y Ax ), (2.8) où ∂x ≡ ∂/∂x et ∂y ≡ ∂/∂y, et (∂x Ay − ∂y Ax ) = (∇ × A)z = B est bien la composante z du champ magnétique. Invariance de jauge Une transformation de jauge sur le potentiel vecteur est donnée par A = A + ∇χ, où χ est une fonction arbitraire. Le champ magnétique est naturellement invariant de jauge, car ∇ × ∇χ = 0. Une jauge habituelle en physique non relativiste est la jauge de Coulomb, ∇ · A = 0.1 Notons que la jauge n’est pas complètement fixée par cette contrainte – elle impose seulement ∆χ = 0, où ∆ = ∇2 est le laplacien, et les transformations de jauge en 2D sont donc données par les fonctions harmoniques. Deux jauges, souvent utilisées pour le traitement quantique du problème, sont la jauge de Landau 0 AL = B(−y, 0, 0) (2.9) et la jauge symétrique B (−y, x, 0), (2.10) 2 et la transformation entre ced deux jauges est décrite par la fonction χ = (B/2)xy. Comme les vitesses, ẋ et ẏ, sont également invariantes de jauge, on voit que les moments conjugués dans l’équation (2.7) ne le sont pas. Les quantités de mouvement invariantes de jauge sont AS = Πx = mẋ = px +eAx = −mωC ηy , 1 Πy = mẏ = py +eAy = mωC ηx , (2.11) En mécanique relativiste, on utilise plutôt la jauge de Lorentz, ∂ µ Aµ = 0. 22 Particule chargée dans un champ magnétique où on a utilisé Eq. (2.2). 2.1.2 Formalisme hamiltonien Pour le traitement quantique d’un système à une particule, il est souvent préférable d’utiliser le formalisme hamiltonien de la mécanique classique. Le hamiltonien s’obtient à partir du lagrangien par une transformation de Legendre, H(x, y; px, py ) = ẋpx + ẏpy − L, et il est une fonction d’énergie définie dans l’espace des phases (positions/moments conjugués). Il faut donc exprimer, à l’aide des équations (2.7), les vitesses en terme de moments conjugués, et l’on trouve pour le hamiltonien H= 1 (px + eAx )2 + (py + eAy )2 . 2m (2.12) Notons que le hamiltonien peut également s’écrire, de façon concise, en terme de variables « relatives » (ηx , ηy ), 1 H = mωC2 (ηx2 + ηy2 ), 2 (2.13) où les « nouvelles » variables sont pourtant définies par les variables de l’espace des phases, i.e. (x, y, px , py ). 2.2 Traitement quantique Le formalisme hamiltonien nous permet d’introduire la quantification canonique, où l’on impose la non commutativité d’une position avec son moment conjugué, en termes de constante de Planck h̄, [x, px ] = [y, py ] = ih̄, [x, y] = [px , py ] = [x, py ] = [y, px ] = 0. Comme [x, y] = 0, on voit immédiatement que [ηx , ηy ] = −[X, Y ], et le fait que les composantes du centre de guidage sont des constantes du mouvement se traduit par [voir aussi Eq. (2.13)] [X, H] = [Y, H] = 0. (2.14) Traitement quantique 23 Pour calculer le commutateur entre les composantes ηx et ηy , on peut se servir de la formule utile [A, f (B)] = ∂f [A, B], ∂B (2.15) qui est valable pour deux opérateurs arbitraire qui commutent avec leur commutateur, [A, [A, B]] = [B, [A, B]] = 0. On obtient [ηx , ηy ] = e m2 ωC2 ([px , Ay ] − [py , Ax ]) 1 (∂x Ay [px , x] − ∂y Ax [py , y]) eB 2 −ih̄ = eB p ou, en termes de longueur magnétique lB ≡ h̄/eB, = 2 [ηx , ηy ] = −ilB , 2 [X, Y ] = ilB . (2.16) Le résultat est bien évidemment invariant de jauge. Un point remarquable est que le système d’une particule chargée dans un champ magnétique constitue peut-être l’exemple le plus simple d’une géométrie non commutative. Pour voir cela plus en détail, on remarque que, sans aucune connaissance de la structure des niveaux d’énergie, ces derniers sont dégénérés – dans un niveau choisi au hasard, chaque état occupe une surface minimale donnée par l’incertitude de Heisenberg, 2 σ = ∆X∆Y = 2πlB . Dans ce sens, l’espace réel 2D ressemble à l’espace des phases d’une particule 1D, où chaque état occupe une “surface” de 2πh̄. La dégénérescence par niveau peut donc être décrite directement en fonction de cette surface minimale, le nombre d’états par niveau et par unité de surface étant nB = 1/σ = B/φ0 – i.e. la densité de flux en unité de quantum de flux φ0 = h/e. Comme les électrons suivent la statistique fermionique, chaque état quantique peut être occupé au maximum par une seule particule à cause du principe de Pauli. Dans le cas où il y a plusieurs électrons dans le système, le remplissage ν des niveaux d’énergie est donc décrit par le rapport entre la densité surfacique d’électrons nel et la densité de flux nB , ν = nel /nB . Ce rapport est aussi appelé facteur de remplissage. 24 Particule chargée dans un champ magnétique La forme (2.13) du hamiltonien, avec les relations de commutation (2.16), montre immédiatement qu’il s’agit d’un oscillateur harmonique – ηx et ηy peuvent être interprétés comme des variables conjuguées. Pour montrer plus explicitement la structure de l’oscillateur harmonique, on introduit deux jeux d’opérateurs d’échelle, (a, a† ) avec a = √ 1 (ηx − iηy ), 2lB lB ηx = √ (a† + a), 2 a† = √ 1 (ηx + iηy ) 2lB lB ηy = √ (a† − a), 2i (2.17) et (b, b† ) avec b = √ 1 (X + iY ), 2lB lB X = √ (b† + b), 2 b† = √ 1 (X − iY ) 2lB ilB Y = √ (b† − b), 2 (2.18) avec [a, a† ] = [b, b† ] = 1 et [a, b(†) ] = 0. En termes d’opérateurs d’échelle, le hamiltonien s’écrit 1 † H = h̄ωC a a + . (2.19) 2 Le spectre d’énergie est donc donné par En = h̄ωC (n+1/2), où n est la valeur propre de l’opérateur a† a. Dans le contexte de l’électron dans un champ magnétique on appelle les niveaux équidistants de l’oscillateur « niveaux de Landau » (NL, voir Fig. 2.2). Notons de plus que formellement, on peut voir ce système comme deux oscillateurs harmoniques, 1 1 † 0 † + h̄ω b b + , H = h̄ωC a a + 2 2 où la fréquence du deuxième oscillateur est nulle, ω 0 = 0. Le deuxième nombre quantique m est donc la valeur propre de b† b. Les états propres sont donc déterminés par les deux nombres quantiques entiers, n et m, associés aux deux sortes d’opérateurs d’échelle, √ √ a† |n, mi = n + 1|n + 1, mi, a|n, mi = n|n − 1, mi (pour n >0); √ √ b|n, mi = m|n, m − 1i (pour m >0). b† |n, mi = m + 1|n, m + 1i, 25 niveaux de Landau Traitement quantique 4 3 2 1 n=0 m Fig. 2.2 – Niveaux de Landau. Le nombre quantique n dénombre les niveaux, et m est associé au centre de guidage qui donne lieu à la dégénérescence de chaque niveau. Dans le cas où n = 0 ou m = 0, on trouve a|0, mi = 0, b|n, 0i = 0, (2.20) et des nombres négatifs sont exclus. Un état arbitraire peut par conséquent être construit à l’aide des opérateurs d’échelle à partir de l’état |0, 0i, (a† )n (b† )m |n, mi = √ √ |0, 0i. n! m! (2.21) Les fonctions d’ondes, qui sont la représentation de ces états dans l’espace réel, dépendent de la jauge choisie pour le potentiel vecteur. 2.2.1 Fonctions d’onde dans la jauge symétrique Pour trouver les fonctions d’onde φn,m (x, y) = hx, y|n, mi, i.e. la représentation des états propres dans l’espace réel, nous devons fixer une jauge. Ici, on choisit la jauge symétrique [Eq. (2.10)], A = (B/2)(−y, x, 0), et il suffit de traduire les équations (2.20) et (2.21) en équations différentielles, à l’aide de px = −ih̄∂x et py = −ih̄∂y . A l’aide des équations (2.11) et (2.17), on trouve la représentation des opérateurs d’échelle dans la jauge symétrique ∗ √ √ z z † ¯ + lB ∂ , a = 2 − lB ∂ a= 2 2 4lB 4lB ∗ √ √ z z † ¯ b= 2 − lB ∂ (2.22) + lB ∂ , b = 2 2 4lB 4lB 26 Particule chargée dans un champ magnétique où z = x − iy est la position de l’électron dans le plan complexe,2 z ∗ = x + iy son complexe conjugé, ∂¯ = (∂x − i∂y )/2 et ∂ = (∂x + i∂y )/2. Par conséquent, un état dans le plus bas NL est déterminé par l’équation différentielle 2 ¯ z + 4lB ∂ φn=0 (z, z ∗ ) = 0. (2.23) La solution de l’équation (2.23) est une gaussienne multipliée par une fonction ¯ (z) = 0, analytique arbitraire f (z), avec ∂f φn=0 (z, z ∗ ) = f (z)e−|z| 2 /4l2 B , (2.24) De la même façon on trouve pour l’état avec m = 0 2 z ∗ + 4lB ∂ φm=0 (z, z ∗ ) = 0, (2.25) dont la solution est φm=0 (z, z ∗ ) = g(z ∗ )e−|z| 2 /4l2 B , (2.26) où la fonction g(z ∗ ) est anti-analytique, ∂g(z ∗ ) = 0. L’état |n = 0, m = 0i doit donc être représenté par une fonction qui soit à la fois analytique et anti-analytique, et la seule fonction qui satisfasse à cela est une constante. Avec la normalisation, on obtient 1 2 2 φn=0,m=0 (z, z ∗ ) = hz, z ∗ |n = 0, m = 0i = p 2 e−|z| /4lB , 2πlB (2.27) Un état correspondant au nombre quantique m dans le plus bas NL s’obtient à l’aide des équations (2.20) et (2.22), √ m 2m z 2 2 ∗ ¯ e−|z| /4lB φn=0,m (z, z ) = p 2 − lB ∂ 2πlB m! 4lB m 1 z 2 2 √ = p 2 e−|z| /4lB , (2.28) 2lB 2πlB m! et n ∗ 2n z 2 2 − lB ∂ e−|z| /4lB φn,m=0 (z, z ) = p 2 2 2πlB n! 4lB ∗ n 1 z 2 2 √ e−|z| /4lB , = p 2 2lB 2πlB n! ∗ 2 √ (2.29) Le signe de la partie réelle est inhabituel, mais il convient pour les électrons. Si l’on traitait des particules de charge positive, on obtiendrait la chiralité opposée. Traitement quantique 27 pour un état centré à l’origine m = 0 dans le NL n. En regardant ces deux équations, on constate que le nom « jauge symétrique » n’est pas inapproprié. Un état arbitraire peut s’écrire √ m ∗ n 2m z z 2 2 ∗ ¯ √ φn,m (z, z ) = p 2 − lB ∂ e−|z| /4lB (2.30) 2lB 2πlB m!n! 4lB ce qui engendre les polynômes de Laguerre associés [17]. Il est remarquable que, même si les fonctions (2.28) et (2.29) ont la même densité de probabilité,3 2 j −|z|2 /2l2 B e |z| ∗ 2 ∗ 2 , |φn=0,m=j (z, z )| = |φn=j,m=0(z, z )| ∼ 2 j! √ avec un maximum de probabilité au rayon r0 = 2jlB (Fig. 2.3), elles ne représentent pas des états de même énergie. Pour conclure la discussion des états |n = 0, mi représentés dans la jauge symétrique, on calcule la valeur moyenne de l’opérateur de centre de guidage. A l’aide des équations (2.18), on trouve que hRi ≡ hn = 0, m|R|n = 0, mi = 0, mais h|R|i = E Dp E D√ √ X 2 + Y 2 = lB 2b† b + 1 = lB 2m + 1. (2.31) Cela signifie que, non seulement la particule, mais aussi son centre de guidage √ se trouvent sur un cercle de rayon lB 2m + 1, mais sa phase est indéterminée. Notons que l’on peut se servir de cet argument pour le comptage des états, qu’on a déjà élaboré plus haut, pour une géométrie avec un disque de rayon 2 Rmax √ et de surface A = πRmax : comme l’état de rayon maximal est Rmax = lB 2M + 1, cela donne pour le nombre d’états dans la limite thermodyna2 = AnB , avec nB = eB/h, en accord avec l’argument mique M = A/2πlB concernant la surface minimale d’un état due à la non commutativité des composantes du centre de guidage. De la même manière, on constate pour l’état |n, m = 0i dans le niveau n que la variable relative η se trouve localisée sur un rayon √ RC ≡ h|η|i = lB 2n + 1 (2.32) qu’on appelle également rayon cyclotron. 3 Il s’agit d’une distribution poissonienne. 28 Particule chargée dans un champ magnétique 0.4 (a) n=1 n=3 n=5 0.35 |φn,m=0(z,z )| * 2 0.3 0.25 0.2 0.15 0.1 0.05 0 0 1 2 (b) 3 r/lB=|z|/lB n=0 4 6 n=1 2 y/l B 0 0 -2 -2 -4 -4 -4 -2 0 x/l B 2 4 -4 n=3 4 -2 0 x/l B 2 4 n=5 4 2 y/l B 5 4 2 y/l B 4 2 y/l B 0 0 -2 -2 -4 -4 -4 -2 0 x/l B 2 4 -4 -2 0 x/l B 2 4 Fig. 2.3 – Densité de probabilité d’un état |n, m = 0i pour différentes valeurs√ de n. (a) La densité ne dépend que du rayon |z| = r et possède un maximum à r0 = lB 2jlB . (b) Quand elles sont tracées dans le plan 2D, les fonctions d’onde pour n ≥ 1 ont la forme d’un anneau. Traitement quantique (a) 29 p p0 p x0 x x (b) y y0 y <x,y|x0 ,y0 > <x,y|n=0,m=0> x x0 x Fig. 2.4 – Etats cohérents. 2.2.2 Etats cohérents et mouvement semi-classique Pour retrouver la trajectoire classique (2.4), il faut construire des états semi-classique, aussi appelés états cohérents parce qu’il jouent un rôle éminent en optique quantique. Dans le cas d’un oscillateur harmonique 1D, un état cohérent peut être vu comme un état dans p l’espace des phases qui a à la fois une incertitude minimale dans le rayon x2 + p2 et dans sa phase. Cet état peut se construire à partir de l’état fondamental qu’on déplace dans l’espace des phases à l’endroit (x0 , p0 ) souhaité [Fig. 2.4(a)]. Le déplacement s’effectue à l’aide de l’opérateur D(x0 , p0 ) = e−i(x0 p̂−p0 x̂) , (2.33) où on a ajouté les chapeaux sur les symboles qui représentent des opérateurs, pour mieux les distinguer des variables x0 et y0 . On voit bien que cet opérateur donne lieu au déplacement souhaité, car on trouve à l’aide de la formule (2.15) D † (x0 , p0 )x̂D(x0 , p0 ) = eix0 p̂ x̂e−ix0 p̂ = x̂ + x0 et D † (x0 , p0 )p̂D(x0 , p0 ) = e−ip0 x̂ p̂eip0 x̂ = p̂ + p0 . 30 Particule chargée dans un champ magnétique L’état cohérent s’écrit |x0 , p0 i = D(x0 , p0 )|n = 0i, (2.34) où |n = 0i désigne l’état fondamental de l’oscillateur harmonique 1D. Notons qu’en principe, [D(x0 , y0 ), H] 6= 0 et l’état cohérent n’est donc pas un état propre du hamiltonien. En effet, l’état change dans le temps, et on retrouve ainsi la trajectoire dans l’espace des phases [Fig. 2.4(a)]. Malgré la formulation de l’état propre comme dans l’équation (2.34), x0 et p0 ne sont pas stricto sensu des nombres quantiques – ce serait même en contradiction avec les postulats fondamentaux de la mécanique quantique, car les opérateurs associés ne commutent pas entre eux. La base |x0 , p0 i est dite « sur-complète » [18]. D’un point de vue général, un déplacement peut se construire à partir de deux operateurs conjugués, qui ne commutent donc pas. Dans le cas d’un électron 2D dans un champ magnétique, on a deux paires à notre disposi2 2 tion, [X, Y ] = ilB et [ηx , ηy ] = −ilB . Avec le premier choix, l’opérateur de déplacement, qui agit cette fois-ci dans l’espace réel, s’écrit D(X0 , Y0 ) = e − i l2 B (X0 Ŷ −Y0 X̂) , (2.35) et l’état cohérent (dans le plus bas NL) est |X0 , Y0 ; n = 0i = D(X0 , Y0 )|0, 0i, (2.36) où |0, 0i ≡ |n = 0, m = 0i. Notons que, comme le centre de guidage est une constante du mouvement, l’opérateur de déplacement D(X0 , Y0 ) commute avec le hamiltonien. L’état (2.36) reste donc un état propre du hamiltonien, ce qui justifie le maintien du deuxième nombre quantique n. La dynamique est obtenue à l’aide de la deuxième paire d’opérateurs qui ne commutent pas, avec l’opérateur de déplacement D̃(η0x , η0y ) =e i l2 B (η0x η̂y −η0y η̂x ) , (2.37) qui engendre un déplacement à la position η 0 = (η0x , η0y ), et un état semiclassique général peut donc s’écrire |X0 , Y0 ; η0x , η0y i = D̃(η0x , η0y )D(X0 , Y0 )|0, 0i. (2.38) Le centre de guidage est donc centré à R0 = (X0 , Y0 ), et l’électron tourne autour de cette position sur un cercle de rayon r = |η 0 |. On retrouve ainsi Traitement quantique 31 le mouvement représenté dans la Fig. 2.1, en termes de paquet gaussien. On peut prouver ces propriétés dynamiques en constatant qu’un état cohérent est un état propre de l’opérateur d’échelle a, et dans notre cas aussi de b, avec η0x − iη0y √ = |X0 , Y0 ; η0x , η0y i, 2lB X + iY0 0 √ |X0 , Y0 ; η0x , η0y i. b |X0 , Y0 ; η0x , η0y i = 2lB a |X0 , Y0 ; η0x , η0y i (2.39) Cela se voit lorsqu’on exprime les opérateurs de déplacement en termes d’opérateurs d’échelle (2.17) et (2.18), D(X0 , Y0 ) = eβb † −β ∗ b D(η0x , η0y ) = eαa † −α∗ a = e−|β| 2 /2 = e−|α| ∗ † eβb e−β b , 2 /2 † ∗ eαa e−α a , (2.40) où l’on a défini η0x − iη0y α≡ √ 2lB X0 + iY0 β≡ √ , 2lB et où on s’est servi de la formule de Baker-Hausdorff eA+B = eA eB e−[A,B]/2 , (2.41) qui est valable lorsque [A, [A, B]] = [B, [A, B]] = 0. L’état cohérent s’écrit donc |X0 , Y0 ; η0x , η0y i = e−(|α| 2 +|β|2 )/2 † † eαa eβb |0, 0i et l’on trouve à l’aide de la formule (2.15) a |X0 , Y0 ; η0x , η0y i = e −(|α|2 +|β|2 )/2 b |X0 , Y0 ; η0x , η0y i = e−(|α| 2 +|β|2 )/2 h αa† a, e h † eαa i † eβb |0, 0i = α |X0 , Y0 ; η0x , η0y i, i † b, eβb |0, 0i = β |X0 , Y0 ; η0x , η0y i, ce qui n’est autre chose que l’équation (2.39). Pour obtenir l’évolution temporelle de l’état cohérent |α, βi = |X0 , Y0 ; η0x , η0y i, 32 Particule chargée dans un champ magnétique il suffit d’appliquer l’opération d’évolution à l’état, i |α, βi(t) = e− h̄ Ht |α, βi(t = 0) ∞ X i (αa† )n 2 = e−(|α| )/2 e− h̄ Ht |n = 0, βi(t = 0) n! n=0 ∞ X (α)n √ |n, βi(t = 0) = e e n! n=0 ∞ X (αe−iωC t )n −(|α|2 )/2 −iωC t/2 √ |n, βi(t = 0) = e e n! n=0 −(|α|2 )/2 − h̄i Ht = e−iωC t/2 |α(t = 0)e−iωC t , βi, (2.42) ce qui donne pour l’évolution des valeurs propres α(t) = α(t = 0)e−iωC t , β(t) = β(t = 0). (2.43) √ √ √ x 2l 2l 2lB Re[α(t)] et η0y (t) = Re[β], Y = Im[β], η (t) = Comme X = B 0 B 0 0 √ − 2lB Im[α(t)], on retrouve η0x (t) = η0x (t = 0) cos(ωC t), η0y (t) = η0y (t = 0) sin(ωC t) et donc la trajectoire donnée dans l’équation (2.4), en identifiant r = |η 0 | et R = (X0 , Y0 ), comme il a été mentionné plus haut. Chapitre 3 Propriétés de transport – effet Hall quantique entier Dans ce chapitre, nous abordons quelques aspects de la physique de l’effet Hall quantique entier (EHQE), sur la base du traitement quantique d’un électron 2D dans un champ magnétique, discuté dans le chaptitre précédent. L’EHQE se comprend à partir de deux ingrédients : – chaque NL complètement rempli (à ν = n) contribue à la conduction électronique avec un quantum de conductance, e2 /h, – des électrons supplémentaires, qui peuplent le prochain NL à ν 6= n, sont localisés par les impuretés résiduelles de l’échantillon et ne contribuent donc pas au transport. Ce deuxième aspect ressemble, à première vue, à la localisation d’Anderson d’électrons 2D sans champ magnétique [19]. Il se trouve que la localisation devient même plus pertinente en présence d’un champ magnétique. 3.1 Calcul de conductance d’un niveau de Landau rempli Pour calculer la conductance d’un NL complètement rempli, on fait l’hypothèse initiale que le système est invariant par translation dans la direction x. Dans la direction y, on tient compte d’un confinement qui est à l’origine d’une courbure vers le haut des NL dans les zones « interdites » (contact L et contact R dans la figure 3.1). La jauge appropriée à une telle situation est 33 Propriétés de transport – EHQE contact L énergie 34 contact R µL µR NL n k min y’ k max y=kl B2 Fig. 3.1 – NL dans la jauge de Landau, avec un potentiel électrostatique plus élevé dans les zones « contact L » et « contact R » dont le potentiel chimique est donné respectivement par µL et µR . La position y 0 dans la direction y est liée au vecteur d’onde k dans la 2 direction x par y 0 = klB . la jauge de Landau AL = B(−y, 0, 0), et le hamiltonien s’écrit donc H= p2y (px − eBy)2 + − eV (y), 2m 2m où le potentiel V (y) tient compte de la courbure vers le haut de l’énergie par le confinement, ainsi que d’une éventuelle variation lente du potentiel électrostatique dans le volume. Le développement du potentiel autour d’une position y 0 donne V (y) = V (y 0 ) − E(y − y 0 ) + ..., (3.1) où E est un champ électrique local orienté dans la direction y. On choisi le référentiel et le zéro d’énergie afin que y 0 = 0 et V (y 0 = 0) = 0. Cette linéarisation donne pour le hamiltonien dans le voisinage de y 0 = 0 H= p2y 1 E + mωC2 (y − y0 )2 + px + C, 2m 2 B 2 où px = h̄k, y0 = klB −eE/mωC2 et C est une constante sans intérêt. En raison de l’invariance par translation dans la direction x, px (ou k) est conservée et constitue donc un bon nombre quantique. Il correspond au nombre quantique m dans la jauge symétrique et, par conséquent, au centre de guidage qui est, Calcul de conductance d’un NL rempli 35 dans un état |n, ki, délocalisé sur une ligne dans la direction x à la position 2 klB . L’énergie d’un tel état |n, ki est 1 E (3.2) εn,k = h̄ωC n + + h̄k , 2 B et l’on constate que les niveaux sont localement inclinés en raison du champ électrique local E. Pour calculer la conductance d’un niveau (dans la direction x), on se sert de la formule eX hn, k|vx |n, ki, (3.3) In = − L k où L est l’extension du système dans la direction x, et la valeur moyenne de la vitesse est donnée par la dispersion de l’énergie 1 ∂εn,k 1 ∆εn,k ' . h̄ ∂k h̄ ∆k Dans la dernière ligne, on a utilisé l’approximation, innocente pour L très grand, que l’écart ∆k = 2π/L soit petit. Avec ce remplacement, on a vk = L L ∆εn,k = (εn,k+1 − εn,k ). 2πh̄ 2πh̄ Notons que l’équation (3.3) n’est strictement valable que dans le voisinage du point y 0 = 0, i.e. autour de k = 0. Il se trouve que la somme sur les états k dans ce voisinage donne un résultat qui ne dépend que des énergies aux « bords », kmin et kmax , comme les contributions à l’intérieur s’annulent dans la somme de l’expression (3.3). Il est donc valable, dans le cas d’un potentiel électrostatique qui varie lentement dans la direction y, de sommer sur les voisinages, ce qui donne finalement e In = − (εn,kmax − εn,kmin ) , h où les valeurs kmin et kmax définissent les extrémités du système dans la direction y (Fig. 3.1). Les énergies à ces points sont données par les potentiels chimiques dans les contacts, εn,kmin = µL et εn,kmax = µR . La différence de potentiel chimique étant crée par une tension ∆µ = (µR − µL ) = −eV , on obtient que la conductance d’un NL est bien e2 /h, car In = e2 V. h (3.4) 36 Localisation dans un champ magnétique fort Dans le cas de n NL complètement remplis, on a donc pour la conductance G=n e2 , h et comme il s’agit d’une conductance transverse (courant dans la direction x et différence de potentiel chimique dans la direction y), on obtient pour le tenseur de résistance 0 −RH −1 R̂ = Ĝ = , (3.5) RH 0 avec la résistance de Hall RH = h/e2 n. Souvent les gens crient « Victoire ! » après avoir déduit ce résultat important – à première vue, la résistance de Hall ne dépend que des constantes universelles e et h, à part un entier n. Cette joie est précoce si l’on tient compte correctement de la validité de cet argument : l’équation (3.5) donne le résultat de la résistance de Hall uniquement pour le cas où le facteur de remplissage est exactement un entier, ν = n. Or ν = hnel /eB = n, et si l’on remplace n dans l’équation (3.5), on retombe sur le résultat classique RH = B/enel . Pour avoir l’EHQE, il faut que la résistance de Hall reste quantifiée sur toute une plage dans le voisinage de ν = n et que donc les électrons (ou trous) supplémentaires injectés dans le système ne contribuent pas au transport. En effet, ces particules supplémentaires sont localisées par le potentiel dû aux impuretés résiduelles dans l’échantillon, comme on le décrira dans la section suivante. 3.2 Localisation dans un champ magnétique fort Pour décrire la présence des impuretés, on considère un potentiel électrostatique Vext (r = R + η) qui varie lentement dans le plan xy afin que la quantification en NL ne soit pas affectée. Ce potentiel lève la dégénérescence des niveaux parce que le centre de guidage n’est plus une constante du mouvement. Cela se manifeste dans les équations de Heisenberg, 2 ih̄Ẋ = [X, H] = [X, Vext (X, Y )] = ilB ∂Vext ∂Y et 2 ih̄Ẏ = −ilB ∂Vext , ∂X (3.6) Calcul de conductance d’un NL rempli 37 Fig. 3.2 – Mouvement semi-classique d’un électron dans un champ magnétique en présence d’un potentiel d’impuretés. Le centre de guidage suit les équipotentielles d’un paysage, qui modélise le potentiel d’impuretés. Cette dérive de Hall, indiquée par la flèche, est superposée au mouvement cyclotron de l’électron. Un transport électronique est uniquement possible dans le cas où l’équipotentielle connecte les deux bords de l’échantillon. Si l’électron occupe un puits de potentiel avec une équipotentielle fermée, il ne contribue pas au transport. où on a utilisé la formule (2.15). On voit donc que le centre de guidage suit les équipotentielles du potentiel d’impuretés (Fig. 3.2). Dans le cas d’un potentiel créé par un champ électrique uniforme, discuté dans la section précédente, cela mène à la dérive de Hall qui est donc perpendiculaire au champ local. En termes de fonctions d’onde d’un NL, l’état quantique est localisé sur l’équipotentiel qui correspond à son énergie. On peut voir cela comme une déformation de la fonction d’onde, en forme d’anneau (Fig. 2.3), pour être accordé à l’équipotentielle. De la même manière, on trouve pour les équations de Heisenberg des variables ηx et ηy , ih̄η̇x ⇔ η˙x et η˙y 1 = ηx , mωC (ηx2 + ηy2 ) + V (r + η) 2 l2 ∂V = −ωC ηy − B h̄ ∂ηy 2 l ∂V = ω C ηx + B . h̄ ∂ηx Cela nous fournit un critère pour la stabilité des NL, car les premiers termes dans l’équation précédente doivent rester plus pertinents que les termes dus 38 Localisation dans un champ magnétique fort au potentiel électrostatique – i.e., en ordres de grandeurs, ∂V h̄ωC . ∂η lB (3.7) La condition est satisfaite lorsque (a) l’énergie caractéristique du potentiel est bien plus petite que la séparation entre NL h̄ωC ou (b) sa variation dans l’espace est lente. On a maintenant à notre disposition les ingrédients essentiels pour comprendre certains aspects importants du phénomène de l’EHQE. L’argument suivant est représenté de façon schématique dans la figure 3.3. On a vu, dans la section précédente que la résistance de Hall à ν = n est RH = h/e2 n alors que la résistance longitudinale est nulle. Lorsqu’on abaisse légèrment le champ magnétique et donc le nombre d’états par NL, les électrons sont contraints de peupler le prochain NL n+1 et se mettent de préférence dans les vallées du potentiel d’impuretés. C’est une forme de localisation particulière due au champ magnétique, et les électrons sont isolants. Les résistances restent donc accrochées à leurs valeurs initiales, ce qui fait aparaı̂tre un palier dans la résistance de Hall autour de ν = n. La résistance longitudinale nulle indique un régime de transport balistique. On a vu, en effet, que les contributions de transport s’annulent dans le volume et que le transport est entièrement limité au bord qui est constitué de n canaux (états de bord), un par NL complètement rempli. La direction du courant au bord est déterminée par le gradient du potentiel qui y monte de façon considérable. Cela donne aux états de bord une chiralité, et un électron injecté par un contact ne peut revenir à ce dernier que si les bords opposés sont en proximité. La rétro-diffusion est donc supprimée dans un échantillon macroscopique, et les impuretés au bord ont pour seul effet de mélanger les différents canaux, sans changer la direction du courant (diffusion vers l’avant). C’est seulement quand les flaques d’électrons dans le NL n+1 grandissent et deviennent elles-même macroscopique, i.e. lorsque les équipotentielles qui connectent les différents bords sont remplis, que le système entre dans un régime diffusif : la resistance longitudinale est non nulle, et la résistance de Hall saute sur un plateau voisin. Cette situation se produit lorsque le dernier NL est demi-rempli. Au-dessus demi-remplissage, on peut utiliser le même argument, en termes de localisation de trous. Pour comprendre l’EHQE dans la perspective d’états de bord, il est utile de considérer la situation expérimentale d’une mesure sur un échantillon à six contacts (Fig. 3.4). On injecte les électrons par le contact 1, et on les Calcul de conductance d’un NL rempli (a) ε (b) ε EF n EF n 39 (c) ε EF n densité d’états densité d’états états localisés états étendus densité d’états NL (n+1) Rxx R xy Rxx R xy Rxx R xy h/e2 n h/e2 n h/e2 (n+1) ν =n B B B Fig. 3.3 – Effet Hall quantique. La première ligne montre les NL élargis par les impuretés et leur remplissage, indiqué par le niveau de Fermi (EF ). La deuxième ligne représente l’échantillon vu d’en haut, avec les équipotentielles et le remplissage électronique du n-ième NL. La dernière ligne montre schématiquement les courbes de résistance (longitudinale en rouge et de Hall en bleu). La figure se lit par colonnes qui représentent le système lorsqu’on fait varier le facteur de remplissage. La première (a) représente le système à remplissage entier, ν = n, où le niveau de Fermi se trouve exactement entre les NL n et n+1, le dernier étant non occupé. La résistance de Hall est donc RH = h/ne2 , et la resistance longitudinale s’annule. La colonne (b) montre le système avec un faible remplissage du NL n + 1, où les électrons occupent les puits du potentiel dans l’échantillon et ne contribuent pas au transport électronique. Comme cette situation se produit lorsqu’on abaisse légèrement le champ magnétique de sa valeur correspondant à ν = n, les résistances, qui mesurent précisement le transport, restent accrochées à leurs valeurs initiales. La dernière colonne (c) montre le NL n + 1 à demi-remplissage : les équipotentielles connectent les bords, ce qui a pour effet une rétro-diffusion – le système change d’un régime balistique à un régime diffusif. La résistance longitudinale est donc non nulle et accompagnée d’un saut dans la résistance de Hall sur un plateaux voisin. Dans la densité d’états, les états étendus sont alors au milieu des NL tandis que les états localisés (représentés par des cercles bleus) se trouvent dans les flancs. Lorsque le remplissage du dernier NL est plus grand que 1/2, le même raisonnement s’applique, en termes de trous. 40 Localisation dans un champ magnétique fort R L ~ µ 3− µ 2= 0 µ2 = µL 2 3 µ3 = µL I I 4 1 6 µ6 = µ5 = µR 5 R ~ µ5− µ3= µR− µL H Fig. 3.4 – Mesure de l’EHQE à ν = n. Le courant I est injecté par le contact 1 et récupéré au contact 4. Entre ces deux contacts (bord bleu), le potentiel chimique µ L ne varie pas comme (a) il n’y a pas de rétro-diffusion et (b) aux contacts 2 et 3, où l’on mesure la résistance longitudinale RL , il n’y a pas de fuite d’électron ni injection. De la même manière, le potentiel chimique µR reste constant au bord d’en bas (rouge) entre les contacts 4 et 1. Le potentiel chimique varie uniquement le long des contacts 1 et 4 (lignes en pointillé). Pour cette raison, la résistance longitudinale s’annule, RL = (µ3 − µ2 )/I = 0, et la résistance de Hall est déterminée par la différence de potentiel entre les bords, µ5 − µ 3 = µ R − µ L . 3.3. TRANSITIONS ENTRE PLATEAUX – IMAGE DE PERCOLATION41 récupère au contact 4. Les autres contacts, 2, 3, 5 et 6, servent uniquement pour des mesures de résistance – il n’y a donc pas d’injection ni de fuite d’électrons à ces contacts-là. En raison de cela et de la supression de la rétro-diffusion (autour de ν = n), le potentiel chimique ne varie que le long des contacts 1 et 4. On peut donc associer un potentiel chimique constant à chaque bord, µL et µR . Comme la résistance longitudinale est mesurée, par exemple, entre les contacts 1 et 2, où le potentiel ne varie pas, elle est nulle, RL = −(µ3 − µ2 )/eI = 0. En revanche, la résistance de Hall, mesurée entre les contacts 3 et 5, est sensible à la chute du potentiel chimique, RH = −(µ5 −µ3 )/eI = −(µR −µL )/eI. Cette situation est précisement décrite dans la section précédente, où l’on a calculé la conductance (et résistance) de n NL complètement remplis, et l’on trouve donc RH = h/ne2 . 3.3 Transitions entre plateaux – image de percolation Le scénario, décrit dans la section précédente, de transition entre plateaux de Hall suggère un lien avec les transitions de percolation : la résistance saute sur un niveau voisin lorsque les flaques électroniques deviennent macroscopiques et percolent afin de connecter des bords opposés. Les transitions de percolation font partie de la classe des transitions de phase de deuxième ordre, qui se manifestent par des lois d’échelle pour des grandeurs physiques autour de la transition. En effet, ces grandeurs physiques ne dépendent plus des détails microscopiques du système en question, mais elles sont caractérisées par des exposants critiques qui définissent une classe d’universalité. La transition est pilotée par un paramètre K, dit paramètre de contrôle, qui peut être la température ou, dans le cas des transitions de phase quantiques à température nulle, un autre paramètre comme la pression ou la densité électronique [14]. Dans notre cas, il s’agit bien évidemment du champ magnétique qui contrôle la transition entre plateaux. A la transition au champ critique Bc , la longueur de corrélation spatiale diverge, avec un exposant critique ν, qui n’est pas à être confondu avec le facteur de remplissage, ξ ∼ |δ|−ν , (3.8) où δ ≡ (B − Bc )/Bc mesure l’écart entre B et le champ critique. De la même manière, les fluctuations temporelles sont décrites par une « longueur » de 42 Transitions entre plateaux – percolation 100.0 !#"%$ 10.0 (∆B) −1 N=0 N=1 N=1 −1 (∆B) N=1 N=1 1.0 0.10 T(K) 1.00 Fig. 3.5 – Expériences de Wei et al. [22]. La largeur de la transition δB et de la dérivée de la résistivité de Hall ∂ρxy /∂B, mesurées en fonction de la température, révèlent une loi d’échelle avec un exposant 1/zν = 0, 42 ± 0, 04, pour les transitions entre les facteurs de remplissage 1 → 2 (N = 0 ↓), 2 → 3 (N = 1 ↑) et 3 → 4 (N = 1 ↓). Fig. 9 corrélation ξτ ∼ ξ z ∼ |δ|−zν , (3.9) où z est appelé exposant critique dynamique. Il mesure grosso modo une anisotropie entre les fluctuations spatiales et temporelles, dans le cas non relativiste qui est souvent rencontré en physique de la matière condensée. Notons de plus que, dans une description d’intégrale de chemin, le temps caractéristique τ est lié à la température T par h̄/τ = kB T et qu’une augmentation de la température peut être considérée comme une taille finie dans la direction du temps [21, 20]. A la transition, les grandeurs physiques sont déterminées par des lois d’échelle qui ne dépendent que des grandeurs sans dimension. On trouve Calcul de conductance d’un NL rempli alors pour les résistivités longitudinales et de Hall h̄ω τ , ρL/H = fL/H k B T ξτ h̄ω δ zν , = fL/H , kB T T 43 (3.10) où ω est une fréquence caractéristique à laquelle on regarde le système, par exemple dans une mesure à courant alterné (ac), et fL/H (x) sont des fonctions universelles. Dans la suite, on s’intéresse uniquement au cas ω = 0 comme les mesures de transport se font dans le régime dc. Si l’on mesure donc la largeur caractéristique ∆B de la transition en fonction du champ magnétique, on s’attend, pour une transition de phase de deuxième ordre, à une dépendence de la température ∆B ∼ T 1/zν . (3.11) Cette loi d’échelle a été mise en évidence dans les mesures de Wei et al. [22], qui ont trouvé un exposant 1/zν = 0, 42 ± 0, 04 lorsqu’ils ont fait varier la température sur plus d’un ordre de grandeur, entre 0, 1 et 1, 3K (figure 3.5). Les deux exposants ν et z peuvent être séparés si l’on tient compte de la loi d’échelle pour les fluctuations du courant dues à un champ électrique. En termes d’énergie on trouve eE`E ∼ h̄ h̄ ∼ z, τE `E où τE ∼ `zE est le temps caractéristique de ces fluctuations qui est lié à une longueur caractéristique `E par l’équation (3.9). On trouve donc `E ∼ E −1/(1+z) , et pour la loi d’échelle des résistivités (à ω = 0) δ δ , (3.12) , ρL/H = gL/H T 1/zν E 1/ν(1+z) en termes de fonctions universelles gL,H (x). D’autres mesures par Wei et al., concernant une telle loi d’échelle pour le courant, ont montré que z ' 1, ce qui fournit ν ' 2, 3 ' 7/3 [23]. Notons que l’exposant critique de la percolation 2D classique est, avec νp = 4/3, plus petit que celui mesuré dans les expériences. En revanche, des calculs numériques ont bien réproduit l’exposant ν = 7/3 [24]. Le désaccord avec la percolation classique est très probablement dû à des effets quantiques : 44 Transitions entre plateaux – percolation les flaques percollent par effet tunnel avant qu’elles se touchent dans une image classique, et la rétro-diffusion a donc lieu plus tôt que prévu par la théorie classique. Un modèle qui tient compte de ces effets est celui de Chalker et Coddington, où l’on trouve, à l’aide de calculs de matrice de transfer, un exposant critique ν = 2, 5 ± 0, 5 [25]. Chapitre 4 L’effet Hall quantique fractionnaire – de la théorie de Laughlin aux fermions composites Dans le chapitre précédent, on a vu que l’EHQE à ν = n peut se comprendre à partir de deux ingrédients : (i) la quantification en NL a pour conséquence que l’état fondamental avec un nombre entier de NL complètement remplis est séparé par un gap (simplement la séparation entre niveaux) des autres états ; (ii) les excitations élémentaires, qui sont obtenues lorsqu’on ajoute un électron ou un trou, sont localisées par les impuretés résiduelles dans l’échantillon et ne contribuent pas au transport électronique. Ce ne sont que les NL complètement remplis qui contribuent chacun avec un quantum de conductance e2 /h à la conduction. Cette formulation nous permet d’aborder l’EHQF qu’on observe à un remplissage partiel du plus bas NL, ν = p/(2sp + 1), où s et p sont des entiers. D’un point de vue d’énergie cinétique, tous les états à remplissage partiel sont hautement dégénérés, et il faut donc comprendre le rôle des interactions de Coulomb qui rendent certaines superpositions de ces états énergétiquement plus favorables que d’autres. Si, sous certaines conditions, les interactions lèvent complètement la dégénérescence et si l’état fondamental qui en résulte est séparé par un gap de toutes ses excitations – élémentaires et collectives – l’image établie dans le chapitre précédent nous permettra également de comprendre l’EHQF : il suffit d’appliquer le même raisonnement de locali45 46 EHQF – de Laughlin aux fermions composites sation d’excitations élémentaires (quasi-particules chargées), qui se forment lorsqu’on s’éloigne d’un remplissage où l’on a un état non dégénéré avec un gap. La partie la plus dure consiste à identifier de tels états et à caractériser ses propriétés, comme par exemple ses excitations élémentaires. Avant d’introduire l’approche des fonctions d’essai de Laughlin et Jain, on discute, dans la première section de ce chapitre, la structure du modèle effectif qui décrit la dynamique des électron restreinte à un seul NL partiellement rempli. Ce modèle nous servira également dans les chapitres suivants, comme base de la théorie hamiltonienne de l’EHQF. 4.1 Modèle d’électrons restreints à un seul NL Comme le but est de décrire les propriétés physiques du système dans la limite où la température tend vers zéro, seules les excitations de plus basse énergie sont prises en compte. En raison de la dégénérescence des NL, il s’agit des excitations restreintes à un seul niveau - ou plus précisément à une seule branche de spin - qui deviennent importantes si ν 6= n. A remplissage entier ν = n, ces excitations dans un seul niveau sont interdites par le principe de Pauli (Fig. 4.1). Comme elles ne couplent que les états du même niveau, l’énergie cinétique est une constante, qui ne joue plus aucun rôle pour la dynamique des électrons restreints à un niveau. Cette constante est désormais omise. Des excitations virtuelles inter-niveaux peuvent être considérées dans une approche perturbative et donnent lieu à une fonction diélectrique (q), qui modifie le potentiel d’interaction entre les électrons du même niveau [26]. Contrairement au cas des métaux, où l’on trouve un écrantage de la répulsion coulombienne à longue portée, l’écrantage de l’interaction entre électrons en présence d’un champ magnétique ne se manifeste qu’à des valeurs finies du vecteur d’onde : à q → 0 ainsi qu’à q → ∞, il disparaı̂t, et (q) → , où est la constante diélectrique du semiconducteur sous-jacent. Le spin de l’électron n’est pas changé pendant de tels processus dans une branche de spin, et il n’intervient donc pas dans le modèle. Formellement, on traitera désormais des fermions sans spin. Une discussion plus détaillée des phénomènes dus à la présence du spin – comme la formation d’un état ferromagnétique à ν = 1 même en absence d’effet Zeeman – est reportée à un chapitre particulier. Le hamiltonien d’électrons restreints à un seul NL n est donc donné, en Modèle d’électrons restreints à un seul NL (a) ν= N (b) 47 ν= N ∆Z h ωC Fig. 4.1 – Excitations de plus basse énergie. Chaque NL est séparé en deux branches de spin en raison de l’effet Zeeman. (a) A remplissage ν = n, des excitations qui couplent des états du même niveau sont interdites par le principe de Pauli. Seules des excitations inter-niveaux sont possibles. (b) A remplissage partiel du dernier niveau peuplé (ν 6= n), des excitations dans un seul niveau étant permises définissent la physique de basse énergie, tandis que les excitations inter-niveaux, d’énergie h̄ωC ou ∆z , sont omises dans le modèle. deuxième quantification, par Z 1 d2 r d2 r 0 ψn† (r)ψn (r)V (r − r0 )ψn† (r0 )ψn (r0 ), Ĥ = 2 (4.1) où les champs P électroniques ne comprennent du n-ième niP que des états † † veau, ψn (r) = m hr|n, mien,m et ψn (r) = m hn, m|rien,m . Les opérateurs en,m et e†n,m sont respectivement les opérateurs d’annihilation et de création d’un électron dans l’état |n, mi. Ils satisfont aux règles d’anti-commutation fermioniques, n o en,m , e†n0 ,m0 = δn,n0 δm,m0 , {en,m , en0 ,m0 } = 0. (4.2) Notons que les champs électroniques restreints ψn (r) ne sont pas complètement localisés : en raison de la seule sommation sur le nombre quantique m, on a, avec les règles (4.2), X 0 2 2 ψn (r), ψn† (r0 ) = hr|n, mihn, m|r0 i ∝ e−|r−r | /2lB 6= δ(r − r0 ). (4.3) m Le champ ψn† (r) crée donc un électron à la position r dans un voisinage de ∼ 2 lB , ce qui n’est pas surprenant : c’est une autre manifestation de l’incertitude sur la position lorsqu’on restreint la dynamique à un seul NL, comme on l’a 48 EHQF – de Laughlin aux fermions composites vu dans le chapitre 2.2. Pour obtenir une localisation parfaite du champ, il faudrait sommer aussi sur l’indice n, i.e. faire une superposition de plusieurs NL. Dans l’espace réciproque, le hamiltonien s’écrit 1X Ĥ = v(q)ρn (−q)ρn (q), (4.4) 2 q R P avec la mesure q = d2 q/(2π)2 et le potentiel d’interaction coulombienne v(q) = 2πe2 /q. Les opérateurs ρn (q) sont les composantes de Fourier de la densité électronique du n-ième niveau, ρn (r) = ψn† (r)ψn (r), et l’on a Z X ρn (q) = d2 r hn, m|rie−iq·rhr|n, m0 ie†n,m en,m0 m,m0 = X m,m0 hn, m|e−iq·r |n, m0 ie†n,m en,m0 = hn|e−iq·η |ni X m,m0 = Fn (q)ρ̄(q), hm|e−iq·R |m0 ie†n,m en,m0 (4.5) où Fn (q) ≡ hn| exp(−iq · η)|ni est le facteur de forme, et l’on a profité de la décomposition r = R + η, qui permet de factoriser les éléments de matrice hn, m|e−iq·r |n0 , m0 i = hn| exp(−iq · η)|n0 i ⊗ hm| exp(−iq · R)|m0 i. (4.6) Dans la dernière ligne de l’équation (4.5), on a finalement défini l’opérateur de densité projetée, X ρ̄(q) ≡ hm|e−iq·R |m0 ie†n,m en,m0 . (4.7) m,m0 4.1.1 Calcul des éléments de matrice Il faut maintenant calculer les éléments de matrices qui interviennent dans l’expression (4.5) pour l’opérateur de densité. La façon la plus simple consiste à utiliser les expressions (2.17) et (2.18) pour les opérateurs R et η, en fonction de a, a† , b et b† . On pose désormais lB ≡ 1 pour alléger les expressions. En notation complexe, avec q = qx − iqy et q ∗ = qx + iqy , on a 1 q · η = √ qa + q ∗ a† , 2 1 q · R = √ q ∗ b + qb† , 2 Modèle d’électrons restreints à un seul NL 49 ce qui donne pour le premier élément de matrice, avec n ≥ n0 , et à l’aide de la formule de Baker-Hausdorff (2.41), hn|e−iq·η |n0 i = hn|e − √i (q ∗ a† +qa) = e−|q| 2 |n0 i − √i q ∗ a† 2 2 /4 − √i qa hn|e e 2 |n0 i X i 2 − √i qa − √ q ∗ a† |jihj|e 2 |n0 i = e−|q| /4 hn|e 2 j r n0 ! n! −iq ∗ √ 2 n−n0 X n0 n! = e (n − j)!(n0 − j)!j! j=0 r 0 n0 ! −iq ∗ n−n n−n0 |q|2 −|q|2 /4 √ = e L n0 , n! 2 2 −|q|2 /4 |q|2 − 2 n0 −j (4.8) où nous avons utilisé hn|e − √i q ∗ a† 2 |ji = ( 0 q pour j > n 1 n! j! (n−j)! − √i2 q ∗ n−j pour j ≤ n dans la troisième ligne ainsi que la définition des polynômes de Laguerre [17], 0 Lnn−n (x) 0 0 = n X n! (−x)m . 0 − m)!(n − n0 + m)! (n m! m=0 De même, nous trouvons pour m ≥ m0 hm|e−iq·R |m0 i = hm|e = e−|q| − √i (qb† +q ∗ b) 2 /4 2 r |m0 i m−m0 2 |q| m0 ! −iq m−m0 √ L m0 . m! 2 2 (4.9) Avec la définition des fonctions r n−n0 2 |q| n0 ! −iq n−n0 √ L n0 Gn,n0 (q) ≡ , n! 2 2 on peut également écrire, sans les conditions n ≥ n0 et m ≥ m0 , hn|e−iq·η |n0 i = [Θ(n − n0 )Gn,n0 (q ∗ ) + Θ(n0 − n − 1)Gn0 ,n (−q)] e−|q| 2 /4 (4.10) 50 EHQF – de Laughlin aux fermions composites et 2 hm|e−iq·R |m0 i = [Θ(m − m0 )Gm,m0 (q) + Θ(m0 − m − 1)Gm0 ,m (−q ∗ )] e−|q| /4 . (4.11) Pour le cas n = n0 , on trouve dans (4.10) le facteur de forme du n-ième NL 2 |q| 2 −iq·η Fn (|q|) ≡ hn|e |ni = Ln e−|q| /4 . (4.12) 2 4.1.2 Algèbre des densités projetées A première vue, le modèle (4.4) semble simple à traiter : le hamiltonien est quadratique en termes d’opérateurs de densité projetée, et de tels modèles ont souvent une solution exacte. Il se trouve que la projection à un NL engendre une non commutativité des opérateurs à des vecteurs d’onde différents, ce qui donne lieu à une dynamique quantique compliquée. Pour classifier le modèle, il faut donc encore calculer le commutateur [ρ̄(q), ρ̄(k)]. DansP le cas d’un opérateur à une particule en deuxième quantifiA A A cation, F (q) = λ,λ0 f A (q)λ,λ0 e†λ eλ0 , où fλ,λ 0 (q) = hλ|f (q)|λi, les règles de commutation en première quantification induisent celles en deuxième quantification A X A (4.13) f (q), f B (q0 ) λ,λ0 e†λ eλ0 . F (q), F B (q0 ) = λ,λ0 Les indices λ peuvent contenir plusieurs nombres quantiques. Cette équation se déduit facilement en utilisant à deux reprises pour les opérateurs électroniques [AB, C] = A[B, C]± − [C, A]± B, (4.14) qui est valable pour les commutateurs aussi bien que pour les anti-commutateurs. Avec l’équation (2.16), on trouve [q · R, q0 · R] = qx qy0 [X, Y ] + qy qx0 [Y, X] = i(qx qy − qy qx0 ) = −i(q ∧ q0 ), où l’on a défini q ∧ q0 ≡ −(q × q0 )z , et on obtient à l’aide de la formule de Baker-Hausdorff (2.41) i i 0 h i 0 0 e−iq·R , e−iq ·R = e−i(q+q)·R e 2 q∧q − e− 2 q∧q q ∧ q0 −i(q+q)·R = 2i sin e . (4.15) 2 Modèle d’électrons restreints à un seul NL 51 Cela donne, avec l’équation (4.13), [ρ̄(q), ρ̄(k)] = 2i sin q∧k 2 ρ̄(q + k), (4.16) pour l’algèbre des opérateurs de densités projetées, qui est isomorphe à l’algèbre des translations magnétiques. En effet les opérateurs (2.40), qui décrivent les déplacements d’un électron dans un champ magnétique, ont les mêmes règles de commutation. Notons que cette algèbre ne dépend pas de l’indice n du NL. L’algèbre (4.16) complète le modèle, décrit par le hamiltonien (4.4), qui s’écrit en termes de densité projetée Ĥ = 1X vn (q)ρ̄(−q)ρ̄(q), 2 q (4.17) où l’on a absorbé le facteur de forme dans un potentiel d’interaction effective du n-ième NL, 2 2 |q| 2πe2 2πe2 2 2 e−|q| /2 . [Fn (q)] = Ln vn (q) = |q| |q| 2 (4.18) On remarque que le modèle a la même structure pour tous les NL. L’information sur le niveau est encodée dans le potentiel effectif, qui est le sujet de la section suivante. La physique du plus bas NL, qu’on discute principalement dans la suite de ce chapitre, se généralise donc facilement à un NL élevé : il suffit de tenir compte du facteur de forme du NL dans le potentiel d’interaction et de remplacer le facteur de remplissage ν par le facteur de remplissage partiel du n-ième NL, ν̄ = ν − n. 4.1.3 Le potentiel effectif Pour mieux comprendre le modèle, on discutera dans cette section quelques propriétés du potentiel d’interaction effectif (4.17). En raison des zéros des polynômes de Laguerre Ln (x), la répulsion coulombienne disparaı̂t à cer√ taines valeurs du vecteur d’onde, notamment à q0 (n) ' 2, 4/ 2n + 1, ce qui correspond au premier zéro x ' 1, 2/(2n + 1) [27]. Cela mène à des instabilités du système pour la formation des phases de densité inhomogène avec une périodicité caractéristique Λ ' 2π/q0 (n), car il est énergétiquement favorable 52 EHQF – de Laughlin aux fermions composites 2.02 1.01 1/r 1.5 1.5 n=1 0.6 (b) 1.75 n=2 0.5 0.4 n=3 n=4 n=5 1/r n=1 1.25 n=2 1.01 n=3 0.75 n=4 0.5 0.5 n=5 ~ v(r) 0.8 vn (r) (a) 0.25 0.2 22 4 4 r 6 88 10 10 10 1.0 20 2.0 30 3.0 40 4.0 50 5.0 r/R C Fig. 4.2 – (a) Potentiel effectif dans l’espace réel pour les NL n = 1, ..., 5, en unités de e2 /. Le potentiel de Coulomb en 1/r est montré pour comparaison (tirets). (b) Les résultats pour le potentiel (points) sont tracés après la transformation d’échelle (4.19). La ligne noire représente l’expression approchée ṽ(x) et la ligne grise le potentiel de Coulomb. pour la densité moyenne hρ̄(q)i d’avoir un maximum à q0 . La √ périodicité Λ varie proportionnellement avec le rayon cyclotron RC = 2n + 1. Les phases de densité inhomogène seront discutées plus en détail dans le chapitre 7. Une transformation dans l’espace réel du potentiel effectif, vn (r) = P q exp(ir · q)vn (q) confirme la apparition d’une échelle de longueur caractéristique. Pour des petites valeurs de n, cette transformation peut être effectuée de façon exacte, et l’on trouve une somme finie sur des fonctions de Bessel. Dans des NL plus élevés, n 1, on peut déduire une loi d’échelle pour le potentiel à l’aide de Fn (q) ' J0 (qRC ), ce qui devient exact dans la limite n → ∞, !#2 p 1 − 4/x2 , 2 (4.19) où J0 (x) est la fonction de Bessel d’ordre zéro, et K(x) est l’intégrale elliptique complète de première espèce [17]. La figure 4.2(a) montre les résultats pour le potentiel effectif dans les niveaux n = 1, ..., 5. On remarque la formation d’un palier – à part des petites oscillations – pour des distances moyennes, superposé au potentiel coulombien habituel, e2 /r, qui est retrouvé à grande distance. Ce palier devient plus large dans des NL élevés cependant que sa hauteur est diminuée. La forme d’échelle ṽ(x) est mise en évidence après la transformation des résultats selon l’équation (4.19) : les points, qui représentent les résultats exacts, tombent ṽ(r/RC ) vn (r) ' √ , 2n + 1 " 4e2 Re K avec ṽ(x) = πx 1− Modèle d’électrons restreints à un seul NL (a) (b) 53 (c) r Fig. 4.3 – Les fonctions d’onde des électrons dans un NL n ≥ 1 peuvent être représentées par des anneaux [voir Fig. 2.3(a)]. (a) Si r > 2RC , les anneaux ne se recouvrent par. (b) < 2RC , les anneaux commencent à avoir un recouvrement, représenté par la surface Pour r ∼ grise foncée. (c) Le recouvrement n’augmente pas de façon significative lorsque les anneaux sont rapprochés davantage. approximativement sur la même courbe (noire). L’approximation (4.19), qui devient exacte dans la limite n → ∞, décrit la forme du potentiel de façon suffisamment appropriée aussi pour de plus bas NL à condition que n > 0. Le point anguleux à r = 2RC dans la forme approchée du potentiel est un artéfact mathématique – pour x ≥ 2, l’argument de l’intégrale elliptique est réel tandis qu’il devient complexe pour x < 2, ce qui donne lieu à cette discontinuité. Cet effet pourrait engendrer des divergences artificielles dans d’éventuelles dérivées, mais on peut se servir de cette forme du potentiel uniquement comme support dans des intégrations, ce qui rend la discontinuité inoffensive. La forme du potentiel peut être illustrée dans une image quasi-classique. Avec la restriction des champs électroniques au n-ième NL, on a fait une moyenne sur le mouvement rapide de l’électron, déterminé par la variable η qui, sans cette restriction, couplerait des états de différents n. Les degrés de liberté du mouvement des électrons sont donc uniquement leurs centres de guidage. Comme on l’a vu dans la section 2.2.1, la fonction d’onde d’un électron dans un niveau de Landau n ≥ 1 tient compte de cette moyenne sur le mouvement cyclotron et a par conséquent une forme d’anneau de rayon RC , représentant une densité électronique moyenne [Figs.2.3(b) et 4.3]. Si la distance r entre les centres d’anneaux, qui sont précisément les centres de guidage du mouvement cyclotron de chaque particule, est suffisamment grande (r > 2RC ), la forme des fonctions d’onde de deux particules n’a pour effet qu’une faible correction du potentiel coulombien. A r ∼ RC , les anneaux commencent à se recouvrir et la répulsion devient donc plus forte. En revanche, si l’on rapproche les centres de guidage, ce recouvrement ne devient pas plus grand et la répulsion n’augmente donc pas de façon significative, ce 54 EHQF – de Laughlin aux fermions composites qui explique la formation du palier dans le potentiel effectif. La répulsion devient à nouveau plus importante quand le recouvrement est complet à très petite distance. Or les centres de guidage étant étalés sur la surface minimale 2 2πlB ne peuvent pas être approchés à des distances plus petites que lB . Pour n = 0, cette image quasi-classique devient plus problématique parce que les fonctions d’onde sont de forme gaussienne avec une extension spatiale de l’ordre de la longueur magnétique. Les électrons devraient donc plutôt être représentés par un disque de rayon lB , qui constitue également la longueur minimale, comme il a été décrit dans le chapitre 2 [voir Fig. 2.3(b)]. 4.2 La fonction d’onde de Laughlin Avant la découverte de l’EHQF en 1983, un cristal de Wigner a souvent été évoqué comme état fondamental d’électrons dans le plus bas NL partiellement rempli : pour réduire leur répulsion coulombienne, les électrons choisiraient donc une structure cristalline (triangulaire). Même si l’on a des indications expérimentales d’un tel état à faible remplissage dans le plus bas NL, le cristal de Wigner ne peut être à l’origine de l’EHQF car un cristal est un état avec des symétries continues (translation et rotation) brisées. Il y a donc forcément un mode de Goldstone – une excitation collective dont l’énergie tend vers zéro lorsqu’on regarde des fluctuations à vecteur d’onde nul – et par conséquent l’état n’a pas de gap pour de telles fluctuations. Comme on l’a évoqué dans l’introduction de ce chapitre, c’est en contradiction avec l’EHQF. De plus, on ne comprendrait pas, dans ce scénario de cristal électronique, l’apparition de valeurs « magiques » du facteur de remplissage, pour lesquelles on observe l’effet. La solution du problème que posait l’observation de l’EHQF à ν = 1/(2s + 1) fut trouvée par Laughlin dans la même année que la découverte de l’effet [9]. Il était à la recherche d’une fonction d’onde d’essai qui respecte les symétries du problème, et l’on donne ici les pas essentiels dans la construction de la fonction d’onde de Laughlin, à travers la discussion d’une fonction d’onde à deux particules ψ (2) (z, z 0 ). – La condition P d’analyticité (2.24), pour la jauge symétrique, impose que (2) 0 2 ψ (z, z ) = m,M αm,M (z + z 0 )M (z − z 0 )m exp[−(|z|2 + |z 0 |2 )/4lB ], où m et M sont des entiers. – Comme on cherche à décrire un état qui respecte l’invariance par translation (et rotation) pour un état liquide), on peut se limiter à des fonc- La fonction d’onde de Laughlin 55 P 2 tions d’onde ψ (2) (z, z 0 ) = m αm (z − z 0 )m exp[−(|z|2 + |z 0 |2 )/4lB ]. – Les électron sont des fermions, et la fonction doit donc être antisymétrique, ce qui limite le choix de m aux entiers impairs. En général, la fonction d’onde à deux particules est alors une superposition des 2 fonctions ψ (2) (z, z 0 ) ∝ (z − z 0 )2s+1 exp[−(|z|2 + |z 0 |2 )/4lB ]. La fonction d’onde à N particules, proposée par Laughlin, respecte ces conditions, Y zi − zj 2s+1 P 2 2 L ψ ({zj }) = e− j |zj | /4lB . (4.20) lB i<j Notons que, avec les conditions discutées plus haut, c’est une fonction d’essai avec qu’un seul paramètre variationnel, l’entier s. Le préfacteur dans la fonction de Laughlin (4.20) est aussi appelé facteur de Jastrow, et de telles fonctions d’essai ont également été proposées pour la description de l’He liquide. Pour mieux se familiariser avec cette fonction à N particules, Laughlin proposa d’interpréter le module carré de la fonction en termes de densité de probabilité, dans une image statistique, l’espace des configurations étant donné par l’espace 2D [9]. Dans cette image on identifie la fonction de partition d’un système statistique classique, décrit par le « hamiltonien » Ucl , avec l’intégrale sur l’espace du module carrée de la fonction de Laughlin. Sa fonction de partition s’écrit donc Z X 2 −βUcl = ˆ d2 z1 ...d2 zN ψ L ({zj }) , (4.21) Z= e C où C représente les configurations, ce qui mène à X zi − zj X |zj |2 − , −βUcl = 2q ln 2 l 2lB B j i<j où q = 2s + 1. On choisit, de façon un peu arbitraire,1 la « température » β ≡ 2/q afin d’obtenir X zi − z j X |zj |2 2 −q Ucl = −q ln . (4.22) 2 l 4l B B i<j j 1 Notons qu’on est à T = 0 et que ce choix est uniquement formel. 56 EHQF – de Laughlin aux fermions composites A l’aide de l’équation de Poisson, −∆φ = 2πqnq (r), pour un potentiel électrostatique (2D) dû à la présence d’une densité de charge de qnq , on s’aperçoit que le premier terme de l’expression (4.22) décrit des particules de charge q en interaction, avec un potentiel d’interaction coulombienne 2D φ(r) = − ln(|r|/lB ). De la même manière, on trouve que le deuxième terme consiste en une interaction de ces particules avec un arrière-plan neutralisant, car 2 2 −∆|r|2 /4lB = −1/lB = 2πρB , où ρB est la densité de charge de l’arrièreplan. C’est donc un hamiltonien qui décrit un plasma 2D à une composante. La neutralité de charge de ce plasma impose ρB + qnel = 0, et comme le 2 facteur de remplissage est lié à la densité par nel = ν/2πlB , on trouve ν= 1 1 = . q 2s + 1 (4.23) Cela veut dire que le seul paramètre variationnel s de la fonction d’onde de Laughlin (4.20) est intimement lié au facteur de remplissage ν et ne peut donc être choisi de façon indépendante de ce dernier. 4.2.1 Quasi-particules de charge fractionnaire Une propriété remarquable du liquide de Laughlin est qu’il possède des excitations élémentaires de charge fractionnaire. Considérons la fonction d’onde ψqh (z0 , {zj }) = N Y zi − z 0 i=1 lB ψ L ({zj }), (4.24) où l’on a donc un zéro supplémentaire à la position z0 . En développant formellement la fonction de Laughlin en puissances, X P 2 mN − j |zj |2 /4lB e , ψ L ({zj }) = αm1 ,...,mN z1m1 ...zN {mi } on trouve pour la fonction ψqh (z0 = 0, {zj }) = X mN +1 − αm1 ,...,mN z1m1 +1 ...zN e P j 2 |zj |2 /4lB . {mi } Toutes les particules sont donc déplacées d’un état par rapport à la fonction de Laughlin, mj → mj + 1. Dans la jauge symétrique, où la position d’une p particule se trouve sur un anneaux de rayon lB 2mj + 1, cela indique que La fonction d’onde de Laughlin 57 l’on a crée un trou à l’origine z0 = 0 (« quasi-trou »). De plus, ce quasi-trou est P associé à une vorticité lorsqu’on regarde la phase, ψqh (z0 = 0, {zj }) ∝ j exp(−iθj ), où θj = arctan(yj /xj ). Une particule sur un chemin fermé autour de z0 attrape donc une phase de 2π. De la même manière, un peut, en principe, écrire une fonction d’onde pour une excitation de type « quasi-particule » (de vorticité opposée), ψqp (z0 , {zj }) = PLLL N ∗ Y z − z∗ i i=1 0 lB ψ L ({zj }), (4.25) avec la complication que l’analyticité des fonctions d’onde dans le plus bas NL nous interdit de recourir à des variables zj∗ . Pour cette raison, il faut tenir compte d’un projecteur PLLL dans le plus bas NL. Une façon de faire cette projection est de dériver la partie polynomiale de la fonction d’onde par zj au lieu de la multiplier par zj∗ : par intégration partielle, cela équivaut à appliquer la dérivée ∂zj à la gaussienne, où elle génère précisement zj∗ , à un facteur près [28]. Que ces excitations portent une charge fractionnaire, se voit dans l’analogie avec un plasma 2D à une composante, introduite plus haut. Le préfacteur dans la fonction d’onde (4.23) donne lieu à un nouveau terme dans l’expression (4.22), Ucl → Ucl + V , où V = −q N X j zj − z 0 , ln lB qui s’interprète comme un terme d’interaction du plasma avec une « impureté » de charge 1 à la position z0 . Comme le plasma essaie de maintenir sa neutralité de charge, cette impureté est écrantée, et puisque la charge des particules du plasma est q, il faut 1/q particules pour cet écrantage. Cela mène à la fractionnalisation de la charge de la quasi-particule2 du liquide de Laughlin, e e e∗ = = . (4.26) q 2s + 1 Une autre façon, plus directe, de voir cette fractionnalisation de la charge 2 On utilise désormais le terme quasi-particule comme générique pour désigner les quasiparticules et quasi-trous, sauf si la distinction s’avère nécessaire. 58 EHQF – de Laughlin aux fermions composites consiste à introduire q quasi-particules à la même position 3 q N Y zj − z 0 [ψqh (z0 , {zj })] = ψ L ({zj }) = ψ L ({zj }, z0 ), l B j=1 q où l’on trouve donc la fonction de Laughlin pour N + 1 électrons, le dernier électron étant situé à la position z0 . Par conséquent, on a besoin de q quasiparticules pour ajouter un électron dans le liquide de Laughlin, ce qui mène à la même conclusion que l’analogie de plasma (4.26). Des calculs numériques ont montré que le coût en énergie de créer de telles quasi-particules est non nul, ce qui signifie que l’état fondamental (décrit par la fonction de Laughlin) a un gap par rapport à ses excitations élémentaires. Comme on l’a indiqué plus haut, c’est une condition nécessaire pour l’EHQF. 4.2.2 Energie du fondamental Le mérite du travail de Laughlin ne consiste pas seulement en la proposition de sa fonction d’onde, mais il a surtout montré que l’énergie de cet état variationnel est plus basse que celle du cristal de Wigner. Rappelons que le cristal a été proposé comme état fondamental parce que ses corrélations sont favorables à la minimisation de la répulsion coulombienne. L’énergie du liquide de Laughlin se calcule à partir de ! Z Z N 2 Y 2 hψ L |Ĥ|ψ L i e 1 X d 2 zi d 2 zj d2 zk ψ L (zi , zj ; {zk }) = Z 2Z |zi − zj | i6=j k6=i,j Z 2 2 e nel A = d2 r g(r), (4.27) 2 |r| où N (N − 1) g(r) ≡ n2el Z Z 2 d2 z3 ...d2 zN ψ L (z1 = 0, z2 = r; z3 , ..., zN ) (4.28) est la fonction de corrélation de paires. Dans cette expression, on a utilisé l’invariance par translation et rotation4 et le fait qu’on a N (N −1) possibilités de choisir les paires zi = z1 et zj = z2 dans la première ligne de l’équation 3 4 La première égalité se lit de façon schématique. L’invariance par rotation a pour effet que r = z = |z| est réel. La fonction d’onde de Laughlin 59 (4.27). D’habitude, on divise cette expression par le nombre total de particules N = nelRA et l’on choisit l’énergie d’un liquide homogène non corrélé E0 = (nel /2) d2 re2 /r comme énergie de référence. L’énergie par particule du liquide de Laughlin s’écrit donc, en termes de fonction de corrélation de paires, Z nel e2 L [g(r) − 1], (4.29) E = d2 r 2 |r| ou dans l’espace de Fourier EL = 1X v(q)[s(q) − 1], 2 q (4.30) en termes de facteur de structure (statique) s(q) = 1 hρ(−q)ρ(q)i, N (4.31) qui est lié à la fonction de corrélation de paires par transformation de Fourier [21] Z [s(q) − 1] = nel d2 r eiq·r [g(r) − 1]. (4.32) La fonction de corrélation de paires (ou le facteur de structure) détermine donc la structure du liquide et indique un éventuel ordre à courte portée. Elle peut se calculer à partir de la fonction d’onde de Laughlin par intégration Monte Carlo [29, 30]. Au lieu de calculer numériquement la fonction de corrélation de paires, Girvin l’analysa en 1984 en tenant compte de certaines symétries et des propriétés du plasma 2D à une composante [31]. En développant la fonction d’onde de Laughlin par rapport à z = (z1 − z2 )/lB et z+ = (z1 + z2 )/lB , ψ L ({zj }) = ∼ XX M m −(|z+ | aM,m (z3 , ..., zN )z+ z e 2 +|z|2 )/8 , (4.33) M m=1 où le tilde sur la deuxième somme indique qu’on ne somme que sur les entiers impairs, on trouve pour la fonction de corrélation de paires g(z) = ∼ X m,m0 0 Am,m0 (z+ )z ∗m z m e−|z| 2 /4 , 60 EHQF – de Laughlin aux fermions composites où les fonctions Am,m0 (z+ ) ne dépend que de z+ dû à l’intégration sur les autres variables z3 , ...zN . En raison de l’invariance par translation du liquide, on a ∂Am,m0 (z+ )/∂z+ = 0, et l’invariance par rotation impose Am,m0 = δm,m0 bm , ce qui donne g(z) = ∼ X m=1 bm |z|2m e−|z| 2 /4 . P̃ Comme lim|z|→∞ g(|z|) = 1, et donc lim|z|→∞ m=1 bm |z|2m = exp(|z|2 /4), il convient de réécrire les paramètres de développement, m 2 1 bm = (1 + cm ), m! 4 où les limites imposent limm→∞ cm = 0. La fonction de corrélation de paires est donc donnée par un sinus hyperbolique plus des corrections, décrites par les paramètres cm , m 2 ∼ X |z| 2cm |z|2 2 −|z|2 /4 e−|z| /4 e + g(z) = 2 sinh 4 m! 4 m=1 ∼ m X 2cm |z|2 2 2 = 1 − e−|z| /2 + e−|z| /4 . (4.34) m! 4 m=1 La transformation de Fourier donne l’expression pour le facteur de structure statique ∼ X 2 /2 2 2 −q 2 lB 2 [s(q) − 1] = −νe + 4ν cm Lm (q 2 lB )e−q lB , (4.35) m=1 en termes de polynômes de Laguerre. L’énergie (4.30) peut donc s’écrire ∼ ν X νX E = cm Vm0 − v0 (q), π m=1 2 q L (4.36) où v0 (q) est le potentiel effectif dans le plus bas NL (4.18), et l’on a défini les pseudo-potentiels de Haldane X 2 2 2 Vm0 ≡ 2π v0 (q)Lm (q 2 lB )e−q lB /2 . (4.37) q La fonction d’onde de Laughlin 61 Ces pseudo-potentiels signifient la force du potentiel d’interaction entre particules qui se trouvent dans un état de moment angulaire relatif m, ce qu’on peut voir également en considérant la fonction d’onde à 2 particules, ψ (2) (z1 , z2 ) = hz1 , z2 |m, M i = (z1 − z2 )m (z1 + z2 )M e−(|z1 | 2 +|z 2| 2 )/4l2 B . Les pseudo-potentiels sont précisément Vm0 = hm, M |V |m, M i . hm, M |m, M i L’avantage de l’expression de l’énergie (4.36) en termes de pseudo-potentiels de Haldane, définis à l’aide du potentiel effectif, nous permet directement de décrire des liquides de Laughlin dans un NL plus élevé (n 6= 0) : il suffit de généraliser les pseudo-potentiels au NL n, en utilisant le potentiel effectif approprié (4.18), Vmn ≡ 2π X 2 vn (q)Lm (q 2 lB )e−q 2 l2 /2 B . (4.38) q La figure (4.4) montre les pseudo-potentiels pour les NL n = 0 à n = 3. Ils ont une allure semblable à la forme du potentiel effectif dans l’espace réel (voir la figure 4.2) – en effet, les pseudo-potentiels sont une copie de l’interaction dans l’espace réel comme la distance moyenne dm entre deux√ particules dans un moment angulaire relatif m est dm = hm| |r1 − r2 | |mi = 2mlB . Notons enfin que seuls les pseudo-potentiels avec m impair joue un rôle physique pour les électrons en interaction, en raison de leur statistique fermionique. Revenons sur la discussion de la fonction de corrélation de paires (4.34). On remarque qu’en raison du comportement de la fonction de Laughlin lorsqu’on rapproche deux particules décrites par leurs positions z1 et z2 , on a g(z) ∼ |z|2(2s+1) à courte distance. Cela montre que les corrélations dont on tient compte dans la fonction de Laughlin sont favorables pour minimiser l’interaction de Coulomb, même plus favorables que dans n’importe quel autre état où la statistique fermionique n’imposerait que g(z) ∼ |z|2 . De plus, ce comportement à courte distance impose cm = −1, sur les paramètres de développement. pour m < s (4.39) 62 EHQF – de Laughlin aux fermions composites n=0 n pseudo−potentiels V m 0.8 0.8 n=1 0.6 0.6 n=2 n=3 0.4 0.4 0.2 0.2 0 21 2 43 4 65 6 87 8 10 9 10 12 m Fig. 4.4 – Pseudo-potentiels pour les NL n = 0 (pointillé), n = 1 (courbe noire), n = 2 (courbe grise foncée) et n = 3 (courbe grise claire), en unités de e2 /lB . Il est également convenable de définir les « moments » 2 n Z |z| 2 [g(z) − 1] Mn = nel d z 4 # " ∼ X (n + m)! = 2πnel −n! + 2n+2 cm , m! m=1 (4.40) où la deuxième ligne se calcule à l’aide de l’équation (4.34). Selon la théorie des plasmas,5 la neutralité de charge impose M0 = −1 et donc ∼ X 1 s cm = (4.41) 1 − ν −1 = − . 4 2 m=1 L’écrantage parfait du plasma se traduit par M1 = −1, i.e. ∼ X s 1 1 − ν −1 = − , (m + 1)cm = 8 4 m=1 (4.42) et les propriétés de compressibilité donnent une troisième règle de somme, ∼ X 2 s2 1 1 − ν −1 = . (4.43) (m + 2)(m + 1)cm = 8 2 m=1 5 On n’entre pas dans les détails de cette théorie. Le lecteur intéressé peut se référer à [29, 30, 31] (et références dans ces travaux, notamment [33]) La fonction d’onde de Laughlin 63 Au lieu d’utiliser ces règles de sommes (4.41-4.43) et (4.39) comme contraintes dans l’ajustement de la fonction de corrélation de paires (4.34) par rapport à des résultats numériques obtenus par l’intégration Monte Carlo, on peut s’en servir pour déterminer la fonction de façon approximative : les règles de somme forment un système d’équations linéaires que l’on peut résoudre si l’on pose cm = 0 pour m > s + 3, ce qui est une approximation raisonnable comme limm→∞ cm = 0. Par cette méthode, on trouve s=1 s=2 s=3 s=4 cs1 cs3 cs5 cs7 cs9 cs11 cs13 -1 17/32 1/16 -3/32 0 0 0 -1 -1 7/16 11/8 -13/16 0 0 -1 -1 -1 -25/32 79/16 -85/32 0 -1 -1 -1 -1 -29/8 47/4 -49/8 pour s = 1, .., 4. L’énergie ainsi calculée dévie de moins d’un pour cent des résultats numériques de Levesque et al. [29], comme il est montré dans la figure 4.5(a). La fonction de corrélation de paires exhibe, à part la probabilité diminuée d’avoir un électron dans le voisinage immédiat d’un autre, un maximum à distance finie, où il est plus probable de trouver une deuxième particule. Ce maximum se déplace vers des distances plus grandes et devient plus prononcé si s est augmenté, donc si la densité électronique est abaissée [ν = 1/(2s+1)]. Cela indique un ordre à courte portée qui devient plus important à basse densité, où l’on s’attendrait à la formation d’un cristal de Wigner. En effet, des calculs numériques plus précis montrent même des oscillations autour de la ligne cassée dans la figure 4.5(b) pour r plus grand, indiquant la présence de corrélations à longue distance [34]. 4.2.3 Modes collectifs Jusqu’à présent, on a calculé l’énergie de l’état fondamental, et on a analysé les excitations élémentaires (quasi-particules de charge fractionnaire), qui sont séparées par un gap du fondamental. Pour comprendre l’EHQF, il reste à montrer quw les excitations collectives, elles aussi, ont une dispersion d’énergie qui révèle un gap à toute valeur du vecteur d’onde. Ces excitations 64 EHQF – de Laughlin aux fermions composites Facteur de remplissage 5 0.1 15 0.3 10 0.2 20 0.4 25 0.5 12 14 15 Energie -0.1 −0.1 -0.2 −0.2 -0.3 −0.3 -0.4 −0.4 1.4 g s(r) 1.2 Fonction de corrélation de paires (b) 1.01 s=3 s=2 s=1 0.8 0.6 0.5 0.4 0.2 2 4 5 6 r8 10 10 Fig. 4.5 – (a) Comparaison de nos résultats pour l’énergie (traits noirs) des états de Laughlin aux résultats numériques de Levesque et al. (ligne grise) en unités de √e2 /lB . La ligne est donnée par les formules d’interpolation U (ν) = −0, 782133 ν 1 − 0, 211ν 0,74 + 0, 012ν 1,7 pour les résultats de Levesque et al. [29]. (b) Fonctions de corrélation de paires pour différents s. La distance r est mesurée en unités de la longueur magnétique lB . La ligne droite (tirets) indique la fonction pour un gaz d’électrons non corrélés. La fonction d’onde de Laughlin 65 collectives |ψq i sont de type phonon, et on peut utiliser l’ansatz (approximation à un seul mode) [30] |ψq i = ρ̄(q)|ψ L i, (4.44) où ρ̄(q) est l’opérateur de densité projetée (4.7). Comme X hm|e−iq·R |m0 ie†n=0,m en=0,m0 , ρ̄(q) = m,m0 on peut interpréter l’état excité également comme une superposition d’excitations particule-trou (particule dans l’état |n = 0, mi et trou dans |n = 0, m0 i) 2 dont les composantes sont séparées par une distance moyenne de qlB . Notons qu’en raison de la projection, l’état |ψq i n’a pas de composantes dans les NL n 6= 0. L’énergie de cette excitation par rapport au fondamental est ∆(q) = ' hψ L |ρ̄(−q)Ĥ ρ̄(q)|ψ L i − EL hψ L |ρ̄(−q)ρ̄(q)|ψ L i 1 hψ L |[ρ̄(−q), [Ĥ, ρ̄(q)]|ψ L i f¯(q) ≡ , 2 hψ L |ρ̄(−q)ρ̄(q)|ψ L i s̄(q) (4.45) où l’on a fait l’hypothèse que l’état de Laughlin est un état propre du hamiltonien, Ĥ|ψ L i ' E L |ψ L i, ce qui est une très bonne approximation au vu des résultats obtenus par diagonalisation exacte qui indiquent un recouvrement de plus de 99% entre |ψ L i et l’état fondamental exact. De plus, on a utilisé l’invariance par rotation du liquide pour obbtenir la deuxième ligne, ainsi que ρ̄† (q) = ρ̄(−q). Le facteur de structure projeté est lié au facteur de structure (4.35) par 2 /2 −q 2 lB s̄(q) = s(q) − 1 − e . L’équation (4.45) est précisement la formule de Feynman et Bijl, proposée originalement pour la description des excitations collectives de l’He liquide. [35]. A l’aide des règles de commutations pour les opérateurs de densité projetée (4.16), on trouve 2 X s̄(k) q ∧ klB 2 . (4.46) ∆(q) = 2 [v0 (|k − q|) − v0 (k)] sin 2 s̄(q) k Les dispersions d’énergie sont tracées dans la figure 4.6, en comparaison avec les résultats obtenus par des calculs numériques de diagonalisation 66 EHQF – de Laughlin aux fermions composites Fig. 4.6 – Dispersion d’énergie des excitations collectives [36]. Les courbes montrent les résultats obtenus dans l’approximation à un seul mode pour ν = 1/3, 1/5 et 1/7, et les symboles indiquent les valeurs trouvées par diagonalisation exacte [37]. Les flèches indiquent le module des vecteurs d’onde attendus pour un cristal de Wigner aux facteurs de remplissages correspondants. 4.3. LA GÉNÉRALISATION DE JAIN – FERMIONS COMPOSITES 67 exacte [37]. Pour toute valeur du vecteur d’onde, les dispersions montrent un gap d’énergie fini, comme on s’y attend pour un liquide incompressible, mais elles révèlent un minimum à des vecteurs d’onde qui correspondent au module du pas du réseau réciproque d’un cristal de Wigner. Le minimum, qu’on appelle aussi minimum de magnéto-roton, en analogie avec le cas de l’He liquide [35], indique donc un ordre (cristallin) à courte portée, et son amollissement montre une tendance d’instabilité vers un cristal de Wigner lorsque le facteur de remplissage devient plus petit. L’approximation à un seul mode devient moins fiable à grand vecteur d’onde, où l’on s’attend à trouver un comportement asymptotique 2πe∗2 , ∆(q 1/lB ) ' ∆qp + ∆qh − 2 qlB i.e. l’énergie pour créer une paire comstituée d’une quasi-particule d’énergie ∆qp et d’un quasi-trou d’énergie ∆qh , dont les composantes sont bien séparées et s’attirent par l’interaction de Coulomb, en raison de leurs charges respectives, e∗ et −e∗ . 4.3 La généralisation de Jain – fermions composites La fonction de Laughlin est féconde pour décrire l’EHQF à ν = 1/(2s+1), mais elle n’explique pas les états fractionnaires qui ont été découverts dans la suite, comme celui à ν = 2/5 qui fait partie de la série ν = p/(2sp + 1). Pour aborder ces nouveaux états, une image d’hiérarchie a été proposée par Haldane [32] et Halperin [38]. Selon cette image, les quasi-particules de Laughlin forment, à densité suffisamment élévée, elles-mêmes un liquide incompressible, pour minimiser leur répulsion coulombienne due à leur charge e∗ . L’état à ν = 2/5 serait donc un état « rejeton » de l’état de Laughlin à ν = 1/3. Une alternative fut proposée dans le cadre de la théorie de fermions composites (FC) : en 1989, Jain réinterpréta la fonction de Laughlin, L ψ ({zj }) = Y zi − zj 2s Y zi − zj i<j lB i<j lB e− P j 2 |zj |2 /4lB , (4.47) 68 EHQF – de Laughlin aux fermions composites Q comme étant constituée de deux facteurs : le premier, i<j [(zi − zj )/lB ]2s , attache 2s zéros (vortex avec 2s quanta de flux) aux positions des particules, et le deuxième, Y zi − z j , (4.48) χν ∗ =1 ({zj }) = l B i<j peut s’interpréter comme la fonction d’onde d’un NL virtuel complètement rempli, avec un nouveau facteur de remplissage (virtuel) ν ∗ = 1 [16]. En effet, le déterminant de Slater, qui représente l’état non dégénéré à ν = 1, coı̈ncide avec l’expression (4.48), 0 z1 z11 ... z1N −1 z 0 z 1 ... z2N −1 Y 2 2 det (zi − zj ), ... ... ... ... = i<j N −1 0 1 zN zN ... zN aussi appelé déterminant de Vandermonde. La généralisation proposée par Jain consiste à remplacer χν ∗ =1 ({zj }) par un déterminant de Slater pour p NL virtuels complètement remplis, χν ∗ =p ({zj }), J ψ ({zj }) = PLLL Y zi − zj 2s i<j lB χν ∗ =p ({zj }), (4.49) où il faut tenir compte de la projection dans le plus bas NL, à travers PLLL , comme la fonction χν ∗ =p ({zj }) contient des composantes dans un NL différent du plus bas, pour ν ∗ 6= 1. Essayons de visualiser cette situation. On a renormalisé le nombre d’états effectifs par niveau, M → M ∗ = M − 2sN , car le premier terme d’attachement de vortex « enlève » 2sN zéros du système à N électrons. Cela revient à renormaliser le champ magnétique, qui n’est pas autre chose que la densité de flux, en termes de quanta de flux φ0 = h/e, ainsi que le facteur de remplissage, par B → B ∗ = B − 2sφ0 nel et ν ∗−1 = ν −1 − 2s. (4.50) Cette image nous permet d’interpréter l’état d’EHQF à ν = 1/3 comme un état entier de FC (électron plus vortex portant 2s quanta de flux) à ν ∗ = 1, ainsi que l’état à ν = 2/5 comme un état de FC à ν ∗ = 2 (figure 4.7). D’une manière générale, l’image de FC nous permet de comprendre l’EHQF La généralisation de Jain – fermions composites ν = 1/3 : 69 ν∗ = 1 Théorie de FCs électron quantum de flux libre ν = 2/5 : ν∗ = 2 vortex portant 2s quanta de flux (liés) fermion composite Fig. 4.7 – Fermions composites. L’état électronique à ν = 1/3 peut être compris comme un état avec un remplissage entier ν ∗ = 1 en termes de FCs, dont les vortex portent 2s quanta de flux chacun. De même, un remplissage de FCs de ν ∗ = 2 donne lieu à l’état = 2/5. d’électrons à ν = p/(2sp + 1) en termes d’EHQE de FC à ν ∗ = p, car le facteur de remplissage de FC ν ∗ = hnel /eB ∗ est lié au facteur de remplissage électronique par ν∗ ν= , (4.51) 2sν ∗ + 1 ce qui n’est qu’une réécriture de l’expression (4.50). Dans les chapitres suivants, on cherche à donner un sens physique plus clair à cette image, qui est avant tout une image de comptable, basée sur un attachement de flux aux électrons. A priori il n’est pas très intuitif de renormaliser un champ magnétique qui est une quantité physique externe imposée au système. Notons pourtant que le champ magnétique n’intervient dans nos expressions qu’en combinaison avec la charge électronique e, la constante de couplage à ce champ. On peut donc également renormaliser la charge, (eB)∗ = eB ∗ = e∗ B, ce qui semble particulièrement pertinent au vu de la fractionnalisation de la charge pour les excitations de type quasi-particule, discutée plus haut. 70 EHQF – de Laughlin aux fermions composites Chapitre 5 Théories de Chern-Simons et la physique des anyons Suite à la proposition de l’image des FC, une théorie des champs, qui tienne compte de l’attachement de flux au champ électronique, a été cherchée. De telles théories étaient connues sous le nom théories de Chern-Simons dans le cadre d’une généralisation de la théorie de Maxwell des champs électromagnétiques. Leur pertinence pour l’EHQF fut soulignée en premier par Lopez et Fradkin en 1991 [11] et par Halperin, Lee et Read en 1993 [12], dans le cadre de la description de l’état (compressible) à ν = 1/2, qui est la limite de la suite p/(2sp + 1) pour p → ∞. Ce chapitre a pour but l’introduction des notions de base des transformations de Chern-Simons, mais se veut modeste par rapport à une description détaillée dans le cadre de la théorie des champs. Mis à part le lien avec la théorie des anyons, particules 2D de statistique fractionnaire, qui se décrivent de façon transparente à travers les transformations de Chern-Simons, leur intérêt principal consiste en une base pour la théorie hamiltonienne, qui sera l’objet du chaptitre suivant. 5.1 Transformations de Chern-Simons Le hamiltonien d’électrons dans un champ magnétique, en deuxième quantification, s’écrit Ĥ = Ĥ0 + Ĥint , 71 72 Théories de Chern-Simons et la physique des anyons où le terme cinétique est Z [−ih̄∇ + eA(r)]2 ψ(r), Ĥ0 = d2 rψ † (r) 2m (5.1) et Ĥint tient compte des interactions entre électrons. Une transformation de Chern-Simons est une transformation unitaire singulière, ψ(r) = e−iφ̃ R d2 r 0 θ(r−r0 )ρ(r0 ) ψCS (r), (5.2) où θ(r) = arctan(y/x) est l’angle entre le vecteur r et l’axe x. Cette transformation est clairement singulière parce que l’angle θ(r) n’est pas défini à r = 0. Notons que la densité reste invariante sous cette transformation, † ρ(r) = ψ † (r)ψ(r) = ψCS (r)ψCS (r). Le gradient dans l’expression (5.1) agit également sur la phase de cette transformation, et l’on trouve Z R −iφ̃ d2 r 0 θ(r−r0 )ρ(r0 ) 2 0 0 0 −ih̄∇ψ(r) = e −ih̄∇ − φ̃h̄∇ d r θ(r − r )ρ(r ) ψCS (r). On peut donc définir un nouveau champ de jauge (potentiel vecteur de ChernSimons) par Z h̄ (5.3) ACS (r) = − φ̃∇ d2 r 0 θ(r − r0 )ρ(r0 ), e et si ce potentiel vecteur satisfait à la jauge de Coulomb ∇ · ACS (r) = 0, ce que l’on montrera dans la suite, on peut réécrire le hamiltonien cinétique comme Z [−ih̄∇ + eA(r) + eACS (r)]2 † (r) Ĥ0 = d2 rψCS ψCS (r), (5.4) 2m tandis que le hamiltonien d’interaction reste invariant, car il ne dépend que de la densité, qui est invariante elle-même. Pour analyser ce nouveau champ de jauge et son « champ magnétique » associé, BCS (r) = ∇ × ACS (r), il s’avère utile de faire une petite excursion dans la théorie des fonctions analytiques. Ici, on pose z = x + iy, et non pas comme dans le chapitre 2, où la chiralité d’un électron dans un champ magnétique nous imposait de façon naturelle l’inversion entre la variable z Transformations de Chern-Simons 73 et son complexe conjugué z ∗ . On peut séparer chaque fonction complexe en une partie réelle et imaginaire, f (x, y) = u(x, y) + iv(x, y), et la condition d’analyticité ∂z ∗ f (z) = 0 se traduit, en termes de x et y, par les équations ∂x u(x, y) = ∂y v(x, y), et ∂y u(x, y) = −∂x v(x, y), (5.5) connues sous le nom équations différentielles de Cauchy-Riemann.1 Au lieu d’utiliser la formulation cartésienne2 des fonctions complexes, on peut également choisir la représentation polaire f (x, y) = w(x, y)eiχ(x,y) , où w(x, y) et χ(x, y) sont des fonctions réelles. La condition d’analyticité, (∂x + i∂y )f (x, y) = 0, se traduit maintenant par ∂x w(x, y) − w(x, y)∂y χ(x, y) + i [∂y x(x, y) + w(x, y)∂x χ(x, y)] ou bien, après séparation en parties réelle et imaginaire et division par w(x, y), par ∂x ln w(x, y) = ∂y χ(x, y) et ∂y ln w(x, y) = −∂x χ(x, y), (5.6) équations de Cauchy-Riemann ( !) dans la représentation polaire. Pour le cas le plus simple, f (z) = z = r exp(iθ), qui nous intéresse ici, cela donne ∂x ln r(x, y) = ∂y θ(x, y) et ∂y ln r(x, y) = −∂x θ(x, y). A l’aide de ces équations, on calcule aisément [∇ × ∇θ(r)]z = (∂x ∂y − ∂y ∂x )θ(r) = ∆ ln r = 2πδ (2) (r), 1 (5.7) Il parait qu’en France, on appelle ces équations équations différentielles de Cauchy seulement. Hélas, ce patriotisme scientifique a pour conséquence qu’on appelle un nombre non négligeable de théorèmes de cette discipline mathématique théorème de Cauchy, pour la confusion de générations et générations d’étudiants. On utilisera donc ici le terme francogermanique – après tout, un des enseignants de ce cours vient d’outre-Rhin ... 2 Ici, il n’y a ni ambiguité ni interférence germanique. 74 Théories de Chern-Simons et la physique des anyons où le dernier pas est l’équation de Poisson pour un potentiel 2D. Notons que, normalement, le rotationnel d’un gradient donne zéro – la présente exception est due au fait que θ(r) est singulière à r = 0, comme on l’a déjà mentionné plus haut. De la même manière, on trouve ∆θ(r) = −∂x ∂y ln(r) + ∂y ∂x ln(r) = 0. (5.8) Avec la définition (5.3), la dernière équation montre que le champ de ChernSimons satisfait à la jauge de Coulomb, et l’équation (5.7) donne pour le champ magnétique Z h̄ h BCS = − φ̃ d2 r 0 ∇ × ∇θ(r − r0 )ρ(r0 ) = − φ̃ρ(r)ez . (5.9) e e On remarque donc que ce champ magnétique est intimement lié à la densité électronique, et il est, contrairement au champ B habituel, un opérateur quantique. Dans l’approximation du champ moyen, on remplace l’opérateur de densité dans l’équation (5.9) par la densité moyenne hρ(r)i = nel , ce qui donne lieu à une renormalisation du champ h B → B ∗ = B + hBCS i = B − φ̃nel e (5.10) ou, en termes de facteur de remplissage, B → B ∗ = B(1 − φ̃ν). (5.11) Si l’on choisit φ̃ = 2s, cette renormalisation du champ est précisément celle de la théorie de FC (4.50). Pour faire le lien avec les fonctions d’onde d’essai, on peut réécrire, en première quantification, cette transformation du champ comme ψ({zj }) = e iφ̃ P i<j θ(zi −zj ) Y zi − zj φ̃ ψCS ({zj }). ψCS ({zj }) = |zi − zj | i<j (5.12) On voit donc que la transformation de Chern-Simons attache φ̃ quanta de flux (singularité d’ordre φ̃ dans la phase), sans attacher les modules des zéros pour donner des vortex, comme dans la fonction de Jain pour φ̃ = 2s (4.49). 5.2. TRANSMUTATION STATISTIQUE – LES ANYONS EN 2D (b) (a) z 75 A B C A B + B A Fig. 5.1 – (a) Processus dans lequel la particule A se déplace sur un chemin C autour d’une deuxième particule. En 3D, on peut soulever ce chemin et ainsi le rétrécir en un seul point (lignes grises). (b) Processus équivalent qui consiste en deux échanges successifs des particules A et B. 5.2 Transmutation statistique – les anyons en 2D Les théories de Chern-Simons sont particulièrement bien adaptées pour aborder la physique des anyons, quasi-particules avec une statistique qui n’est ni bosonique ni fermionique. Notons que toutes les particules que l’on connait dans la nature sont soit des bosons ou des fermions, en fonction de leur comportement lorsqu’on échange deux particules de la même espèce. Cette classification est due au caractère spatial 3D de notre environnement et n’est plus valable en 2D. Pour visualiser ces propriétés statistiques dues à l’échange de deux particules identiques, notons d’abord qu’un processus T dans lequel on tourne adiabatiquement une particule A autour d’une autre B est, à une translation près, équivalent à deux processus d’échange E (Fig. 5.1). On suppose pour ces deux processus que les particules sont suffisamment localisées pour pouvoir négliger le recouvrement entre leurs fonctions d’onde. D’un point de vue algébrique, qui tient compte de l’homotopie de ces processus, on peut écrire E2 = T modulo une translation. Discutons d’abord le cas d’un espace (sans temps) de dimension 3 ou plus, où l’on a placé le chemin C dans le plan x−y. Comme on a la troisième dimension (direction z) à notre disposition, on peut soulever le chemin C de la particule A au-dessus de la particule B et ainsi le rétrécir en un seul point sans que la position de B fasse à aucun moment partie du chemin C.3 On peut associer à ce processus adiabatique un « temps », tel que C(t = 0) = C (le chemin initial dans le plan x − y) et C(t = 1) = 1 (le point de la position A). Le processus de contournement de A autour de B 3 Ce ne serait pas possible si B était une ligne infinie dans la direction z. 76 Théories de Chern-Simons et la physique des anyons est donc équivalent à un processus où l’on ne touche pas aux particules, i.e. à l’unité, et l’on trouve √ T =& et donc E= & , où la dernière équation est symbolique. Elle indique que E a deux valeurs propres e1 = exp(2iπ) = 1 et e2 = exp(iπ) = −1 (les racines de l’identité). Cette règle de supersélection indique qu’en 3D (ou plus), toutes les particules ponctuelles peuvent être distinguées en deux classes, suivant leur comportement quand on échange deux particules identiques, et e1 = 1 correspond aux bosons et e2 = −1 aux fermions. Cet argument n’est pas valable lorsqu’on restreint la dynamique des particules à 2D : dans ce cas, on ne peut rétrécir le chemin C en un point sans croiser la position de la particule B, et un chemin qui contourne une autre particule n’est donc pas dans la même classe d’homotopie qu’un chemin qui n’en contourne aucune (et qui peut toujours être rétréci en un point). En 2D, on peut donc classifier tous les chemins par le nombre de particules qu’ils contournent et donc par un nombre entier. D’un point de vue algébrique, les processus d’échange ne sont plus déterminés par les deux racines de l’identité 1 et −1, mais par le groupe de tresse, et la classification des particules en bosons ou fermions n’est plus valable. Schématiquement, on doit donc généraliser les règles d’(anti-)commutation pour les champs ψ(r1 )ψ(r2 ) = ±ψ(r2 )ψ(r1 ) ⇒ ψ(r1 )ψ(r2 ) = eiαπ ψ(r2 )ψ(r1 ), (5.13) où α est aussi appelé angle statistique. Comme α n’est plus contraint d’être 0 (pour les bosons) ou 1 (pour les fermions), mais peut être un angle quelconque (anglais : any), on appelle anyons les particules de statistique généralisée.4 Quid du principe de Pauli ? On sait que, contrairement aux bosons, les fermions ne peuvent pas occuper à plusieurs le même état. En terme de champ, cela se traduit par 2ψ(r)ψ(r) = 0, pour les champs fermioniques à la même position r1 = r2 = r, où l’on a utilisé l’équation (5.13) avec le signe moins pour les fermions. En général, pour un angle α arbitraire, on trouve 1 − eiαπ ψ(r)ψ(r) = 0, (5.14) 4 A ne pas confondre avec les anions des chimistes. Malgré notre effort d’éviter trop d’anglicismes, on se garde de l’introduction du terme – certainement plus français – quelconquon. Transmutation statistique – les anyons en 2D 77 et seulement lorsque α = 0 mod(2), on peut avoir ψ(r)ψ(r) 6= 0, comme on le sait pour les bosons. Lorsque α 6= 0 mod(2), on a donc nécessairement ψ(r)ψ(r) = 0, et l’équation (5.14) peut être interprétée comme un principe de Pauli généralisé. 5.2.1 Les anyons dans les théories de Chern-Simons On analyse maintenant les propriétés statistiques des champs ψCS (r) transformés par la transformation de Chern-Simons, à l’aide de la statistique connue des champs électroniques ψ(r). En définissant Z τ (r) ≡ d2 r 0 θ(r − r0 )ρ(r0 ), (5.15) pour alléger la notation des expressions suivantes, on a ψCS (r1 )ψCS (r2 ) = eiφ̃τ (r1 ) ψ(r1 )eiφ̃τ (r2 ) ψ(r2 ) = eiφ̃τ (r1 ) eiφ̃τ (r2 ) e−iφ̃τ (r2 ) ψ(r1 )eiφ̃τ (r2 ) ψ(r2 ). (5.16) A l’aide de la formule de Hausdorff, A e Be −A ∞ X 1 1 = B + [A, B] + [A, [A, B]] + ... = Cn (A; B), 2 n! n=0 (5.17) où Cn (A; B) = [A, Cn−1 (A; B)] est défini de façon récurrente, Cn=0 (A; B) ≡ B, et Z [τ (r2 ), ψ(r1 )] = d2 r 0 θ(r2 − r0 )[ψ † (r0 )ψ(r0 ), ψ(r1 )] = −θ(r2 − r1 )ψ(r1 ), on trouve donc e−iφ̃τ (r2 ) ψ(r1 )eiφ̃τ (r2 ) = eiφ̃θ(r2 −r1 ) ψ(r1 ). Cela donne pour l’expression (5.16) ψCS (r1 )ψCS (r2 ) = eiφ̃θ(r2 −r1 ) eiφ̃τ (r1 ) eiφ̃τ (r2 ) ψ(r1 )ψ(r2 ) et de même en interchangeant r1 ↔ r2 , ψCS (r2 )ψCS (r1 ) = eiφ̃θ(r1 −r2 ) eiφ̃τ (r2 ) eiφ̃τ (r1 ) ψ(r2 )ψ(r1 ). 78 Théories de Chern-Simons et la physique des anyons Avec ψ(r1 )ψ(r2 ) = −ψ(r2 )ψ(r1 ), θ(r2 −r1 ) = θ(r1 −r2 )+π et [τ (r1 ), τ (r2 )] = 0, on trouve donc ψCS (r1 )ψCS (r2 ) = −eiφ̃π ψCS (r2 )ψCS (r1 ), (5.18) et de la même manière † † ψCS (r1 )ψCS (r2 ) + eiφ̃π ψCS (r2 )ψCS (r1 ) = δ(r1 − r2 ). (5.19) En comparant ces expressions à l’équation (5.14), on s’aperçoit que φ̃ joue le rôle de l’angle statistique α, et les transformations de Chern-Simons sont donc celles qui permettent de changer la statistique entre les particules. Notons de plus que le choix φ̃ = 2s + 1 a pour effet une transmutation de fermions en bosons, tandis que φ̃ = 2s ne change pas la statistique des particules, comme c’est le cas dans la théorie des FC, discutée plus haut. 5.2.2 Charge fractionnaire et statistique fractionnaire Les points abordés dans la section précédente ont un lien direct avec la phase de Berry, qui est un phase géométrique acquise lors d’un chemin de changement adiabatique de la particule dans l’espace des paramètres. La phase de Berry la plus connue est celle due à l’effet d’Aharonov-Bohm, où une particule de charge e∗ acquiert sur un chemin ∂Σ = C, entourant une surface Σ, une phase de I Z e∗ e∗ Γ=− dr · ACS (r) = − d2 rBCS (r), (5.20) h̄ ∂Σ h̄ Σ où l’on a déjà considéré que le champ de jauge en question est celui obtenu par la transformation de Chern-Simons. Dans ce cas, la phase de Berry est un opérateur dû au fait que le « champ magnétique » BCS est proportionnel aux fluctuations de la densité. Dans l’approximation du champ moyen [équation (5.10)], BCS = hφ̃nel /e, qui néglige ce caractère du champ magnétique, on trouve e∗ Γ = 2π φ̃N (Σ), (5.21) e où N (Σ) est le nombre d’électrons contenus dans la surface Σ. On distingue maintenant trois cas : Transmutation statistique – les anyons en 2D 79 – Dans le premier cas (le plus simple), la particule qui se meut sur le chemin C autour d’un liquide de Laughlin est un électron de charge e∗ = e, et elle acquiert donc une phase qui est un multiple de Γ = 2π φ̃. Lorsque φ̃ est un entier, comme pour la théorie de Laughlin, cette phase reste un multiple de 2π. – Dans le cas où il s’agit d’une quasi-particule de charge fractionnaire, e.g. e∗ = e/φ̃, la phase acquise est toujours un multiple de Γ = 2π. – Le cas le plus intéressant est celui où il y a une (ou plusieurs) quasiparticule(s) en plus du liquide de Laughlin dans la surface Σ, entourée par le chemin que prend une quasi-particule. Rappelons que la fonction d’onde d’une quasi-particule Q à la position z0 dans la théorie de Laughlin s’obtient par le facteur j (zj − z0 ). En termes de transformations de Chern-Simons, cela peut se modéliser par la transformation UV (r) = eiq R d2 r 0 θ(r−r0 )ρV (r0 ) , où ρV (r) est la densité des quasi-particules de vorticité q = ±1. Pour une seule quasi-particule à r0 , on aurait ρV (r) = δ (2) (r − r0 ). Comme pour la comparaison entre la transformation de Chern-Simons et la fonction d’onde de Laughlin (ou Jain), cette transformation attache la phase (singulière) associée à la quasi-particule, sans y attacher le zéro dans le module. En termes de transformation de jauge, on a ACS (r) → ACS (r) − (h̄/e)∇f (r) lorsque la fonction d’onde se transforme selon ψ(r) → exp[if (r)]ψ(r). Le potentiel vecteur total est donc Z h̄q ACS (r) → ACS (r) − ∇ d2 r 0 θ(r − r0 )ρV (r0 ), e et le lien entre le champ magnétique et les densités (5.9) s’écrit maintenant hq h (5.22) BCS (r) = [∇ × ACS (r)]z = − φ̃ρ(r) + ρV (r). e e Le premier terme donne lieu à la même phase de Berry Γ que dans le cas d’une quasi-particule qu’on fait tourner autour d’un liquide de Laughlin dans Σ, et le deuxieme terme ajoute une phase ∆Γ due à la présence d’éventuelles quasi-particules dans Σ. Supposons qu’on ait exactement une autre quasi-particule à la position rV ∈ Σ, ce qui donne Z hq e∗ q e∗ d2 r δ(r − rV ) = 2π q = 2π , (5.23) ∆Γ = h̄ Σ e e 2s + 1 80 Théories de Chern-Simons et la physique des anyons pour le cas où e∗ = e/(2s + 1) (quasi-particule de Laughlin). On voit donc que la fractionnalisation de la charge engendre également une statistique fractionnaire en 2D, car l’angle statistique associé à la phase de Berry ∆Γ est q e∗ . (5.24) α=q = e 2s + 1 Notons enfin que la mise en évidence de la statistique fractionnaire constitue un sujet de recherche actuel. La charge fractionnaire des quasi-particules dans l’EHQF a déjà été mise en évidence dans des mesure de bruit de grenaille [40]. Dans ces expériences, on rapproche à un endroit les deux bord par une tension de grille latérale – lorsque les bords sont suffisamment proches, une quasi-particule sur un bord peut être diffusée sur l’autre, et sa charge se manifeste dans des mesure de bruit dû à cette rétro-diffusion. De cette manière, la charge des quasi-particules mesurée à ν = 1/3 est e/3 [40], et à ν = 2/5 leur charge est e/5. En raison du lien intime entre charge et statistique fractionnaires, il est difficile de mettre en évidence la statistique seule, notamment pour les quasiparticules de Laughlin [41]. De différents dispositifs ont récemment été proposés pour décortiquer charge et statistique dans le cas d’un EHQF particulier à ν = 5/2, qui semble être un état avec des quasi-particules anyoniques de statistique non abélienne [42]. Une discussion de ces états est pourtant audelà des objets traités dans ce cours, et l’on réfère le lecteur à la littérature indiquée. Chapitre 6 Théorie hamiltonienne de l’effet Hall quantique fractionnaire Dans le chapitre précédent, on a discuté quelques aspects des théories de Chern-Simons. Notons que la transformation (5.2) n’engage que la partie cinétique du hamiltonien mais nulle part les interactions, qui restent invariantes. Or, comme on l’a vu dans le chapitre 4, l’EHQF est dû aux interactions répulsives, et le modèle d’électrons restreints à un seul NL [équation (4.17)] ne consiste qu’en ce terme d’interaction. Il semble donc y avoir une contradiction dans les approches théoriques. Ce reproche aux transformations de Chern-Simons est pourtant trop fort. En effet, la transformation de Chern-Simons a pour but de remplacer la vraie répulsion coulombienne par une interaction statistique due à l’attachement des tubes de flux aux électrons, ce qui engendre une singularité dans la fonction d’onde à N particules lorsqu’on tente de superposer deux particules au même endroit [voir l’équation (5.12)]. Il persiste pourtant un problème dans l’approximation du champ moyen (5.10) qui renormalise le champ magnétique, B → B ∗ = B(1− φ̃ν) : les particules peupleraient donc des niveaux (NL∗ ) dont la séparation est déterminée par une fréquence cyclotron ωC∗ = eB ∗ /m, et cette échelle d’énergie fait intervenir la masse m des électrons, tandis que le modèle (4.17) impose l’échelle d’énergie e2 /lB , qui est indépendente de la masse. On voit donc la nécessité d’aller au-delà de l’approximation du champ moyen pour obtenir les bonnes échelles d’énergie. Plusieurs approches ont été proposées, comme une approximation de phase aléatoire (RPA) [12, 43] qui renormalise également la masse m → m∗ afin d’obtenir la bonne échelle d’énergie dans la limite ν → 1/2 81 82 Théorie hamiltonienne de l’EHQF (p → ∞). Une approche alternative, que l’on discutera dans ce chapitre, est la théorie hamiltonienne de l’EHQF [44, 45, 46]. On se concentrera sur sa formulation proposée par Murthy et Shankar dans leur article de revue [45]. 6.1 Théorie miscroscopique Cette section traite le lien entre les théories de Chern-Simons et le modèle effective (4.17), dans le cadre d’une formulation microscopique de la théorie hamiltonienne. L’idée générale est de traiter les fluctuation du potentiel vecteur, ACS (r), à l’aide d’un nouveau champ de jauge quantique, a(r), qui nécessite l’introduction d’une contrainte, pour enlever au bout du compte les degrés de liberté non physiques. Les différentes transformations de ce traitement sont parfois assez techniques au niveau mathématique. On essaiera de fournir le plus d’interprétations physiques possibles, aussi pour les pas intermédiaires, mais le lecteur moins intéressé par ce traitement peut directement se référer à la théorie effective dans la section 6.2. La discussion de cette théorie ne nécessite pas une connaissance détaillée de la théorie microscopique exposée dans la présente section. 6.1.1 Traitement des fluctuations de ACS (r) En première quantification,1 le hamiltonien de Chern-Simons (5.5) s’écrit comme une somme sur les particules j = 1, ..., Nel ĤCS = 1 X [pj + eA∗ (rj ) + eδACS (rj ) + ea(rj )]2 , 2m j (6.1) où l’on a absorbé la valeur moyenne du potentiel vecteur de Chern-Simons dans un potentiel vecteur effectif « externe », A∗ (r) = A(r) + hACS (r)i, tandis qu’on traite ses fluctuations δACS (r) à part. Elles sont liées aux fluctuations de la densité par l’équation (5.9), ou dans l’espace de Fourier par (h̄ ≡ 1) 2π φ̃ δρ(q)e⊥ , (6.2) δACS (q) = e|q| P où δρ(q) = j exp(−iq · rj ) − nel et e⊥ = iez × ek , avec ek = q/|q|. Le dernier terme dans l’équation (6.1) représente un nouveau champ de jauge 1 On utilise ici une formulation en première quantification, pour simplifier les notations. Théorie microscopique 83 transverse, ∇ · a(r) = 0, qu’on a introduit « à la main ». Son caractère quantique est révélé par la présence de son champ conjugué (longitudinal) P(r), avec les règles de commutation canoniques [a(q), P (−q0 )] = iδq,q0 , (6.3) où dans l’espace de Fourier a(q) = a(q)e⊥ , P(q) = iP (q)ek . On a donc artificiellement agrandi l’espace de Hilbert par les degrés de liberté de ce nouveau champ de jauge, et le sous-espace physique et celui des états |ϕphys i annihilés par a(q), a(q)|ϕphys i = 0. (6.4) Qu’a-t-on gagné par cette opération formelle ? De la même façon que l’impulsion px est le générateur des translations dans la direction x (voir la section 2.2.2), le champ conjugé P (q) peut servir de générateur des translations des potentiels vecteurs. On peut donc utiliser la transformation Ua = e i P q0 P (−q)δACS (q0 ) (6.5) pour se débarasser des fluctuations du potentiel vecteur de Chern-Simons, Ua† a(q)Ua = a(q) − δACS (q), Ua† a(r)Ua = a(r) − δACS (r), (6.6) obtenu à l’aide de l’équation (6.3) et de la formule de Baker-Hausdorff (2.41). En raison de la contrainte (6.2), la transformation est également affectée par le gradient (l’impulsion dans la représentation r), car " !# X X 1 2π φ̃ 0 P (−q0 ) 0 Ua = exp i e−iq ·rj − nel . e q0 |q | j On obtient donc [−i∇j + eA∗ (rj ) + eδACS (rj ) + ea(rj )] Ua # " X 1 2π φ̃ ∇j P (−q) e−iq·rk = Ua −i∇j + eA∗ (rj ) + ea(rj ) + e |q| k " # 2π φ̃ = Ua −i∇j + eA∗ (rj ) + ea(rj ) + P(rj ) , e 84 Théorie hamiltonienne de l’EHQF et pour le hamiltonien transformé #2 " 1 X 2π φ̃ P(rj ) . ĤCP = pj + eA∗ (rj ) + ea(rj ) + 2m j e (6.7) L’indice CP indique que le hamiltonien est transformé dans une base de particules composites et qu’en deuxième quantification, on a pour les champs ψCS (r) = Ua ψCP (r). Notons que la contrainte (6.4) est également affectée par cette transformation, et elle devient " # 2π φ̃ a(q) − δρ(q) |ϕphys i = 0. (6.8) e|q| Cette contrainte transformée peut s’interpréter physiquement : au lieu de traiter exactement les fluctuations de la densité (ou celles du potentiel vecteur de Chern-Simons), elles sont encodées dans ce nouveau champ quantique a(q).2 Comme a(q) · P(q0 ) = 0 (rappelons que le champ a(q) est transverse et P(q) est longitudinal), les deux derniers termes du hamiltonien (6.8) représentent un oscillateur harmonique couplé au secteur des particules chargées dans un champ B ∗ , ce qui est le sens physique des deux premiers terms. Explicitement, le hamiltonien contient donc trois termes, ĤCP = ĤB ∗ + Ĥosc + Ĥcoupl : celui de particules chargées dans un champ magnétique effectif B ∗ (la théorie de Chern-Simons au niveau de l’approximation du champ moyen), ĤB ∗ = 1 X [pj + eA∗ (rj )]2 , 2m j (6.9) celui d’un oscillateur harmonique, qui représente les fluctuations de la densité, !2 X 1 e2 a2 (rj ) + 2π φ̃ P 2 (rj ) , Ĥosc = (6.10) 2m j e 2 Ce traitement n’est pas inhabituel en physique théorique : dans le contexte des intégrales de chemin, cela ressemble fortement à une transformation de HubbardStratonovich ; pour les électrons 1D, on se sert de la bosonisation, où les bosons représentent également les fluctuations de densité (de charge et de spin). En effet, Murthy et Shankar étaient, selon leurs propres remarques, influencés par un traitement des modes plasmoniques d’un liquide de Fermi, proposé initialement par Bohm et Pines [47]. Théorie microscopique 85 et un terme de couplage Ĥcoupl " # 1 X 2π φ̃ = [pj + eA∗ (rj )] · ea(rj ) + P(rj ) . m j e (6.11) Le découplage de ce modèle sera l’objet de la section suivante. On se concentre pour le moment sur le modèle sans terme de couplage, notamment sur le terme de l’oscillateur harmonique, qui peut se réécrire, à l’aide de ρ(r) = δ(r − rj ) = nel + δρ(r), !2 Z 1 2π φ̃ d2 rρ(r) e2 a2 (r) + Ĥosc = P 2 (r) 2m e !2 X nel e2 a2 (q) + 2π φ̃ P 2 (q) . ' 2m q e Dans le dernier pas, on a négligé des termes qui sont d’ordre 3 dans les fluctuations de densité,3 qui sont traitées au niveau de l’approximation harmonique O(δρ(q)2 ). En introduisant les opérateurs d’échelle pour l’oscillateur harmonique " # 1 2π φ̃ A(q) ≡ q ea(q) + i P (q) , (6.12) e 4π φ̃ qui satisfont à A(q), A† (q0 ) = δq,q0 , (6.13) le hamiltonien (6.10) s’écrit Ĥosc = ω0 X q A† (q)A(q), (6.14) avec la fréquence caractéristique nel = ν φ̃ωC . (6.15) 2m L’état fondamental de l’oscillateur est donné par la gaussienne habituelle ! e2 X 2 a (q) , (6.16) χosc = exp − 4π φ̃ q ω0 = 4π φ̃ 3 Rappelons que a(q) ∼ δρ(q), en raison de la contrainte (6.8). 86 Théorie hamiltonienne de l’EHQF à un préfacteur de normalisation près. En absence de couplage, la fonction d’onde à N particules est le produit d’une fonction d’onde de l’oscillateur et de celle de N particules chargées dans un champ B ∗ , ψCP ({rj }) = χosc ({rj })φp ({rj }), où φp ({rj }) est unique (non dégénérée) pour ν ∗ = p. En raison de la contrainte (6.8), la fonction d’onde de l’oscillateur s’écrit # " φ̃ X 2π χosc = exp − δρ(−q) 2 δρ(q) . 2 q |q| Notons que l’exposant peut s’interpréter comme un hamiltonien de particules chargées qui interagissent par un potentiel de Coulomb 2D, ṽ(q) = 2π/q 2 ↔ v(r) = − ln |r|. On retrouve ici l’image du plasma 2D à une composante, discutée dans la section 4.2. Cela mène à l’expression dans l’espace réel (avec lB ≡ 1) φ̃ χosc ({rj }) = e 2 = C P j,k Y k<j R d2 rd2 r 0 [δ(r−rj )−nel ] ln |r−r0 |[δ(r0 −rk )−nel ] |rk − rj |φ̃ e−φ̃ν P k |rk |2 /4 , (6.17) où C est une constante sans importance, et l’on a utilisé nel = ν/2π. Notons [voir l’équation (5.12)], que l’on a déjà attaché la singularité dans la phase par la transformation de Chern-Simons, et la fonction d’onde électronique à N particules s’écrit donc, en notation complexe, Y P 2 (6.18) ψ({zj }) = (zk − zj )φ̃ e−φ̃ν k |zk | /4 φp ({zj }). k<j Lorsque φ̃ = 2s, i.e. lorsqu’on garde la statistique fermionique, on y trouve la structure des fonction d’onde de Laughlin (4.20) et de Jain (4.49), à la projection au plus bas NL près. Le dernier pas, pour compléter la comparaison à ces fonctions d’onde, consiste à obtenir la bonne longueur caractéristique dans la gaussienne. Pour cela, notons que φp ({zj }) représente la fonction d’onde de N particules à un facteur de remplissage ν ∗ = p entier dans un champ magnétique B ∗ = [∇ × A∗ (r)]z . La p longueur magnétique caractéristique qui ∗ intervient dans φp ({zj }) est lB = h̄/eB ∗ , et la gaussienne de cette fonction est donc ! " # X |zk |2 X |zk |2 = exp −(1 − ν φ̃) , exp − ∗2 4l 4l B B k k Théorie microscopique 87 2 ∗2 où l’on a utilisé lB /lB = B ∗ /B = (1 − ν φ̃). La gaussienne globale dans la fonction d’onde électronique (6.18) est alors ! X |zk |2 , exp − 2 4l B k comme on s’y attend pour des électrons dans un champ magnétique B. 6.1.2 Transformation de découplage à petit vecteur d’onde Il reste maintenant à découpler le hamiltonien des particules (6.9) et celui des oscillateurs (6.10), qui représente les modes collectifs de la densité. On ne trace ici que les grandes lignes de la transformation de découplage pour des petits vecteurs d’onde, |q|lB 1, et l’on réfère le lecteur plus intéressé à la revue de Murthy et Shankar, notamment à la version 2 du manuscrit accessible sur l’archive électronique, cond-mat/0205326v2. De façon concise, le hamiltonien total, en absence d’interactions, s’écrit ĤCP = X Πj,+ Πj,− j 2m + ω0 X q A† (q)A(q) + θω0 X c† (q)A(q) + c(q)A† (q) , q (6.19) q P où θ = π φ̃/4πnel , c(q) = j q̂− Πj,+ exp(−iq · rj ) et Πj,± = pj,± + eA∗± (rj ). Ici, les opérateurs vectoriels sont écrits en notation complexe, V± = Vx ± iVy , et q̂± = ek · ex ± iek · ey est le vecteur unité dans la direction de q, en notation complexe. Aux règles de commutation des oscillateurs harmoniques (6.13) s’ajoutent [Πi,− , Πj,+ ] = 2eB ∗ δi,j (6.20) et [c(q), c† (q0 )] = −2eB ∗ X j 0 e−i(q−q )·rj + O(q) ' −2eB ∗ δq,q0 , (6.21) où la dernière représente une approximation de phase aléatoire. Elle est justifiée de la même manière que celle utilisée pendant le passage à l’espace de Fourier du hamiltonien de l’oscillateur harmonique – on tient compte des fluctuations de la densité au niveau gaussien à travers les champs de jauge a(q), ou A(q), respectivement. Les corrections à l’équation (6.21) seraient 88 Théorie hamiltonienne de l’EHQF donc d’ordre plus élevé que O(δρ(q)2 ), ce dont on tient compte au niveau de l’approximation harmonique. Dans le hamiltonien (6.19), le couplage entre les particules, décrites par les opérateurs Πj,± [ou c(q) et c† (q)], et les champs d’oscillateur A(q) et A† (q) est linéaire. La transformation canonique qui découple le hamiltonien est de la forme ( ) X c† (q)A(q) − c(q)A† (q) , U (λ) = eiλS0 = exp λθ (6.22) q où l’on choisit le paramètre « de flot », λ, de manière appropriée – pour le moment il est un nombre réel arbitraire. Un opérateur transformé par (6.22), Ω(λ) = exp(−iλS0 )Ω(λ = 0) exp(iλS0 ), peut se calculer à partir de la dérivée dΩ = −ie−iλS0 [S0 , Ω] eiλS0 . dλ (6.23) Dans le cas des opérateurs c(q) et A(q), qui interviennent dans le hamiltonien (6.19), cela mène aux équations de flot dA(λ, q) = −θc(λ, q) et dλ µ2 dc(λ, q) = − A(λ, q), dλ θ avec µ2 ≡ 2eB ∗ nel θ 2 = 1/2ν ∗ , que l’on intègre, à l’aide des conditions initiales c(q) = c(λ = 0, q) et A(q) = A(λ = 0, q), A(λ, q) = cos(µλ)A(q) − et θ sin(µλ)c(q), µ (6.24) µ sin(µλ)A(q) + cos(µλ)c(q). (6.25) θ On remarque que cette transformation peut également s’interpréter comme une rotation dans l’espace de Hilbert, qui mélange les degrés de liberté c(q) (particules) et A(q) (oscillateurs). Le hamiltonien transformé s’obtient donc à partir des équations (6.24) et (6.25), insérées dans le hamiltonien (6.19), et à partir de la transformation de son premier terme selon la même méthode [intégration à partir de l’équation différentielle (6.23)]. Le hamiltonien fait c(λ, q) = Théorie microscopique 89 intervenir beaucoup de termes même si le calcul est direct, et l’on ne donne ici que son allure globale, ĤCP (λ) = X Πj,+ Πj,− j 2m + X α(λ)c† (q)c(q) (6.26) q +β(λ)A† (q)A(q) + γ(λ) c† (q)A(q) + c(q)A† (q) . Bien évidemment, le découplage est obtenu pour une valeur λ = λ0 qui satisfait à l’équation implicite γ(λ = λ0 ) = 0 ⇒ tan(µλ0 ) = µ. (6.27) Le calcul détaillé [45] donne de plus pour les autres paramètres dans le hamiltonien (6.26) β(λ0 ) = ωC et α(λ0 ) = − 1 , 2mnel et le hamiltonien découplé s’écrit donc, en présence d’interactions V [ρ(λ0 , q)], qui dépendent de la densité transformée, ĤCP = X Πj,+ Πj,− − X eB ∗ 1 XX Πj,+ e−iq·(rj −rk ) Πk,− + 2mnel j,k q 2m j 2m X +ωC A† (q)A(q) + V [ρ(λ0 , q)]. j (6.28) q Quelques remarques : – La fréquence des oscillateurs est donnée par la séparation entre NL, ωC . C’est en accord avec le théorème de Kohn qui dit que les excitations collectives de type densité (modes plasmoniques) dans la limite q → 0 oscillent à cette fréquence, aussi en présence d’interactions qui ne brisent pas l’invariance par translation. Dans la limite des champs fort, les oscillateurs représentent donc des excitations de haute énergie, qui condensent, à T = 0, dans le mode de plus basse énergie, et le quatrième terme représente donc une constante sans importance que l’on enlève désormais. – Le troisième terme indique que les particules composites possèdent d’un moment magnétique e/2m. 90 Théorie hamiltonienne de l’EHQF – La somme P sur les vecteurs d’onde est limitée par le nombre d’oscillateurs, |q|≤Q = nosc , ce qui introduit une coupure Q à grand vecteur d’onde. En principe, on n’a pas spécifié ce nombre d’oscillateurs, mais notons que, lorsqu’on se concentre sur les termes diagonaux j = k dans la somme du deuxième terme du hamiltonien (6.28), ce choix influence la masse effective m/m∗ = (1 − nosc /nel ) pour X Πj,+ Πj,− 2m∗ j , qui regroupe le premier et le deuxième terme. Le choix naturel semble nosc = nel , ce qui annule complètement le terme cinétique du hamiltonien (à part les termes non diagonaux, j 6= k), comme on s’y attendrait pour la dynamique des électrons projetés à un seul niveau [équation (4.17)]. Le choix nosc > nel mènerait au résultat non physique d’une masse effective négative, et nosc < nel ne l’annulerait pas complètement. Un discutera une autre justification pour le choix nosc = nel (ou Q = kF ) dans le cadre de la théorie effective (section 6.2). – Il persistent les termes non diagonaux (j 6= k) dans la partie cinétique. Avec la coupure fixée à Q = kF , on peut les réécrire à l’aide de X X e−iq·(rj −rk ) = δ(rj − rk ) − e−iq·(rj −rk ) , |q|<Q |q|>Q et donc comme une somme d’un terme qui s’annule pour j 6= k et un terme pertinent seulement à grand vecteur d’onde |q| > Q, que l’on néglige dans la limite de petits vecteurs d’onde, |q|lB 1. Dans le cadre de ces approximations, il n’y a donc plus de terme cinétique. Compte tenu de cette discussion, le hamiltonien (6.28), qui décrit la dynamique à basse énergie, devient ĤCP (λ) = X eB ∗ j 2m + V [ρ(λ0 , q)]. (6.29) Ce résultat semble prometteur dans le sens qu’il consiste seulement en le hamiltonien d’interaction, à part le premier terme qui est une constante sans importance pour la dynamique des particules. Pour compléter la discussion, il faut calculer la densité transformée, ρ(λ0 , q), ainsi que la contrainte, qui est également affectée par la transformation. La densité se calcule de la même 6.2. THÉORIE EFFECTIVE POUR TOUT VECTEUR D’ONDE 91 manière que c(λ, q) et A(λ, q), à partir de l’équation différentielle (6.23) et son intégration, pendant que la contrainte est donnée par e|q| ρ(λ, q) = q A(λ, q) + A† (λ, −q) . 4π φ̃ Cela donne comme résultat final [45] à l’ordre le plus bas en |q|lB X c|q| −iq·rj 2 q ∧ Πj A(q) + A† (−q) , (6.30) +q ρ(λ0 , q) = e 1 − ilB 1+c j 4π φ̃ où le paramètre c est lié au paramètre de découplage, à ν ∗ = p, c2 = cos2 (λ0 µ) = pφ̃ , pφ̃ + 1 (6.31) et pour la contrainte χ(λ0 , q)|ϕphys i = 0, avec χ(λ0 , q) = X e −iq·rj j 1+ 2 ilB q ∧ Πj . c(1 + c) (6.32) Notons que la contrainte ne fait intervenir que les particules et non pas les oscillateurs A(q), ce qui est une condition nécessaire pour un découplage complet du hamiltonien (6.29). Les opérateurs de densité (6.30) gardent pourtant une contribution des oscillateurs, qui s’annule en moyenne lorsque ils sont condensés dans l’état fondamental hA(q)i = hA† (q)i = 0, ce que l’on suppose dans la suite. 6.2 Théorie effective pour tout vecteur d’onde Le lien avec le modèle (4.17) devient encore plus net lorsqu’on essaie de construire une théorie à tout vecteur d’onde qui coı̈ncide avec la théorie dans la limite |q|lB 1. Cette généralisation s’obtient à partir d’un raisonnement aussi simple que peu justifié : supposons que les expressions (6.30) et (6.32) représentent les premiers termes du développement d’une exponentielle. On aurait donc4 X X (e) (v) ρ̄(q) = e−iq·Rj et χ̄(q) = e−iq·Rj , (6.33) j 4 j Les barres sur les expressions indiquent qu’on a des densités généralisées à tout vecteur d’onde. 92 Théorie hamiltonienne de l’EHQF avec Πx Πy ,y + R = et R = x − . c(1 + c) c(1 + c) (6.34) On trouve que les composantes de ces nouveaux opérateurs satisfont aux règles de commutation (e) Πx Πy ,y − x+ 1+c 1+c (e) (e) 2 X ,Y = ilB , (v) et l2 X (v) , Y (v) = −i B2 . c (6.35) Une comparaison avec l’équation (2.16) nous montre que l’on peut interpréter R(e) comme le centre de guidage d’un électron, tandis que R(v) semble être celui d’une deuxième particule avec une charge −c2 , en termes de charge de l’électron. Les densités associées sont automatiquement projetées au plus bas NL, et l’on trouve donc comme modèle final5 Ĥ = 1X v0 (q)ρ̄(−q)ρ̄(q), 2 q avec les règles de commutations pour les densités q∧k [ρ̄(q), ρ̄(k)] = 2i sin ρ̄(q + k), 2 q∧k χ̄(q + k), [χ̄(q), χ̄(k)] = −2i sin 2c2 [χ̄(q), ρ̄(k)] = 0 et χ̄(q)|ϕphys i = 0. (6.36) (6.37) C’est donc le même modèle que celui discuté dans la section 4.1.2, où l’on a ajouté la contrainte associée à la densité χ̄(q) et son algèbre quantique. Essayons de donner un sens physique à ce modèle, au vu de l’image des FC, en supposant que χ̄(q) décrive la densité d’une deuxième espèce de particules, qu’on appelle le « pseudo-vortex ». Le « pseudo » dans ce nom indique que cette particule ne vit que dans un espace de Hilbert plus grand et qu’il faut tenir compte de la projection au sous-espace physique, qui est donné par les états annihilés par χ̄(q). De plus, il n’y a pas de dynamique associée à cette densité, qui n’intervient pas dans le hamiltonien. 5 On discute ici le cas du plus bas NL, n = 0. Pour généraliser la théorie hamilitoniennne à des niveaux arbitraires, il suffit de remplacer le potentiel d’interaction effectif, v 0 (q) → vn (q). Théorie effective 93 ez x Π lB2 y (e) R (v) R x Fig. 6.1 – Fermion composite dans la théorie hamiltonienne. – Les centres de guidage de l’électron et du pseudo-vortex sont séparés 2 par une distance ∼ |Π|lB ∼ lB , ce qui donne lieu à un moment dipolaire 2 d = −eez × ΠlB (figure 6.1). – Le FC peut se comprendre comme un état composite d’un électron et d’un pseudo-vortex. Notons que ce dernier a été introduit indirectement par les degrés de liberté des oscillateurs, a(q) ou A(q). Le choix nosc = nel , discuté plus haut, peut donc s’interpréter comme une égalité de nombre d’électrons et de pseudo-vortex. Il en résulte qu’on a autant de FC que d’électrons. La charge du FC est la somme de celle de l’électron et celle du pseudo-vortex, i.e. e∗ /e = −(1 − c2 ). – Le pseudo-vortex est une excitation du gaz d’électrons, qui sont les véritables particules élémentaires. Cela se voit dans l’équation (6.34) : les centres de guidage des deux sortes de particules sont décrits seulement par x, y et Πx , Πy . C’est le sens physique de la contrainte χ̄(q)|ϕphys i = 0. Notons qu’on aurait directement pu commencer par le modèle d’électrons restreints à un seul NL (4.17) – au lieu d’ajouter le champ de jauge (oscillateur) a(q) et son conjugué comme variable supplémentaire dans une théorie microscopique, on aurait introduit le champ χ̄(q) dans le modèle effectif (4.17). La théorie microscopique et le traitement discuté dans la section précédente est pourtant utile parce qu’il a permis de faire le lien avec les théories de Chern-Simons. 94 Théorie hamiltonienne de l’EHQF – La limite p → ∞ ou ν → 1/2 donne une charge c2 = 1 pour le pseudovortex. Les FC à ν = 1/2 sont donc électriquement neutres, mais ils 2 gardent un moment dipolaire de d(ν = 1/2) = −ekF lB [46, 48]. 6.2.1 Traitement approximatif de la contrainte Malgré la simplicité formelle de la théorie hamiltonienne (6.37), il est difficile de traiter explicitement la contrainte dans les calculs. Pour contourner ce problème, Murthy et Shankar ont proposé un « raccourci » en remplaçant la densité projetée par une combinaison « préférentielle », ρ̄CF (q) = ρ̄(q) − c2 χ̄(q), (6.38) dans le hamiltonien. A priori, toutes les combinaisons ρ̄γ (q) = ρ̄(q) − γ χ̄(q), avec γ arbitraire, sont équivalentes à cause de la contrainte. L’avantage du choix γ = c2 est que les éléments de matrice de l’opérateur de densité projeté satisfont à hN |ρ̄CF (q)|0i ∝ q 2 dans la limite 0. C’est la condition pour P q →CF que le facteur de structure S(q, ω) = (q)|0i|2 δ(ω − EN ) varie N |hN |ρ̄ comme q 4 pour de petits vecteurs d’onde, ce qu’exige la projection dans le plus bas NL [30, 31]. Notons que le raccourci de la combinaison preferentielle est une approximation valable seulement dans le cas où l’état fondamental est séparé des excitations par un gap, comme à ν = p/(2sp + 1). En revanche, il faut explicitement tenir compte de la contrainte si l’on veut étudier le système à ν = 1/2, où il est décrit par un liquide de Fermi compressible de FC [12]. Un autre problème de la combinaison préférentielle est que le hamiltonien ne commute plus avec la densité des pseudo-vortex dans un sens strict. Le modèle reste pourtant faiblement invariant de jauge, car le commutateur s’annule dans le sous-espace défini par la contrainte. Une autre raison algébrique peut être évoquée pour le choix de la combinaison préférentielle, i.e. γ = c2 : par ce choix, l’algèbre (6.37) des ρ̄(q) est réproduite à l’ordre le plus bas en q, CF ρ̄ (q), ρ̄CF (k) ' i(q ∧ k)ρ̄CF (q + k) q∧k ρ̄CF (q + k) + O(q 3 , k 3 ). ' 2i sin 2 Les ordres plus élevés en q sont supprimés dans le hamiltonien à cause de la gaussienne dans le potentiel effectif (4.18). L’opérateur ρ̄CF (q) est désormais Théorie microscopique 95 interprété comme l’opérateur de densité de FC. Physiquement, on néglige dans cette approximation les modes associés à la structure interne du FC. La base des FC s’introduit après une transformation des variables R(e) et R(v) en centre de guidage du FC, R(CF ) , et variable cyclotron, η (CF ) . On exige de cette transformation que ces nouvelles variables satisfassent aux √ règles de ∗ commutation en termes de longueur magnétique du FC, lB = 1/ 1 − c2 , (CF ) (CF ) (CF ) (CF ) ∗2 ∗2 ηx , ηy = −ilB et X ,Y = ilB , (6.39) en analogie avec les variables électroniques (2.16). La transformation qui respecte ces règles est donnée par [45] R(e) − c2 R(v) et 1 − c2 R(e) = R(CF ) − η (CF ) c R(CF ) = ⇔ c (e) (v) R − R 1 − c2 (v) R = R(CF ) − η (CF ) /c. (6.40) η (CF ) = et De la même façon que pour la base électronique (section 4.1), l’opérateur de densité de FC peut s’écrire en deuxième quantification, X CF ρ̄CF (q) = (6.41) hm|e−iq·R |m0 ihj|ρ̄p (q)|j 0 ic†j,m cj 0 ,m0 , j,j 0 ;m,m0 où les états |ji sont associés à l’opérateur η (CF ) et les états |mi à R(CF ) . Le premier élément de matrice qui intervient dans cette expression est le même que celui (4.9) déduit dans la section 4.1.1, en termes de longueur magnétique de FC, pour m ≥ m0 , r m−m0 ∗ 2 ∗ m0 ! −iqlB |qlB | ∗ |2 /4 m−m0 −iq·RCF 0 −|qlB √ hm|e |m i = e L m0 , m! 2 2 et le deuxième s’écrit, pour j ≥ j 0 , (CF ) /c (CF ) |j 0 i hj|ρ̄p (q)|j 0 i ≡ hj|eiq·η c − c2 f˜(q)eiq·η s j−j 0 ∗ c j 0 ! iq̄lB ∗ 2 2 √ = e−|qlB | c /4 (6.42) j! 2 ∗ 2 ∗ 2 |qlB | |qlB c| j−j 0 2(1−j+j 0 ) −|q|2 /2c2 j−j 0 Lj 0 . −c e × Lj 0 2 2c2 La gaussienne f˜(q) = exp(−|q|/2c2 ) dans le deuxième terme tient compte du fait que la longueur magnétique pour le pseudo-vortex n’est pas la même 96 Théorie hamiltonienne de l’EHQF que pour l’électron. Les opérateurs c†j,m et cj,m , avec {cj,m , c†j 0 ,m0 } = δj,j 0 δm,m0 et {cj,m , cj 0 ,m0 } = 0, sont respectivement les opérateurs de création et d’annihilation de FC dans l’état |j, mi = |ji ⊗ |mi. En raison de la règle de commutation (6.39) pour les composantes du centre de guidage d’un FC, chaque état occupe une surface minimale 1/nB ∗ = ∗2 2πlB , en analogie avec le cas électronique. Il existe donc AnB ∗ états par « niveau de FC » (ou « NL de FC ») j, et le facteur de remplissage des NL de FC, ν ∗ = nel /nB ∗ est lié au facteur de remplissage électronique par l’équation (4.51), ν = ν ∗ /(2sν ∗ +1). Quand p niveaux de FC sont complètement remplis, ν ∗ = p, l’état fondamental peut donc être décrit par la moyenne hc†j,m cj 0 ,m0 i = δj,j 0 δm,m0 Θ(p − 1 − n), (6.43) avec la fonction de Heavyside Θ(x) = 1 pour x ≥ 0 et Θ(x) = 0 pour x < 0. Aussi anodin que cela puisse paraı̂tre, c’est un grand progrès : dans le modèle ou, plus précisément, dans la base électronique, on n’a pu définir d’état de « départ », autour duquel on aurait établi un développement perturbatif, sauf si ν = n. En revanche, on ne demande que ν ∗ = p, i.e. ν = p/(2sp + 1), dans le cas du modèle de FC. 6.2.2 Calculs des gaps d’énergie On peut maintenant se servir de l’état fondamental (6.43) pour calculer un certain nombre de quantités physiques, comme les gaps de quasi-particule ou les gaps d’activation [45]. Ces calculs sont très simple à effectuer analytiquement, une fois que le modèle est établi. Comme la quasi-particule consiste en un FC ajouté dans le niveau p lorsque p NL de FC sont complètement remplis, son énergie par rapport à celle du fondamental est ∆qp (s, p) = hcp,m Ĥc†p,m i − hĤi (6.44) p−1 X X 1X p p v0 (q)hp|ρ̄ (−q)ρ̄ (q)|pi − v0 (q) |hp|ρ̄p (q)|ji|2 , = 2 q q j=0 où les moyennes, définies par rapport au fondamental, se calculent à l’aide des contractions de Wick de (6.43). De la même manière, on trouve pour Théorie effective 97 l’énergie d’un quasi-trou de FC dans p − 1 ∆qh (s, p) = hc†p−1,m Ĥcp−1,m i − hĤi 1X = − v0 (q)hp − 1|ρ̄p (−q)ρ̄p (q)|p − 1i 2 q + X v0 (q) p−1 X j=0 q (6.45) |hp − 1|ρ̄p (q)|ji|2 et pour le gap d’activation, qui est l’énergie nécessaire pour créer une paire quasi-particule/trou sans interaction, ∆a (s, p) = ∆qp (s, p) + ∆qh (s, p). (6.46) La figure 6.2 montre des résultats pour les gaps d’activation, en comparaison avec des calculs numériques, en tenant compte de la largeur finie de l’échantillon dans la direction z. Cette largeur finie modifie le potentiel effectif, v0 (q) → v0 (q)f (q), où plusieures prescriptions ont été proposées pour le facteur correctif f (q) : Zhang et Das Sarma ont utilisé un potentiel de type Yukawa, ce qui mène à f (q) = e−qλ , (6.47) où λ est le paramètre de largeur [49]. Dans cette image, on ne peut approcher deux particules à une distance plus petite que cette √ largeur, i.e. on remplace la distance r dans le potentiel coulombien par r 2 + λ2 . Une alternative est de considérer la largeur finie par un potentiel de confinement parabolique, ce qui mène à une gaussienne exp(−z 2 /4λ2 ) qu’on ajoute à la fonction d’onde [50], et le facteur correctif devient f (q) = eq 2 λ2 [1 − Erf(qλ)] , (6.48) où Erf(x) est la fonction d’erreur. La tendance générale de ces facteurs, qui tiennent compte de la largeur finie dans la direction z, est un abaissement (du module) de l’énergie coulombienne caractéristique. Ceci se manifeste par un abaissement du gap d’activation (voir figure 6.2), mais aussi des gaps de quasi-particule ou de quasi-trou. Par rapport aux résultats numériques, la théorie hamiltonienne surestime les gaps d’activation par un facteur 1, 4 à 2 pour λ = 0, mais l’accord entre les résultats devient meilleur pour de plus grandes valeurs de λ. 98 Théorie hamiltonienne de l’EHQF gaps d’activation (a) δ 0.25 'PMJ p=1' 'Hamiltonian Theory p=1' 'PMJ p=2' 'Hamiltonian Theory p=2' 0.20 0.15 0.10 0.05 0.00 0.0 0.5 1.0 1.5 2.0 2.5 3.0 gaps d’activation λ 70x10 -3 'PMJ p=3' Hamiltonian Theory p=3' 'PMJ p=4' Hamiltonian Theory p=4' 60 50 40 δ 30 20 10 0 0.0 0.5 1.0 1.5 2.0 2.5 3.0 λ 100x10 Activation Gaps gaps d’activation (b) 2/5 -3 Exact diag. 2/5 This theory 2/5 Exact diag. 3/7 This theory 3/7 80 60 40 20 0 0.0 0.2 0.4 0.6 0.8 1.0 1.2 1.4 paramètre de largeur Width parameter b Fig. 6.2 – D’après la référence [45]. Gaps d’activation en fonction de la largeur du système 2D dans la direction z, en unités de e2 /lB . (a) comparaison entre la théorie hamiltonienne et des calculs numérique effectués par Park et al. dans le cadre des fonctions d’onde de Jain [51]. Un potentiel de type Yukawa a été utilisé pour tenir compte de la largeur finie [équation (6.47)]. (b) comparaison à des résultats obtenus par diagonalisation exacte [50], dans l’approximation d’un potentiel de confinement parabolique [équation (6.48)]. Théorie effective 99 ν = 4/11 ν* = 1+1/3 Fig. 6.3 – Fermions composites de deuxième génération à ν ∗ = 1 + 1/3 (ν = 4/11). Le FC2 , formé dans le niveau partiellement rempli, consiste en un FC de la première génération et un vortex de FC portant deux quanta de flux. Les FC dans le plus bas niveau sont traités comme inertes. 6.2.3 Autosimilarité dans le modèle effectif Jusqu’à présent, nous nous sommes concentrés sur la physique des électrons corrélés à ν = p/(2sp + 1), et nous avons vu que la théorie de FC permet de comprendre l’EHQF à ces facteurs de remplissage en termes de quasiparticules – les FC – dans l’approximation du champ moyen de la théorie hamiltonienne. En effet, elle nous permet d’écrire un état « fondamental » non dégénéré à ν ∗ = p qui consiste en p NL de FC complètement remplis, ce qui n’était pas possible dans le modèle électronique, en raison de l’énorme dégénérescence dans le plus bas NL. Dans ce sens, on peut interprétér l’EHQ fractionnaire d’électrons à ν = p/(2sp + 1) comme un EHQ entier de FC à ν ∗ = p. Il est naturel de se poser la question de ce qui se passe lorsque les NL de FC sont, eux-même, partiellement remplis à ν ∗ 6= p – on se trouve de nouveau face au problème d’une grande dégénérescence dans le modèle de FC. Comment cette dégénérescence est-elle levée lorsqu’on tient compte des corrélation, cette fois-ci entre FC ? La motivation de cette question vient de la découverte d’un EHQF à ν = 4/11, ce qui correspond à un facteur de remplissage de NL de FC ν ∗ = 1 + 1/3. Supposons, ce qu’indiquent les 100 Théorie hamiltonienne de l’EHQF expériences, que l’état soit polarisé de spin :6 dans ce cas, le premier NL excité de FC est rempli à un tiers, et il est donc tentant d’interpréter cette état en termes d’EHQ fractionnaire ou liquide de Laughlin de FC. Les FC dans le niveau p = 1 attraperaient donc un pseudo-vortex (de FC) portant deux quanta de flux supplémentaires, pour former un FC « de deuxième génération » (FC2 , voir figure 6.3), en analogie avec la formation de FC sur la base d’électrons et de pseudo-vortex du liquide électronique. La théorie hamiltonienne est un cadre parfait pour traiter cette situation de NL de FC partiellement remplis et de FC en interaction. Formellement, on peut utiliser les mêmes approximations que dans la déduction du modèle d’électrons restreints à un seul NL (section 4.1), i.e. on ne tient compte que des excitations dans le même niveau tandis que les excitations entre NL de FC font partie d’un secteur de « haute énergie ». Notons que cette approximation est plus critique, car la seule échelle d’énergie pertinente est e2 /lB , ce qui domine à la fois la formation de NL de FC et les interactions résiduelles. On montrera plus loin que cette approximation est pourtant justifiée en raison de l’émergence d’un « petit paramètre », dû à la renormalisation de la charge. La restriction au NL de FC p donne alors pour l’opérateur de densité de FC CF ¯ ρ̄CF p (q) = Fp (q)ρ̄(q), (6.49) où ρ̄¯(q) = X m,m0 hm|e−iq·R CF |m0 ic†p,m cp,m0 (6.50) est l’opérateur de densité de FC projeté, et FpCF (q) ≡ hp|ρ̄p (q)|pi, en termes d’élement de matrice (6.42), est le « facteur de forme de FC » du niveau p. De la même manière que le facteur de forme électronique (4.12), il peut être absorbé dans un potentiel d’interaction effectif de FC, ce qui donne 2 CF vs,p (q) = v0 (q) FpCF (q) (6.51) 2 ∗2 ∗2 2 q 2 lB q 2 lB c 2πe2 −q2 lB∗2 /2 2 2 e Lp − c2 e−q /2c Lp , = q 2 2c2 6 Dans le cas d’un système partiellement polarisé de spin, un EHQF à ν = 4/11 peut également se comprendre à l’aide de la fonction de Halperin [15]. Théorie effective 101 et l’on trouve pour le hamiltonien de FC en interaction Ĥ CF = 1 X CF v (q)ρ̄¯(−q)ρ̄¯(q). 2 q s,p (6.52) De même que dans le cas électronique, le commutateur (6.39) entre les composantes du centre de guidage RCF induit une algèbre pour les opérateurs ρ̄¯(q), ∗2 (q ∧ k)lB [ρ̄¯(q), ρ̄¯(k)] = 2i sin ρ̄¯(q + k), (6.53) 2 qui, avec le hamiltonien (6.52), définit le modèle de FC en interaction. Ce modèle a donc la même structure que le modèle d’électrons restreints à un seul niveau – il suffit de remplacer le potentiel d’interaction effectif par le CF ∗ potentiel vs,p (q) et d’utiliser la longueur magnétique des FCs, lB . Cette autosimilarité au niveau de la structure du modèle peut donner lieu sous certaines conditions à l’auto-similarité de la courbe de résistance de Hall, qui a été suggérée initialement par Mani et v. Klitzing dans une analyse basée sur une transformation d’échelle [53]. Notons que le potentiel d’interaction entre FCs (6.51) ayant une forme différente de celle de l’interaction électronique dans le NL n (4.18), cette auto-similarité de la courbe de Hall n’est pas automatiquement obtenue par l’auto-similarité mathématique du modèle. En raison de l’auto-similarité, on peut s’attendre à la formation de liquides quantiques incompressibles, qui seraient analogues au liquide de Laughlin en termes de FCs. Formellement, de tels liquides peuvent être décrits comme des FC2 , et la base de FC2 se déduit du modèle (6.52), de la même façon que celle des FCs du modèle électronique (6.36) et (6.37) : l’espace de Hilbert est ¯(q), qui porte 2s̃ élargi par des degrés de liberté du pseudo-vortex de FC χ̄ 2 quanta de flux et qui possède une charge de c̃ = 2p̃s̃/(2p̃s̃ + 1). Cela mène ¯(q)|ϕphys i = 0, pour les états physiques |ϕphys i. à une nouvelle contrainte, χ̄ Les composantes de l’opérateur de pseudo-vortex satisfont à l’algèbre q ∧ k ∗2 ¯(q + k), ¯(q), χ̄ ¯(k)] = −2i sin l χ̄ (6.54) [χ̄ 2c̃2 B induite par la règle de commutation pour les composantes du centre de gui ∗2 2 dage du pseudo-vortex Rv−CF , X v−CF , Y v−CF = −ilB /c̃ . Pour décrire le FC2 , qui consiste en un FC de la première génération situé au centre de guidage RCF et en un pseudo-vortex à Rv−CF (voir figure 6.3), on introduit 102 Théorie hamiltonienne de l’EHQF 2 ¯(q). La charge une nouvelle combinaison préférentielle, ρ̄C F (q) = ρ̄¯(q) − c̃2 χ̄ 2 2 ∗ 2 2 globale du FC est donc ẽ = (1 − c̃ )e = (1 − c̃ )(1 − c ), en unités de la charge de l’électron −e. La variable relative et la variable du centre de gui2 2 dage du FC2 , respectivement η C F et RC F , se déduisent à partir des centres de guidage du FC et du pseudo-vortex de la même manière que pour les FCs [voir Eq. (6.40)]. La nouvelle combinaison préférentielle, qui est interprétée comme la densité de FC2 , s’écrit donc en deuxième quantification X 2 C2 F ρ̄C F (q) = hm|e−iq·R |m0 ihj|ρ̃p (q)|j 0 id†j,m dj 0 ,m0 , (6.55) j,j 0 ;m,m0 où les opérateurs d†j,m et dj,m , avec {dj,m , d†j 0 ,m0 } = δj,j 0 δm,m0 et {dj,m , dj 0 ,m0 } = 0, sont respectivement les opérateurs de création et d’annihilation d’un FC2 dans l’état |j, mi. Les éléments de matrice dans l’équation (6.55) sont les ∗ mêmes les FCs [Eqs. (6.41) et (6.42)] si l’on remplace lB → ˜lB = √ que pourp 2 ∗ lB / 1 − c̃2 = 1/ (1 − c̃2 )(1 − c2 ), la longueur magnétique de FC , et c2 → c̃2 . Un effet Hall quantique serait donc attendu pour quelques facteurs de remplissage de FC ν ∗ = p + p̃/(2s̃p̃ + 1), où l’entier p̃ est le nombre de niveaux de FC2 s complètement remplis. Un tel effet Hall quantique peut être interprété à la fois comme un EHQF de FCs [52] ou comme un EHQE de FC2 s [54]. Les remplissages ν ∗ sont reliés aux facteurs de remplissage électronique par la relation (4.51), et ν ∗ = 1 + 1/3 correspond donc à ν = 4/11. Le formalisme décrit est générique et peut être utilisé pour des générations de FCs suivantes. On trouve donc une hiérarchie d’états, qui est différente des hiérarchies de Haldane et Halperin [32, 38], à des remplissages qui sont déterminés par la formule de récurrence νj = p j + νj+1 , 2sj+1 νj+1 + 1 (6.56) où sj+1 désigne le nombre de paires de quanta de flux portés par le pseudovortex dans le FC de la (j + 1)-ième géneration (FCj+1 ), et pj est le nombre de niveaux de FCj s complètement remplis. L’EHQE de FCj s est déterminé par νj = pj . Formellement, le facteur de remplissage électronique correspond à j = 0, et donc ν0 = ν et ν1 = ν ∗ . L’équation (6.56) est une généralisation de la relation entre les facteurs de remplissage électroniques et de FCs [Eq. (4.51)]. Même si la formule de récurrence (6.56) pour des états hiérarchiques de FC suggère un grand nombre d’EHQF, on n’en trouve pas à toutes les valeurs Théorie effective 103 Pseudo−potentiels m V 0.4 0.40 0.30 0.3 0.03 électrons 0.02 0.2 0.004 0.01 0.1 0.002 FC FC2 1 23 5 47 9 m 11 6 13 15 8 17 19 10 Fig. 6.4 – Pseudo-potentiels pour l’interaction électronique (courbe noire), de FC (courbe grise foncée) et de FC2 (courbe grise claire), en unités de e2 /lB . On note la différence d’échelle sur l’axe z. du facteur de remplissage. En effet, l’EHQF dû à la formation de FC de première génération est restreint au deux plus bas NL, n = 0 et 1, tandis que dans des NL plus élevés, ces phases liquides sont en compétition avec des solides électroniques, ce qui sera l’objet du chapitre suivant. Mise à part cette compétition avec d’autres phases, on peut, de manière générale, évoquer certains critères de stabilité pour des FC de génération élevée (FCj+1 ). Le premier est certainement la stabilité du FC « parent » (FCj ), ce qui est une condition nécessaire. Dans n = 2, par exemple, le liquide de Laughlin n’est pas stable à ν̄ = 1/3, et des FC2 ne sont donc pas formés à ν̄ = 4/11. Une condition encore plus restrictive pour la formation de FCj+1 est donnée par la forme du potentiel d’interaction effectif de FCj , (j) v{si ,pi } (q) j i2 2πe2 −q2 /2 Y h C i F Fsi ,pi (qli ) , = e q i=1 (6.57) p en termes de longueur magnétique de FCj , lj = 2sj pj + 1lj−1 . Développée en pseudo-potentiels de Haldane [voir équation (4.37)], X (j) 2 2 Vmj = v{si ,pi } (q)Lm (q 2 lj2 )e−q lj /2 , q > 1, 2, il faut que l’interaction soit de suffisamment courte portée, i.e. V1 /V3 ∼ pour qu’un état de Laughlin soit stabilisé. 104 Théorie hamiltonienne de l’EHQF Les pseudo-potentiels d’indice impair7 sont tracés dans la figure 6.4 pour des électrons dans le NL n = 0, FC avec s = p = 1 et FC2 avec s = p = s̃ = p̃ = 1. On remarque d’abord la différence d’échelle dans l’axe d’énergie : l’interaction entre FC est à peu près un ordre de grandeur plus petite que celle entre électrons. Cela peut se comprendre sur la base de la forme du potentiel d’interaction effectif de FC (6.51), qui est globalement réduit par le facteur de forme de FC, [FpCF (q)]2 ' (1−c2 )2 , à l’ordre O(q 0 ), par rapport au potentiel entre électrons. Comme deux facteurs de cette sorte interviennent dans l’expression pour le potentiel effectif entre FC2 [voir l’équation (6.57)], ce dernier est à nouveau un ordre de grandeur plus petit que celui entre FC. Dans ce sens, (1 − c2 )2 ≤ 1/9 peut s’interpréter comme le petit paramètre de la théorie hiérarchique de FC – comme on l’a indiqué plus haut, c’est une indication a posteriori de la stabilité des NL de FC face aux interactions résiduelles entre FC. Une deuxième remarque porte sur la forme spécifique de l’interaction entre FC (et FC2 ). Contrairement au cas électronique, leurs pseudo-potentiels ne varient pas de façon monotone mais montrent un minimum à m = 3. Une origine possible de cette particularité est la forme dipolaire des FC, due à leur structure interne, comme on l’a déjà indiqué au début de la section 6.2. Comme la fonction de corrélation de paires du liquide de Laughlin (avec s = 1) a son poids maximal à cette valeur du moment cinétique relatif, on peut s’attendre à ce que cette forme des pseudo-potentiels a tendance à stabiliser des liquides de Laughlin de FC. 7 Rappelons que seuls les pseudo-potentiels d’indice impair importent dans le cas d’électrons polarisés de spin, en raison de leur statistique fermionique (voir section 4.2). Chapitre 7 Les phases quantiques dans les niveaux de Landau élevés Nous examinerons, dans ce chapitre, les différentes phases quantiques dans le cadre du modèle d’électrons restreints à un seul NL (4.17), pour un niveau élevé n ≥ 1. Naı̈vement, on peut s’attendre à ce que le système se comporte de plus en plus classiquement dans la limite n 1. Il n’en est pas ainsi : pour atteindre la limite classique, il faut permettre au système de former un état superposé avec un certain poids dans plusieurs NL, pour former un état cohérent (2.38), comme il a été décrit dans la section 2.2.2. Cela n’est pas le cas lorsqu’on considère le modèle d’électrons restreint à un seul NL, i.e. lorsqu’on néglige un mélange entre niveaux – le système reste ainsi intrinsèquement quantique, même dans la limite n 1. Après quelques remarques qualitatifs sur la formation de phases de densité inhomogène dans la section suivante, un traitement quantitatif sera proposé qui permet de calculer les énergies des phases en comptétition. Pour traiter les phases solides, on se servira de l’approximation de Hartree-Fock, dont le formalisme sera présenté dans la section 7.2. L’énergie des phases liquides, qui sont à l’origine de l’EHQF dans les NL n 6= 0, sera calculée à l’aide des fonctions d’onde de Laughlin discutées dans la section 4.2. Cela nous permet de discuter en détail la physique des NL n = 1 et n = 2, en comparaison avec des résultats expérimentaux. 105 106 Phases quantiques dans les NL élevés (a) (b) 1000 Cristal d’îlots avec M=3 électrons par site V V I ρxx (Ω) 750 9/2 T=25mK I 11/2 500 13/2 7/2 5/2 250 0 Phase de rubans 0 ... 1 3 2 2 3 B (Tesla) N=1 4 5 Fig. 7.1 – (a) Esquisse de la phase d’ı̂lots avec M électrons par site (ici : M = 3) et de la phase de rubans. (b) Anisotropie de la résistance longitudinale mesurée par Eisenstein et al. [55]. A ν = 9/2, 11/2, 13/2, ..., la résistance longitudinale montre une forte anisotropie par rapport à deux axes cristallographiques équivalents. Cela constitue une preuve indirecte de la formation de rubans : un électron est facilement transporté d’un bord à l’autre s’ils sont connectés par un ruban, ce qui donnerait lieu à une résistance faible (ligne continue). Perpendiculairement aux rubans, un électron ne peut être transporté que par effet tunnel, et l’on trouve une grande résistance (ligne en pointillé). 7.1 Raisonnements qualitatifs Dans la section 4.1.3, nous avons déjà vu que la forme particulière du potentiel effectif (4.18), 2 2 2πe2 q 2πe2 2 2 vn (q) = [Fn (q)] = Ln e−q /2 , q q 2 fait introduit une √ nouvelle échelle de longueur, en plus de la distance moyenne √ d = 1/ n̄el ∝ 1/ ν̄ entre particules dans le NL partiellement rempli, √ avec une densité n̄el = ν̄nB = ν̄/2π. Il s’agit du rayon cyclotron RC = lB 2n + 1 qui est donné par le premier zéro du polynôme de Laguerre et qui détermine la portée du palier caractéristique dans le potentiel effectif dans l’espace réel (voir figure 4.2). Même s’il n’y a qu’une échelle d’énergie – celle des interactions de Coulomb e2 /lB – nous avons donc deux échelles de longueur à notre disposition qui classifient trois régimes qualitativement différents : d 2RC , d 2RC et d ∼ 2RC . Le premier régime, d 2RC ou ν̄ 1/(2n + 1), est la limite de densité diluée : les électrons du n-ième niveau sont éloignés l’un de l’autre et peuvent être considérés comme des objets classiques parce que le recouvrement de leurs fonctions d’onde devient négligeable. Ils interagissent Raisonnements qualitatifs 107 par la queue coulombienne du potentiel effectif et ne ressentent pas sa struc< 2RC . On s’attend donc à la formation d’un cristal ture à courte distance, r ∼ de Wigner, qui a déjà été évoqué dans la section 4.2, dans le cas du plus bas NL. Classiquement, un cristal triangulaire est énergétiquement favorisé. Dans la limite de haute densité, d 2RC ou ν̄ 1/(2n + 1), les électrons interagissent surtout par le palier dans le potentiel effectif (4.18). Cette limite constitue un régime dans lequel l’approximation du champ moyen devient fiable : une particule arbitrairement choisie voit un grand nombre Nn.n. ∼ π(2RC )2 n̄el = 2(2n + 1)ν̄ (7.1) de particules voisines dans son rayon d’interaction forte. Ces particules voisines créent le champ moyen tandis que leurs mouvements individuels n’influencent guère celui de la particule choisie. Dans cette limite, il suffit donc de tenir compte des corrélations quantiques au niveau de l’approximation du champ moyen, comme par exemple dans l’approximation de Hartree-Fock [56, 57]. Ce régime n’existe pas dans le plus bas NL où le rayon cyclotron coı̈ncide avec la longueur magnétique, en-dessous de laquelle deux électrons ne peuvent pas être approchés. Dans le régime d 2RC , on observe des cristaux électroniques différents du cristal de Wigner, comme les phases d’ı̂lots (un cristal avec plusieurs électrons par site) et de rubans [voir figure 7.1(a)]. Notons que la prédiction théorique de formation de rubans [56, 57] a trouvé une vérification expérimentale avec l’observation d’une forte anisotropie dans la résistance longitudinale à ν = 9/1, 11/2, 13/2, ... [55], dont les résultats sont montrés dans la figure 7.1(b). Qualitativement, on peut comprendre cette formation d’amas malgré la répulsion entre électrons à partir de la forme du potentiel effectif (voir figure 7.2) : une configuration dans laquelle les électrons sont répartis de façon homogène [configuration (I) dans la figure 7.2] est énergétiquement moins favorable qu’une configuration (II) où deux électrons sont rapprochés. En raison du palier dans le potentiel effectif, un tel rapprochement ne coûte pas une grande énergie. Si en revanche cet amas est séparé d’un autre par une distance r 2RC , le gain d’énergie est de l’ordre de la hauteur du palier (∆). L’approximation du champ moyen cesse d’être valable dans le régime quantique d ∼ 2RC ou ν̄ ∼ 1/(2n + 1), dans lequel on trouve des liquides quantiques qui sont à l’origine de l’EHQF (liquides de Laughlin, FC). Dans la suite de ce chapitre, nous compléterons ces raisonnements qualitatives par des calculs d’énergie des différentes phases évoquées plus haut. 108 Phases quantiques dans les NL élevés (I) Potentiel effectif 2 RC d’ d (II) ∆ d d d’ 2d − d’ 2d − d’ r Fig. 7.2 – Formation d’amas. En raison de la forme particulière du potentiel effectif, la configuration (II) est énergétiquement plus favorable que la configuration (I). Même si l’électron décrit par le cercle noir est rapproché d’un de ces voisins, ce rapprochement coûte seulement une petite quantité d’énergie à cause du palier dans le potentiel. En revanche, cet électron est séparé par une grande distance de son deuxième voisin. Le gain d’énergie est de l’ordre de ∆. 7.2 Solides électroniques dans l’approximation de Hartree-Fock Afin d’écrire le hamiltonien (4.17) dans l’approximation de Hartree-Fock, on utilise la base de fonctions d’onde dans la jauge de Landau, AL = (−y, 0)B, pour représenter les opérateurs de densité projetés comme ρ̄(q) = X y0 e−iqy y0 e†y0 +qx /2 ey0 −qx /2 , où les indices n, désignant le NL, ont été omis des opérateurs électroniques e†y0 et ey0 pour une meilleure lisibilité. Dans la jauge de Landau, les états à une particule |n, y0 i sont localisés autour de y0 = klB dans la direction y et étendus (ondes planes de vecteur d’onde k) dans la direction x. Nous mettons désormais lB ≡ 1. En termes d’opérateurs électroniques, le hamiltonien (4.17) s’écrit donc Ĥ = X 1X 0 eiqy (y0 −y0 ) e†y0 −qx /2 ey0 +qx /2 e†y0 +qx /2 ey00 −qx /2 , vn (q) 0 2 q 0 y0 ,y0 (7.2) Solides électroniques dans l’approximation de Hartree-Fock 109 et dans l’approximation de Hartree-Fock, il devient h X 1X iqy (y0 −y00 ) = e vn (q) he†y0 −qx /2 ey0 +qx /2 ie†y0 +qx /2 ey00 −qx /2 0 2 q y0 ,y00 i † † −hey0 −qx /2 ey00 −qx /2 iey0 +qx /2 ey0 +qx /2 ĤHF 0 = ĤH − ĤF . Le terme de Hartree s’écrit directement en termes d’opérateur de densité ĤH = 1X H u (q)hρ̄(−q)iρ̄(q), 2 q n avec le potentiel de Hartree uH n (q) = vn (q). Afin d’écrire le terme de Fock, ĤF de la même façon, on peut introduire une transformation de variables, px = y 0 − et ensuite y± = R ± qx , 2 y0 + y00 R= 2 y00 , 1 X ipy (y+ −y− −qx ) e = 1, nB y ,p + y où nB = 1/2π est le nombre d’états par NL. On obtient donc ĤF = X 1X 0 eiqy (y0 −y0 ) he†y0 −qx /2 ey00 −qx /2 ie†y0 +qx /2 ey0 +qx /2 vn (q) 0 2 q 0 y0 ,y0 = 1X 2 q vn (q) X R,px eiqy px he†R−qx /2+px /2 eR−qx /2−px /2 ie†R+qx /2−px /2 eR+qx /2+px /2 X 1 X ei(qy px −qx py ) vn (q) = 2nB q py ,px X eipy (y+ −y− ) he†y− +px /2 ey− −px /2 ie†y+ −px /2 ey+ +px /2 . × y+ ,y− Finalement, on obtient ĤF = 1X F u (p)hρ̄(−p)iρ̄(p), 2 p n 110 Phases quantiques dans les NL élevés et l’on trouve que le potentiel de Fock est la transformée de Fourier, accompagnée d’un échange entre les axes x et y uFn (p) = 1 X vn (q)e−i(px qy −py qx ) . nB q Les potentiels de Hartree et de Fock sont reliés par une transformation de Fourier dans le cas d’une interaction isotrope [56, 57]. Si elle est anisotrope, il faut pourtant tenir compte de cette rotation de π/2 du référentiel.1 Le hamiltonien de Hartree-Fock peut donc s’écrire de manière simple, ĤHF = 1 X HF u (q)hρ̄(−q)iρ̄(q), 2 q n (7.3) avec le potentiel effectif de Hartree-Fock H F uHF n (q) = un (q) − un (q) = vn (q) − 1 X vn (p)ei(px qy −py qx ) . nB p (7.4) Pour n → ∞, le potentiel de Fock peut être approché de la même façon que le potentiel effectif dans l’espace réel (4.19) par " 2 4e uFn (q) ' 2 Re K π nB q 1− !#2 p 1 − 4(2n + 1)/q 2 2 (7.5) En revanche, il se calcule de façon précise pour n = 1 et 2, r 2 2 2 q q π e2 e−q /4 F 2 4 4 un=1 (q) = 6 − 2q + q I0 − q I1 , 2 nB 8 4 4 r 2 2 π e2 e−q /4 q F 2 4 6 8 un=2 (q) = 82 − 52q + 44q − 10q + q I0 2 nB 128 4 2 q −q 4 30 − 8q 2 + q 4 I1 , (7.6) 4 en termes de fonctions de Bessel modifiées I0 (x) et I1 (x). 1 L’interaction entre électrons restreints à un seul niveau devient par exemple anisotrope dans des gaz d’électrons d’une largeur finie en présence d’un champ magnétique dans le plan. Solides électroniques dans l’approximation de Hartree-Fock 111 Paramètre d’ordre Notons la simplicité du hamiltonien (7.3) dans l’approximation de HartreeFock : il est linéaire en ρ̄(q) et diagonal dans l’espace de Fourier, en raison de ce lien inhabituel entre les potentiels de Hartree et de Fock par transformation de Fourier. Au lieu de préciser la fonction d’onde à N particules qui minimise le hamiltonien de Hartree-Fock, les états quantiques peuvent donc être déterminés par le paramètre d’ordre ∆(q) = hρ̄(q)i , nB (7.7) qui est la transformée de Fourier d’un remplissage local ν̄(r) du n-ième niveau, Z 2 dr ∆(q) = ν̄(r)eiq·r . (7.8) A R Ce dernier est lié au facteur de remplissage partiel ν̄ par ν̄ = d2 rν̄(r)/A. L’énergie par particule est donc une fonctionnelle du paramètre d’ordre et s’écrit nB X HF hĤ HF i un (q)|∆(q)|2 . (7.9) = E solides (n; ν̄) = 2ν̄ q N̄el A partir de cette expression, on peut comprendre que la forme spécifique du potentiel effectif favorise la formation des phases de densité de charge modulée. Le potentiel vn (q) s’annule à des valeurs finies du vecteur d’onde, q0 (n) ∼ 1/RC , où le facteur de forme Fn (q) dans l’expression (4.18) a des zéros et où le potentiel de Hartree-Fock uHF n (q) est donc déterminé par l’attraction d’échange. Par conséquent, il est énergétiquement favorable que le paramètre d’ordre ait un maximum précisément à ces vecteurs d’onde. En raison de la relation (7.8), cela se traduit par une modulation de la densité de charge dans l’espace réel, avec une périodicité caractéristique Λ, déterminée par ces valeurs du vecteur d’onde, Λ ∼ 1/q0 (n) ∼ RC . Cet argument pour la formation de phases de densité modulée et celui donné dans la section précédente sont complémentaires, car la largeur du palier du potentiel effectif est essentiellement déterminée par le premier zéro du facteur de forme. On peut traiter des phases solides avec une grande variété de symétries différentes, mais la discussion est limitée à des phases de rubans et à des phases d’ı̂lots, avec des amas de M électrons qui forment un réseau triangulaire. Tandis que la symétrie triangulaire s’impose naturellement à partir des 112 Phases quantiques dans les NL élevés analyses classiques [58], des calculs dans l’approximation de Hartree-Fock indiquent que la phase de rubans, qui consiste en une modulation de la densité de charge unidirectionnelle, est énergétiquement favorable autour de ν̄ = 1/2 [56, 57]. Ceci est lié au fait qu’à ν̄ = 1/2, la symétrie particule-trou devient pertinente. 7.2.1 Energie des phases d’ı̂lots Pour décrire les cristaux d’ı̂lots avec M électrons par amas, on peut utiliser l’ansatz proposé par Fogler, Koulakov et Shklovskii [56] X ν̄(r) = Θ(rB − |r − Rk,l |) (7.10) j pour le facteur de remplissage local, où rB est le rayon de chaque amas, et Rk,l = ka1 + la2 , avec les entiers k et l, est un vecteur√du réseau. Pour le réseau triangulaire, on a a1 = ΛB ex et a2 = ΛB ex /2 + 3ey /2 , où ΛB est la longueur du pas de √réseau. La taille de la cellule élémentaire du réseau triangulaire est Ac = 3Λ2B /2. Les paramètres ΛB et rB sont reliés par le 2 facteur de remplissage ν̄ = AB /Ac , où AB = πrB est la taille d’un ı̂lot, et l’on √ 2 2 a donc rB /ΛB = 3ν̄/2π. Parce que chaque électron occupe une surface 2π, en unités du carré de la longueur magnétique, la taille de l’ı̂lot est déterminée 2 = 2πM , et le pas du réseau est donc par le nombre d’électrons M , AB = πrB défini par les paramètres M et ν̄, s 4πM √ . ΛB = (7.11) 3ν̄ Le paramètre d’ordre pour la phase d’ı̂lots se calcule à partir des équations (7.8) et (7.10), √ X 2π 2M √ B (7.12) eiq·Rk,l , J1 q 2M ∆M (q) = q k,l où J1 (x) est la fonction de Bessel de premier ordre. A l’aide de la formule de Laplace X (2π)2 X e−iq·Rk,l = δ(q − Gµ,ν ), (7.13) Ac µ,ν k,l Solides électroniques dans l’approximation de Hartree-Fock 113 √ √ où Gµ,ν = µg1 + νg2 , avec g1 = 2π ex − ey / 3 /ΛB et g2 = 4πey / 3ΛB , sont les vecteurs du réseau réciproque, on trouve pour l’énergie par particule √ 2 X n ν̄ J ( 2M |Gµ,ν |) B 1 E ı̂lots (n; M, ν̄) = uHF . (7.14) n (Gµ,ν ) M G |Gµ,ν |2 µ,ν L’énergie se calcule donc par une simple somme sur les vecteurs du réseau réciproque. Il n’y a pas de contribution à G = 0, qui est annulée par la densité homogène de l’arrière-plan, et on a ainsi également omis l’énergie d’échange de l’état non corrélé. Notons que, même si l’on limite la discussion au cristaux de symétrie triangulaire, l’expression (7.14) pour l’énergie d’un cristal d’ı̂lots reste valable aussi pour d’autres symétries du réseau. Il suffit d’utiliser les vecteurs Gµ,ν du réseau réciproque correspondant. 7.2.2 Energie des phases de rubans L’énergie des phases de rubans se calcule de façon analogue à celle des ı̂lots, à partir de l’ansatz X ν̄(r) = Θ(a/2 − |x − xj |), (7.15) j où a est la largeur d’un ruban, aligné dans la direction y, et xj = jΛS , avec l’entier j. La périodicité des rubans ΛS est reliée à la largeur par ν̄ = a/ΛS . Le paramètre d’ordre de la phase de rubans est obtenu après une tranformation de Fourier, sin (qx ΛS ν̄/2) X iqx jΛS ∆S (q) = 2δqy ,0 e , (7.16) qx j P A l’aide de la relation de Laplace (7.13) dans une dimension, n exp(inx) = P 0 2π n0 δ(x − 2πn ), on trouve l’énergie par particule de la phase de rubans 2 2π sin (πν̄l) nB X HF rubans un q= l . (7.17) E (n; ΛS , ν̄) = 2 2π ν̄ l6=0 ΛS l2 Contrairement au cas des ı̂lots, la périodicité n’est pas fixée par les autres paramètres à travers des raisonnements géométriques. C’est un paramètre variationnel, qui est déterminé par la minimisation de l’énergie (7.17), ∂E rubans /∂ΛS = 0. Autour de ν̄ = 1/2, on trouve ΛS = 2, 84RC pour n = 1, 114 Phases quantiques dans les NL élevés ΛS = 2, 76RC pour n = 2 et ΛS = 2, 74RC pour n = 3. Dans la limite n → ∞, la périodicité converge vers ΛS = 2, 7RC , en accord avec des résultats de Fogler et al. [56]. 7.3 7.3.1 Liquides quantiques Energie des liquides de Laughlin à ν̄ = 1/(2s + 1) Aux remplissages « magiques », ν̄s = 1/(2s + 1), l’énergie du liquide de Laughlin dans un NL arbitraire peut se calculer à l’aide des pseudopotentiels n de Haldane (4.38), V2m+1 , E Laughlin ∞ ν̄ X s n (n; s) = c2m+1 V2m+1 , π m=0 (7.18) où les coefficients c2m+1 caractérisent les propriétés physiques de ces liquides, comme on l’a déjà vu dans la section 4.2.2. Par rapport à l’expression (4.36) pour l’énergie des liquides de Laughlin, on a omis le deuxième terme qui tient compte de l’énergie d’échange de l’état non corrélé, pour une comparaison correcte avec l’énergie des phases solides (7.14) et (7.17). Avec les valeurs pour les coefficients de développement données dans la section 1.2.2, on trouve pour les énergies des liquides de Laughlin E Laughlin (n; s) ν̄ n=0 n=1 n=2 s=1 s=2 s=3 s=4 1/3 1/5 1/7 1/9 −0, 1998 −0, 2012 −0, 1907 −0, 1799 −0, 1678 −0, 2002 −0, 1950 −0, 1854 −0, 1306 −0, 1695 −0, 1837 −0, 1798 en unités de e2 /lB . Dans les niveaux n = 0, 1 et 2, les résultats pour s = 1 et 2 peuvent être comparés aux résultats numériques, déduits des calculs de Monte Carlo des Refs. [30, 59]. La différence est de moins de 0, 5% dans n = 0 et 1 et de l’ordre de 1% dans n = 2. Cette précision est suffisante pour la comparaison des énergies des différentes phases liquides et solides, dont la différence est typiquement de l’ordre de 10%. 7.4. COMPARAISON DES ÉNERGIES DANS N = 1 ET 2 7.3.2 115 Energie des liquides à ν̄ 6= 1/(2s + 1) : excitations de quasi-particules et de quasi-trous Pour calculer l’énergie des phases liquides quantiques à des remplissages différents des valeurs magiques, ν̄ 6= ν̄s , il faut tenir compte des quasiparticules, excitées à ν̄ > ν̄s , et des quasi-trous à ν̄ < ν̄s . Ces excitations élémentaires sont séparées de l’état de Laughlin par un gap d’énergie, qui se calcule dans la théorie hamiltonienne (voir section 6.2.2). Dans cette image, une quasi-particule de charge 1/(2s + 1), en unités de la charge de l’électron, est considérée comme un FC ajouté dans le prochain niveau de FC supérieur à celui complètement rempli. De même, un quasi-trou de charge −1/(2s + 1) est interprété comme des trous de FC. Tenant compte de leurs énergies ∆nqp/qh (s), dont les expressions sont données par (6.45) et (6.46) en remplaçant v0 (q) → vn (q), l’énergie du liquide quantique s’écrit E liquides (n; s, ν̄) = E Laughlin (n; s) + [ν̄(2s + 1) − 1]∆nqp/qh (s; p = 1). (7.19) On trouve dans les NL n = 1 et n = 2 pour les énergies des quasi-particules ∆nqp (s; p = 1) n=1 n=2 s=1 s=2 s=3 s=4 0,2267 0,1868 0,1550 0,1316 0,1903 0,1728 0,1543 0,1376 et pour celles des quasi-trous ∆nqh (s; p = 1) n=1 n=2 s=1 s=2 s=3 s=4 -0,07172 -0,07032 -0,05887 -0,04959 -0,07876 -0,07853 -0,06728 -0,05765 en unités de e2 /lB . 7.4 Comparaison des énergies dans n = 1 et 2 Dans cette section, il s’agit de discuter les énergies des différentes phases et leur lien avec des expériences de transport dans les niveaux n = 1 et n = 2, notamment celles qui ont révélé une réentrance de l’EHQE [60, 61, 62] : au lieu d’un comportement monotone de la résistance de Hall à l’endroit d’un saut d’un palier au palier voisin, comme il est montré dans la figure 1.2, on trouve que la résistance, quantifiée autour de 4T, saute d’abord, lorsqu’on 116 Phases quantiques dans les NL élevés réentrance de l’EHQE a) h/3e EHQE 2 2 Rxy (h/e ) 0.35 7/2 0.30 3+1/5 3+4/5 h/4e 0.25 3.2 b) 2 (EHQF) 3.4 3.6 3.8 4.0 Champ magnétique (Tesla) Rxx (Ohms) Fig. 7.3 800 – Réentrance de l’EHQE, mesurée par Eisenstein et al. [61]. abaisse le champ magnétique, sur un palier d’EHQF autour de ν = 3 + 1/5, avant de retrouver sa valeur initiale à des valeurs du champ légèrement plus basses (Fig. 7.3).400 Ce comportement se répète autour de ν = 3 + 1/3 et est symétrique autour de ν = 3 + 1/2. L’effet de réentrance indique une alternance de phases électroniques liquides, présentes autour de ν = 3+1/5 et 3+1/3, et isolantes, qui donneraient lieu à l’EHQE. On0 a3.2 déjà vu 3.4 dans la section 3.23.8 que la simple localisation 3.6 4.0 suffit pour avoir des électrons Magnetic isolants dans le dernier NL partiellement remField (Tesla) pli. Or, dans le cas de la réentrance de l’EHQE, les phases isolantes ont une densité comparable à celles où l’on trouve l’EHQF, qui les entourent même. Cela indique donc que les interactions entre électrons sont plus pertinentes que leur localisation par des impuretés. Les cristaux électroniques (cristal de Wigner et ı̂lots) semblent être une alternative raisonnable : leur formation aussi donnerait lieu à une réponse isolante des électrons condensés dans la structure cristalline, en raison de leur accrochage par les impuretés. En effet, le mode de glissement, qui a priori pourrait contribuer à un transport électronique du cristal, est supprimé à cause de cet accrochage. Une autre contribution possible serait celle des défauts cristallins. Or leur nombre étant donné par le poids de Boltzmann e−∆/kB T , avec l’énergie ∆ d’un défaut, leur conductivité σxx ∝ e−∆/kB T est exponentiellement supprimée à T = 0. A Comparaison des énergies dans n = 1, 2 et 3 117 cause de la relation (1.2) entre les matrices de conductance et de résistance, la résistance longitudinale est également supprimée, Rxx ∝ e−∆/kB T . Le transport électronique du système à effet Hall quantique est donc entièrement effectué par les électrons dans les plus bas NL complètement remplis, comme pour le cas de la localisation individuelle des électrons dans le niveau partiellement peuplé, discutée dans la section 3.2. Notons que le comportement isolant d’un cristal de Wigner se manifeste de façon différente dans la branche de spin inférieure du plus bas NL : il n’y pas de niveau complètement rempli, qui peut contribuer au transport électronique, et la résistance longitudinale 0 diverge donc comme Rxx ∝ e∆ /kB T lorsque T → 0 [64]. Si, en revanche, les électrons dans le dernier NL partiellement rempli forment un liquide quantique, le système exhibe l’EHQF avec une quantification de la résistance de Hall2 RH = h/e2 [N + (2s + 1)−1 ] : chaque branche de spin complètement remplie de chaque NL contribue au transport avec un quantum de conductance, et le niveau partiellement peuplé y contribue avec une fraction du quantum de conductance e2 /h(2s + 1), à cause de la charge fractionnaire des quasi-particules. Dans ce scénario, la réentrance de l’EHQE peut être expliquée comme une alternance de phases d’ı̂lots et de liquides en fonction du champ magnétique. Cette alternance peut se comprendre qualitativement à partir de la forme en zig-zag de la courbe d’énergie des liquides quantiques. Lorsqu’on s’éloigne des valeurs magiques ν̄s , l’énergie de la phase liquide quantique, à cause de l’excitation de quasi-particules ou quasi-trous, devient supérieure à celle des solides électroniques. La courbe d’énergie des liquides étant non monotone, il y a plusieurs points de croisement avec la courbe des solides électroniques. On notera que les interactions entre quasiparticules sont négligées, et la courbe d’énergie des liquides quantiques augmente donc linéairement lorsqu’on s’éloigne des remplissages magiques. L’incompressibilité des liquides quantiques à νs se manifeste exactement à ces remplissages par des points anguleux de leur courbe d’énergie, qui donnent lieu à une discontinuité dans la première dérivée. Le cas des rubans est particulier à cause de l’existence d’une direction privilégiée de transport : le transport est facile parallèlement aux rubans dont les bords servent de canaux, tandis qu’il est supprimé perpendiculairement à l’orientation des rubans. Cela cause l’anisotropie mesurée dans la résistance 2 Pour la notation : N est la partie intégrale du facteur de remplissage, en tenant compte des deux branches de spin par NL n. On a donc N = 2n + 1 si la branche de spin inférieure du niveau n est complètement remplie et N = 2n + 2 pour le cas du remplissage complet des deux branches. 118 Phases quantiques dans les NL élevés longitudinale pour n ≥ 2 [55]. Les courbes d’énergie sont tracées dans l’intervalle 0 ≤ ν̄ ≤ 0, 5, car le régime de remplissage 0, 5 ≤ ν̄ ≤ 1 est relié au premier par la symétrie particule-trou, qui est pertinente dans le cas d’électrons polarisés de spin étudié ici. 7.4.1 Phases quantiques dans n = 1 La figure 7.4 montre les résultats pour le niveau n = 1, en comparaison avec les expériences d’Eisenstein et al. [61]. On remarque que les liquides < ν̄ ∼ < 0, 37 quantiques sont énergétiquement favorisés dans l’intervalle 0, 3 ∼ < et à plus basse densité ν̄ ∼ 0, 23. La phase d’ı̂lots avec un électron par site (M = 1) a une énergie plus basse que celle des liquides quantiques dans < ν̄ ∼ < 0, 3, tandis que pour 0, 37 ∼ < ν̄ ∼ < 0, 5, une phase l’intervalle 0, 23 ∼ d’ı̂lots avec M = 2 est favorisée par rapport aux liquides. Elle est pourtant en compétition directe avec la phase de rubans, qui a une énergie encore plus basse lorsqu’on approche ν̄ = 1/2. En effet, on trouve dans les expériences un EHQF autour de ν̄ = 1/3 et ν̄ = 1/5 [Fig 7.4(b)], ce qui indique l’existence < ν̄ ∼ < 0, 3, une phase d’une phase liquide quantique. Dans l’intervalle 0, 23 ∼ isolante d’électrons dans le dernier niveau est observée, ce qui se traduit par la quantification entière de la résistance de Hall. Elle est associée à l’existence du cristal de Wigner, trouvé dans les calculs d’énergie [Fig 7.4(a)] dans ce régime de remplissage. Autour de ν̄ = 0, 42, un deuxième point de réentrance, moins marqué que le premier, est observé, qui peut être associé à la phase d’ı̂lots < 0, 15), les mesures avec M = 2. Pour des densités électroniques basses (ν̄ ∼ indiquent une phase isolante, tandis que les calculs théoriques montrent que des liquides quantiques ont une énergie plus basse que celle du cristal de Wigner. Notons que les résultats tracés dans la figure 7.4(a) ont été obtenus pour le cas sans impuretés. Si l’on en tient compte, ce désaccord disparaı̂t, car le cristal étant plus facilement déformable à basse densité peut ainsi gagner plus d’énergie en profitant des minima du potentiel d’impuretés [63] Un autre effet remarquable se produit si l’on analyse les transitions entre phases d’ı̂lots avec différents M : à cause des points anguleux entre les courbes d’énergie à ν̄ ' 0, 31, on s’attendrait à une discontinuité dans la première dérivée de l’énergie. C’est précisément une propriété caractéristique d’une transition de phase de premier ordre. Cette transition est quantique car elle se produit à T = 0, en variant un paramètre différent de la température (ici : le remplissage partiel ou le champ magnétique). Une conséquence d’une telle Comparaison des énergies dans n = 1, 2 et 3 5 Energie −0.05 -0.05 10 1/9 1/7 −0.15 -0.15 20 25 (a) 1/3 n=1 M=2 M=1 rubans −0.20 -0.2 liquide quantique 0.1 0.1 15 1/5 −0.10 -0.1 119 0.2 0.3 0.4 facteur de remplissage partiel 0.2 0.3 0.5 0.4 0.5 facteur de remplissage partiel (b) 2 1/3 R xy(h/e 2) 3+1/5 e3/h )a 3+1/3 27/2/7 5/1+3 1/3.5 4.0 3.8 3.6 champ magnétique (Tesla) 5/4+3 Fig. 7.4 – (a) Energies par particule des phases d’ı̂lots à M électrons et de la phase de rubans en comparaison avec celle du liquide quantique dans n = 1, en unités de e2 /lB . La tangente (tirets) indique l’énergie d’une phase mixte d’ı̂lots à un et deux électrons. (b) Réentrance de l’EHQE dans la branche de spin supérieure du niveau n = 1, mesurée par Eisenstein et al. [61]. 2 e4/h )b 120 Phases quantiques dans les NL élevés transition est la possibilité d’une coexistence de phase entre phases d’ı̂lots de différents M .3 L’énergie d’une telle phase mixte est représentée par la tangente aux courbes M = 1 et M = 2 [ligne pointillée dans la figure 7.4(a)]. A ν̄ = 1/2, on observe un EHQF, mais avec un dénominateur pair. Il s’agit de l’état 7/2, équivalent à l’état 5/2 dans la branche inférieure de spin,4 et qui a été trouvé par Willet et al. [66]. Cet état est resté mystérieux pendant longtemps. Tandis que Haldane et Rezayi ont proposé comme origine de cet état un appariement de type onde s [67], décrit par une fonction de Halperin [15], Moore et Read l’ont décrit comme un état pfaffien [69]. Greiter et al. ont montré que cet état pfaffien peut être interprété comme un appariement de type onde p [70]. La différence entre les deux scénarii est que l’appariement de type onde s est associé à un état singulet de spin, tandis que l’appariement de type onde p nécessite un état triplet. En principe, cette question pourrait être tranchée par des expériences déterminant la polarisation de spin. Or les mesures existantes semblent contradictoires. Dans un premier temps, Eisenstein et al. ont examiné le comportement de l’état 5/2 en présence d’un champ magnétique dans le plan [71]. Cette technique est largement utilisée pour déterminer si un état fractionnaire est polarisé de spin ou non, car un état non polarisé est possible uniquement si l’effet Zeeman est faible. Contrairement aux effets orbitaux, qui ne sont susceptibles qu’à la composante du champ perpendiculaire au plan, l’effet Zeeman est déterminé par le champ total. En augmentant le champ dans le plan, l’effet Zeeman devient donc plus important, et si un état fractionnaire disparaı̂t, il est interprété comme non polarisé. Les expériences d’Eisenstein et al. ont montré précisément la disparition de l’état 5/2, ce qui favoriserait un appariement de type onde s [71]. En revanche, des expériences plus récentes de Pan et al. ont montré que l’état 5/2 n’est pas sensible à l’effet Zeeman [72] : contrairement aux expériences d’Eisenstein, ils n’ont pas augmenté le gap de Zeeman par une composante du champ dans le plan, mais ils ont augmenté la composante perpendiculaire tout en variant la densité électronique par une tension de grille pour fixer le remplissage à ν = 5/2. Dans ce cas, l’état ne disparaı̂t plus, et il devrait donc être vu comme un état polarisé de spin, résultant d’un appariement de type onde p. Le désaccord entre les expériences est probablement dû au fait que la 3 En fait, la possibilité d’une coexistence de phases d’ı̂lots de différents M , ainsi que d’une coexistence entre ı̂lots et rubans, a déjà été évoquée par Fogler [65]. 4 Les mesures de la réentrance pour la branche inférieure, qui ne sont pas présentées ici, donnent des résultats semblables à ceux de la branche supérieure [61]. Comparaison des énergies dans n = 1, 2 et 3 121 composante du champ magnétique dans le plan n’affecte pas seulement l’effet Zeeman mais aussi les degrés de liberté orbitaux de l’électron. En fait, à cause de l’épaisseur finie du système, les fonctions d’onde des électrons sont modifiées par cette composante du champ [73, 74]. Cela peut se comprendre par une image semi-classique : le mouvement cyclotron de l’électron est perpendiculaire à la direction du champ. Une inclinaison du champ par rapport au plan a donc pour effet une inclinaison de la trajectoire électronique, représentée par sa fonction d’onde. Cette inclinaison est impossible dans le cas d’un système parfaitement bi-dimensionnel, mais elle est partiellement permise dans un système de largeur finie. Le recouvrement entre deux particules voisines dépend donc de la direction de la composante du champ dans le plan. Cela affecte le facteur de forme électronique Fn (q) et par conséquent le potentiel d’interaction effectif (4.18), qui devient anisotrope. Expérimentalement, cet effet se traduit par une anisotropie dans la résistance longitudinale induite par le champ dans le plan [75]. Cette anisotropie apparaı̂t à une valeur du champ comparable à celle de la disparition de l’état 5/2. Il est donc probable que le système a une transition de phase entre l’état 5/2 et une phase de rubans, qui devient énergétiquement favorable à des valeurs plus grandes du champ magnétique dans le plan, même si les électrons du niveau n = 1 restent polarisés de spin dans les deux phases. Ce scénario, qui favoriserait un état 5/2 résultant d’un appariement de type onde p, a également trouvé un soutien par des calculs de diagonalisation exacte de Morf, qui ont montré que l’état pfaffien a un grand recouvrement avec l’état fondamental obtenu numériquement [76]. 7.4.2 Phases quantiques dans n = 2 La figure 7.5 représente les résultats pour les différentes phases dans le niveau n = 2, en comparaison avec les mesures de transport électronique de Cooper et al. [60]. Contrairement au NL n = 1, l’état de Laughlin cesse d’être l’état de plus basse énergie à ν̄ = 1/3, où une phase d’ı̂lots avec deux électrons est favorisée. Un EHQF à ν̄ = 1/3 n’a pas été observé dans n = 2 [voir Fig. 7.5(b)]. Autour de ν̄ = 1/2, la phase de rubans a la plus basse énergie, en accord avec les expériences qui indiquent l’anisotropie de la résistance longitudinale à ν = 9/2 [55]. Cette anisotropie est bien visible dans la figure 7.5(b) autour de 2, 45T, où l’on trouve une grande résistance dans la direction x (ligne continue) et une résistance faible dans la direction y (ligne cassée). Selon les calculs, un liquide quantique est énergétiquement favorable 122 Phases quantiques dans les NL élevés -0.025 5 10 1/9 1/7 1/5 15 20 1/3 -0.05 −0.05 25 (a) n=2 Energie -0.075 -0.1 −0.10 M=1 -0.125 M=3 M=2 -0.15 −0.15 rubans -0.175 liquide quantique −0.20 0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 facteur de remplissage partiel 2 0.25 h/e (a) (b) (c) (b) 0.250 Rxy Rxy 0.249 Rxx and Ryy 0.2 h/e (c) (d) 2 20 Rxx ≈ and ν=9/2 Ryy 100 Ω ν=5 2.2 RIQHE 2.4 RIQHE 2.6 ν=4 0 2.6 2.7 magnetic field (T) champ magnétique 2.8 magnetic field (T)(Tesla) champ magnétique Fig. 7.5 – (a) Energies par particule des différentes phases dans n = 2, en unités de e2 /lB . La tangente (tirets) indique l’énergie d’une phase mixte d’ı̂lots à un et deux électrons. (b) Réentrance de l’EHQE dans la branche de spin inférieure du niveau n = 2, mesurée par Cooper et al. [60] ; (c) et (d) sont des agrandissements respectivement de la résistance de Hall et de la résistance longitudinale au deuxième point de réentrance (RIQHE, indiqué par des flèches). Comparaison des énergies dans n = 1, 2 et 3 123 < ν̄ ∼ < 0, 21) même si l’écart dans une région étroite autour de ν̄ = 1/5 (0, 19 ∼ en énergie avec la phase mixte d’ı̂lots à un et deux électrons est très petit. En absence d’impuretés, les liquides quantiques seraient également les phases de < 0, 16, où l’on observe pourtant l’EHQE. plus basse énergie pour ν̄ ∼ Dans la figure 7.5(b), on remarque une faible réentrance à 2, 36T et 2, 6T [agrandissements (c) et (d)]. Ces valeurs de champ magnétique correspondent respectivement à ν̄ = 1/4 et ν̄ = 3/4. Selon les calculs d’énergie [Fig. 7.5(a)], ce comportement isolant est dû à l’existence d’un cristal d’ı̂lots à deux électrons par site. En effet, des mesures de transport sous irradiation micro-onde indiquent une résonance dans la conductivité longitudinale, qui est associée au mode d’accrochage du cristal électronique [77]. Ces régions de quantification entière de la résistance de Hall sont séparées du plateau voisin de même quantification par un petit minimum à B ∼ 2, 32T et 2, 65T [Fig. 7.5(c)], accompagné d’un petit maximum dans la résistance longitudinale [Fig. 7.5(d)]. En termes de facteur de remplissage, il s’agit respectivement de ν̄ = 4/5 et 1/5. Comme à ces valeurs le liquide quantique est énergétiquement favorable, ces anomalies peuvent être associées à un début de fusion de la phase cristalline [60, 78]. 7.4.3 Diagramme de phase – comparaison aux arguments d’échelle Dans la section 7.1, nous avons argumenté que les phases quantiques peuvent se classifier sur la base de raisonnements qualitatifs concernant les échelles de longueur. Ces arguments sont en effet corroborés par le diagramme que l’on déduit des calculs d’énergie (figure 7.6) : pour de plus grandes valeurs de n, i.e. dans des NL élevés, les liquides quantiques sont stables à plus basse densité, ainsi que le cristal de Wigner. Tandis qu’un liquide quantique, et donc l’EHQF, est stable autour de ν̄ = 1/3 et 1/5 dans n = 1, il cesse d’être l’état de plus basse énergie à 1/3 dans n = 2 et également à 1/5 dans n = 3, où des cristaux d’ı̂lots ont une énergie plus basse. De plus, on trouve que des ı̂lots avec un plus grand nombre d’électrons M par site sont réalisés si n augmente. En effet, les calculs d’énergie confirment la loi Mmax = n + 1 [79], pour la plus grande taille d’ı̂lots réalisée dans le niveau n. Cette phase, trouvée autour de ν̄ = 1/2, est pourtant supprimée par la phase de rubans qui y est énergétiquement plus favorable. Notons enfin que tous les calculs présentés dans ce chapitre trouvent une 124 Phases quantiques dans les NL élevés n=1 n=0 0.0 ) 1 () ( 1 * * 1 1 0.1 -,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,-,, + , + 2 3 +,+,-,+,+,-,+,+,-,+,+,-,+,+,-,+,+,-,+,+,-,+,+,-,+,+,-,+,+,-,+,+,- ++ +,+,-,-,+,-,-,+,-,-,+,-,-,+,-,-,+,-,-,+,-,-,+,-,-,+,-,-,+,-,-,+,-- + +,+,+,+,+,+,+,+,+,+,+,+,+ ' +,+,+,+,-,-,+,+,-,-,+,+,-,-,+,+,-,-,+,+,-,-,+,+,-,-,+,+,-,-,+,+,-,-,+,+,-,-,+,+,-,-,+,+,-- ++ 2 ' +,+,-,+,-,+,-,+,-,+,-,+,-,+,-,+,-,+,-,+,-,+,- + +,+,-,-,+,-,-,+,-,-,+,-,-,+,-,-,+,-,-,+,-,-,+,-,-,+,-,-,+,-,-,+,-- + +,+,-,+,-,+,-,+,-,+,-,+,-,+,-,+,-,+,-,+,-,+,- + 1 +,+,+,+,+,+,+,+,+,+,+,+,+ +,+,+,+,+,+,+,+,+,+,+,+,+ +,+,+,+,+,+,+,+,+,+,+,+,+ liquides quantiques +,+,+,+,+,+,+,+,+,+,+,+,+ rubans rubans n=2 accrochage fort n=3 (localisation individuelle) n 0.2 0.3 0.4 0.5 ν Fig. 7.6 – Diagramme de phase résultant des calculs d’énergie des différentes phases. Les phases dans n = 0 n’ont pas été déduites des calculs, mais des mesures expérimentales. Les liquides quantiques sont représentés par des barres blanches. La phase liquide autour de ν̄ = 1/2 dans n = 1 n’est pas décrite dans les calculs ; il s’agit de l’état fractionnaire 5/2 (et 7/2) discuté dans la section 3.3.1. Autour de ν̄ = 1/2, on trouve la phase de rubans, tandis < ν̄ ∼ < 0, 4 (traits noirs, les chiffres indiquent le que les phases d’ı̂lots sont situées entre 0, 1 ∼ nombre M d’électrons par ı̂lot). Le régime de l’accrochage fort, qui est interprété comme < 0, 1. Cette valeur pour celui de la localisation individuelle d’électrons, se trouve à ν̄ ∼ ν̄ n’est pas universelle, mais dépend de la force du potentiel d’impuretés. De plus, les transitions entre phases d’ı̂lots de différents M sont couvertes par une phase mixte, comme il est décrit dans le texte. Les lignes pointillées séparent les régions déterminées par les arguments d’échelle, d RC , d ∼ RC et d RC . Comparaison des énergies dans n = 1, 2 et 3 125 application également dans le cas du modèle de FC polarisés de spin en interaction (6.52), en raison de l’auto-similarité discutée dans la section 6.2.3 ∗ – il suffit de tenir compte de la longueur magnétique de FC, lB → lB , et CF de remplacer l’interaction effective par celle entre FC, vn (q) → vs,p (q), pour décrire les phases quantiques de FC entre ν = p/(2sp + 1) et ν = (p + 1)/[2s(p+1)+1], à l’aide du facteur de remplissage partiel ν̄ ∗ de NL de FC. On peut ainsi décrire des cristaux et des rubans de FC et leur compétition avec des liquides incompressibles, interprétés en termes de deuxième génération de FC [80]. 126 Phases quantiques dans les NL élevés Chapitre 8 Spin et effet Hall quantique – ferromagnétisme à ν = 1 Jusqu’à présent, nous avons négligé toutes les questions liées au spin des électrons, et nous nous sommes contentés de constater que l’effet Zeeman sépare chaque NL en deux branches de spin, avec un gap ∆z (voir figure 4.1). Dans cette image, il n’y aurait donc pas de différence entre l’EHQE à ν = 2n (toutes les deux branches remplis) et celui à ν = 2n + 1 (seulement la branche de spin inférieure remplie) – dans les deux cas, l’effet serait dû à la localisation des électrons supplémentaires, avec la seule différence que le gap n’est pas le même. En effet, comme ∆z ' h̄ωC /70, les deux branches de spin ne sont pas résolues dans le cas de champs magnétiques faibles, où l’on n’observe que l’EHQE à ν = 2n. Dans ce cas, le système se comporte donc comme si chaque état |n, mi était doublement dégénéré, avec |n, m; σi (σ =↑, ↓). Même cette image s’avère incorrecte parce qu’il faut également tenir compte des interactions entre électrons à ν = 2n + 1, ce qui donne lieu à une nouvelle forme de magnétisme quantique, qui est le sujet de ce chapitre. 8.1 Pertinence des interactions à ν = 1 On commence par une discussion des différentes échelles d’énergie. Notons d’abord que, comme la quantification en NL concerne les degrés de liberté orbitaux, la masse qui intervient dans la séparation entre NL h̄eB/mb est la masse de bande, mb = 0, 068m pour GaAs en termes de masse nue m de l’électron. Cette dernière détermine le gap de Zeeman ∆z = gh̄eB/m, car 127 128 Spin et effet Hall quantique – ferromagnétisme à ν = 1 l’effet Zeeman concerne le spin des électrons, un degré de liberté interne. De plus la facteur g effectif pour GaAs est g = −0, 4, ce qui fait que le gap de Zeeman est d’un facteur 70 environ plus petit que la séparation entre NL, comme on l’a indiqué plus haut. En température, le gap Zeeman est ∆z = 0, 33B[T]K, tandis que la séparation entre NL est h̄ωC = 24B[T]K, en fonction du champ magnétique en unités de Tesla. En revanche, l’énergie p 2 caractérstique de l’interaction coulombienne est e /lB = 50 B[T]K. Pour un champ de 6T, ce qui correspond à peu près au remplissage ν = 1, on trouve donc ∆z ' 2K e2 /lB ' 120K < h̄ωC ' 140K. On remarque donc que les interactions, qui sont du même ordre de grandeur que la séparation entre NL, sont plus pertinentes que le gap de Zeeman. Il faut donc en tenir compte lorsqu’on discute les phénomènes liés au spin des électrons, notamment à ν = 1, ce qui nous intéressera plus particulièrement dans la suite de ce chapitre. En première instance, il faut comprendre pourquoi on observe un EHQE à ce remplissage – comme le gap de Zeeman est tellement petit, chaque état est presque dégénéré, et l’on s’attendrait donc à une dégénérescence macroscopique à ν = 1, au niveau du hamiltonien cinétique. De la même manière que dans le cas de l’EHQF, les interactions sont à l’origine de cette levée de dégénérescence, et l’on se trouve donc face à la situation peu intuitive que l’EHQE à ν = 1 devrait plutôt être vu comme un EHQF particulier. 8.1.1 Fonctions d’onde Commençons par une fonction d’onde à deux particules avec un spin 1/2 à ν = 1. Pour la partie oritale, nous avons à notre disposition les fonctions d’onde à une particule, mis à part la gaussienne et le facteur de normalisation, φm (z) = z m , avec m = 0, 1 dans la jauge symétrique (2.28). Quant à la partie de spin de la fonction d’onde, le couplage de deux√spin 1/2 donne un singulet anti-symétrique, |S = 0, M = 0i = (| ↑↓i−| ↓↑)/ 2, et un triplet symétrique √ |S = 1, M i, avec |S = 1, M = 1i = | ↑↑i, |S = 1, M = 0i = (| ↑↓i+| ↓↑i)/ 2 et |S = 1, M = −1i = | ↓↓i. Pour une interaction invariante sous SU(2), comme c’est le cas pour l’interaction coulombienne, le spin total est un bon nombre quantique. Comme la fonction d’onde à deux particules doit être anti-symétrique, nous avons ψS=0 (z1 , z2 ) = φs (z1 , z2 ) ⊗ |S = 0, M = 0i ψS=1 (z1 , z2 ) = φa (z1 , z2 ) ⊗ |S = 1, M i, et Pertinence des interactions à ν = 1 129 avec φs (z1 , z2 ) = z10 z21 + z20 z11 = z1 + z2 et φa (z1 , z2 ) = z10 z21 − z20 z11 = z1 − z2 . On remarque que le deuxième choix avec une fonction d’onde orbitale anti-symétrique est favorable pour une interaction répulsive de suffisamment courte portée, comme c’est le cas pour l’interaction coulombienne. C’est l’origine du couplage ferromagnétique que l’on rencontre également dans les métaux. La généralisation à N particules à ν = 1 donne (lB ≡ 1) ψ({zi }) = φν=1 ({zi }) ⊗ ψs ({θm , ϕm }), (8.1) avec la fonction d’onde de Laughlin (4.20) à ν = 1 pour la partie orbitale, Y P 2 φν=1 ({zi }) = (zi − zj )e− k |zk | /4 (8.2) i<j et la fonction d’onde de spin Y θm −iϕm /2 † θm iϕm /2 † |ψs ({θm , ϕm })i = cos e em,↑ + sin e em,↓ |0i, 2 2 m (8.3) où e†m,σ crée un électron dans l’état |n = 0, m; σi. Nous avons choisi la paramétrisation en termes de deux angles θm et ϕm , qui respecte la normalisation |σi = u| ↑i + v| ↓i avec |u|2 + |v|2 = 1, pour faire le lien entre la description SU(2) et O(3) du groupe des rotations et pour pouvoir introduire immédiatement le champ d’aimentation sin θm cos ϕm n(m) = sin θm sin ϕm , (8.4) cos θm qui nous servira à décrire les degrés de liberté de basse énergie dans le cadre du modèle effectif (section 8.3). Notons que θm = 0 pour tout m donne un état complètement polarisé de spin | ↑, ↑, ... ↑i, avec un nombre quantique M = N/2 décrivant la projection du spin total S sur l’axe de quantification. Cela nécessite que le nombre quantique du spin total doit être maximal, S = N/2, car M ≤ S. Les autres états, avec −N/2 ≤ M ≤ N/2 [ψs ({θm , ϕm }), avec θm et ϕm arbitraires], sont obtenus à partir de celui-ci à l’aide du groupe des rotations dans sa réprésentation SU(2), ce qui est le sens de l’équation (8.3). 130 Spin et effet Hall quantique – ferromagnétisme à ν = 1 EF EF EF t Fig. 8.1 – Ferromagnétisme caractéristique des métaux. La branche de spin ↑ est remplie jusqu’à un niveaux de Fermi EF↑ qui ne coı̈ncide pas avec celui, EF↓ , de la branche de spin ↓. Il y a par conséquent une aimentation m = (N↑ − N↓ )/(N↑ + N↓ ) par particule. Le paramètre t caractérise la largeur de bande. 8.1.2 Comparaison avec le ferromagnétisme dans les métaux Avant de discuter les particularités de ce ferromagnétisme quantique à ν = 1, on rappelle brièvement celui des métaux. Schématiquement, les deux branches de spin de la bande de conduction (de largeur t) ne sont pas remplies de la même manière : le niveaux de Fermi EF↑ de la branche ↑ est, e.g., supérieure à celui, EF↓ , de la branche ↓ (figure 8.1). L’aimentation par particule est donc m = (N↑ − N↓ )/(N↑ + N↓ ), où Nσ est le nombre de particules de spin σ. De la même manière que dans le cas du ferromagnétisme à ν = 1 dans les systèmes à effet Hall quantique, on s’attend à ce que le ferromagnétisme se manifeste dans les métaux, car l’antisymétrie de la fonction d’onde orbitale à N particules abaisse l’énergie pour une répulsion coulombienne. Or un développement limité montre que la polarisation de spin est associée à un coût en énergie cinétique qui est proportionnel au carré de la différence entre les énergies de Fermi, ∆Ecin ∝ (EF↑ − EF↓ )2 > 0. Cette énergie contrebalance le gain en énergie dû à l’abaissement de la répulsion coulmbienne, et la polarisation de spin n’est donc pas complète dans les métaux. La situation du ferromagnétisme quantique à ν = 1, sous fort champ 8.2. STRUCTURE ALGÉBRIQUE DU MODÈLE AVEC SPIN 131 magnétique, est différente : dû à la quantification en NL de l’énergie cinétique, toutes les excitations dans le même niveau couplent des états de même énergie cinétique et la polarisation de spin ne s’accompagne pas d’un coût en cette énergie. Le système cherche donc l’état qui minimise la répulsion coulombienne, ce qui est le cas lorsque la fonction d’onde orbitale est parfaitement antisymétrique, et les spins sont donc complètement polarisés. Comparé au cas des métaux, ce serait la limite où la largeur de bande devient infiniement petite, t → ∞. 8.2 Structure algébrique du modèle avec spin Dans cette section, nous généralisons le modèle d’électrons restreints à un seul NL, introduit dans la section 4.1, au cas avec un degré de liberté interne SU(2). Dans le cas du spin physique, l’interaction est invariante sous une transformation SU(2), mais on considère pour le moment une interaction plus 0 générale (dans le plus bas NL)1 v0σσ (q). Dans le cas d’une symétrie de rotation globale, on a v0↑↑ (q) = v0↓↓ (q) et v0↑↓ (q) = v0↓↑ (q). Cette forme de l’interaction, qui brise la symétrie SU(2), nous sera utile dans le chapitre suivant, où l’indice de couche dans le cas d’un système à bicouche est représenté par un isospin s = 1/2, avec | ↑i pour un état dans la couche supérieure et | ↓i pour la couche inférieure. Le hamiltonien d’interaction s’écrit ainsi H= 1 X X σ,σ0 v (q)ρ̄σ (−q)ρ̄σ0 (q), 2 0 q 0 (8.5) σ,σ où2 ρ̄σ (q) = X fm,m0 (q)e†m,σ em0 ,σ (8.6) m,m0 est la densité d’électrons de spin σ projetée au plus bas NL, avec fm,m0 (q) = hm|f (q)|m0 i étant l’élément de matrice de l’opérateur de densité projetée à une particule f (q) = exp(−iq·R), en première quantification [voir l’équation 1 Comme on l’a vu à plusieurs reprises, le potentiel d’interaction dans un NL n arbitraire s’obtient en remplaçant la gaussienne par le facteur de forme (4.12), exp(−q 2 /2) → [Fn (q)]2 , dans l’expression du potentiel effectif. 2 Nous omettons l’indice n = 0 pour le plus bas NL dans les opérateurs électroniques, pour aléger la notation. 132 Spin et effet Hall quantique – ferromagnétisme à ν = 1 (4.7)]. La densité totale d’électrons s’écrit donc ρ̄(q) = ρ̄↑ (q) + ρ̄↓ (q) XX = fm,m0 (q)δσ,σ0 e†m,σ em0 ,σ0 , (8.7) σ,σ 0 m,m0 où δσ,σ0 représente l’identité & 2×2 . Par rapport au cas sans degré de liberté interne, on a donc obtenu la densité électronique en remplaçant f (q) → f (q) ⊗ & 2×2 ∼ fm,m0 (q) ⊗ δσ,σ0 , où la partie à droite est la représentation matricielle qui intervient en deuxième quantification. De la même manière, on trouve les densités de spin en remplaçant l’identité par les générateurs de SU(2), S µ = τ µ /2, où τ µ est une matrice de Pauli habituelle,3 avec [τ µ , τ ν ] = 2iµνσ τ σ et (τ µ )2 = & . On définit f µ (q) = f (q) ⊗ S µ , (8.8) et les densités de spin s’écrivent donc, en deuxième quantification, XX † µ S̄ µ (q) = fm,m0 (q) ⊗ Sσ,σ 0 em,σ em0 ,σ 0 (8.9) σ,σ 0 m,m0 Rappelons que, dans le cas sans degré de liberté interne, la structure algébrique s’obtient à l’aide de l’équation (4.13) sur la base des règles de commutation en première quantification 0 [f (q), f (q )] = 2i sin q ∧ q0 2 0 0 f (q+q ) → [ρ̄(q), ρ̄(q )] = 2i sin q ∧ q0 2 ρ̄(q+q0 ), et de la même façon, on a à calculer [S̄ µ , ρ̄(q0 )] et [S̄ µ (q), S̄ ν (q)], à l’aide de [f µ (q), f ν (q0 )] = f (q)f (q0 ) ⊗ S µ S ν − f (q0 )f (q) ⊗ S ν S µ (8.10) 1 = ([f (q), f (q0 )] ⊗ {S µ , S ν } + {f (q), f (q0 )} ⊗ [S µ , S ν ]) 2 3 Les indices grecs signifient les trois orientations de l’espace 3D x, y et z. Comme l’espace est euclidien, on ne distingue pas entre vecteurs co- et contravariants, et la sommation d’Einstein sur des indices répétés est sousentendu. Le symbole µνσ est le tenseur antisymétrique, qui vaut 1 pour {µ, ν, σ} = {x, y, z} et toute permutation cyclique, −1 pour les autres permutations, et 0 si un indice intervient plus d’une fois. Structure algébrique du modèle avec spin 133 et [f µ (q), f (q0 )] = [f (q), f (q0 )] ⊗ S µ . On a ici (8.11) q ∧ q0 [f (q), f (q )] = 2i sin f (q + q0 ), 2 q ∧ q0 0 {f (q), f (q )} = 2 cos f (q + q0 ) 2 0 et [S µ , S ν ] = iµνσ S σ , 1 µν δ , {S µ , S ν } = 2 ce qui donne q ∧ q0 [ρ̄(q), ρ̄(q )] = 2i sin ρ̄(q + q0 ), (8.12) 2 q ∧ q0 µ 0 [S̄ (q), ρ̄(q )] = 2i sin S̄ µ (q + q0 ) et (8.13) 2 q ∧ q0 q ∧ q0 δ µν 0 µνσ µ ν 0 sin ρ̄(q + q ) + i cos S̄ σ (q + q0 ). [S̄ (q), S̄ (q )] = i 2 2 2 (8.14) 0 Les équations (8.12)-(8.14) sont l’extension SU(2) de l’algèbre des translations magnétiques (4.16) et complètent le hamiltonien (8.5), qui s’écrit sous la forme X 1X H= vSU (2) (q)ρ̄(−q)ρ̄(q) + 2 vsb (q)S̄ z (−q)S̄ z (q), (8.15) 2 q q avec les potentiels i 1 h ↑↑ vSU (2) (q) = v0 (q) + v0↑↓ (q) 2 i 1 h ↑↑ v0 (q) − v0↑↓ (q) . 2 (8.16) Le premier terme du hamiltonien (8.15) est invariant sous une transformation de SU(2) tandis que le deuxième représente une brisure explicite de SU(2), qui n’est pertinente que dans le cas v0↑↑ (q) 6= v0↑↓ (q). Dans la suite de ce chapitre, et vsb (q) = 134 Spin et effet Hall quantique – ferromagnétisme à ν = 1 on traite le ferromagnétisme du spin physique, et comme l’interaction ne distingue pas entre électrons de spin différent, on préserve la symétrie SU(2), mis à part le terme de Zeeman gh̄eB z S̄ (q = 0), m qui est petit comme on l’a vu dans la section 8.1. Notons une propriété remarquable de l’équation (8.13) : en raison de la non commutativité entre la densité de spin et la densité de charge, leurs dynamiques sont nécessairement intriquées. Cette propriété inhabituelle est due à la projection de la dynamique des particules à un seul NL, ce qui a pour conséquence que les opérateurs de densité de charge ne commutent pas à des vecteurs d’onde non parallels [équation (8.12)]. L’intrication spin-charge dans le cas du ferromagnétisme dans les NL sera étudiée plus en détail dans la section suivante. HZ = 8.3 Modèle effectif Nous distingons deux excitations de spin d’un état ferromagnétique quantique O(3) : (a) les ondes de spin (magnons) [figure 8.2(a)] et (b) les textures de spin avec une charge topologique non nulle (skyrmions) [figure 8.2(b)]. Tandis que les ondes de spin sont un mode de Goldstone, dont l’énergie tend vers zéro dans la limite de grandes longueurs d’onde, les skyrmions ne peuvent être localement déformés afin de relier leur texture au secteur de l’état fondamental – ce sont des objets topologiquement stables, classifiés par un entier que l’on appelle la charge topologique. Pour des raisons de plus grande simplicité, considérons le cas d’une excitation topologique dans un ferromagnétique 2D dont les spins sont contraints au plan xy (modèle xy). Dans ce cas, une excitation topologique est un défaut de type vortex du champ de spin qui est caractérisé par le nombre de fois que le spin tourne par 2π lorsqu’on considère un chemin fermé autour de la position du défaut (figure 8.3). Ce nombre est précisément la charge topologique, qui ne dépend pas de la forme du chemin mais seulement de sa classe d’homotopie. Il s’agit des applications du cercle S 1 , qui représente le chemin dans le plan 2D autour du défaut à caractériser, sur le cercle S 1 , qui représente l’orientation du spin. Les classes d’homotopie – les applications que l’on peut déformer continuement entre elles – sont classifiées par le groupe fondamental, π1 (S 1 ) = . , et la charge topologique est exactement un élément Q ∈ . . Modèle effectif (a) 135 z y x (b) z y x Fig. 8.2 – Excitations de l’état ferromagnétique O(3). (a) Ondes de spin (magnons). Une telle excitation se déforme continuement en l’état fondamental ferromagnétique (spin gras), comme on le voit sur la sphère de Bloch (à gauche) représentant les orientation des spin – le chemin gris se déforme ainsi en un point. (b) Skyrmion avec charge topologique non nulle. L’excitation consiste en un spin retourné à l’origine du défaut, r = 0, et regagne l’état ferromagnétique lorsque |r| → ∞. Contrairement aux ondes de spin, les spin dans cette excitation explorent toute la surface de Fermi et ne se transforment pas en le spin « majoritaire » (spin gras) par une transformation continue. 136 Spin et effet Hall quantique – ferromagnétisme à ν = 1 Q = −1 Q=1 Fig. 8.3 – Excitation topologique dans le modèle xy. La charge topologique Q est donnée par le nombre de fois que tourne un spin par 2π lors d’un tour sur un chemin (courbe grise) autour du défaut (point noir). Gauche : excitation topologique de charge Q = 1 – les spin tournent dans le même sens que le chemin (indiqué par la flèche grise). Droite : excitation topologique de charge Q = −1. Le ferromagnétisme 2D, avec des spin orientés dans toutes les directions de l’espace 3D, est un peu plus compliqué, car le tour sur un chemin très éloigné du défaut ne passe éventuellement que par des spins alignés dans la même direction – le skyrmion ne serait donc pas « visible » sur ce chemin. Dans ce cas, il faut plutôt étudier les applciations de la sphère S 2 , qui représente par projection stéréographique le plan xy dans lequel se trouvent les chemins, à la sphère de Bloch S 2 pour les orientations du spin en 3D. De la même manière que pour les applications S 1 → S 1 , les applications S 2 → S 2 que l’on peut déformer de façon continue sont classifiées par un groupe d’homotopie, π2 (S 2 ) = . , et les secteurs topologiques sont à nouveau caractérisés par une charge topologique, Q ∈ . , qui est un entier. Les ondes de spin se déforment de manière continue en l’état fondamental ferromagnétique et font donc partie du secteur topologique de charge Q = 0, tandis que les skyrmions portent une charge topologique Q 6= 0 (figure 8.2). De manière générale, un état de texture de spin |ψ[n(r)]i peut s’obtenir à partir du champ d’aimentation O(3) n(r) à l’aide des générateurs (8.9) de l’algèbre des translations magnétiques avec un degré SU(2) interne, i.e. à l’aide des opérateurs de densité de spin S̄ µ (q) [81], " # X µ |ψ[n(r)]i = exp −i Ω−q S̄ µ (q) |ψF M i, (8.17) q Modèle effectif 137 où |ψF M i est l’état ferromagnétique (8.1), avec une aimentation uniforme que l’on choisit selon l’axe z (axe de quantification). Les fonctions Ωµq qui interviennent dans l’expression (8.17) sont, à un échange de l’axe x et y près, les transformées de Fouriers de n(r), X Ω(r) = Ωq e−ir·q = ez × n(r). (8.18) q Cet état ressemble à un état cohérent [voir section 2.2.2, notamment l’équation (2.34)]. Un développement en série de Hausdorff [équation (5.17)] de l’opérateur S̄ µ (q) transformé donne eiŌ S̄ µ (k)e−iŌ = S̄ µ (k) + δSkµ , où l’on a défini Ō = P q (8.19) Ωµ−q S̄ µ (q) et 1 δSkµ = i Ō, S̄ µ (k) − Ō Ō, S̄ µ (k) + ... 2 (8.20) Cette série fournit, en raison des règles de commutation (8.13) et (8.14), des opérateurs au lieu d’une grandeur scalaire, comme c’est le cas pour un état cohérent discuté dans la section 2.2.2. Le déplacement de l’aimentation est approximatif lorsqu’on prend des valeurs moyennes sur l’état ferromagnétique hS x (r)i = hS y (r)i = 0, hS z (r)i = nel /2, et l’on ne tient compte du développement en série de Hausdorff qu’à l’ordre deux. On trouve ainsi pour l’aimentation d’un état de texture de spin (8.17) S µ [n(r)] = hS µ (r)i + hδS µ (r)i = nel µ n (r), 2 comme on s’y attend pour un champ d’aimentation O(3). Cela explique aussi le choix des fonction Ω(r) [équation (8.18)]. Le calcul qui aboutit à cette expression pour l’aimentation moyenne n’est pas donné explicitement ici, mais il s’effectue de la même manière que celui pour la densité de charge induite par la texture de spin, qui sera présenté en détail dans la section suivante. 8.3.1 Intrication spin-charge Pour mieux comprendre l’intrication spin-charge, que l’on a déjà introduite dans la discussion de la structure algébrique du modèle (section 8.2), 138 Spin et effet Hall quantique – ferromagnétisme à ν = 1 on calcule la modification de la densité de charge dans l’état de texture de spin (8.17) par rapport à l’état ferromagnétique de densité homogène, δρq ≡ heiŌ ρ̄(q)e−iŌ i − hρ̄(q)i ' i Ō, ρ̄(q) − 1 Ō, Ō, ρ̄(q) , (8.21) 2 où les moyennes sont défini par rapport à l’état fondamental ferromagnétique |ψF M i avec une aimentation orientée dans la direction z. Les moyennes se calculent à l’aide des règles de commutation (8.12)-(8.14) et hρ̄(q)i = nel δq,0 et n el hS̄ µ (q)i = δ µz δq,0 . 2 (8.22) (8.23) On trouve donc X µ Ō, ρ̄(q) = Ω−k S̄ µ (k), ρ̄(q) k = 2i X sin k ⇒ Ō, ρ̄(q) = 0, k∧q 2 Ωµ−k S̄ µ (q + k) car l’argument du sinus s’annule pour q k k, et X Ō Ō, ρ̄(q) = 2i sin k,k0 k∧q 2 h 0 i 0 Ωµ−k0 Ωµ−k S̄ µ (k0 ), S̄ µ (q + k) 0 k∧q k ∧ (q + k) µ0 µ µµ0 Ω−k0 Ω−k δ sin ρ̄(q + k + k0 ) = − sin 2 2 k,k0 0 k ∧ (q + k) µ0 µν ν 0 + 2 cos S̄ (q + k + k ) , 2 X et pour la moyenne X 0 Ō Ō, ρ̄(q) = −nel µ µz sin k k∧q 2 0 Ωµk+q Ωµ−k . Modèle effectif 139 On obtient donc, avec ν = 2πnel , pour la modification de la densité de charge (8.21) 0 ν X µ0 µz k∧q δρq = sin Ωµk+q Ωµ−k 4π k 2 0 −ν X µ0 µz (q ∧ k)Ωµk+q Ωµ−k ' 8π k 0 −ν X µ0 µz = [i(k + q)] Ωµk+q ∧ (−ik)Ωµ−k , (8.24) 8π k où l’on a développé le sinus dans la deuxième ligne, ce qui signifie une approximation de grande longueur d’onde, i.e. une modulation de la densité de spin qui varie lentement dans l’espace. La transformation de Fourier dans l’espace réel donne le résultat plus compact −ν µ0 µz (2) µ0 ∇ Ω (r) ∧ ∇(2) Ωµ (r) 8π −ν ij n(r) · [∂i n(r) × ∂j n(r)] , (8.25) = 8π où les indices romains, {i, j} = {x, y}, indiquent les coordonnées de l’espace 2D – à ne pas confondre avec les trois composantes du vecteur n(r) qui explore l’espace 3D du spin. Quand on compare le résultat (8.25) à la densité de charge topologique (indice de Pontryaguine) δρ(r) = 1 ij n(r) · [∂i n(r) × ∂j n(r)] , (8.26) 8π on s’aperçoit que la densité de charge électrique est proportionnelle à la dernière, δρ(r) = −νδρtop (r). La charge topologique s’obtient par intégration sur le plan de la densité Z (8.27) d2 r δρtop (r) = Q ∈ . , δρtop (r) = et la charge électrique d’une excitation topologique est donc e∗ = eνQ. (8.28) Notons que, de la même manière que pour la quasi-particule de Laughlin (section 4.2.1), une excitation de type skyrmion à ν = 1/(2s + 1) porte une charge électrique fractionnaire, e∗ = ±e/(2s + 1), pour |Q| = 1. Le lien avec la phase de Berry sera discuté dans la section 8.4. 140 8.3.2 Spin et effet Hall quantique – ferromagnétisme à ν = 1 Energie dans le modèle effectif Pour obtenir un modèle effectif en termes de champ d’aimentation O(3) n(r), il reste à calculer l’énergie de l’état (8.17), qui s’obtient de la même façon que sa modulation de charge, à l’aide d’un développement à grande longueur d’onde, 1 Ō, H − Ō, H + ... 2 0 1 X v0 (k)Ωµ−k0 Ωµ−k hCi, ' − 4 0 δE = i (8.29) q,q ,k où nous avons défini h 0 i h 0 n io C = 2 S̄ µ (q0 ), ρ̄(−k) S̄ µ (q), ρ̄(k) + ρ̄(−k), S̄ µ (q0 ), S̄ µ (q), ρ̄(k) 0 q ∧k q∧k 0 = 8 sin sin S̄ µ (q0 − k)S̄ µ (q + k) 2 2 0 q∧k q ∧ (q + k) µµ0 −δ sin ρ̄(−k), ρ̄(q0 + q + k) sin 2 2 0 q ∧ k q ∧ (q + k) 0 µ µσ ρ̄(−k), S̄ σ (q0 + q + k) . −2 sin cos 2 2 La moyenne de cette expression se calcule à l’aide du facteur de structure et de et 1 hρ̄(−q)ρ̄(q0 )i = δq,q0 s̄(q) nel (8.30) δ µz 1 µ 0 hρ̄(−q)S̄ (q )i = δq,q0 s̄(q) nel 2 (8.31) 0 1 µ δ µµ δ µz 0 hS̄ (−q)S̄ µ (q0 )i = δq,q0 s̄(q), nel 4 (8.32) ce qui donne hCi = 2nel δµ,µ0 δq,−q0 sin 2 q0 ∧ k 2 [s̄(q) − δ µz s̄(q + k)] . On trouve donc pour l’énergie (8.29) 0 nel X q ∧k 2 δE = − v0 (k)s̄(k) sin Ωµ−q Ωµq , 2 q,k 2 (8.33) 8.4. PHASE DE BERRY ET TRANSPORT ADIABATIQUE 141 et dans la limite de grande longueur d’onde, où l’on peut linéariser le sinus, on obtient le modèle sigma non linéaire O(3) Z ρS X ρS µ µ δE = (−iq)Ω−q (iq)Ωq = d2 r[∇n(r)]2 , (8.34) 2 q 2 avec la raideur de spin ν ρS = − 32π 2 qui vaut ρS = Z ∞ dkk 3 v0 (k)s̄(k), (8.35) 0 1 e2 √ 16 2π lB (8.36) à ν = 1, car s̄(k) = −1. On remarque donc que chaque variation de l’aimantation monte l’énergie par rapport à celle de l’état fondamental, qui est bien décrit par ∇n(r) = 0, i.e. un état ferromagnétique sans modulation de l’aimentation. La dispersion d’énergie à petit vecteur d’onde ω(q) ' ρS 2 q 2 (8.37) révèle le mode de Goldstone (onde de spin). Notons que la dispersion complète des ondes de spin peut se calculer à l’aide de l’approximation de phase aléatoire [82] ou par une technique de bosonisation adaptée aux ferromagnétisme dans les NL [83], ce qui donne r 2 q π e2 −q 2 /4 ω(q) = 1−e I0 , (8.38) 2 lB 4 en termes de fonction de Bessel modifiée I0 (x), et ce qui coı̈ncide avec l’expression (8.37) dans la limite q 1. 8.4 Phase de Berry et transport adiabatique On a décrit plus haut les défauts topologiques (skyrmions) de la phase ferromagnétique de Hall quantique en utilisant la théorie hamiltonienne et l’algèbre des commutateurs de densité projetée. A une texture de spin est associée une densité topologique de charge (la densité de Pontryaguine). 142 Spin et effet Hall quantique – ferromagnétisme à ν = 1 Les propriétés du groupe d’homotopie π2 (S 2 ) = . indiquent que la charge électrique associée à un défaut topologique de spin est un entier, en terme de la charge de l’électron. Nous allons voir dans ce chapitre que ce résultat est étroitement associé à la notion de phase de Berry [84] et de transport adiabatique en mécanique quantique. Soit un système quantique, décrit par un Hamiltonien HR qui dépend d’un ensemble de paramètres extérieurs contrôlables représentés par un le vecteur R. Par hypothèse, il existe un domaine de R ou le fondamental est partout séparé du premier état excité par une énergie finie. Quel est l’effet d’une variation lente des paramètres R(t) le long d’une boucle fermée dans l’espace des paramètres, pendant un intervalle de temps T ? On a R(0) = R(T ) (8.39) Si le parcours le long du circuit est suffisamment lent, de façon que h/T << ∆min o‘u ∆min est la valeur minimum de l’energie entre le fondamental et le premier état excité, l’état évolue adiabatiquement. Ceci signifie qu’à tout instant, le système reste dans l’état fondamental de l’Hamiltonien HR(t) . A chaque point R dans l’espace des paramètres est associé un ensemble complet de fonctions propres, (j) (j) (j) HR Ψ R = R Ψ R (8.40) La solution de léquation de Schrödinger dépendant du temps ih̄ ∂Φ(r, t) = HR(t) Φ(r, t) ∂t (8.41) est alors (0) Φ(r, t) = ΨR(t) (r)eiγ(t) e − h̄i Rt 0 dt0 0R(t0 ) + X (j) aj (t)ΨR(t) . (8.42) j6=0 Faire l’approximation adiabatique, c’est négliger la contribution des états excités représentés par le deuxième terme. A la limite d’une variation très lente de R(t) cela devient exact tant que l’énergie d’excitation reste finie. A ce stade, la seule inconnue est la « phase de Berry ». A première vue, cette dernière devrait être nulle puisque l’on revient adiabatiquement au point de départ. En fait, ce n’est pas toujours le cas. On trouve γ(t) en Phase de Berry et transport adiabatique 143 imposant à Φ(r, t) de vérifier l’équation de Schrodinger. Le membre de gauche de l’équation (8.41), si nous négligeons les aj (t) lorsque j > 0, devient i R t 0 (0) i ∂ ∂Φ(r, t) h (0) (0) µ iγ(t) − h̄ 0 dt R(t0 ) = −h̄γ̇(t) + R(t) Φ(r, t)+ih̄Ṙ Ψ (r) e e ih̄ . ∂t ∂Rµ R(t) (8.43) Le membre de droite de l’équation (8.41), avec la même approximation est (0) HR(t) Φ(r, t) = R(t) Φ(r, t) . (8.44) Nous utilisons la relation de complétude, X ∞ E ∂ ∂ (j) (0) (0) (j) ΨR(t) µ ΨR(t) . ΨR(t) ∂Rµ ΨR = ∂r j=0 (8.45) et l’équation (8.44) est vérifiée si (0) ∂ (0)R(t) µ . γ̇(t) = iṘ ΨR(t) µ Ψ ∂R (8.47) Là encore, l’approximation adiabatique permet de négliger la contribution des états excités si bien que l’équation (8.43) devient ∂Φ (j) ∂ (0) (0) µ = −h̄γ̇(t) + ih̄Ṙ ΨR(t) µ ΨR(t) + r(t) Φ , ih̄ (8.46) ∂t ∂R (0) (0) Grâce à la contrainte hΨR |ΨR i, on est assuré que γ̇ est réelle. Il est souvent possible de choisir γ̇(t) = 0. En fait, pour chaque R on a un ensemble différent de fonctions propres, et on peut choisir la phase du fondamental de façon arbitraire. Il s’agit d’une sorte de choix de jauge dans l’espace des paramètres : γ̇ et γ ne sont pas, dans ce sens, invariantes de jauge. Choisir γ̇ = 0 est alors un choix de jauge. L’apport de Berry a été de montrer que ce n’est pas toujours possible. Dans certains cas impliquant un circuit fermé dans l’espace des paramètres, la phase de Berry n’est pas nulle, et elle ne dépend pas du choix de jauge : elle est « invariante de jauge », I Z T (0) ∂ (0) µ . (8.48) γ̇dt = i dR ΨR µ ΨR γBerry ≡ ∂R 0 Γ Cette quantité est invariante de jauge parce que le système retourne au point de départ dans l’espace des paramètres, si bien que le choix arbitraire de la 144 Spin et effet Hall quantique – ferromagnétisme à ν = 1 phase est sans conséquence. C’est analogue au résultat de l’électrodynamique lorsque la circulation du potentiel vecteur sur une boucle fermée, égale au flux du champ magnétique, qui est invariant de jauge. En fait, il est utile de définir la connexion de Berry A dans l’espace des paramètres, (0) ∂ (0)R µ , (8.49) A (R) ≡ i ΨR µ Ψ ∂R d’où γBerry = I Γ dR · A(R) . (8.50) La phase de Berry est un objet purement géométrique, qui ne dépend pas de la vitesse Ṙµ (t). Elle ne dépend que du chemin décrit dans l’espace des paramètres. Il est souvent plus facile d’évaluer cette expression en utilisant le théorême de Stokes, puisque le rotationnel de A est invariant de jauge. Il n’est pas difficile de vérifier que dans le cas de l’électromagnétisme, A est le potentiel vecteur électromagnétique A, à un facteur multiplicatif près, q/h̄ (où q est la charge de la particule), q Aµ (R) = + Aµ (R) . h̄ (8.51) La phase de Berry pour un circuit traversé par un flux magnétique φb est I φb , (8.52) γBerry = dRµ Aµ = 2π φ0 où φ0 est le quantum de flux. Un deuxième exemple nous intéresse directement dans le cas du ferromagnétisme de Hall quantique. C’est le cas d’un spin quantique couplé à un champ magnétique, avec l’hamiltonien [36] H = −∆(t) · S . (8.53) L’intervalle d’énergie entre le fondamental et le premier état excité est h̄|∆|. Le circuit dans l’espace des paramètres doit donc éviter l’origine ∆ = 0 ou le spectre est dégénéré. Pendant l’évolution adiabatique du fondamental, on a E D ∆ (0) (0) . (8.54) Ψ S Ψ = h̄S ∆ ∆ |∆| Phase de Berry et transport adiabatique 145 Ainsi, si l’orientation de ∆ est définie par l’angle polaire θ et l’angle azimuthal φ, il en est de même pour hSi. Pour un spin S = 1/2, une base d’états pour décrire cela est cos 2θ |Φθ,φ i = . (8.55) sin θ2 eiφ En effet, on a bien θ θ hΦθ,φ |S |Φθ,φ i = h̄S cos − sin2 2 2 z 2 = h̄S cos θ (8.56) hΦθ,φ |S x + iS y |Φθ,φ i = Φθ,φ S + Φθ,φ = h̄S sin θeiφ . (8.57) et Quelle est la phase de Berry dans le cas d’une rotation lente de ∆ autour de l’axe ẑ , à θ constant ? Z 2/pi ∂ γBerry = i dφ Φθ,φ Φθ,φ ∂φ 0 Z 2π 0 θ θ dφ cos 2 sin 2 = i (8.58) i sin 2θ eiφ 0 Z 2π Z 2π X 1 = −S dφ(1 − cos θ) = −S dφ d cos θ 0 = −SΩ , 0 0 cos θ où Ω est l’angle solide sous-tendu par le chemin vu de l’origine de l’espace des paramètres. C’est exactement la phase de Aharonov-Bohm que l’on attend pour une particule de charge −S se déplaçant sur la surface de la sphère unité au centre de laquelle se trouverait un monopôle magnétique. C’est justement la dégénérescence du spectre à l’origine qui produit ce monopole [84]. La définition de la connexion A implique l’existence d’une singularité au pôle sud, θ = π. Une corde de Dirac (un solénoı̈de transportant un quantum de flux) est attaché au monopole. La singularité aurait été atachée au pôle Nord si nous avions choisi la base e−iφ |Φθ,φ i . (8.59) Pour reproduire correctement la phase de Berry dans une intégrale de chemin pour le spin dont le hamiltonien est donné par l’équation (8.53), le lagrangien doit être de la forme L = h̄S −ṁµ Aµ + ∆µ mµ + λ(mµ mµ − 1) , (8.60) 146 Spin et effet Hall quantique – ferromagnétisme à ν = 1 où m est la coordonnée du spin sur la sphère unité, λ est un multiplicateur de Lagrange qui impose le respect de la contrainte, et la connexion de Berry A vérifie ∇×A=m . (8.61) Ce lagrangien reproduit correctement les équations de la dynamique du spin qui décrivent sa précession. 8.4.1 Applications au magnétisme quantique – Dynamique de spin dans un champ magnétique Montrons qu’avec le Lagrangien trouvé ci dessus, on retrouve bien la dynamique quantique de spin dans un champ effectif. Écrivons les équations du mouvement, δL d δL = dt δ ṁµ δmµ (8.62) δL = −Aµ δ ṁµ (8.63) δL = −ṁν ∂µ Aν + ∆µ + 2λmµ , δmµ (8.64) ∆µ + 2λmµ = Fµν ṁν , (8.65) Using (8.60) we have et d’où et on a posé Fµν = ∂µ Aν − ∂ν Aµ . La section précédente sur la phase de Berry indique qu’il faut choisir Fµν = αµν mα , (8.66) ce qui équivaut à ∇m × A[m] = m. Les équations du mouvement deviennent alors ∆µ + 2λmµ = αµν mα ṁν . (8.67) En multipliant les deux membres de l’équation (8.67) par γβµ mβ , puis en appliquant aux deux membres de cette équation l’identité ναβ νλη = δαλ δβη − δαη δβλ , on obtient (∆ × m)γ = ṁγ − mγ (ṁβ mβ ) . (8.68) Phase de Berry et transport adiabatique 147 Le dernier terme est nul, à cause de la contrainte de longueur de m. On retrouve bien, à partir des équations de Euler-Lagrange, l’équation de précession du spin dans un champ magnétique. Il est instructif de comparer l’expression (8.60) au lagrangien d’une particule de masse m et de charge −e dans un champ magnétique de potentiel vecteur A, 1 (8.69) L = mẋµ ẋµ − eẋµ Aµ . 2 On voit ainsi que le lagrangien (8.60) équivaut à un lagrangien d’un objet de masse nulle et de charge −S, situé en m, se d’eplaçant sur la sphère unité contenant un monopole magnétique. Le terme Zeeman équivaut à un champ electrique constant −∆, qui soumet la particule à une force S∆. La force de Lorentz due au champ du monopole en traı̂ne la particule sur une orbite de latitude constante sur la sphère unité. L’absence de terme cinétique en ṁµ ṁµ dans le Lagrangien indique que la particule est de masse nulle, et occupe le plus bas niveau de Landau du champ monopolaire. 8.4.2 Application aux textures de spin Considérons un ferromagnétique avec une orientation locale statique du champ de spin m(r). lorsqu’un électron se déplace, on peut faire l’hypothèse que le fort champ d’échange force le spin électronique à suivre l’orientation locale m(r). Si l’électron a une vitesse ẋµ , le taux de variation locale de l’orientation locale de spin vu par l’électron est ṁν = ẋµ ∂x∂ µ mν . Ceci induit une phase de Berry non triviale en présence d’une texture de spin. En effet le lagrangien à une particule contient un terme supplémentaire de dérivé temporelle du 1er ordre, en plus de celui qui provient du couplage minimal champ-matière L0 = −eẋµ Aµ − h̄S ṁν Aν [m] . (8.70) Le premier terme est le couplage champ/matière, le deuxième est le terme qui donne naissance à la phase de Berry. On a pour ce dernier terme ∇m ×A = m. On peut ré-écrire ce terme en utilisant ṁν = ẋµ ∂x∂ µ mν , et on trouve alors L0 = −eẋµ (Aµ + aµ ), avec µ a = φ0 S ∂ ∂xµ Aν [m] , (8.71) (8.72) 148 Spin et effet Hall quantique – ferromagnétisme à ν = 1 où a est la connection de Berry, un potentiel vecteur qui ici s’ajoute au potentiel vecteur du champ magnétique. Le rotationnel de a ajoute donc un flux « de Berry » au flux du champ magnétique, b = αβ ∂aβ ∂xα = φ0 S αβ = φ0 Sαβ ∂ ∂xα ∂ ν m Aν [m] (8.73) β ∂x ∂ ∂mγ ∂Aν ∂ ∂ ν ν ν m A [m] + m . ∂xα ∂xβ ∂xβ ∂xα ∂mγ Le premier terme de la dernière équation est nul par symétrie, ce qui laisse ∂mν ∂mγ F νγ , (8.74) ∂xβ ∂xα 2 avec F µν = αµν mα . On a utilisé la symétrie ν ↔ γ dans le terme qui survit. En posant S = 1/2, on obtient b = φ0 Sαβ b = φ0 ρ̃, (8.75) avec 1 αβ abc a m ∂ α mb ∂ β mc 8π 1 αβ = m · (∂α m × ∂β m) . (8.76) 8π On reconnaı̂t dans l’expression (8.76) la densité topologique de Pontryaguine. Si maintenant, partant d’une aimantation uniforme, on déforme adiabatiquement l’aimantation uniforme du fondamental en une texture de spin, tout se passe du point de vue des degrés de liberté orbitaux comme si l’on injectait adiabatiquement un flux b(r). On sait que dans un état de Hall quantique est caractérisé par ρxx = ρyy = 0 et par ρxy = νh/e2 [voir l’équation (3.5)], cela associe (loi de Fraday) à la texture de spin une densité de charge −ν ρ̃. Comme la charge topologique du skyrmion est entière, Z Qtop = d2 rρ̃(r) ∈ . , ρ̃ ≡ la charge associée à un skyrmion de l’EHQ est δρ = −νe × (entier). Nous avons ainsi retrouvé, par le biais de la phase de Berry, le résultat obtenu plus haut par la méthode hamiltonienne et la manipulation de l’algèbre des commutateurs de densité (de spin ou de charge) projetés. Chapitre 9 Les bicouches d’effet Hall quantique 9.1 Introduction Nous avons vu dans les chapitres précédents l’importance des interactions coulombiennes, y compris pour le cas du remplissage ν = 1 du plus bas NL : même en l’absence de couplage Zeeman, les interactions coulombiennes stabilisent un ordre ferromagnétique, ce qui bouleverse le spectre des excitations. Au lieu d’un métal dégénéré de spin à ν = 1/2, on obtient un état de Hall quantique avec un gap. C’est un effet analogue qui se produit pour un système de bicouches couplées, chacune à ν = 1/2. Dans ce cas, le rôle du spin est joué par l’indice de bicouche [81, 86, 87]. Nous allons utiliser cette analogie avec les systèmes ferromagnétiques monocouche dans l’étude de la physique des systèmes de bicouches. Les techniques modernes d’Épitaxie par Jet Moléculaire (EJM) permettent depuis quelques années de fabriquer des gaz 2D électroniques avec un potentiel de désordre faible, et une très grande mobilité dans des structures de bicouches ou de multicouches[88]. Comme le montre la figure 9.1 une bi-couche est un sytème de deux gaz électroniques 2D organisés en plans parallèles éloignés d’une distance d comparable à la distance moyenne entre électrons d’une même couche (soit d ∼ 10nm ). Nous savons (voir le chapitre 8) que les corrélations sont particulièrement importantes à fort champ, lorsque tous les électrons sont dans le plus bas NL, car aucun effet cinétique ne s’oppose à la polarisation ferromagnétique. L’EHQF résulte de la formation d’une 149 150 Les bicouches d’effet Hall quantique W W 2t d Fig. 9.1 – Profil schématique du bord de la bande de conduction pour un sytème de bicouche d’électrons bi-dimensionnels. L’ordre de grandeur caractéristique des largeurs des puı̂ts quantiques est W ∼ d ∼ 10nm. Un présence d’un terme tunnel t, la bande se sépare en une branche liante et anti-liante, avec une séparation de ∆SAS = 2t. bande d’énergie interdite entre le fondamental et les excitations chargées de plus basse énergie, produisant un état incompressible. La théorie prédit que pour certains remplissages du plus bas NL, ces bandes interdites apparaissent lorsque les interactions inter-couches sont suffisantes [15, 89]. Ces prédictions ont été vérifiées par l’expérience [90]. Plus récemment, [91], la théorie a prédit que les corrélations intercouches pouvaient induire des états à symétrie brisée inhabituels, avec une cohérence de phase inter-couches d’un type nouveau. Cette cohérence de phase apparaı̂t alors que les deux couches sont isolées l’une de l’autre, sauf par leurs interactions coulombiennes. Il s’agit là d’une superfluidité excitonique, qui est la réalisation inattendue, dans le contexte des bi-couches, de la superfluidité excitonique prédite dans les semiconducteurs 3D depuis 1962, poursuivie depuis sans succès expérimental indiscutable [92, 93], et finalement observée de manière spectaculaire dans les bi-couches d’effet Hall quantique [81, 86, 87, 94, 95, 96, 97, 98]. 9.2. ANALOGIE DE PSEUDO-SPIN 9.2 151 Analogie de pseudo-spin On va supposer que l’effet Zeeman est suffisant pour saturer complètement le « vrai » spin, si bien que ce dernier ne joue plus aucun rôle. On attribue à chaque couche un indice de « pseudo-spin », ↑ ou + pour la couche supérieure et ↓ ou − pour la couche inférieure. Dans la situation qui nous intéresse, on a ν↑ + ν↓ = 1. Un état possédant une cohérence de phase entre couches, avec un alignement ferromagnétique de pseudo-spin, dans une direction définie par l’angle polaire θ, et l’angle azimuthal φ, s’écrit, dans la jauge de Landau, [voir aussi l’équation (8.3)] Y θ † θ iφ † |ψi = cos ck↑ + sin e ck↓ |0i . (9.1) 2 2 k Dans l’état décrit par cette fonction d’onde, chaque état k est occupé par un électron, avec une amplitude cos(θ/2) pour être dans la couche ↑ [et une amplitude sin(θ/2) exp(iφ) pour la couche ↓]. Physiquement, le rapport des amplitudes tan(θ/2) peut être modifié en appliquant une tension entre les couches, pour en charger une au détriment de l’autre, l’occupation totale de chaque état restant égale à 1. Rappelons qu’un état k, dans la jauge de 2 . Nous distinguons les Landau, appartient à un centre de guidage Xk ≡ klB cas suivants : Spins suivant l’axe z. Pour θ = 0 cette fonction d’onde décrit un alignement des pseudo-spins suivant l’axe ẑ, |ψz i = Πk c†k,↑ |0i = Πi<j (zi − zj ) |↑, ↑, ... ↑i . Le choix θ = 0 décrit donc une situation où toutes les particules de la bicouche sont sur la couche supérieure ↑. Spins suivant l’axe x̂. On a θ = π/2, φ = 0, ce qui donne l’état ( † ) ck↑ + c†k↓ √ |ψx i = Πk |0i . 2 Manifestement cette fonction d’onde, qui décrit une superposition symétrique d’états électroniques dans les deux couches, doit abaisser l’énergie de la bicouche, par rapport au cas θ = 0, dès lors que l’interaction coulombienne 152 Les bicouches d’effet Hall quantique inter-couches est prise en compte, comme nous le verrons plus bas, et que les deux couches sont au même potentiel. Spins alignés suivant un axe quelconque dans le plan xy. Dans ce cas, nous avons θ = π/2, φ 6= 0 et donc ( † ) ck↑ + eiφ c†k↓ √ |ψxy i = Πk |0i . 2 Cet état, comme l’état précédent, décrit une superposition symétrique d’états d’amplitude égale dans chaque couche, mais la direction de l’aimantation résultante a subi une rotation d’un angle φ par rapport à l’axe x. Dans tous les cas, l’occupation totale de chaque état k est 1, mais l’indice de couche pour chaque électron est indéterminé, sauf lorsque θ = 0. L’amplitude pour qu’un électron soit dans la couche ↑ est cos θ/2, et l’amplitude pour qu’il soit dans la couche ↓ est eiφ sin θ/2. Un choix plus général consiste à prendre θ 6= π/2 ou 0. Le poids total reste, bien évidemment, égal à 1, en raison de sin2 (θ/2) + cos2 (θ/2) = 1. L’état avec θ 6= π/2 peut décrire une différence de densité électronique entre les deux couches, dûe, par exemple, à l’application d’une tension entre couches. Même en l’absence de processus tunnel entre couches, la mécanique quantique (le principe de superposition) permet de décrire la possibilité d’une amplitude simultanée de présence dans les deux couches. Dans le cas des vrais spins d’une monocouche à ν = 1, on a vu dans le chapitre précédent que, l’interaction coulombienne ne dépendant pas explicitement du spin, le couplage ferromagnétique, dû à l’échange, ne brise pas la symétrie SU(2) de l’Hamiltonien lorsque le couplage Zeeman est nul. Il n’en est plus de même dans le cas de la bicouche. 9.3 Différences avec le cas de la monocouche ferromagnétique Quelles sont les différences principales entre la physique des bi-couches à ν↓ = ν↑ = 1/2 et celle de la monocouche à ν = 1 ? Lorsque les deux couches sont éloignées l’une de l’autre (d/lB 1) les interactions entre les électrons d’une couche et ceux de l’autre sont négligeables. Dans ce cas, chaque couche a une occupation ν = 1/2, et on a deux quanta Différences avec le cas de la monocouche ferromagnétique 153 de flux par électron. Une construction de FC (voir les chapitres 4 à 6 et la référence [12]), attachant deux vortex à chaque électron, aboutit à un problème de fermions dans un champ effectif B ? = 0. On a donc un métal, ou les FC s’organisent en un liquide de Fermi étrange, à surface de Fermi circulaire, où chaque fermion porte un dipôle [46]. Ce n’est pas l’objet de ce cours, mais c’est un objet très intéressant. En tous cas il y a un continuum d’excitations trou-particules autour du niveau de Fermi, et donc pas d’EHQ. A une distance comparable à la longueur magnétique, soit d ∼ lB , les interactions coulombiennes intra-couches et inter-couches sont différentes, quoique comparables, notamment si d → 0, où elles ne sont plus différentes. En utilisant l’analogie de pseudo-spin, le hamiltonien d’interaction s’écrit [voir l’équation (8.5) du chapitre précédent] Hcoul = 1 X X σ,σ0 v (q)ρ̄σ (q)ρ̄σ0 (−q). 2 0 q 0 (9.2) σ,σ On a donc v0↑↑ (q) = v0↓↓ (q) ≡ v A (q) v0↑↓ (q) = v0↓↑ (q) ≡ v E (q) où v A (q) [v E (q)] est la transformée de Fourier par rapport aux coordonnées planaires de l’interaction intra-couche [inter-couches] entre deux électrons. En négligeant l’épaisseur des couches, on a v A (q) = (2πe2 /q) exp(−q 2 /2) et v E (q) = e−qd v A (q). En posant vSU (2) (q) = [v A (q) + v E (q)]/2 et vsb (q) = [v A (q) − v E (q)]/2, on peut séparer l’Hamiltonien d’interaction en une partie indépendante du pseudo spin, avec v0 (q), et une partie qui en dépend, comme on l’a vu dans les équations (8.15) et (8.16) du chapitre précédent. On trouve alors H= X 1X vSU (2) (q)ρ̄(−q)ρ̄(q) + 2 vsb (q)S̄ z (−q)S̄ z (q), 2 q q (9.3) avec S̄ z (q) = [ρ̄↑ (q) − ρ̄↓ (q)]/2. Noter que H, S̄ µ 6= 0 pour µ = x, y, en raison du deuxième terme qui brise la symétrie SU(2). Comme, à séparation finie entre les couches, on a v A (q) > v E (q), pour tout vecteur d’onde, le deuxième terme dans l’équation (9.3) crée un plan de facile aimantation perpendiculaire à ẑ, dans le plan de la bicouche. La symétrie de pseudo-spin est réduite de SU(2) à U(1). 154 Les bicouches d’effet Hall quantique Une troisième différence avec la monocouche à ν = 1 provient du terme tunnel inter-couches. Ce terme est de la forme t X † T = − ck,↑ ck,↓ + c†k,↓ ck,↑ (9.4) 2 k X = −t S̄kx (9.5) k et agit comme un pseudo-champ magnétique suivant l’axe x. Il stabilise l’orientation du pseudo-spin dans la direction x. En effet la combinaison symétrique √ des états de chaque puits de potentiel correspond au spineur ψl = (1, 1)/ 2 (états √ liants). La direction −x correspondrait à un état antiliant, ψa−l = (1, −1)/ 2 Physiquement on sait faire varier t dans d’assez grandes proportions, entre −3 10 et 10−1 × e2 /lB . Notons que le terme tunnel, en créant une direction privilégiée dans le plan xy, brise la symétrie U(1). Appliquons de plus une tension entre les couches, ce qui donne lieu à un terme, −e(N↑ − N↓ )V = −2eS z V . Il est l’analogue d’un champ magnétique, appliqué suivant l’axe z de quantifcation de pseudo-spin. En minimisant le terme d’anisotropie ajouté au terme électrique, on voit que V crée un déséquilibre de charge entre les deux couches, ce qui – dans le langage de pseudo-spin – est une valeur non nulle pour S z = (N↑ − N↓ )/2 Enfin, on peut appliquer un champ magnétique Bk parallèllement au plan de la bi-couche. Cet effet n’existe pas dans le cas de la monocouche d’épaisseur nulle. On peut s’attendre à des effets nouveaux dans le cas de la bicouche, qui ne seront pas des effets de spin, uniquement des effets orbitaux (le vrai spin est supposé saturé). La présence d’un champ Bk peut se décrire par le choix de la jauge pour le potentiel vecteur associé, Axk = 0 y A|| = Ak = 0 , (9.6) z Ak = Bx où z est la direction perpendiculaire aux couches. Dans cette jauge, le paramètre tunnel est modifié pour rester invariant de jauge, t → te 2π iφ 0 R d/2 −d/2 dzAzk = te i2π Bxd φ avec Q = 2πBd/φ0 = 2π/Lk , ce qui implique 0 ≡ teiQx , 9.4. DONNÉES EXPÉRIMENTALES 155 φ0 . Bd En présence de Bk , le terme tunnel total devient ainsi X T = t eiQx c†k,↑ ck,↓ + e−iQx c†k,↓ ck,↑ Lk = k = −t eiQx (S x + iS y ) + e−iQx (S x − iS y ) = 2tS cos(φ − Qx) (9.7) Ce terme est donc équivalent à un champ tournant autour de l’axe x, uniforme suivant y, qui fait osciller l’aimantation de pseudo-spin suivant x. En fait ce terme est en compétition avec l’énergie d’échange, comme on le verra plus tard. En présence d’un champ Bk , le courant tunnel entre couches devient X eiQx c†k,↑ ck,↓ − e−iQx c†k,↓ ck,↑ (9.8) J↑↓ = it kiQx x = it e (S + iS y ) − e−iQx (S x − iS y ) = 2tS sin(φ − Qx). 9.4 9.4.1 Données expérimentales Diagramme de phase On l’a vu plus haut, la différence d’énergie ∆SAS = 2t entre combinaisons symétriques et antisymétriques des états de chaque puits quantique peut varier, suivant les échantillons, de pratiquement zéro à plusieurs centaines de K. L’énergie ∆SAS peut ainsi être bien plus petit (ou bien plus grand) que l’énergie caractéristique d’interaction intercouches Ec ≡ e2 /d. On peut ainsi balayer expérimentalement le régime des corrélations électroniques du couplage faible au couplage fort. Lorsque les couches sont très éloignées, il n’y aura pas de corrélations intercouches, et l’on ne doit pas avoir d’effet Hall quantique puisque ν = 1/2 dans chaque couche. Lorsque la séparation entre couches diminue, on observe en revanche l’apparition d’un gap d’excitation et un plateau de Hall quantifié avec σxy = e2 /h [87, 94]. Il y a à cela une explication triviale lorsque ∆SAS est grand, car tout se passe alors comme si les deux couches 156 Les bicouches d’effet Hall quantique Fig. 9.2 – Diagramme de phase pour la bicouche d’EHQ (d’après Murphy et coll. [87]). Les échantillons dont les paramètres se situent sous la ligne en pointillé ont une quantification de l’effet Hall et un gap d’excitation. étaient quasi confondues, avec un facteur de remplissage total ν = 1. Tous les états symétriques sont alors occupés, on a l’effet Hall quantique ordinaire. La situation est beaucoup plus intéressante lorsque l’effet Hall quantique à ν = 1 se manifeste dans la limite ∆SAS → 0. Dans cette limite, le gap d’excitation est clairement un effet collectif puisqu’il peut atteindre 20 K alors que ∆SAS < 1K. Le gap d’excitation survit dans cette limite parce qu’il y a brisure spontanée de la symétrie XY [ou bien U(1)] associé au dégré de liberté de la phase – l’angle azimuthal φ dans l’expression (9.1) [81, 91]. C’est ce qu’on voit sur la figure expérimentale 9.2 qui montre le domaine d’existence de l’EHQ au dessous de la ligne en pointillés. Ce passage d’un régime à une particule, à un régime collectif est analogue à ce qui se passe pour le ferromagnétisme d’une monocouche. Dans ce dernier cas, le gap d’excitation reste fini même lorsque le couplage Zeeman s’annule, grâce à l’interaction coulombienne. Ce qui est remarquable, c’est que le domaine EHQ avec ν = 1 survit lorsque ∆SAS → 0 pourvu que la distance entre couches soit inférieure à une valeur critique d/lB ∼ 2. Dans ce cas, le gap est uniquement un effet collectif, dû aux interactions. Nous verrons qu’il est associé au ferromagnétisme de Données expérimentales 157 Fig. 9.3 – Expérience de Murphy et coll. [87]. Le gap d’excitation thermique ∆ est tracé en fonction de l’angle d’inclinaison du champ magnétique dans une bi-couche avec terme tunnel faible (∆SAS = 0.8K). Les points noirs correspondent au facteur de remplissage ν = 1, les triangles à ν = 2/3. La flèche indique l’angle critique θc . La ligne continue est un guide pour les yeux. La ligne pointillée est une estimation à la louche de la renormalisation de l’amplitude tunnel par le champ magnétique parallèle. Cet effet à une particule donne une décroissance lente, en comparaison avec l’effet observé. La figure insérée est un diagramme d’Arrhenius de la dissipation, qui est mesurée à l’aide de la résistance longitudinale. L’énergie d’activation à basse température est ∆ = 8.66K ; pourtant le gap s’effondre à une température bien plus basse d’environ 0.4K. pseudo-spin de Hall quantique, qui possède une cohérence spontanée intercouches. 9.4.2 Gap d’excitation Une indication supplémentaire de la nature collective des excitations provient de la variation du gap d’excitation avec la température, reproduit par la figure 9.3. L’énergie d’activation ∆ à basse température est nettement supérieure à ∆SAS . Si néanmoins ∆ était un gap à une particule, on s’attendrait à une loi d’Arrhenius jusqu’à des températures de l’ordre de ∆/kB . Au lieu de cela, la courbe s’infléchit fortement dès que T ∼ 0, 5K. Ceci suggère la destruction de l’ordre qui a produit le gap d’excitation collective. 158 Les bicouches d’effet Hall quantique A d B B φ0 L || Fig. 9.4 – Exemple de processus dans une bicouche de gaz électroniques 2D qui met en jeu un flux de Bk . Dans ce processus, un électron saute par effet tunnel au point A de la couche supérieure à la couche inférieure. La paire électron trou ainsi créée se déplace de façon cohérente et s’annihile ensuite au point B par un processus tunnel dans la direction opposée. L’amplitude tunnel pour un tel processus dépend de Bk . 9.4.3 Effet d’un champ magnétique parallèle Un autre fait expérimental suggère fortement un phénomène d’ordre collectif : la forte sensibilité du système à un champ magnétique Bk relativement faible, appliqué parallèlement aux couches. On voit sur la figure 9.3 que le gap d’activation diminue rapidement lorsque le champ s’incline dans la direction du plan des couches – la composante perpendiculaire B⊥ du champ magnétique reste constante. Supposons le gaz électronique dans chaque couche strictement 2D (autrement dit, négligeons l’épaisseur individuelle des couches). Alors l’effet de Bk ne peut provenir que de processus électroniques sur des boucles fermées contenant un flux du champ Bk , c’est à dire des boucles décrivant des aller-retours entre couches, sur des distances où il y a cohérence de phase. Un exemple d’un tel processus est montré par la figure 9.4. Un électron effectue un processus tunnel d’une couche à l’autre au point A, se déplace jusqu’au point B, puis effectue un deuxième saut tunnel et retourne au point de départ. La composante parallèle du champ magnétique, Bk , contribue à l’amplitude de ce processus un facteur de phase AharonovBohm, invariant de jauge, exp(2πiφ/φ0 ), où φ est le flux de Bk à travers ce circuit. De tels parcours en boucle contribuent de manière significative aux corré- Données expérimentales (a) 159 B couche supérieure J J couche inférieure (b) B couche supérieure J J couche inférieure Fig. 9.5 – (a) Dans une expérience standard, le courant de Hall est transporté simultanément dans les deux couches, sans processus tunnel entre couches. (b) Il est possible d’injecter du courant dans une des couches et de l’extraire de l’autre. Le courant tunnel a alors un comportement de courant superfluide. lations dans ce système, puisque l’on observe une décroissance rapide du gap d’activation en fonction de Bk : la décroissance est d’un facteur supérieur à 2 jusqu’à un champ critique Bk∗ ∼ 0.8T , au-delà duquel le gap reste à peu près constant. Cette valeur de Bk∗ est remarquablement faible. En effet, soit Lk la longueur telle que le flux à travers la boucle électronique égale un quantum de flux : Lk Bk∗ d = φ0 ⇔ Lk [Å] = 4, 14 × 105 /d[Å]Bk [T]). Avec Bk∗ = 0, 8T et d = 150Å, on a Lk = 2700Å, soit environ vingt fois la distance moyenne entre électrons dans une couche et trente fois la longueur magnétique associée à B⊥ . On observe déja une diminution significative du gap d’excitation dans un champ parallèle de 0, 1T, ce qui implique des longueurs de cohérence énormes. Ceci indique derechef la nature fortement collective de l’ordre observé dans le système de bicouche. 9.4.4 L’effet quasi-Josephson Une expérience spectaculaire, réalisée par Spielman et coll. [95], a confirmé de manière éclatante les idées de superfluidité excitonique dans les bicouches. Dans les expériences standard de transport sur les bicouches, on injecte un courant JHQ simultanément dans les deux couches, et on l’extraie aussi si- 160 Les bicouches d’effet Hall quantique multanément. Dans l’expérience de Spielman et coll., un courant JHQ est injecté dans une couche, et extrait de l’autre (Fig. 9.5). Dans ce cas, une différence qualitative de la conductance tunnel se produit lorsqu’on varie le rapport d/lB , par exemple en faisant varier la densité électronique à remplissage constant du plus bas NL. En-dessous d’une valeur critique pour ce rapport (la valeur critique qui correspond à la traversée de la ligne de transition pour l’apparition de l’ effet Hall quantique ν = 1), une anomalie géante de conductance apparaı̂t à tension nulle, ainsi qu’on le voit sur la fig. 9.6. La compréhension qualitative de cette expérience est la suivante : pour d/lB 1, les liquides électroniques dans des couches différentes ne sont pas corrélés. A tension nulle, la répulsion coulombienne entre les électrons d’une couche et un électron candidat à un processus tunnel inhibe ce dernier : la conductance à tension nulle est très faible. Lorsque d/lB ' 1 un état cohérent s’établit entre les deux couches de telle manière qu’à un électron d’une couche sur un site de Landau est associé un trou dans l’autre couche sur le même site. La répulsion coulombienne est alors fortement supprimée par cet arrangement collectif, et la conductance tunnel à tension nulle augmente de deux ordres de grandeur. Signalons tout de suite qu’à l’heure où ces lignes sont écrites, le consensus théorique ne règne pas sur le caractère intrinsèque, ou non, de la finitude de la conductance à tension nulle : s’agit-il d’une limitation expérimentale, liée aux défauts topologiques du paramètre d’ordre, ou aux impuretés, etc., ou bien est-il illusoire, pour des raisons fondamentales, de chercher à observer la divergence de la conductance tunnel à tension nulle, qui signerait l’analogie parfaite avec la jonction Josephson de la supraconductivité BCS de singulet ? Nous y reviendrons plus loin. 9.4.5 Expérience de courants antiparallèles Pour vérifier les idées de condensation bosonique d’excitons dans une bicouche à ν = 1, il faut une preuve expérimentale du transport de paires électrons-trous. Mais comment accéder à et détecter des objets électriquement neutres ? La solution est de remarquer que le transport de paires électronstrous équivaut à la circulation de deux courants de directions opposées dans les deux couches. L’ingéniosité expérimentale permet depuis quelques années de connecter électriquement chaque couche de la bicouche de manière indépendante [99]. Avec de tels contacts, il a été possible d’injecter des courants d’intensités 161 (a) A) NT=10.9 D) (d) B) (b) NT=6.9 NT=5.4 z -7 -1 Tunneling =1 /dV (10 W ) Conductance at nTdJ Conductance tunnel Données expérimentales 0.5 (c) C) -5 NT=6.4 0 5 -5 0 Tension intercouches V (mV) Interlayer Voltage (mV) 5 Fig. 9.6 – Expérience de Spielman et coll [95]. La conductance tunnel dJz /dV est tracée en fonction de la différence de potentiel V entre les deux couches, pour différentes densités électroniques, NT en unités de 1010 cm−2 . Dans les échantillons [de (a) à (c)] à forte densité électronique, le système n’a pas d’EHQ, les processus tunnel sont supprimés à tension nulle. Dans l’échantillon (d) de basse densité, il y a un pic fini de conductance tunnel à tension nulle. Le courant est strictement nul à tension nulle, contrairement au courant d’une jonction Josephson. C’est pourquoi on parle de jonction « quasi-Josephson ». 162 Les bicouches d’effet Hall quantique tension de Hall 10 + − + − + − + − + − + − + − + − − + − + − 0 −10 + + − − + + − ν=1 5 10 champ magnétique Fig. 9.7 – Une mesure de tension de Hall détecte la condensation d’excitons (d’après la Ref. [98]). Les deux traces montrent schématiquement la tension de Hall dans chacune des deux couches lorsque les courants circulent dans des sens opposés dans chacune des couches. Tous les effets quantiques autres que la condensation excitonique sont ignorés sur cette figure. Lorsque les courants sont transportés de manière non corrélée dans les deux couches, on doit observer des tensions de Hall finies, qui équilibrent les forces de Lorentz dans chaque couche. Comme les courants sont anti-parallèles, les tensions de Hall doivent être de signe opposé dans les deux couches. Mais si la condensation d’excitons se produit, pour un certain intervalle de valeurs du champ magnétique, les courants opposés dans les deux couches sont transportés par un courant uniforme d’excitons dans une direction. Comme les excitons sont électriquement neutres, ils ne sont pas soumis aux forces de Lorentz, et la tension de Hall doit s’annuler dans chaque couche. C’est ce qui a été observé expérimentalement par Kellogg et coll. [97]. 9.5. SUPERFLUIDITÉ EXCITONIQUE 163 égales et de sens opposés dans les deux couches, pour tester si les excitons participaient au transport de particules [98]. La figure 9.7 est une version schématique de ce que l’on attend d’une telle expérience de contre-courants (courants antiparallèles). Les deux traces représentent la tension de Hall prévue dans chaque couche, en négligeant tous les effets quantiques sauf la condensation excitonique. A cause de la force de Lorentz sur une charge en mouvement sous champ magnétique, la tension de Hall est en général proportionnelle au champ magnétique. Dans un système de bicouches parcouru par des courants antiparallèles, la tension de Hall aura des signes opposés dans chaque couche. Si les deux couches sont suffisament proches, et si le champ magnétique a la valeur adéquate, les paires électrontrou inter-couches qui se forment transportent les courants antiparallèles. La tension de Hall dans chaque couche doit alors s’annuler, comme le suggère la figure 9.7. Deux groupes expérimentaux ont confirmé ces prédictions [97]. 9.5 Superfluidité excitonique Dans l’analogie de pseudo-spin (section 9.2), nous avons vu que le terme d’interaction coulombienne entre les deux couches favorise un état ferromagnétique avec un plan de facile aimantation lorsque la distance entre couche est assez petite pour stabiliser un état corrélé. La fonction d’onde du fondamental est alors de la forme [voir l’équation (9.1)] ( ) Y c†k↑ + eiφ c†k↓ √ |ψφ i = |0i . (9.9) 2 k Autrement dit, θ/2 = π/4, l’aimantation est dans le plan de la bicouche, et l’on a hSz i = 0. L’amplitude égale pour les états de pseudo-spin opposés signifie qu’il n’y a pas, pour l’instant de tension appliquée entre les couches. Lorsque le terme tunnel t est nul, la valeur de φ est quelconque, du moment qu’elle est la même en chaque point du plan de la bicouche. Lorsque le système choisit une valeur particulière de φ, parmi l’infinité de possibilités équivalentes, il y a symétrie brisée, puisque le hamiltonien ne dépend pas de φ. En présence du terme d’anisotropie de pseudo-spin, la symétrie du hamiltonien est U(1). C’est cette symétrie continue qui est brisée par le choix d’une phase dans le fondamental. 164 Les bicouches d’effet Hall quantique Dans la limite du terme tunnel nul, nous avons ainsi une famille à un paramètre de fondamentaux équivalents, paramétrisés par la phase φ. Cette phase est une variable quantique conjuguée de la différence du nombre de particules entre les deux couches. Dans l’équation (9.9), la phase est bien définie, mais le nombre de particules de chaque pseudo-spin (le nombre de particules dans chaque couche) est complètement indéterminé. De même, on peut construire un état où la phase est complètement indéterminée, mais où le nombre de particules dans chaque couche est spécifié exactement. Pour cela, intégrons 9.9 sur la phase, ce qui donne Z dφ −i(N↑ −N↓ )φ z |ψS i = e |ψφ i . (9.10) 2π Nous obtenons une fonction d’onde avec exactement N↑ particules dans la couche ↑ et N↓ = N − N↑ dans la couche ↓, N étant le nombre total de centres de guidage à ν = 1. L’angle φ et S z sont des variables canoniques conjuguées, [φ, Sz = N↑ − N↓ ] = 1, (9.11) d’où découle la relation d’incertitude δ(N↑ − N↓ ) × δφ > 1. Comme pour toute symétrie continue brisée, il doit exister un mode de Goldstone dont l’énergie s’annule lorsque la longueur d’onde devient infinie. Un état où la phase fluctue dans le temps et l’espace peut s’écrire : i Yh † (9.12) |ψφ i = ck↑ + eiφ(Xk ,t) c†k↓ |0i , k où φ est la phase superfluide du système, le mode superfluide de grand longueur d’onde correspondant à des courants égaux et de signes opposés se propageant dans les deux couches. Pour mieux comprendre en quoi l’état décrit par la fonction d’onde (9.9) brise la symétrie de jauge associée à la conservation de la différence de charge entre les deux couches, considérons la transformation de jauge induite par θ l’opérateur unitaire U− (θ) = ei 2 (N↑ −N↓ ) . L’effet de cette transformation sur les opérateurs de champ est θ U−† (θ)c†k↑ U− (θ) = e−i 2 c†k↑ θ U−† (θ)c†k↓ U− (θ) = ei 2 c†k↓ . (9.13) (9.14) Le hamiltonien est invariant sous cette transformation, U−† (θ)HU− (θ) = H, (9.15) Superfluidité excitonique 165 puisque [H, (N↑ − N↓ )] = 0, en l’absence de terme tunnel entre couches. Pourtant, l’examen de l’expression (9.9) montre que l’état cohérent de phase est caractérisé par un paramètre d’ordre non trivial, E D nel iφ e , S x (Xk ) ≡ c†k↑ ck↓ = S̄ x (Xk ) = 2 2 avec la densité totale nel = 1/2πlB . Ce paramètre d’ordre n’est pas invariant de jauge, D E † † x S (Xk ) → U− (θ)ck↑ ck↓ U− (θ) = eiθ S x (Xk ) . (9.16) C’est une manière plus formelle de montrer que l’état, moins symétrique que le hamiltonien, brise la symétrie U(1) associée à la conservation de la différence de charge, 1 N↑ − N↓ . Nous pouvons écrire une expression pour l’opérateur du courant tunnel entre les couches en fonction de la position, J↑↓,Xk = −it c†k↑ ck↓ − c†k↓ ck↑ , (9.17) dont la moyenne est hJ↑↓,Xk i = −it [S x (Xk )∗ − S x (Xk )] = t sin [φ(Xk )] . Cette expression est semblable à celle du courant Josephson : elle ne dépend que de la phase du paramètre d’ordre, et pas de la tension appliquée entre les deux couches. Le langage de pseudo-spin exprime la conjugaison de la phase et de la différence de charge entre couches à travers les relations de commutation de la densité de spin. Avec le paramètre d’ordre aligné suivant x, [S y , S z ] = iS x ' i. Comme S z ∝ sin φ ≈ φ, cela entraı̂ne [φ, S z ] = i. En conséquence, le courant associé au gradient de la phase Jzz = 2ρE ∇φ h̄ Dans un supraconducteur, le paramètre d’ordre χ(r) = hc†↑ (r)c†↓ (r)i se transforme de façon non triviale sous la transformation de jauge associée à la conservation de la charge totale, Ũ+ (θ) = exp[iθ(N↑ + N↓ )/2]. En revanche, le paramètre d’ordre de la bicouche est invariant sous cette transformation. 1 166 Les bicouches d’effet Hall quantique est bien la différence de courants électriques dans les deux couches. Une difficulté conceptuelle apparente est que la fonction d’onde (9.9) décrit un état où la différence de densité électronique entre couches fluctue, alors que dans la limite t = 0 cette différence est conservée. C’est analogue à ce qui se passe pour la fonction d’onde BCS, qui décrit un état où le nombre total de particules fluctue, alors qu’il est strictement conservé pour un échantillon isolé. La solution de cet apparent paradoxe est que chaque morceau macroscpique d’un échantillon peut être subdivisé en morceaux macroscopiques plus petits, entre lesquels les échanges de particules sont rapides et nombreux, de telle façon que la cohérence de phase peut s’établir dans chaque région macroscopique de l’échantillon, alors que le nombre total de particules reste constant. Un raisonnement semblable peut être tenu dans le cas de la bi-couche. Examinons un objet un peu plus compliqué que le paramètre d’ordre, D E † † GXk ,Xk0 = ck↑ ck↓ ck0 ↓ ck0 ↑ . (9.18) Cet objet conserve le nombre de particules dans chaque couche. Il est égal à hS̄ x (Xk )S̄ x (Xk0 )i, et il est non nul dans la fonction d’onde (9.9). Une remarque : la fonction d’onde (9.9) est bien une fonction d’onde d’un condensat d’excitons. En effet, définissons l’état |f erro Q †↑i comme l’état où tous les électrons sont dans la couche ↑, |f erro ↑i = k ck↑ |0i. Alors on peut ré-écrire l’état (9.9) comme ! Y 1 + eiφ c†k↓ ck↑ √ |f erro ↑i . (9.19) |ψφ i ≡ 2 k On peut encore ré-écrire cela sous une forme qui rappelle un état cohérent de bosons, Y iφ † (9.20) |ψφ i ≡ exp e bk |f erro ↑i , k b†k c†k↑ ck↓ où = est le boson excitonique. C’est pourquoi l’on peut parler d’un « état cohérent » (voir la section 2.2.2). On parle parfois aussi de « cohérence de phase spontanée », dans le cas où le terme tunnel est nul. En effet dans ce cas l’état cohérent est purementdû aux interactions coulombiennes. En revanche, en présence d’un terme tunnel fini, la superposition symétrique d’états est la plus stable, même en l’absence d’interactions. L’analogie magnétique est l’aimantation en présence d’un champ extérieur. Superfluidité excitonique 9.5.1 167 Mode collectif – dynamique du condensat excitonique On a mentionné plus haut l’existence, comme conséquence de la symétrie continue brisée par la cohérence de phase, d’un mode d’excitation collective dont l’énergie s’annule dans la limite de petit vecteur d’onde, q → 0. On peut utiliser la méthode hamiltonienne pour étudier la dynamique du condensat. Ici nous utiliserons la méthode lagrangienne, avec l’inclusion du terme provenant de la connexion de Berry, étudié au chapı̂tre précédent. Le lagrangien qui décrit la physique de grande longueur d’onde, en l’absence de tension appliquée entre couches, et à terme tunnel nul, s’écrit Z ν d2 r ṁ · A[m] (9.21) L = 2 4πlB Z n o ρA ρE − d2 r β(mz )2 + . |∇mx |2 + |∇my |2 |∇mz |2 + 2 2 Les coefficients β, ρA et ρE peuvent être évalués à partir d’une théorie microscopique des fonctions de corrélation, de la même façon qu’on a vu dans la section 8.3.2 Écrivons les équations du mouvement (Euler-Lagrange), δL d δL = . (9.22) µ dt δ ṁ δmµ Pour de petites variations du paramètre d’ordre autour de l’axe z, on linéarise m = [1 − O(m2y + m2z ), my , mz ], et on prend A = (0, −mz /2, my /2), ce qui donne ν ν mz δL = , Ay [m] = − 2 2 δ ṁy 4πlB 4πlb 2 ν ṁz δL = + ρE ∆my , (9.23) 2 δmy 4πlB 2 et δL δ ṁz δL δmz 2 ν my ν Az [m] = − 2 , 2 4πlB 4πlb 2 ν ṁy = + ρA ∆my − 2βmz , 2 4πlB 2 = (9.24) Le développement en gradients de mz n’est pas strictement correct, car la partie longue portée des interactions de Coulomb donne naissance à un terme d’interaction non local qui n’est pas inclus ici. Ce terme est moins important que les termes pris en compte ici. 168 Les bicouches d’effet Hall quantique où ∆ = ∇ · ∇ est le laplacien. Dans l’espace de Fourier, on trouve le système d’équations linéaires 4π iω (2β + q 2 ρA ) my ν =0 (9.25) 4π 2 q ρE −iω mz ν et alors la dispersion d’énergie du mode collectif 2 4π 2 (2β + q 2 ρ2A )q 2 ρE . ω (q) = ν (9.26) Lorsque d = β = 0, et ρA = ρE = ρ0 on retrouve le mode collectif (onde de pseudo-spin) du ferromagnétisme, ω(q)|B=0 = 4π 0 2 ρ q ν . Le terme de masse β 6= 0 change qualitativement la dispersion du mode collectif, qui devient linéaire en q à grande longueur d’onde, lim ω(q)|β6=0 = q→0 4π p 2βρE q . ν C’est l’analogue du mode collectif d’un superfluide bosonique avec interactions répulsives faibles. Mais le paramètre d’ordre représente la condensation de bosons neutres, qui ne transportent pas de charge. 9.5.2 Excitations topologiques chargées Pour un système dont la classe d’universalité est celle du modèle XY 2D, on doit avoir une transition Kosterlitz-Thouless (KT) à TKT = (π/2)ρS /kB . L’essence de cette transition est l’ionisation (dissociation) des paires de vortex. Dans notre cas, le groupe de symétrie du paramètre d’ordre est U(1), mais la direction du pseudo-spin nest pas confinée au plan xy si bien que le vortex de pseudo-spin est un « méron », qui peut être considéré comme un demi-skyrmion (voir chap. 8, et la figure 9.8. Le paramètre d’ordre du système en présence d’un vortex à l’origine a la forme approximative n p o p m = ± 1 − m2z cos θ, 1 − m2z sin θ, mz (r) , (9.27) Superfluidité excitonique 169 Q=+1/2 v=+1 Q=+1/2 v=−1 Q=−1/2 v=+1 Q=−1/2 v=−1 Fig. 9.8 – Avec deux possibilités pour le choix de vorticité v = ±1, et deux possibilités pour l’orientation du pseudo-spin au cœur du vortex (charge topologique Q = ±1/2), les mérons ont quatre « saveurs » possible. où le signe ± se réfère au sens de la vorticité, droite ou gauche, respectivement, et θ est l’angle azimuthal du vecteur position r. A grande distance du centre du méron, mz (r) tend vers zéro, pour minimiser l’énergie capacitive. Cependant, au cœur du vortex, il faut que mz = ±1, mx = my = 0, pour éviter une sigularité, coûteuse en énergie d’échange. La charge topologique locale est calculée à partir de la densité de Pontriaguine [voir l’équation (8.26)] δρ = − 1 ij (∂i m × ∂j m) · m. 8π Avec l’expression (9.27), cette densité s’écrit δρ(r) = 1 dmz . 4πr dr R La charge totale est Q = d2 rδρ(r) = [mz (∞) − mz (0)]. Pour un méron, le spin au cœur pointe vers le haut ou vers le bas, et se rabat sur le plan lorsqu’il s’en éloigne. A grande distance, les spins sont dans le plan xy. La charge topologique est donc ±1/2 suivant la polarité du spin au cœur. Le résultat général pour la charge topologique est Q= 1 [mz (∞) − mz (0)] nv 2 (9.28) 170 Les bicouches d’effet Hall quantique où nv est le nombre d’enroulement du vortex. La charge électrique est ±νe/2, la moitié de celle d’un skyrmion, ce qui corrobore l’image qu’un méron en termes de demi-skyrmion, evoquée plus haut. On peut écrire des fonctions d’onde variationnelles pour les mérons. La plus simple est ! M Y c†m,↑ + c†m+1,↓ ψnv =+1,−1/2 = √ |0i . (9.29) 2 m=0 Dans cette expression, c†m,↑(↓) crée un électron dans la couche ↑ (↓), dans l’état de moment angulaire m dans le plus bas NL, et M est le moment correspondant au bord de l’échantillon. La vorticité est +1, car loin du cœur le spineur est iθ √ e , χ(θ) = (1/ 2) 1 où θ est l’angle polaire du vecteur r. La charge est −1/2 parce qu’on a créé un trou au centre, dans la couche ↓ : tous les états ont une occupation 1/2, sauf m = 0 qui est vide. On peut changer la charge du méron sans changer la vorticité, comme on le voit sur la fonctions d’onde ! † † M Y c + c m,↑ ψnv =+1,+1/2 = c† √ m+1,↓ |0i . 0,↓ 2 m=0 Cet état a une charge +1/2, car nous avons créé un électron dans l’état m = 0 dans la couche ↓. Il est instructif d’examiner une fonction d’onde de paire de mérons, pour vérifier qu’un méron est un demi-skyrmion. Examinons le cas d’une paire de mérons de vorticités opposées, mais de même charge, situés aux points z̄1 et z̄2 . La fonction d’onde suivante semble répondre à notre demande, Y 1 eiφ (zj − z̄1 ) √ Φf erro , (9.30) ψλ = (zj − z̄2 ) 2 j j où φ est ici un angle arbitraire et ()j est un spineur pour la particule j. À grande distance de z̄1 et z̄2 , le spineur pour chaque particule devient iφ e , (9.31) zj 1 Superfluidité excitonique 171 ce qui correspond à une orientation de spin fixe dans le plan xy, avec un angle φ avec l’axe x. La vorticité de la paire de méron est donc nulle. Par construction, l’orientation du spin est purement ↑ pour un électron en z̄2 , et purement ↓ pour un électron en z̄1 . De plus, la charge nette doit être νe puisque, asymptotiquement, le facteur zj est le même que pour la quasi particule de Laughlin dans un état polarisé de spin. Par symétrie, on pourrait penser qu’il y a une charge moitié, νe/2, associée à chacun des objets localisés près de z̄1 ou z̄2 . En fait la fonction d’onde (9.30) n’est qu’une autre représentation d’un skyrmion ! Choisissons z̄1 = λ et z̄2 = −λ, et supposons, pour faire simple, que l’orientation asymptotique des spins est dans la direction x si bien que φ = 0. Maintenant effectuons une rotation globale de tous les spins, autour de l’axe ŷ, d’un angle −π/2. En utilisant π 1 zj − λ y , exp i σ √ 4 2 zj + λ on trouve la fonction d’onde variationnelle d’un skyrmion. La fonction précédente est adaptée à la symétrie U(1) puisqu’elle décrit des spins orientés principalement dans le plan xy. 9.5.3 Transition de Kosterlitz-Thouless La présence de défauts topologiques de type vortex peut détruire la cohérence de phase XY du fondamental. Ceci peut se produire à température nulle, à cause des fluctuations quantiques, si la distance entre couches excède une distance critique d∗ . Ici, on va s’intéresser aux effets thermiques. Le modèle effectif à température finie est donné par l’expression Z ρS E= d2 r |∇φ|2 . 2 Pour les valeurs expérimentales typiques des paramètres ans les bicouches d’AsGa, l’estimation Hartree-Fock de ρS est de 0, 1 à 0, 5K. La transition de Kosterlitz-Thouless est due à l’ionisation des vortex dans le modèle XY , à une température TKT approximativement donnée par la raideur d’échange ρS . Les vortex libres entraı̂nent la renormalisation brusque, discontinue, à zéro, de la raideur déchange à TKT . L’action classique mène à une interaction logarithmique entre vortex. 172 Les bicouches d’effet Hall quantique Un gaz de mérons a une énergie de la forme E = M Ecœur − 2πρS M X i<j ni nj ln Rij Rcœur + M X i<j qi qj e2 , 4Rij (9.32) où Ecœur est l’énergie de cœur d’un méron, Rcœur sa taille, et Rij est la séparation entre le i-ème et le j-ème méron. Le dernier terme est nouveau. Il est spécifique de la physique des bicouches d’EHQ. Il est dû aux interactions coulombiennes entre les charges fractionnaires des mérons. qi = ±1 est le signe de la charge électrique (±e/2) du i-ème méron. L’origine du terme logarithmique n’est pas, comme pour la supraconductivité l’énergie cinétique stockée dans les supercourants. Elle provient de l’énergie d’échange perdue par les gradients de la phase associés aux vortex. Comme l’interaction de Coulomb décroı̂t plus vite que les interactions logarithmiques, elle est non pertinente à TKT . Elle peut entraı̂ner un déplacement de TKT , mais la transition n’est pas qualitativement affectée. Cependant, le diagramme de phase devient très riche, avec l’apparition de phase chirales, avec un paramètre d’ordre hni qi i où vorticité et charge électrique ne sont plus indépendantes [100]. 9.5.4 Effet du terme tunnel inter-couches On l’a vu, un terme tunnel fini t entre les couches brise la symétrie U(1) du hamiltonien, Z ρ t s 2 Hef f = d r |∇φ|2 − cos φ . (9.33) 2 2πρ2 Pour une valeur de t finie, le mode collectif acquiert une masse (comme le gap Zeeman pour les ondes de spin en présence d’un champ magnétique extérieur). Les fluctuations quantiques en sont atténuées, ce qui explique la courbure vers le haut de la ligne de transition du diagramme de phase. Le terme tunnel, parce qu’il brise la symétrie U(1), et parce qu’il rend les configurations de paires de vortex coûteuses énergétiquement, détruit la transition TKT . Pour abaisser l’énergie, le système distord les déviations de spin en parois de domaines, ou cordes, qui connectent les cœur de vortex, comme sur la figure 9.9. Les spins sont orientés dans la direction x imposée par le terme tunnel, partout, sauf dans la région de la paroi, où ils tournent rapidement de 2π. La paroi a une énergie proportionnelle à sa longueur Λ, Superfluidité excitonique 173 v=−1 ξ Λ v=+1 Fig. 9.9 – En présence d’un terme tunnel inter-couches, les paires de mérons, de vorticité opposée, sont liées par des parois, ou cordes de longueur Λ et d’une largeur caractéristique ξ. Le potentiel de confinement des mérons est linéaire en Λ. 174 Les bicouches d’effet Hall quantique si bien que les vortex sont confinés par une énergie de ligne (linéaire en distance), plutôt que logarithmique. Cela ressemble, en physique des hautes énergies, au confinement des quarks dans les particules élémentaires comme les hadrons est les mesons. On peut estimer la tension de ligne en examinant l’énergie d’une paroi de domaine de longueur infinie. La forme optimale pour une paroi de domaine parallèle à l’axe y est donnée par x φ(r) = 2 arcsin tanh , (9.34) ξ 2 où la largeur caractéristique de la paroi est ξ = (2πlB ρS /t) ligne est donc (voir [101]) tρS T0 = 8 2 2πlB 1/2 = 8ρS . ξ 1/2 . La tension de (9.35) Si la paroi est assez longue (R ξ), l’énergie totale du segment de longueur R sera approximativement Epaire e2 + T0 R. = 2Ecœur + 4R (9.36) En minimisant, on conclut que Epaire est optimale pour R = R00 = (e2 /4T0 )1/2 , d’où 2 1/2 e T0 0 Epaire = 2Ecœur + . Ainsi, à part les énergies de cœur des mérons, le gap de charge à d fixée (donc 1/2 1/4 à ρS fixé), est proportionnel à T0 ∝ t1/4 ∼ ∆SAS . Ceci contraste avec le cas des électrons libres. L’exposant 1/4 est petit : il y a augmentation rapide du gap de charge dès que l’effet tunnel n’est pas négligeable. Le régime de passage entre la texture de pseudo-spin de paires de mérons et la texture de parois de domaines s’établit autour d’une valeur finie de t. 9.5.5 Effets combinés d’un terme tunnel entre couches et d’un champ Bk Nous avons vu qu’en présence d’un champ Bk , on a un potentiel vecteur A = (0, 0, Az|| = Bx), où z est la direction perpendiculaire au plan Superfluidité excitonique 175 des couches. L’équation (9.7) montre que le terme tunnel est affecté par ce champ : à la place d’une phase constante φ = 0 (allignement le long l’axe x, comme on l’a vu dans la section 9.3), on trouve une phase qui varie spatialement, φ → φ − Qx. Le terme tunnel entre donc en conflit avec le terme de raideur d’échange, puisque ce dernier veut maintenir une aimantation uniforme, tandis que le terme tunnel veut faire tourner l’aimantation, lorsque Bk 6= 0, Z St 2 H= ρS |∇φ| − cos(φ − Qx) d2 r . (9.37) 2 2πlB Ce hamiltonien, connu dans la physique des transitions commensurableincommensurable à 2D (hamiltonien de Pokrovski-Talapov) décrit deux phases différentes suivant les valeurs relatives de ρS et Q. Si Q → 0, l’énergie est minimisée par une phase φ = Qx, la perte d’énergie d’échange étant ρS Q2 . On a alors un état commensurable : pour tout x, la phase du paramètre d’ordre se cale au minimum du potentiel périodique. Lorsque Q augmente, il n’est plus possible de minimiser le terme périodique par une variation linéaire de la phase, qui coûte trop chère en énergie d’échange. Le conflit entre les deux termes se résout par l’apparition de défauts de phase, des solitons, qui concrétisent le compromis entre l’énergie « élastique » (terme d’échange) et l’énergie potentielle (terme tunnel sinusoı̈dal. A la li~ ∼ 0 et la valeur moyenne de cos(φ−Qx) s’annule. Avec l’apparition mite, ∇φ de défauts topologiques, pour une valeur critique Bkc du champ, il y a une transition commensurable-incommensurable, dans un environnement 2D avec anisotropie uniaxiale. A température nulle, la valeur critique est Bkc = B⊥ 2lB 2t 1/2 . πd πρS Avec ∆SAS = 0, 45K, on trouve Bkc ≈ 1, 3T, ce qui est légèrement supérieur à la valeur observée de 0, 8T, mais toujours pour une valeur grande de Lk . Dans la phase commensurable, le paramètre d’ordre tourne de plus en plus rapidement lorsque Bk augmente, puisque φ = Qx. Dans la phase incommensurable, l’état du système devient à peu près indépendant de Bk , ce qui fait que le gap d’excitation sature à une valeur fixe. En présence du terme tunnel, les excitations chargées de plus basse énergie sont des paires de mérons de vorticités opposées et de charges égales (soit ±1/2), connectées par une paroi de domaine avec une tension de ligne constante. Pour Bk = 0, 176 Les bicouches d’effet Hall quantique l’énergie est indépendante de l’orientation de la paroi. L’effet de Bk se voit plus clairement en changeant de variable. Posons ϕ(r) = φ(r) − Qx. Cette variable est une constante dans la phase commensurable, mais pas dans la phase incommensurable. En termes de cette nouvelle variable, le hamiltonien devient Z ρS t 2 2 2 cos ϕ . (9.38) H= dr (∂x ϕ + Q) + (∂y ϕ) − 2 2 2πlB Ainsi Bk définit une direction préférée du problème. Les parois de domaine vont s’aligner dans cette direction et contiennent un déphasage, en terme de ϕ, avec un signe préféré (négatif pour Q > O). On peut montrer que l’énergie par unité de longueur du soliton (de la paroi), c’est à dire la tension de ligne, décroı̂t linéairement avec Q, donc avec Bk , soit ! Bk T = T0 1 − ∗ , Bk où T0 est donnée par l’équation (9.35). Il y a transition lorsque T devient négative. On a vu dans la section 9.5.5 que le gap d’excitation de charge est donnéppar l’énergie d’une paire de vortex séparée par la distance optimale R = e2 /4T . L’équation (9.36) pour l’énergie d’une paire de mérons est également affectée par la renormalisation de T0 , ce qui donne Epaire ' 2Ecœur + r " #1/2 Bk e 2 T0 1− ∗ . Bk On voit donc que, lorsque Bk augmente, la tension de ligne diminue et la ligne s’étire donc ce qui est à l’origine d’un abiassement de l’énergi. Loin du côté de la phase incommensurable, le terme tunnel entre couches devient négligeable. On en déduit que le rapport entre le gap de charge à Bk = 0 et celui lorsque Bk → ∞ devrait être à peu près t 1/4 (e2 /lB )1/2 t1/4 ∆0 . ' = 3/4 ∆∞ tcr 8ρS En utilisant les valeurs typiques de t et ρS , l’expression précédente donne des rapports variant entre 1, 5 et 7, en accord qualitatif avec les expériences. Superfluidité excitonique 9.5.6 177 Effet d’une différence de potentiel entre couches Examinons le courant tunnel en présence d’une différence de potentiel entre couches. Le courant tunnel total est Z It ∝ et d2 r ei[φ(r)+iQx] − e−i[φ(r)+Qx] (9.39) = F eiφ(r) qy =0,qx =Q − F e−iφ(r) qy =0,qx =−Q (9.40) où F {f (r)}|q est la transformé de Fourier 2D de f (r) au vecteur d’onde q. Les résultats expérimentaux montrent qu’en présence d’une tension entre couches, le courant tunnel est nul à tension nulle. On peut donc calculer le courant de façon perturbative. Au deuxième ordre en terme tunnel t, on a It (V ) = 2πet2 L2 [S(Q, eV ) − S(−Q, −eV )] . h̄ (9.41) où S(q, h̄ω) est la densité spectrale des fluctuations de l’opérateur eiφ au vecteur d’onde q et à la fréquence ω, c’est à dire la transformée de heiφ(r,t) e−iφ(0,0) i. Il s’ensuit une prédiction frappante : lorsque le désordre est faible, la densité spectrale et donc It (V ) exhibent un pic centré sur eV = h̄ωQ . Ainsi lorsqu’on fait varier le champ parallèle Bk , le pic de la conductance tunnel se déplace en reflétant la dispersion du mode collectif à basse énergie. Le champ parallèle ne permet de processus tunnel qu’entre des états qui diffèrent par l’impulsion Q. La conservation de l’énergie impose que les énergies de ces états diffèrent de eV . C’est ce qu’a confirmé l’expérience [102]. Voir les figures 9.10,et 9.11. Une expérience de transport permet ainsi de mesurer directement la relation de dispersion, trouvée linéaire en qcomme le prédit la théorie. 178 Les bicouches d’effet Hall quantique 2.5 1.5 -7 -1 10 Ω -6 -1 dI/dV (10 Ω ) 2.0 -200 0 200 V (µV) 1.0 B|| = 0 0.5 B|| = 0.6T 0.0 -200 0 200 V (µV) Fig. 9.10 – Expérience de Spielman et coll. [102]. Le courant tunnel en présence d’un champ parallèle Bk présente un pic qui mesure la relation de dispersion du mode collectif de la phase superfluide. La figure montre la conductance tunnel à T = 25mK et pour un densité électronique de 5, 2 × 1010 cm−2 , pour une série des valeurs du champ magnétique parallèle variant entre Bk = 0 et 0, 6T. La figure insérée est un agrandissement des courbes pour des valeurs de Bk entre 0, 07 et 0, 35T. Les points indiquent la position des résonances satellites pour dI/dV . Superfluidité excitonique 179 eV* (meV) 0.2 0.1 0 0 10 20 6 30 -1 q (10 m ) Fig. 9.11 – Expérience de Spielman et coll. [102]. Energie eV ∗ , des pics de résonance en fonction du vecteur d’onde q = eBk d/h̄ observés en présence d’un champ magnétique parallèle, pour des densités électroniques différentes (croix : nel = 6, 4×1010cm−2 ; carrés : nel = 6, 0 × 1010 cm−2 ; points noirs : nel = 5, 2 × 1010 cm−2 . La ligne en pointillé est une estimation théorique de Girvin pour la relation de dispersion du mode de Goldstone pour q petit [81]. La ligne continue est un support pour l’œil, et correspond à une vitesse du mode collectif de 1, 4 × 104 m/s. 180 Les bicouches d’effet Hall quantique Chapitre 10 Le graphène et l’effet Hall quantique relativiste Depuis quelques années, les composés à base de carbone sont devenus un enjeu majeur, à la fois pour la technologie électronique et pour la recherche fondamentale : au-delà de ses formes 3D (graphite ou diamant), largement étudiées depuis le début du traitement quantique des solides, il existe également sous forme 1D, avec les nanotubes de carbone, ou 0D – les fularènes. Ainsi, les nanotubes sont aujourd’hui un système modèle pour tester expérimentalement l’électrodynamique et le transport électronique 1D, dont l’étude était pendant très longtemps confiné à la physique théorique. Ce n’est que depuis 2004 qu’on a à disposition également sa forme 2D, le graphène, et qu’on réussit à fabriquer de bons contacts électriques à une ou quelques feuilles de graphène. C’est d’autant plus surprenant que le graphite même est un système en couches, où les feuilles de graphène empilées sont faiblement liées, alors qu’une feuille de graphène était considérée mécaniquement instable : on s’attend à ce qu’elle se distorde afin de former un nanotube de carbone. Néanmoins, il est aujourd’hui techniquement possible d’extraire par la technique d’exfoliation quelques monocouches de graphène à partir d’un cristal de graphite pyrolithique, de les déposer sur un substrat (semiconducteur) comme le silicium et de les contacter soit par des contacts ohmiques ou même supraconducteurs. Dans l’étude du graphène, l’effet Hall quantique joue également un rôle central, notamment pour la mise en évidence du caractère relativiste des électrons dans le graphène. En effet, dû à la structure de bande particulière, les électrons peuvent être considérés comme des fermions sans masse, avec 181 182 Le graphène et l’effet Hall quantique relativiste une dispersion linéaire, se propageant à la vitesse de Fermi, qui peut ici être considérée comme la vitesse de la lumière. Cet effet Hall quantique relativiste – une particularité de l’électrodynamique quantique à deux dimensions [103] – est le sujet de ce chapitre. Sa découverte très récente en 2005 [104, 105], anticipée par dans des travaux théoriques [106, 107], a déclenché une avalanche d’intérêt pour ce composé, et le sujet ne semble, à l’heure actuelle, pas clos. Nous courons donc un risque d’inclure ce chapitre dans le présent cours, en abordant un sujet de recherche aussi jeune dont les connaissances changent rapidement. En revanche, ne pas arborder la problématique passionnante du graphène et de l’effet Hall quantique relativiste nous semblerait un oubli d’autant plus critiquable. Nous nous excusons donc d’avance pour le caractère elliptique de ce chaptitre – beaucoup de sujets intéressants resterons à l’écart, comme les questions plutôt « mésoscopique » des états de bord dans le graphène (sans ou avec champ magnétique), du bruit quantique et de la localisation. On se limitera à une introduction au sujet, commençant par le calcul de bande des électrons sans champ magnétique et leur limite continue (de basse énergie), avant de les traiter sous l’influence d’un champ. Nous terminerons ce chapitre avec une brève discussion du modèle d’électrons en interaction lorsque leur dynamique est restreinte à un NL relativiste, en comparaison avec le cas non relativiste présenté dans la section 4.1. 10.1 Modèle de liaisons fortes – sans champ Dans le graphène, la forme 2D du graphite, les atomes de carbone sont arrangés dans un réseau de nid d’abeille, qui consiste en deux sous-réseaux triangulaires qui s’interpénètrent (figure 10.1). Les trois plus proches voisins d’un site choisi sur le sous-réseau A sont tous sur le sous-réseaux B, et leurs coordinations sont données par les trois vecteurs a √ e1 = 3ex + ey , 2 a √ e2 = − 3ex + ey 2 et e3 = −aey , (10.1) où a ∼ 0, 14nm est la distance entre les plus proches voisins. Les vecteurs de base du réseaux de Bravais triangulaire sont √ √ √ 3a τ 1 = 3aex et τ2 = ex + 3ey . (10.2) 2 Modèle de liaisons fortes – sans champ 183 τ2 τ1 e2 e1 e3 : sous−réseau A : sous−réseau B Fig. 10.1 – Le réseau de nid d’abeille a deux sous-réseaux triangulaires, A et B. Les vecteurs τ i (flèches noires) forment la maille élémentaire du réseau triangulaire, et les vecteurs ej (flèches grises) sont les coordinations des plus proches voisins d’un site sur le sous-réseau B. Son réseau réciproque est à nouveau un réseau triangulaire avec les vecteurs 4π ey 2π g1 = √ e y ex − √ . (10.3) et g2 = √ 3a 3a 3 La première zone de Brillouin (1BZ) a une forme hexagonale, avec deux points, K et K 0 , inéquivalents au bord, qui ne sont pas liés par des vecteurs√du réseau réciproque (figure 10.2). On associe les vecteurs K± = ±4πex /3 3a respectivement aux points K et K 0 . Ces considérations géométriques nous servirons pour la discussion de la structure de bande des électrons dans le graphène. En l’absence d’un champ magnétique, les principales propriétés électroniques peuvent se comprendre dans le cadre du modèle de liaisons fortes, H = −t (†) 3 XX i∈A j=1 a†Ri bRi +ej + b†Ri +ej aRi , (10.4) (†) où aRi annihile (crée) un électron au vecteur Ri du sous-réseau A et bRi +ej en annihile (crée) un au vecteur Ri + ej du sous-réseau B. Le paramètre de saut t ∼ 2, 7eV est dû au recouvrement entre fonctions d’onde sur des sites voisins. Notons que ce modèle est déjà une approximation de la structure de 184 Le graphène et l’effet Hall quantique relativiste g1 K’ K g2 Fig. 10.2 – La première zone de Brillouin est un hexagone, dont les points K et K 0 au bord sont inéquivalents. Les autres points équivalents s’obtiennent à partir de K et K 0 par une translation s’un vecteur du réseau réciproque, G = γ1 g1 + γ2 g2 , avec les entiers γ1 , γ2 . bande – le recouvrement entre deuxièmes plus proches voisins donne lieu à un paramètre t0 ∼ 0, 1t qui n’est pas négligeable par rapport à t. Il n’affecte pourtant la dispersion d’énergie qu’à « haute » énergie (∼ 102 meV) et ne figure donc pas dans le modèle à basse énergie qui nous intéressera dans la suite [107]. La dispersion d’énergie du modèle (10.4) s’obtient par la transformation de Fourier discrète X X e−iq·Ri aq et bRi +ej = e−iq·(Ri +ej ) bq , a Ri = q q à l’aide de laquelle le modèle s’écrit X aq † † a q , b q Hq H= , bq (10.5) q où la matrice hamiltonienne est donnée par X 0 h(q) Hq = , avec h(q) ≡ −t eiq·ej . h(q)∗ 0 j (10.6) Modèle de liaisons fortes – sans champ 185 En termes de matrices de Pauli, 0 −i 0 1 y x , τ = τ = i 0 1 0 et z τ = 1 0 0 −1 la matrice hamiltonienne se ré-écrit sous la forme compacte X Hq = −t [cos(q · ej )τ x + sin(q · ej )τ y ] . , (10.7) j Sa diagonalisation fournit les valeurs propres, la dispersion d’énergie, v" #2 " #2 u u X X εq = ± t cos(q · ej ) + sin(q · ej ) , (10.8) j j où le signe + désigne la branche positive (« d’électrons ») et − la branche négative (« de trous ») de la dispersion. La figure 10.3(a) montre l’allure de la dispersion d’énergie. Les vecteurs propres associés sont 1 ±e−iϕ(q) , (10.9) ψ± (q) = √ 1 2 où l’angle ϕ est donné par l’équation P j sin(q · ej ) tan ϕ(q) = P . j cos(q · ej ) La forme (10.6) de la matrice hamiltonienne est particulièrement bien adaptée pour analyser la symétrie particule-trou dans le modèle, révélée par la transformation unitaire à l’aide de la matrice τ z . Comme τ z τ µ τ z = −τ µ , pour µ = x, y, on a également τ z Hq τ z = −Hq ⇒ Hq (τ z ψ± (q)) = ∓εq (τ z ψ± (q)) . (10.10) Le dernier pas indique que τ z ψ± (q) est un état propre de Hq si ψ± (q) en est un, avec une énergie de signe opposé, et alors τ z ψ± (q) = −ψ∓ (q). (10.11) On obtient donc un état d’énergie négative (un trou) à l’aide de l’application de τ z sur un état d’énergie positive (un électron), au même vecteur d’onde q, 186 Le graphène et l’effet Hall quantique relativiste 2 0 -2 2 énergie électrons K K’ 0 K K’ K’ -2 kx K ky trous 2 0 ky (a) -2 kx i i α=+ α=− (b) Fig. 10.3 – (a) Dispersion d’énergie (10.8) du modèle de liaisons fortes. Les bandes de conduction et de valence se touchent aux points K et K 0 . (b) Etats d’énergie nulle. Lorsqu’on tourne autour d’un site i, en explorant les sites voisins situés sur l’autre sousréseau, les phases (representées par des spin XY ) sont déterminées par une chiralité α = ±. et vice versa. Le modèle perd cette symétrie lorsqu’on y ajoute un terme proportionnel à τ z , qui signifierait par exemple un potentiel chimique différent sur les sites des deux sous-réseaux différents, comme cela peut être le cas pour une distortion spontanée du réseau [108]. Parce que sous la transformation unitaire on a τ z τ z τ z = τ z , l’équation (10.10) n’est plus satisfaite, et chaque état propre aurait des composantes à la fois de la branche positive et négative. Une particularité du modèle (10.4) est la présence d’états d’énergie nulle. Il y a deux façons de les mettre en évidence : (1) pour un tel état |ψ0 i, on a P H|ψ0 i = 0 par définition. Cette condition est satisfaite par exemple lorsque 3j=1 bRi +ej |ψ0 ii = 0, pour tout site i, où la 10.2. LIMITE CONTINUE – MODÈLE DE BASSE ÉNERGIE 187 somme porte sur les sites voisins de i.1 Si l’on suppose la même amplitude |b|, et donc bRi +ej = |b| exp(iφj ), pour les sites voisins de i, cet état peut être caractérisé par la condition 3 X j=1 e iφj =0⇔ 3 X φj = 0 mod 2π. j=1 Ce n’est autre chose qu’un spin XY qui ne peut étre orienté dans trois directions différentes, φ = 0, ±2π/3, et la condition impose une chiralité, α = ± à ces spin lorsqu’on tourne autour du site i [voir figure 10.3(b)]. Cela implique de plus une double dégénérescence, caractérisée par le nombre quantique α = ±, de l’état d’énergie nulle. (2) Cette double dégénérescence s’obtient également lorsqu’on regarde la dispersion d’énergie les états d’énergie nulle, on a évidemment P (10.8). Pour P εq = 0 ⇒ sin(q · e ) = j j j cos(q · ej ) = 0, ce qui a pour solution √ q = K± = 4πez /3 3a, c’est à dire la dispersion s’annule exactement aux deux points inéquivalents K et K 0 du bord de la 1ZB [voir la figure 10.3(b)], d’où la double dégénérescence. 10.2 Limite continue – modèle de basse énergie Lorsqu’on s’intéresse à une théorie des excitations de basse énergie, avec des échelles d’énergie pertinentes E nettement inférieures à t ∼ 2, 7eV, on peut faire un développement de la dispersion d’énergie (10.8) autour des points K et K 0 . C’est le cas par exemple en l’absence d’un dopage important (un potentiel chimique qui ne satisfassent pas la condition µ t), le potentiel chimique se trouve au voisinage de l’énergie nulle, et la surface de Fermi se rétrécit aux points K et K 0 quand µ → 0. En même temps, la densité d’états s’annule linéairement en première approximation, et les électrons dans le graphene ressemblent donc à un semi-métal. Pour obtenir la limite continue du modèle, qui décrit la physique de basse énergie, on développe donc les vecteurs d’onde autour de K± , q = K± + κ, ce qui est une bonne approximation si |κ| 1/a. Nous vérifierons cette condition plus tard pour tester la cohérence du modèle de basse énergie.2 1 On aurait évidemment pu faire le même raisonnement pour un site de l’autre sousréseau. 2 Notons que la condition de la limite continue |κ| 1/a n’équivaut pas nécessairement à la condition E t pour le modèle de basse énergie si la structure de bande a des 188 Le graphène et l’effet Hall quantique relativiste Dans cette limite, on peut développer l’exponentielle dans l’expression (10.6), X X ± h(q) = −t eiq·ej ' −t eiK ·ej (1 + iκ · ej ) j = −it = j X e iK± ·e j j κ · ej 3 ta (±κx + iκy ) + O(a2 ), 2 (10.12) P où nous avons utilisé la condition d’énergie nulle, j exp(iK± · ej ) = 0 dans la deuxième ligne, et nous négligeons des termes d’ordre O(a2 ). Cela mène à la matrice hamiltonienne effective 3 3 0 ακx + iκy ef f = ta(ακx τ x − κy τ y ). (10.13) Hα=± (κ) = ta ακ − iκ 2 2 x y Notons que, contrairement au modèle de départ, l’indice α peut être interprété comme un degré de liberté interne, ce qui est dû au fait qu’on a deux points cristallographiquement inéquivalents, K et K 0 , autour desquels on a développé le hamiltonien. On se retrouve donc strictu sensu avec deux hamiltoniens effectivs. Aussi le caractère chiral devient plus évident dans l’équation (10.13) lorsqu’on représente les vecteurs d’onde κ dans le plan complexe. La diagonalisation de la matrice hamiltonienne (10.13) donne la dispersion d’énergie autour des points K et K 0 , 3 α=± ε± (κ) = ± ta|κ| = ±h̄vF |κ|, 2 (10.14) en termes de la vitesse de Fermi vF = 3ta . 2h̄ (10.15) Cette dispersion d’énergie est dégénérée par rapport à la chiralité α, et nous insistons sur le fait que l’indice d’en bas ± n’est pas liée à cette chiralité – il désigne les deux branches d’énergie, positive et négative, qu’on obtient pour les deux chiralités. La forme (10.13) révèle de plus le caractére relativiste des pathologies. Heureusement, ce n’est pas le cas ici, comme on le verra plus tard. 10.3. LIMITE CONTINUE AVEC CHAMP MAGNÉTIQUE 189 excitations de basse énergie : c’est en effet le hamiltonien de Weil pour des particules relativistes sans masse, et l’on peut même l’écrire de façon plus concise, pour les deux chiralités à la fois, à l’aide des matrices 4 × 4, γ µ , connues dans le cadre de la mécanique quantique relativiste et de la théorie quantique des champs [109]. Dans cette analogie, la vitesse de Fermi vF joue le rôle de la vitesse de la lumière, et les points K et K 0 sont aussi appelés « points de Dirac ». Comme on l’a indiqué plus haut, le modèle effectif décrit correctement les propriétés électroniques du système à basse énergie lorsque toutes les échelles d’énergie pertinentes E – comme la température, le niveau d’impuretés, les interactions et le potentiel chimique dû au dopage (modifié par exemple par une tension de grille) – restent petites devant le paramètre t qui décrit la largeur de bande. Dans le cas d’un potentiel chimique uniforme µ, on peut y associer un vecteur d’onde de Fermi kF = µ/h̄vF . A l’aide de l’expression (10.15), on trouve que la condition µ t équivaut à akF 1, ce qui est précisément le domaine de validité de la limite continue qui justifie le développement des vecteurs d’onde autour des points K et K 0 . Notons enfin qu’on définit la densité des porteurs nel , induits par le potentiel chimique, par rapport aux points de Dirac, c’est à dire le cas de la bande demi-rempli correspond à nel = 0. C’est important pour la section suivante où l’on discute les électrons dans le graphène sous champ magnétique fort. 10.3 Limite continue avec champ magnétique La limite continue discutée dans la section précédente nous sert également pour le cas des électrons exposés à un champ magnétique. De façon heuristique, on peut s’attendre à ce que le développement de la dispersion d’énergie et la limite continue restent valables lorsque la longueur magnétique lB , induit par le champ magnétique, est grande devant la distance interatomique a. C’est le cas dans toute situation expérimentale, comme on l’a déjà vu dans l’introduction. Pour inclure le champ magnétique dans le modèle effectif, on peut utiliser la substitution de Peierls qui consiste à remplacer le vecteur d’onde κ par l’opérateur p/h̄.3 Le deuxième pas consiste à introduire le champ magnétique 3 Cette substitution n’est pas anodine, car l’opérateur p est le moment conjugué d’un opérateur position. La limite continue traite cette position comme une variable continue, et les électrons « oublient » ainsi le fait qu’il sont en principe restreints à des sites du 190 Le graphène et l’effet Hall quantique relativiste via le couplage minimal, p → p + eA, discuté dans le chapitre 2. Ce pas est problématique car il viole automatiquement la condition de la limite continue – même si B/φ0 est petit devant 1/a2 (ce qui équivaut à lB a), le potentiel vecteur qui intervient dans le couplage minimal ne l’est pas. Il dépend de la position dans le plan – rappelons qu’on a A = B(−y, x, 0)/2 dans la jauge symétrique – et la taille du système L reste l’échelle de longueur la plus grande, L lB a. A la place de la procédure exquissée (substitution de Peierls et couplage minimal), il faut, en principe, inclure le champ magnétique dans le modèle originelle, le modèle de liaisons forte (10.4). C’est possible : le paramètre de saut t acquiert une phase Z 2πe Ri +ej iφ(Ri ,ej ) t → te , avec φ(Ri , ej ) = A(r) · dr , h̄ Ri lors du saut de Ri à Ri +ej . Ce modèle a été étudié dans le cadre du « papillon de Hofstadter », ce qui désigne la jolie forme du spectre d’énergie, qui est auto-similaire, en fonction du rapport entre le pas du réseau et la longueur magnétique. La limite continue s’obtient pour les petites valeurs du champ magnétique. Ici, nous ne discutons pas les détails de cette approche, mais nous nous contentons du résultat qui coı̈ncide avec celui de l’approche plus simple, qui consiste à introduire le couplage minimal après la substitution de Peierls. 10.3.1 Niveaux de Landau relativistes En utilisant les mêmes quantités (2.11) que dans la section 2.1, Πx = px + eAx = −eBηy et Πy = py + eAy = eBηx , la matrice hamiltonienne en présence d’un champ magnétique s’écrit HαB = vF (αΠx τ x − Πy τ y ) = vF eB (−αηy τ x − ηx τ y ) . (10.16) Comme on l’a vu dans la section 2.1, la quantification canonique impose des règles de commutation aux variables cyclotrons ηx et ηy , [x, px ] = [y, py ] = ih̄ réseau. ⇒ 2 [ηx , ηy ] = −ilB , Limite continue avec champ magnétique 191 ce qui permet opérateurs d’échelle (2.17), a et a† , avec ηx = √ d’introduire les √ † † lB (a + a)/ 2 et ηy = lB (a − a)/ 2i. En termes d’opérateurs d’échelle, la matrice hamiltonienne s’écrit h̄vF αi a† − a τ x − a† + a τ y HαB = √ 2lB ih̄vF 0 α a† − a + a† + a , = √ † † 0 2lB α a − a − a + a d’où, de manière concise, B Hα=+ et B Hα=− √ vF 0 = ih̄ 2 −a lB √ vF 0 = ih̄ 2 † −a lB a† 0 a 0 (10.17) . (10.18) √ La quantité 2vF /lB joue ici le rôle de la fréquence cyclotron ωC . Notons qu’elle ne peut s’écrire sous la forme ωC = eB/m, comme pour le cas non relativiste, parce que la masse des électrons a disparu des expressions.4 Ces matrices se diagonalisent de façon standard, et nous limitons la discussion au cas des électrons au point K (α = +) – celui des électrons à K 0 s’obtient par l’échange des opérateurs d’échelle a ↔ a† . Nous cherchons les états propres de la matrice (10.17) sous la forme un ψn = , vn B à l’aide de l’équation aux valeurs propres, Hα=+ ψn = εn ψn , et donc √ vF ih̄ 2 a† vn = εn un lB √ vF (10.19) −ih̄ 2 a un = εn vn , lB ce qui donne l’équation h̄vF 2 lB 2 a† a un = ε2n un . Certains auteurs définissent parfois une « masse cyclotron » m∗ à l’aide de l’identifi√ cation 2vF /lB = eB/m∗ . Nous nous gardons d’utiliser cette quantité formelle qui n’a pas de justification au vu du caractère relativiste des électrons sans masse dans le graphène. 4 Le graphène et l’effet Hall quantique relativiste énergie (a) 0 n=4 n=3 n=2 n=1 n=0 champ magnétique B (b) énergie 192 2 1 0 densité d’états n=−1 −1 n=−2 n=−3 n=−4 −2 Fig. 10.4 – Niveaux de Landau relativistes.√(a) En faisant varier le champ magnétique, l’énergie des NL montre une dépendance de B. Le niveau n√ = 0√ reste√à l’énergie zéro, tandis que l’espacement entre deux niveaux n et n0 varie comme B( n− n0 ). (b) Densité d’états à B 6= 0. Chaque NL relativiste a la même dégénérescence, donnée par N B = 2 A/2πlB pour celle associée aux centres de guidage, en plus de la quadruple dégénérescence par état due aux degrés de libertés internes (chiralité et spin). Cette dernière équation nous indique que un est un état propre de l’opérateur n̂ = a† a, et l’on peut donc identifier un à l’état |ni habituel dans le cadre des électrons non relativistes sous champ magnétique, un ∼ |ni. Cela nous permet de trouver les niveaux d’énergie, les NL relativistes, √ vF √ 3ta √ n = ±√ eBn, (10.20) εn = ± 2h̄ lB 2h̄ où n est bien évidemment la valeur propre de n̂. Les NL relativistes, contrairement au cas non relativiste, ne dépendent donc pas linéairement du champ magnétique et du nombre quantique n, mais √ on a εn ∝ Bn (figure 10.4). Comme pour les électrons sans champ B, les niveaux énergies se séparent en deux branches, une négative et une positive, ce qui n’est pas lié au nombre quantique α de chiralité. La diagonalisation B de Hα=− donne exactement le même spectre d’énergie (10.20). √ On peut comprendre la dépendance inhabituelle εn ∝ Bn des NL relativistes à l’aide d’un argument portant sur la densité d’états. Supposons que la densité d’états dépende de l’énergie de façon ρ(ε) ∼ εκ . R ε algébrique, Dans ce cas, le nombre de porteurs s’écrit Nel = 0 dε0 ρ(ε0 ) ∼ εκ+1 . D’un autre côté, nous savons que ce nombre, si ν = n, équivaut à Nel = nNB = 2 nA/2πlB ∝ nB, d’où ε ∼ (nB)1/(κ+1) . Limite continue avec champ magnétique 193 Pour les électrons non relativistes 2D, on a une densité d’états constante, i. e. κ = 0, et l’on trouve donc le comportement habituel des NL, εnonrel ∼ nB. Dans le cas relativiste, la densité d’états s’annule linéairement au voisinage des points de Dirac, et κ = 1 nous fournit donc le spectre d’énergie εrel ∼ (nB)1/2 (10.20). On peut calculer les états propres à l’aide des équations (10.19) et (10.20) – on trouve (pour n > 0) a vn = ∓i √ un ∼ ∓i|n − 1i, n et alors pour α = + α=+ ψ±n 1 =√ 2 i|ni ±|n − 1i , (10.21) où l’on a tenu compte de la normalisation du vecteur d’état. De la même manière, on trouve pour la chiralité α = − 1 ±|n − 1i α=− ψ±n = √ . (10.22) i|ni 2 Comme on l’a indiqué plus haut, cet état s’obtient également par un simple échange des opérateurs d’échelle, ce qui révient à échanger les composantes un ↔ v n . Notons que les états (10.21) et (10.22) respectent automatiquement la symétrie particule-trou (10.11), car α α τ z ψ±n = −ψ∓n . Le cas n = 0 est particulier – comme pour le cas sans champ magnétique, il représente un mode d’énergie nulle, ce que l’on voit immédiatement dans l’expression (10.20). C’est différent du cas non relativiste, où le NL n = 0 a l’énergie h̄ωC /2 6= 0, due au mouvement quantique inévitable de l’oscillateur harmonique « au repos ». L’équation aux valeurs propres s’écrit donc α HαB ψn=0 = 0, ce qui devient, pour α = +, a un=0 = 0 et a† vn=0 = 0. (10.23) A l’aide de la représentation des opérateurs d’échelle dans le plan complexe (2.22), ∗ √ √ z z † ¯ + lB ∂ et a = 2 − lB ∂ , a= 2 2 4lB 4lB 194 Le graphène et l’effet Hall quantique relativiste les équations (10.23) deviennent des équations différentielles 2 ¯ 2 z + 4lB ∂ un=0 (z, z ∗ ) = 0 et z ∗ − 4lB ∂ vn=0 (z, z ∗ ) = 0, qui ont les solutions un=0 (z, z ∗ ) = f (z)e−|z| et vn=0 (z, z ∗ ) = g(z ∗ )e|z| 2 /4l2 B 2 /4l2 B , où f (z) est une fonction analytique et g(z ∗ ) une fonction anti-analytique. Notons que vn=0 (z, z ∗ ) n’est normalisable que si g(z ∗ ) = 0. On a donc, pour le niveau d’énergie nulle n = 0, |n = 0i 0 α=+ α=− ψn=0 = et ψn=0 = , 0 |n = 0i où la deuxième expression s’obtient aisement à l’aide de a ↔ a† , pour changer entre les points K et K 0 . 10.3.2 Dégénérescences des niveaux relativistes De la même manière que pour les électrons non relativistes dans un champ magnétique, les NL relativistes sont hautement dégénérés. C’est lié au fait que les composantes du centre de guidage, X = x − ηx et Y = y − ηy , commutent avec la matrice hamiltonienne, X, HαB = Y, HαB = 0, 2 mais elle ne commutent pas entre elles, [X, Y ] = ilB (voir la section 2.2). Cela donne alors la même dégénérescence par NL relativiste, NB = AnB = 2 , que pour les électrons non relativistes, et la définition du facteur de A/2πlB α remplissage reste inchangée, ν = nel /nB . Les états quantiques ψ±n sont donc à compléter par le nombre quantique m associé au centre de guidage, α α ψ±n,m ≡ ψ±n ⊗ |mi, ou, de manière explicite, 1 i|n, mi α=+ , ψ±n,m = √ 2 ±|n − 1, mi α=− ψ±n,m 1 =√ 2 ±|n − 1, mi i|n, mi (10.24) Limite continue avec champ magnétique 195 pour n > 0 et α=+ ψn=0,m = |n = 0, mi 0 , α=− ψn=0,m = 0 |n = 0, mi (10.25) pour n = 0. Nous rappelons que m varie entre 0 et NB − 1. A part cette dégénérescence, les états sont dégénérés en raison des deux degrés de liberté internes, le spin σ =↑, ↓ et l’indice de chiralité α = ±, α,σ ce qui donne une quadruple dégénérescence interne par état, ψ±n,m , décrite par une symétrie interne SU(4). La densité d’états par NL relativiste est esquissée dans la figure 10.4(b). Notons que cette dégénérescence peut être levée par différents mécanismes, le plus commun étant l’effet Zeeman qui lève la dégénérescence de spin. Dans le cas de la chiralité, elle peut être levée par des mécanismes affectant le réseau, comme par exemple des distortions [108]. Nous verrons plus loin (section 10.5) à quel point la symétrie SU(2) de la chiralité reste préservée en tenant compte des interactions électroniques. 10.3.3 Vérification expérimentale Les NL relativistes dans le graphène sous champ magnétique ont récemment été mis en évidence dans des mesures de spectroscopie de transmission par Sadowski et coll. [110]. L’échantillon consiste ici en quelques couches de graphène déposées sur un substrat à base de silicium. Lorsque l’échantillon est exposé à une irradiation monochromatique de fréquence ω, une partie de la lumière est absorbée si sa fréquence coı̈ncide avec la différence d’énergie des paires de NL relativistes, h̄ω = εn − εn0 = ∆εn,n0 , ce qui se traduit par un abaissement local de la transmission relative en fonction de la fréquence. La figure 10.5(a) montre un tel spectre à température T = 1, 9K pour un champ magnétique de 0, 4T. On y remarque des résonances correspondant à des transitions entre NL relativistes (transitions A, B, C et D). Lorsqu’on fait varier le champ magnétique, les résonances se déplacent de façon monotone [figure 10.5(b)], ce qui montre la dépendance des transitions du champ B. La figure 10.5(c), où les énergies des résonances sont tracées en fonction de B, montre la cette dépendance de façon quantitative. On y voit √ bien, pour les transitions B et C au moins, la dépendance ∆εn,n0 ∝ B, comme on s’y attend pour des NL relativistes [voir l’équation (10.20)]. Une comparaison avec les valeurs théoriques (10.20) permet d’identifier les résonances aux transitions suivantes : la raie A correspond à la transition ε1 → ε2 , B à ε0 → ε1 (ou ε−1 → ε0 qui a la même énergie), C à ε−1 → ε2 196 Le graphène et l’effet Hall quantique relativiste (a) transition C énergie [meV] énergie de transmission [meV] (c) transmission relative transmission relative (b) transition B 1/2 B énergie [meV] Fig. 10.5 – Expériences de Sadowski et coll. [110]. (a) Pour un champ magnétique fixe de 0, 4T, on trouve des résonances dans le spectre de transmission en fonction de l’énergie de l’irradiation. Les résonances sont associées à des transitions entre NL relativistes [transitions A, B (rouge), C (bleu) et D]. (b) Ces résonances se déplacent en variant le champ magnétique. (c) Lorsqu’on trace l’énergie des résonances en fonction de la racine du champ, √ B, on observe une dépendance linéaire attendue pour les NL relativistes. 10.4. L’EFFET HALL QUANTIQUE RELATIVISTE 197 (ε−2 → ε1 ) et D à ε−3 → ε2 (ε−2 → ε3 ). La raie A pourrait, en principe, également être due à la transition ε−2 → ε−1 , mais le potentiel chimique se trouve, pour cette situation expérimentale au voisinage du niveau n = 0 et 1. Dans ce cas, les niveaux n < 0 sont pleins, et cette transition est ainsi interdite. 10.4 L’effet Hall quantique relativiste Avant les expériences de spectroscopie de Sadowski et coll. [110], la nature relativiste des NL dans le graphène a été mise en evidence de manière indirecte avec l’observation d’un EHQE inhabituel, en 2005, par deux groupes différents [104, 105]. La figure 10.6 montre les mesures de Zhang et coll. [105]. On y observe la signature habituelle d’un EHQE, avec des paliers dans la résistance de Hall accompagnés d’une résistance longitudinale nulle, lorsqu’on fait varier le champ magnétique [figure 10.6(a)]. Une tension de grille est appliquée à l’échantillon afin d’obtenir une densité de porteurs finie. On a vu dans le chapitre 3 qu’on peut comprendre l’effet dans le cadre de la localisation des électrons dans des NL partiellement remplis. Comme on peut, dans le graphène, faire varier la densité des porteurs sur une large gamme à l’aide d’une tension de grille, on peut également changer le facteur de remplissage entre −30 < ν < 30 environ, à un champ magnétique constant [figure 10.6(c)]. Ce qui est inhabituel dans ces résultats expérimentaux est la série des facteurs de remplissage pour lesquels on observe des plataux : au lieu d’obtenir un EHQE à ν = 4n – le préfacteur 4 tient compte de la double dégénérescence de chiralité ainsi que celle du spin qui n’est pas levée ici en raison d’un faible effet Zeeman – on le trouve pour des facteurs de remplissage ν = ±2(2n + 1). C’est précisément la signature d’un EHQE relativiste. Cela se comprend à l’aide de la densité d’états dans le graphène [voir les figures 10.4(b) et 10.6(b)] : contrairement au cas non relativiste, le plus bas NL est demi-rempli en absence de porteurs, nel = 0 ou ν = 0. Ce n’est qu’à ν = 2 qu’il est complètement rempli et qu’on est dans la situation typique de l’EHQE, et l’on observe donc un palier. Comme la dégénérescence, en l’absence d’un effet Zeeman, est 4NB pour tous les NL relativistes, les sauts se font par des différences de remplissage de ∆ν = 4, et les autres paliers se trouvent donc à ν = 2 + n∆ν = 2 + 4n = 2(2n + 1). Le même raisonnement en termes de trous, nel < 0 donne la série ν = −2(2n + 1), et l’on trouve 198 Le graphène et l’effet Hall quantique relativiste densité d’états Vg =15V T=30mK B=9T T=1,6K Fig. 10.6 – Expérience de Zhang et coll. [105]. (a) A une tension de grille constante (Vg = 15V), la résistance de Hall mesurée dans une feuille de graphène montre la signature caractéristique de l’effet Hall quantique – des plateaux à certaines valeurs du champ magnétique accompagnés d’une résistance longitudinale nulle. L’encadré montre le même effet pour un gaz de trous, à une tension de grille Vg = −4V. (b) Esquisse de la densité d’états. (c) Courbes de résistance, transverse et longitudinale, en fonction de la tension de grille qui contrôle la densité des porteurs dans l’échantillon, à un champ magnétique constant de 9T. Pour Vg > 0, on a un EHQE d’électrons et pour Vg < 0 un EHQE de trous. L’encadré montre un aggrandissement de la résistance de Hall entre 20 et 80V. 10.5. MODÈLE D’ÉLECTRONS EN INTERACTION 199 alors l’EHQE relativiste à ν = ±2(2n + 1) = ±2, ±6, ±10, ..., comme il a été observé dans les expériences [104, 105]. Une expérience à plus fort champ magnétique montre l’apparition de nouveaux plateaux dans la résistance de Hall à ν = 0, ±4 et ν = ±1 [111]. Tandis que les EHQE à ν = 0, ±4 se comprennent facilement dans le cadre d’une levée de dégénérescence de spin, celui à ν = ±1 est intriguant : il révèle une levée de dégénérescence de la symétrie SU(2) associée à la chiralité α. Une possible explication de cette levée de dégénérescence est la distortion du réseau par un couplage au substrat : le potentiel chimique est ainsi différent sur les deux sous-réseaux, et il est donc énergétiquement favorable pour les électrons de n’en occuper qu’un seul. Comme, pour n = 0, les électrons au point K (α = +) vivent seulement sur le sous-réseau A et ceux au point K 0 (α = −) seulement sur B [voir l’équation (10.25)], le potentiel chimique est différent pour les deux chiralités, ce qui ouvre un gap d’énergie [108]. Cet effet est absent dans les NL n 6= 0 où les états (10.24) sont repartis sur les deux sous-réseaux avec un poids égal. Une autre explication possible est la mise en place d’une cohérence de phase à ν = ±1, comme pour le cas du ferromagnétisme (chapitre 8) ou le condensat d’excitons dans les bicouches (chapitre 9), maintenant en termes de chiralité, ce qui est dû aux interactions, objet de la section suivante. 10.5 Modèle d’électrons en interaction Comme on l’a vu dans le chapitre 4, on peut restreindre la dynamique des électrons de basse énergie à un seul niveau si ν 6= gn, où g est la dégénérescence de chaque état |n, mi due aux degrés de libertés internes. C’est aussi le cas pour le graphène si la séparation entre les NL relativistes voisins reste grande devant les autres échelles pertinentes. C’est le cas comme l’indique le tableau suivant qui regroupe les échelles d’énergie caractéristiques : largeur de bande effets du réseau NL relativistes effet Zeeman interactions t = 2, 7eV p a/lB = 0, 005 p B[T] h̄vF /lB = 20 nB[T]meV ∆Z = gµB B = 0,p 1B[T]meV 2 e /lB = 2, 4...12 B[T]meV 200 Le graphène et l’effet Hall quantique relativiste où l’incertitude dans la dernière ligne vient de l’incertitude dans la constante diélectrique , qui peut varier selon le substrat (1 ≤ ≤ 5).5 On voit donc que l’énergie caractéristique des interactions est inférieure à l’espacement entre NL relativistes si n ne devient pas trop grand. L’effet Zeeman reste également inférieur à l’échelle d’énergie des interactions, pour des valeurs réalistes du champ magnétique, même si la différence n’est pas aussi grande que dans le cas de l’AsGa. Ces raisonnements d’ordre de grandeur indiquent que le modèle d’électrons restreints à un seul NL, discuté dans la section 4.1, est pertinent aussi dans le cas relativiste du graphène, et on a donc pour le hamiltonien d’interaction (4.4) 1X Hint = v(q)ρn (−q)ρn (q), (10.26) 2 q où l’opérateur de densité dans n est la somme des densités sur les deux B sous-réseaux, ρn (q) = ρA n (q) + ρn (q). Dans la suivante discussion du modèle d’interaction, nous omettons l’indice de spin, et nous nous concentrons sur la symétrie SU(2) associée à la chiralité. Les densités électroniques sur les sous-réseaux A et B sont données par6 ρA n (r) = X Ψ†α,n;A (r)Ψα0 ,n;A (r) et ρB n (r) = α,α0 X Ψ†α,n;B (r)Ψα0 ,n;B (r), α,α0 (10.27) où Ψα,n;A(B) (r) est le champ fermionique de chiralité α sur le sous-réseau A(B), projeté au NL n. Contrairement à la description continue de la section 10.3, ces champs fermioniques sont définis sur le réseau et se factorisent donc en√une partie d’oscillation rapide aux vecteur d’onde K± = ±K = ±4πex / 33a et une partie décrite par la limite continue, Ψα,n (r) = e iαK·r Φα,n (r) = e iαK·r Φα,n;A (r) Φα,n;B (r) , avec Φα,n (r) = X α ψn,m (r)cn,m;α , m 5 La valeur = 5 semble adaptée pour un substrat à base de silicium. Nous choisissons n ≥ 0 ici pour pouvoir omettre le signe devant n et ainsi alléger la notation. Le raisonnement pour n < 0 est le même. 6 Modèle d’électrons en interaction 201 (†) où cn,m;α est l’opérateur de deuxième quantification qui annihile (crée) un α α fermion dans l’état ψn,m à la position r. Les spineurs ψn,m (r) sont alors les représentations des états (10.24) et (10.25) dans l’espace directe. La densité (10.27) sur le sous-réseau A, celle sur le sous-réseau B s’obtenant par un simple échange d’indice A ↔ B, s’écrit alors † −2iK·R † ρA Φ+,n;A (r)Φ−,n;A (r) n (r) = Φ+,n;A (r)Φ+,n;A (r) + e +e2iK·R Φ†−,n;A (r)Φ+,n;A (r) + Φ†−,n;A (r)Φ−,n;A (r) 1 X = hn, m|rihr|n, m0 ic†n,m;+ cn,m0 ;+ 2 0 m,m −ie−2iK·R hn, m|rihr|n − 1, m0 ic†n,m;+ cn,m0 ;− +ie2iK·R hn − 1, m|rihr|n, m0ic†n,m;− cn,m0 ;+ 0 † +hn − 1, m|rihr|n − 1, m icn,m;− cn,m0 ;− , ou, dans l’espace de Fourier, de manière plus compacte ρA n (q) 1X 1 − α0 0 † 1 − α −i[q+(α−α0 )K]·r = , m e n− n − 2 , m cn,m;α cn,m0 ;α0 . 2 2 0 m,m α,α0 (10.28) s’obtient en changeant K ↔ −K dans l’expression précédente, La densité et la densité totale peut s’écrire sous la forme ρB n (q) ρn (q) = X 0 0 Fnαα (q)ρ̄αα (q), (10.29) α,α0 avec les densités projetées, dépendant des combinaisons des chiralités, 0 ρ̄αα (q) = X m,m0 hm|e−i[q+(α−α)K]·R |m0 ic†n,m;α cn,m0 ;α0 , (10.30) 202 Le graphène et l’effet Hall quantique relativiste où R = (X, Y ) est l’opérateur centre de guidage, et les facteurs de formes7 [112] 2 2 1 |q| |q| 2 ++ Fn (q) = L|n| + L|n|−1 e−|q| /4 = Fn−− (q) ≡ Fn (q) 2 2 2 ! −(q + q ∗ − K − K ∗ ) |q − K|2 −|q−K|2 /4 +− 1 p Fn (q) = L|n|−1 e 2 2 2|n| ∗ Fn−+ (q) = Fn+− (−q) , (10.31) en termes de vecteurs d’onde dans le plan complexe, q = qx + iqy et K = Kx + iKy . A l’aide des opérateurs de densité projetée, le hamiltonien d’interaction s’écrit [112] Hint = 1 X X α1 ,...,α4 v (q)ρ̄α1 α3 (−q)ρ̄α2 α4 (q), 2 α ,...,α q n 1 (10.32) 4 avec le vertex vnα1 ,...,α4 (q) = 2πe2 α1 α3 F (−q)Fnα2 α4 (q). |q| n (10.33) Dû au réseau sous-jacent, la somme sur le vecteur d’onde q est restreinte à la 1BZ. Le modèle d’électrons en interaction est donc plus complexe que celui des électrons non relativistes [équations (4.7), (4.17) et (4.18)], mais garde la même structure. En retrouve le modèle non relativiste si Fnα,−α (q) = 0, à une modification du potentiel effectif près, et c’est précisément la condition pour une symétrie SU(2) de la chiralité. Evidemment, la forme (10.32) n’a pas cette symétrie, comme les facteurs de forme Fnα,−α (q) 6= 0. Pour mieux analyser la symétrie du hamiltonien (10.32), nous analysons les différents vertex qu’on peut représenter par les diagrammes dans la figure 10.7. 0 0 – Les vertex de la forme Fnα,α (∓q)Fnα ,−α (±q) [figure 10.7(a)] ne respectent pas la conservation de l’impulsion – il faut fournir une quantité de ±K. Le vertex n’est pourtant pas identiquement nul parce que l’impulsion, pour des électrons sous champ magnétique, n’est pas un bon nombre quantique. La conservation de l’impulsion se manifeste par une suppression exponentielle en lB /a du vertex, car il contient un terme 7 Comme avant, on met lB ≡ 1. Modèle d’électrons en interaction (a) ν3 , α 1 ν1 , α 1 (c) ν3 , −α ν1 , α ν4 , −α2 203 (b) ν1 , α ν2 , α 2 ν4 , α ν2 , −α ν3 , −α (d) ν3 , α 1 ν1 , α 1 ν4 , −α ν2 , α ν4 , α 2 ν2 , α 2 Fig. 10.7 – Représentation diagrammatique des vertex d’interaction ; (a) vertex associé 0 0 au terme Fnα,α (∓q)Fnα ,−α (±q), (b) vertex de type « umklapp » [Fnα,−α (−q)Fnα,−α (q)], (c) vertex de type « rétro-diffusion » [Fnα,−α (−q)Fn−α,α (q)] et (d) vertex respectant la 0 0 symétrie SU(2) [Fnα,α (−q)Fnα ,α (q) = Fn (q)2 ]. exp [−(q 2 + |q ± K|2 )/4] = exp [−(|q0 |2 + |K|2 /4)/2] ∼ exp(−|K|2 /8) ∼ exp(−lB /a). – Le vertex de type « umklapp » [Fnα,−α (−q)Fnα,−α (q), figure 10.7(b)] ne respecte pas non plus la conservation de l’impulsion. Il est donc également supprimé exponentiellement en lB /a, en raison de l’exponentielle exp [−(|q + K|2 + |q − K|2 )/4] = exp(−|q|2 /2) exp(−|K|2 /2). – Le vertex de type « rétro-diffusion » [Fnα,−α (−q)Fn−α,α (q), figure 10.7(c)] ne viole pas la conservation de l’impulsion. Dans ce cas, on obtient, après un changement de variable, une énergie potentielle de l’ordre de vn+− (q) ∼ exp(−|q|2 /2)/|q ± K| ∼ exp(−|q|2 /2)/|K|. Par rapport à l’énergie caractéristique e2 /lB , le terme reste petit, vn+− /(e2 /lB ) ∼ a/lB , mais seulement algébriquement en a/lB . – Le vertex dans la figure 10.7(d) est invariant sous une transformation SU(2) de la chiralité. Il a l’énergie vn (q) = (2π/|q|)[Fn (|q|)]2 qui représente l’échelle la plus pertinente, vn /(e2 /lB ) ∼ 1. Ce raisonnement nous montre que, même si le modèle d’électrons en interaction dans le gaphène n’a pas une symétrie de chiralité SU(2) parfaite, il 204 Le graphène et l’effet Hall quantique relativiste est approximativement invariant, 1 X X 2πe2 0 n [Fn (q)]2 ρ̄α (−q)ρ̄α (q) + O(a/lB ) , HSU = (2) 2 0 q |q| (10.34) α,α où ρ̄α (q) ≡ ρ̄α,α (q). Le terme de correction le plus pertinent est celui associé à la rétro-diffusion 1 X X α,−α Hbs = v (q)ρ̄α,−α (−q)ρ̄−α,α (q), (10.35) 2 α q n où nous avons défini vnα,−α (q) ≡ vnα,−α,−α,α (q). Notons enfin que le modèle du NL n = 0 est beaucoup moins complexe : comme les spineurs, représentant les vecteurs d’état, n’ont qu’une seule composante, on trouve X ρA (q) = hm|e−iq·r |m0 ic†n=0,m;+ cn=0,m0 ;+ n=0 m,m0 et ρB n=0 (q) = X m,m0 hm|e−iq·r |m0 ic†n=0,m;− cn=0,m0 ;− , au lieu de l’expression (10.28). La densité totale s’écrit alors ρn=0 (q) = Fn=0 (q) ρ̄+ (q) + ρ̄− (q) , et on retrouve le modèle (10.34) sans terme correctif avec le facteur de forme habituel du plus bas NL (voir la section 4.1) Fn=0 (q) = Fn=0 (q) = e−q 2 /4 . On voit donc qu’il n’y a pas de différence, dans le plus bas NL n = 0, entre les électrons relativistes et non relativistes, à part le degré de liberté interne de la chiralité qui est absent dans le cas non relativiste. 10.5.1 Le potentiel d’interaction effective dans le graphène et l’EHQF Il est instructif d’étudier plus en détail le modèle symétrique (10.34) de la même manière que on l’a fait dans le chapitre 4. Le facteur de forme du graphène peut également être absorbé dans un potentiel effectif vnG (q) = 2πe2 [Fn (q)]2 , q (10.36) Modèle d’électrons en interaction 205 (a) (b) n=0 (relativiste et non relativiste) n=1 (relativiste) 8 n=1 (non relativiste) 6 n=5 (relativiste) 5 4 2 n=5 (non relativiste) 2 44 r/l B 66 88 10 10 n 10 10 pseudo−potentiels V m potentiel d’interaction effectif 12 0.8 0.8 0.6 0.6 0.4 0.4 1 0 n=0 n=1 (rel.) n=1 (non rel.) 2 1 4 3 2 m 3 5 4 6 5 Fig. 10.8 – (a) Potentiels d’interaction effectifs dans l’espace réel : comparaison entre les potentiels relativistes (courbes noires) et non relativistes (courbes grises) pour les NL n = 0, 1 et 5. La courbe en pointillé montre le potentiel dans n = 0, qui est le même pour les deux cas, relativiste et non relativiste. (b) Pseudo-potentiels pour n = 0 (cercles noirs), n = 1 relativiste (ligne bleu) et n = 1 non relativiste (ligne verte). Les cercles ouverts montrent les pseudo-potentiels pour des moments angulaires relatifs pairs, qui ne jouent pas de rôle physique dans le cas de fermions complètement polarisés de spin et de chiralité. Les énergies sont données en unités de e2 /lB . comme pour le cas des électrons non relativistes. La figure 10.8(a) montre les potentiels effectifs pour n = 0, 1 et 5 dans l’espace réel, en comparaison avec le cas non relativiste. A grande distance, les potentiels gardent leur comportement coulombien en 1/r. La plus grande différence entre le cas relativiste et non relativiste est obtenue pour n = 1 – en effet le potentiel relativiste dans n = 1 ressemble plus au potentiel pour n = 0 (qui est le même pour des électrons relativistes et non relativiste comme il fait intervenir le même facteur de forme) qu’au potentiel non relativiste dans n = 1. Dans les deux cas, la décroissance du potentiel en fonction de r est monotone. Pour des NL plus élevés, on s’attend à ce que la différence entre les potentiels relativistes et non relativistes disparaisse : comme l’énergie de Fermi EF se trouve dans n 1, on aurait pu linéariser la dispersion d’énergie des particules libres non relativistes autour de EF , ce qui donnerait le même spectre d’énergie que dans le cas relativiste. On peut prouver cette affirmation à l’aide de la√forme asymptotique des polynômes de Laguerre, Ln (q 2 /2) exp(−q 2 /4) ' J0 (q 2n + 1), où J0 (x) est la fonction de Bessel d’ordre zéro. Cela donne pour 206 Le graphène et l’effet Hall quantique relativiste le facteur de forme du graphène i √ √ √ 1h Fn (q) = J0 (q 2n − 1) + J0 (q 2n + 1) ' J0 (q 2n) + O(1/n) 2 q 2 −q2 /4 ' Ln e + O(1/n) = Fn (q), 2 et l’on trouve ainsi le facteur de forme habituel du NL n non relativiste, Fn (q), à part une correction d’ordre O(1/n). La figure 10.8(a) montre en effet que la différence entre le potentiel relativiste et non relativiste est très faible déjà pour n = 5. La différence principale consiste en des petites oscillations autour du palier caractéristique du potentiel dans le NL n qui sont moins prononcées dans le cas relativiste comme le facteur de forme fait intervenir deux polynômes de Laguerre voisins (n et n − 1). Il est également instructif d’analyser les pseudo-potentiels (voir la section 4.2.2) associés au potentiel effectif dans le graphène [112], X 2 V`n = 2π vnG (q)L` (q 2 )e−q /2 , (10.37) q qui sont tracés pour n = 0 et 1 dans la figure 10.8(b). On y voit, comme pour les potentiels effectifs dans l’espace réel, que les pseudo-potentiels pour des électrons relativistes dans n = 1 ressemblent fortement à ceux dans n = 0. Le fait que le potentiel est de plus courte portée dans n = 0 est révélé par V0n=0 > V0n=1 tandis qu’on a V`n=0 < V`n=1 pour les autres valeurs ` du moment angulaire relatif. Rappelons que seuls les pseudo-potentiels avec ` impair joue un rôle physique dans le cas des électrons polarisés en raison de leur statistique fermionique. Sans faire de calcul, on peut donc déjà faire quelques affirmations concernant les phases possibles dues aux corrélations entre électrons. – De manière générale, on s’attend à ce que les phases observables dans le NL n = 1 relativiste ressemblent aux phases habituelles qu’on trouve dans le NL n = 0 dans les hétérostructures semiconductrice d’AsGa. – Contrairement aux électrons avec spin dans n = 0, il est plus facile de former des états d’EHQF non polarisés de chiralité qui sont affectés par le pseudo-potentiel V0n=1 < V0n=1 , qui est plus petit dans n = 1. – Pour les états d’EHQF polarisés de chiralité, on s’attend à ce qu’ils soient plus stables dans n = 1 que dans le plus bas NL n = 0, à champ magnétique constant, comme V`n=1 > V`n=0 , de même que les rapports 10.6. LE FERROMAGNÉTISME DE CHIRALITÉ 207 n=1 n=1 n=0 n=0 des pseudo-potentiels successifs, V2m+1 /V2m+3 > V2m+1 /V2m+3 . Les gaps d’activation des états correspondants seront ainsi plus grand dans n = 1. C’est inhabituel comparé au cas non relativiste où les états sont les plus stables dans n = 0. Cette affirmation est confirmée par des calculs de diagonalisation exacte [113]. – Le NL relativiste n = 2 ressemblant déjà au même niveau non relativiste, la riche physique du NL n = 1 non relativiste, avec ses phases réentrantes (section 7.4.1) et l’énigmatique état d’EHQF à demiremplissage, semble absente dans le cas du graphène. La formation de cristaux d’ı̂lots et de phases rubans est attendue pour des NL relativistes n ≥ 2. 10.6 Le ferromagnétisme de chiralité Pour terminer la discussion des interactions entre électrons dans le graphène, nous étudions le remplissage ν = 1. Comme on l’a vu dans le cas des électrons avec spin dans le capitre 8 et pour les bicouches à ν = 1 (chapitre 9), on s’attend à ce que les électrons forment un état collectif cohérent de phase, où le degré de liberté interne SU(2) est ici donné par la chiralité. L’argument reste le même : le ferromagnétisme de chiralité permet d’avoir une fonction d’onde spatiale totalement anti-symétrique ce qui abaisse la répulsion coulombienne, sans affecter l’énergie cinétique qui est gelée en raison de la quantification de Landau. Pour analyser un tel état, on peut se servir de la fonction d’essai (8.3) ou (9.1), introduite respectivement dans le cadre du ferromagnétisme de spin ou de pseudo-spin de bicouche. Pour un NL n quelconque, on a Y (10.38) |ψn ({θm , ϕm })i = um c†n,m;+ + vm c†n,m;− |0i, m avec um = cos(θm /2) exp(−iϕm /2) et vm = sin(θm /2) exp(iϕm /2), et le modèle O(3) associé s’écrit en termes de champ d’aimentation de chiralité sin θm cos ϕm n(m) = sin θm sin ϕm . cos θm Le modèle symétrique (10.34) donne bien évidemment le modèle effectif 208 Le graphène et l’effet Hall quantique relativiste (8.34), pour des variations lentes, ρG δE = n 2 Z d2 r[∇n(r)]2 , à une modification de la raideur de spin près, Z ∞ ν G dkk 3 vnG (k)s̄(k). ρn = − 32π 2 0 (10.39) (10.40) Le terme correctif le plus pertinent en a/lB (10.35) pour n ≥ 1 donne lieu à un terme de masse qui brise la symétrie SU(2). Dans l’approximation de Hartree-Fock sur l’état (10.38), on trouve, en omettons l’indice n aux opérateurs fermioniques, 1X X Vm±1 ,...,m4 hc†m1 ;σ cm3 ;−σ ihc†m2 ;−σ cm4 ;σ i hHbs i = 2 σ m ,...,m 1 4 † −hcm1 ;σ cm4 ;σ ihc†m2 ;−σ cm3 ;−σ i , avec le vertex Vm±1 ,...,m4 ≡ X 2πe2 q |q| Fn+− (−q)Fn−+ (q)hm1 |ei(q+K)·R |m3 ihm2 |e−i(q+K)·R |m4 i 2 2 |q| πe2 X |q|2 1 −|q|2 /4 L e ' |K| q 2|n| |n|−1 2 ×hm1 |eiq·R |m3 ihm2 |e−iq·R |m4 i, (10.41) où nous avons utilisé un changement de variable dans la deuxième ligne, q + K → q, et nous omettons des corrections d’ordre a/lB à ce terme, qui est déjà de l’ordre de O(a/lB ). A l’aide des moyennes hc†m;+ cm0 ;+ i ≡ hψn ({θm , ϕm })|c†m;σ cm0 ;σ |ψn ({θm , ϕm })i = δm,m0 |um |2 , hc†m;− cm0 ;− i = δm,m0 |vm |2 et hc†m;+ cm0 ;− i = δm,m0 u∗m vm , on trouve pour le terme correctif, à part une constante d’énergie C sans intérêt, hHbs i = 1 X ± ± 0 Dm,m0 [nx (m)nx (m0 ) + ny (m)ny (m0 )] + Em,m 0 nz (m)nz (m ) +C, 4 m,m0 Modèle d’électrons en interaction 209 ± ± ± ± où Dm,m 0 = Vm,m0 ,m,m0 représente un terme direct et Em,m0 = Vm,m0 ,m0 ,m un terme d’échange. Afin d’écrire hHbs i de la même façon que le modèle effectif O(3) (10.39), on utilise le développement en gradient ∂ 2 nµ (m) 1 (m − m0 )2 ... nµ (m)nµ (m0 ) ' [nµ (m)]2 + nµ (m) 2 ∂m2 Notons que ce développement n’a un sens que lorsqu’on remplace le nombre quantique m par une variable locale, m → R. Cela implique un changement de base, où l’on construit des états cohérents à partir de m, comme on l’a vu dans la section 2.2.2, et R est ici le centre de guidage classique. A l’ordre le plus bas, on trouve ainsi le terme de masse X hHbs i(0) = ∆z [nz (m)]2 , (10.42) m qui donne lieu à un plan facile d’aimentation XY , comme dans le cas des bicouches, avec un gap d’énergie de 1X ± 1 e2 ∆z = . (10.43) Em,m0 = 4 0 16π 2 |K| m En comparaison avec la physique des bicouches, il y a pourtant des différences importantes : dans le cas des bicouches, le gap d’énergie pour des excitations de l’aimentation hors du plan XY trouve son origine dans une pénalisation due à une énergie capacitive lorsqu’on a un déséquilibre de charge entre les couches. C’est donc un effet direct, avec une énergie caractéristique de l’ordre de (e2 /lB ) × d/lB , qui est à l’origine de ce plan facile d’aimentation. Ce n’est pas le cas dans le graphène où l’expression (10.43) indique clairement que le plan facile d’aimentation est généré par un effet d’échange, de l’ordre de (e2 /lB ) × a/lB . Notons enfin que la brisure de symétrie SU(2) est beaucoup plus faible dans le graphène (a/lB ∼ 10−2 ) que dans le cas des bicouches où d/lB ∼ 1. Il est donc peu probable qu’on puisse observer cette brisure de symétrie, en raison du désordre qui reste élevé dans les feuilles de graphène – l’élargissement des NL relativiste dans un échantillon de bonne qualité à l’heure actuelle est estimé à Γ ∼ 1, 7meV [111] alors que ∆z ∼ 0, 05meV [112], ce qui est presque deux ordres de grandeur plus petit. Comparaison avec l’expérience Comme on l’a indiqué plus haut, une levée de dégénérescence de la chiralité à été mise en évidence à ν = 1 pour des champs magnétiques forts, 210 Le graphène et l’effet Hall quantique relativiste B > 17T [111]. Alors que d’autre mécanismes pour lever cette dégénérescence dans n = 0 sont possibles [108, 114], nous essayons de comprendre cette observation, ainsi que l’absence d’un plateau à ν = ±5, dans le cadre du ferromagnétisme de chiralité, le critère d’observabilité étant que le gap associé à cet état soit plus grand que le niveau d’impureté Γ ∼ 1, 7meV [111]. Le gap d’énergie pour un ferromagnétique dans un NL est donné par l’énergie d’un skyrmion Esk = 4πρG n , en termes de raideur de spin [13, 81]. On trouve pour ν=±1 le plus bas NL n = 0 une valeur de Esk = 14 E0 ∼ 4meV, pour un champ p de seuil de B ∼ 17T, où E0 = π/2e2 /lB est l’énergie nécessaire pour créer une paire électron-trou dans le plus bas NL. Notons que, pour avoir des excitations de type skyrmion, il faut que 2Esk < E0 , ce qui est le cas ici.8 Le gap pour un ferromagnétique de chiralité est donc bien au-dessus de l’énergie de l’élargissement Γ, ce qui n’est pas le cas pour celui le NL relativiste p dans ν=±5 7 π/2e2 /lB ∼ 1, 8meV, à n = 1 (par exemple à ν = ±5), où Esk = 64 B = 17T, est du même ordre que Γ. Notons que l’énergie d’un skyrmion dans n = 1 n’atteint pas la valeur de 4meV en-dessous des champs d’environ 80T, ce qui n’est pas accessible actuellement. 8 Ce n’est pas le cas dans des NL non relativistes n ≥ 1. Bibliographie [1] K. v. Klitzing, G. Dorda et M. Pepper, Phys. Rev. Lett. 45, 494 (1980). [2] D. C. Tsui, H. Stormer et A. C. Gossard, Phys. Rev. Lett. 48, 1559 (1982). [3] S. Das Sarma et A. Pinczuk, eds., Perspectives in Quantum Hall Effects, Wiley, New York (1997). [4] L. D. Landau et E. M. Lifschitz, Physique théorique, tome 9 – Physique statistique (partie 2), Editions MIR (1990). [5] J. Bardeen, L. N. Cooper et J. R. Schrieffer, Phys. Rev. 108, 1175 (1957). [6] J. G. Bednorz et K. A. Müller, Z. Phys. 64, 189 (1986). [7] F. Steglich, J. Aarts, C. D. Bredl, W. Leike, D. E. Meshida, W. Franz et H. Schäfer, Phys. Rev. Lett. 43, 1892 (1976). [8] P. Coleman, Ann. Henri Poincaré 4, 1 (2003). [9] R. B. Laughlin, Phys. Rev. Lett. 50, 1395 (1983). [10] P. W. Anderson, Science 235, 1196 (1987). [11] A. Lopez et E. Fradkin, Phys. Rev. B 44, 5246 (1991). [12] B. I. Halperin, P. A. Lee et N. Read, Phys. Rev. B 47, 7312 (1993). [13] Z. F. Ezawa, Quantum Hall Effects - Field Theoretical Approach and related Topics, World Scientific, Singapore (2000). [14] S. Sachdev, Quantum Phase Transitions, Cambridge University Press, Cambridge (1999). [15] B. I. Halperin, Helv. Phys. Acta 56, 75 (1983). [16] J. K. Jain, Phys. Rev. Lett. 63, 199 (1989) ; Phys. Rev. B 41, 7653 (1990). [17] I. S. Gradshteyn et I. M. Ryzhik, Table of Integrals, Series, and Products, cinquième édition, Academic Press (1994). 211 212 BIBLIOGRAPHIE [18] C. Cohen-Tannoudji, Mécanique Quantique, Vol.I, Hermann, Paris (1973). [19] E. Abrahams, P. W. Anderson, D. C. Licciardello, and T. V. Ramakrishnan, Phys. Rev. Lett. 42, 673 (1979). [20] S. L. Sondhi, S. M. Girvin, J. P. Carini et D. Shahar, Rev. Mod. Phys. 69, 315 (1997). [21] G. D. Mahan, Many-Particle Physics, deuxième édition, Plenum Press (1993). [22] H. P. Wei, D. C. Tsui, M. A. Paalanen et A. M. M. Pruisken, Phys. Rev. Lett. 61, 1294 (1988). [23] H. P. Wei, L. W. Engel et D. C. Tsui, Phys. Rev. B 50, 14609 (1994). [24] B. Huckestein, Rev. Mod. Phys. 67, 357 (1995). [25] J. T. Chalker et P. D. Coddington, J. Phys. C 21, 2665 (1988). [26] I. L. Aleiner et L. I. Glazman, Phys. Rev. B 52, 11296 (1995). [27] M. Abramowitz et I. Stegun, Handbook of Mathematical functions, neuvième édition, Dover Publications (1970). [28] S. M. Girvin et T. Jach, Phys. Rev. B 29, 5617 (1984). [29] D. Levesque, J. J. Weis et A. H. MacDonald, Phys. Rev. B 30, 1056 (1984). [30] S. M. Girvin, A. H. MacDonald et P. M. Platzman, Phys. Rev. B 33, 2481 (1986). [31] S. M. Girvin, Phys. Rev. B 30, 558 (1984). [32] F. D. Haldane, Phys. Rev. Lett. 51, 605 (1983). [33] J. M. Caillol, D. Levesque, J. J. Weis et L. P. Hansen, J. Stat. Phys. 28, 325 (1982). [34] D. Yoshioka, The Quantum Hall Effect, Springer, Berlin (2002). [35] R. P. Feynman, Phys. Rev. 91, 1291 (1953) ; Statistical Mechanics, Benjamin, Reading, Mass. (1972). [36] S. M. Girvin, The Quantum Hall Effect : Novel Excitations and Broken Symmetries, dans Les Houches LXI,Physique quantique mésoscopique, édité par E. Akkermans, G. Montambaux, J.-L. Pichard et J. ZinnJustin, North Holland, 659 1994). BIBLIOGRAPHIE 213 [37] F. D. M. Haldane et E. H. Rezayi, Phys. Rev. Lett. 54, 237 (1985) ; G. Fano, F. Ortolani et E. Colombo, Phys. Rev. B 34, 2670 (1986). [38] B. I. Halperin, Phys. Rev. Lett. 52, 1583 (1984). [39] Revue des différentes théories de fermions composites : O. Heinonen, ed., Composite Fermions, World Scientific, Singapore (1998). [40] R. de-Picciotto et al., Nature 389, 162 (1997) ; L. Saminadayar et al., Phys. Rev. Lett. 79, 2526 (1997). [41] F. E. Camino, W. Zhuo et V. J. Goldman, Phys. Rev. Lett. 95, 246802 (2005). [42] A. Stern et B. I. Halperin, Phys. Rev. Lett. 96, 016802 (2006) ; P. Bonderson, A. Kitaev et K. Shtengel, ibid., 016803 (2006). [43] S. H. Simon et B. I. Halperin, Phys. Rev. B 48, 17368 (1993) ; S. H. Simon dans [39]. [44] R. Shankar et G. Murthy, Phys. Rev. Lett. 79, 4437 (1997) ; G. Murthy et R. Shankar, dans [39]. [45] G. Murthy et R. Shankar, Rev. Mod. Phys. 75, 1101 (2003) ; condmat/0205326v2 (pour plus de détails mathématiques). [46] V. Pasquier et F. D. M. Haldane, Nucl. Phys. B 516, 719 (1998). [47] D. Bohm and D. Pines, Phys. Rev. 92, 609 (1953). [48] N. Read, Semi. Sci. Tech. 9, 1859 (1994). [49] F. C. Zhang et S. Das Sarma, Phys. Rev. B 33, 2903 (1986). [50] R. Morf, N. d’Ambrumenil et S. Das Sarma, Phys. Rev. B 66, 075408 (2002). [51] K. Park, N. Meskini, J. K. Jain, J. Phys. : Condens. Matter 11, 7283 (1999). [52] W. Pan, H. L. Stormer, D. C. Tsui, L. N. Pfeiffer, K. W. Baldwin et K. W. West, Phys. Rev. Lett. 90, 016801 (2003). [53] R. G. Mani et K. v. Klitzing, Z. Phys. B 100, 635 (1996). [54] M. O. Goerbig, P. Lederer et C. Morais Smith, Phys. Rev. B 69, 115327 (2004). [55] M. P. Lilly, K. B. Cooper, J. P. Eisenstein, L. N. Pfeiffer et K. W. West, Phys. Rev. Lett. 82, 394 (1999) ; R. R. Du, D. C. Tsui, H. L. Stormer, L. N. Pfeiffer, K. W. Baldwin et K. W. West, Solid State Commun. 109, 389 (1999). 214 BIBLIOGRAPHIE [56] A. A. Koulakov, M. M. Fogler et B. I. Shklovskii, Phys. Rev. Lett. 76, 499 (1996) ; M. M. Fogler, A. A. Koulakov et B. I. Shklovskii, Phys. Rev. B 54, 1853 (1996). [57] R. Moessner et J. T. Chalker, Phys. Rev. B 54, 5006 (1996). [58] L. Bonsall et A. A. Maradudin, Phys. Rev. B 15, 1959 (1977). [59] A. H. MacDonald, Phys. Rev. B 30, 3550 (1984). [60] K. B. Cooper, M. P. Lilly, J. P. Eisenstein, L. N. Pfeiffer et K. W. West, Phys. Rev. B 60, 11285 (1999). [61] J. P. Eisenstein, K. B. Cooper, L. N. Pfeiffer et K. W. West, Phys. Rev. Lett. 88, 076801 (2002). [62] J. S. Xia, W. Pan, C. L. Vincente, E. D. Adams, N. S. Sullivan, H. L. Stormer, D. C. Tsui, L. N. Pfeiffer, K. W. Baldwin et K. W. West, Phys. Rev. Lett. 93, 176809 (2004). [63] M. O. Goerbig, P. Lederer et C. Morais Smith, Phys. Rev. B 69, 155324 (2004). [64] H. Jiang, R. L. Willet, H. L. Stormer, D. C. Tsui, L. N. Pfeiffer et K. W. West, Phys. Rev. Lett. 65, 633 (1990) ; H. Jiang, H. L. Stormer, D. C. Tsui, L. N. Pfeiffer et K. W. West, Phys. Rev. B 44, 8107 (1991). [65] M. M. Fogler, dans C. Berthier, L. P. Lévy et G. Martinez, eds., “High Magnetic Fields - Applications in Condensed Matter Physics and Spectroscopy”, Springer (2001). [66] R. L. Willett, J. P. Eisenstein, H. L. Stormer, D. C. Tsui, A. C. Gossard et J. H. English, Phys. Rev. Lett. 59, 1776 (1987). [67] F. D. M. Haldane et E. H. Rezayi, Phys. Rev. Lett. 60, 956 (1988) ; ibid. 60, 1886 (1988). [68] B. I. Halperin, Helv. Phys. Acta 56, 75 (1983). [69] G. Moore et N. Read, Nucl. Phys. B 360, 362 (1991). [70] M. Greiter, X. G. Wen et F. Wilczek, Phys. Rev. Lett. 66, 3205 (1991) ; Nucl. Phys. B 374, 567 (1992). [71] J. P. Eisenstein, R. L. Willett, H. L. Stormer, D. C. Tsui, A. C. Gossard et J. H. English, Phys. Rev. Lett. 61, 997 (1988) ; J. P. Eisenstein, R. L. Willett, H. L. Stormer, L. N. Pfeiffer et K. W. West, Surf. Sci. 229, 31 (1990). BIBLIOGRAPHIE 215 [72] W. Pan, H. L. Stormer, D. C. Tsui, L. N. Pfeiffer, K. W. Baldwin et K. W. West, Solid State Commun. 119, 641 (2001). [73] T. Jungwirth, A. H. MacDonald, L. Smrcka et S. M. Girvin, Phys. Rev. B 60, 15574 (1999). [74] T. D. Stanescu, I. Martin et P. Phillips, Phys. Rev. Lett. 84, 1288 (2000). [75] W. Pan, R. R. Du, H. L. Stormer, D. C. Tsui, L. N. Pfeiffer, K. W. Baldwin et K. W. West, Phys. Rev. Lett. 83, 820 (1999) ; M. P. Lilly, K. B. Cooper, J. P. Eisenstein, L. N. Pfeiffer et K. W. West, ibid. 83, 824 (1999). [76] R. Morf, Phys. Rev. Lett. 80, 1505 (1998). [77] R. M. Lewis, P. D. Ye, L. W. Engel, D. C. Tsui, L. N. Pfeiffer et K. W. West, Phys. Rev. Lett. 89, 136804 (2002). [78] G. Gervais, L. W. Engel, H. L. Stormer, D. C. Tsui, K. W. Baldwin, K. W. West et L. N. Pfeiffer, Preprint : cond-mat/0402169. [79] R. Côté, C. Doiron, J. Bourassa et H. A. Fertig, Phys. Rev. B 68, 155327 (2003). [80] M. O. Goerbig, P. Lederer et C. Morais Smith, Phys. Rev. Lett. 93, 216802 (2004). [81] K. Moon, H. Mori, K. Yang, S. M. Girvin, A. H. MacDonald, I. Zheng, D. Yoshioka et S.-C. Zhang, Phys. Rev. B 51, 5138 (1995) ; S. M. Girvin et A. H. MacDonald, dans [3]. [82] C. Kallin et B. I. Halperin, Phys. Rev. B 30, 5655 (1984). [83] R. L. Doretto, A. O. Caldeira et S. M. Girvin, Phys. Rev. B 71, 045339 (2005). [84] M. V. Berry, Proc. Roy. Soc.(London) A 392, 45 (1984) ; Voir aussi Geometric Phases in Physics, édité par Frank Wilczek and Alfred Shapere, (World Scientific, Singapour, 1989). [85] S. M. Girvin and A.H. MacDonald, chap. 5 dans la référence [3]. [86] J. P. Eisenstein, chap. 2 dans la référence [3]. [87] S. Q. Murphy, J. P. Eisenstein, G. S. Boebinger, L. N. Pfeiffer et K. W. West, Phys.Rev. Lett. 72, 728, (1994). [88] M. Shayegan, chap. 9 dans la référence [3]. [89] T. Chakraborty et P. Pietiläinen, Phys. Rev. Lett. 59, 2784 (1987) ; E. H. Rezayi et F. D. M. Haldane, Bull. Am. Phys. Soc 32, 892 (1987). 216 BIBLIOGRAPHIE [90] Y.W. Suen, L. W. Engel, M. B. Santos, M. Shayegan et D. C. Tsui, Phys.Rev. Lett. 68, 1379 (1992) ; J. P. Eisenstein, G. S. Boebinger, L. N. Pfeiffer, K. W. West et Song He, ibid., 1383 (1992) [91] X. G. Wen et A. Zee, Phys. Rev. Lett, 69, 1811 (1992) ; Z. F. Ezawa et A. Iwazaki, Int. J. Mod. Phys. B 19, 3205 (1992) ; A. H. MacDonald, P. M. Platzman et G. S. Boebinger, Phys. Rev. Lett.65, 775 (1990) ; Luis Brey, Phys. Rev. Lett. 65, 903 (1990) ; H. A. Fertig, Phys. Rev. B 40, 1087 (1989) ; R. Côté, L. Brey et A. H. MacDonald, Phys. Rev. 46, 10239 (1992) ; Tin-Lun Ho, Phys. Rev. Lett. 73, 874 (1994). [92] L. V. Keldysh et Y. V. Kopaiev Fiz. Tverd. Tela 6 , 2791 (1964). [93] Voir cependant L. V. Butov et al., Nature 418, 754,(2002). [94] Vittorio Pellegrini, Aron Pinczuk, Brian S. Dennis, Annette S. Plaut, Loren N. Pfeiffer et Ken W. West, Phys. Rev. Lett. 78, 310 (1997) ; Y. W. Suen, J. Jo, M. B. Santos, L. W. Engel, S. W. Hwang et M. Shayegan, Phys. Rev. B44, 5947 (1991) ; G. S. Boebinger, H. W. Jiang, L. N. Pfeiffer et K. W. West, Phys. Rev. Lett.64, 1793 (1990). [95] I. B. Spielman, J. P. Eisenstein, L. N. Pfeiffer et K. W. West, Phys. Rev. Lett. 84, 5808 (2000). [96] J. Schliemann, S. M. Girvin et A. H. MacDonald, Phys. Rev. Lett. 86, 1849 (2001). [97] M. Kellogg, J. P. Eisenstein, L. N. Pfeiffer et K. W. West, Phys. Rev. Lett.93, 036801 (2004) ; E. Tutuc, M. Shayegan et D. A. Huse, ibid., 036802 (2004). [98] J. P. Eisenstein et A. H. MacDonald, Nature, 432, 691 (2004). [99] J. P. Eisenstein et al., Appl. Phys. Lett. 57, 2324 (1990). [100] I. Tupitsyn, M. Wallin et A. Rosengren, Phys. Rev. B 53, R7614 (1996). [101] G. Grüner, Rev. Mod. Phys. 60, 1129 (1988). [102] I. B. Spielman, J. P. Eisenstein, L. N. Pfeiffer et K. W. West, Phys. Rev. Lett. 87, 036803 (2001). [103] R. Jackiw, Phys. Rev. D 29, 2375 (1984) ; G. W. Semenoff, Phys. Rev. Lett. 53, 2449 (1984). [104] K. S. Novoselov, A. K. Geim, S. V. Morosov, D. Jiang, M. I. Katsnelson, I. V. Grigorieva, S. V. Dubonos et A. A. Firsov, Nature 438, 197 (2005). [105] Y. Zhang, Y.-W. Tan, H. L. Stormer et P. Kim, Nature 438, 201 (2005). BIBLIOGRAPHIE 217 [106] V. P. Gusynin et S. G. Sharapov, Phys. Rev. Lett. 95, 146801 (2005). [107] N. M. Peres, F. Guinea et A. H. Castro Neto, cond-mat/0506709 ; Phys. Rev. B 73, 125411 (2006). [108] J.-N. Fuchs et P. Lederer, cond-mat/0607480. [109] S. Weinberg, The Quantum Theory of Fields I, Cambridge UP (1995). [110] M.L. Sadowski, G. Martinez, M. Potemski, C. Berger et W.A. de Heer, cond-mat/0605739. [111] Y. Zhang, Z. Jiang, J. P. Small, M. S. Purewal, Y.-W. Tan, M. Fazlollahi, J. D. Chudow, J. A. Jaszczak, H. L. Stormer et P. Kim, Phys. Rev. Lett. 96, 136806 (2006). [112] M. O. Goerbig, R. Moessner et B. Douçot, cond-mat/0604554. [113] V. M. Apalkov et T. Chakraborty, cond-mat/0606037. [114] V.P. Gusynin, V.A. Miransky, S.G. Sharapov et I.A. Shovkovy, condmat/0605348.