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64 le clinicien mai 2000
Tribune d’éthique
L’aspect éthique
Notre analyse de l’aspect éthique portera entre
autres points sur la justesse de la différenciation
proposée et sur les conséquences qui découlent de
cette différenciation.
La justesse de la différenciation. Le mot
«personne» prend diverses significations suivant
l’aspect de l’être humain qu’on veut faire ressortir.
Les sciences qui étudient un même objet se dis-
tinguent par leur manière de définir cet objet et par
leur méthode d’étude. Ainsi, pour le psycholoque,
la vie psychologique caractérise la personne. Le
biologiste retiendra plutôt qu’il s’agit d’un mam-
mifère primate de la famille des hominiens, seul
représentant de son espèce. Le théologien insistera
sur la présence d’une âme créée par Dieu et des-
tinée à la contemplation éternelle de son créateur.
Le juriste utilisera le mot «personne» pour désigner
le sujet porteur de droits; le mot «personne»
désignera aussi les entités corporatives.
La justesse de la différenciation proposée a pour
objet son exactitude, sa capacité à décrire le réel. La
différenciation entre personne humaine et non-
personne humaine est-elle fondée dans le réel?
La différenciation entre personne et non-
personne fixe le niveau de développement ou de per-
fection à partir duquel on devrait reconnaître l’exis-
tence de la personne. Plus les critères sont élevés et
nombreux, plus il est difficile d’être reconnu comme
une personne. Ces critères se rapportent générale-
ment à la capacité intellectuelle et aux habiletés de
communication. En voici une liste brève : la ratio-
nalité ou l’intelligence dont le niveau requis est à
préciser, la conscience du monde extérieur, la con-
science de soi, la communication, le fait d’agir libre-
ment, la maîtrise de sa conduite. Comment justifier
l’exigence de tel ou tel niveau intellectuel? Par exem-
ple, cet handicapé avec lequel on ne pouvait com-
muniquer il y a 20 ans communique maintenant
avec son entourage grâce à la mise au point de nou-
velles techniques. Selon les critères retenus,
quelqu’un pourrait constater que le patient est une
personne, alors qu’un autre conclurait à l’inverse.
La puissance et l’acte. Du point de vue philo-
sophique, la raison caractérise la personne. La
nature humaine porte ce trait fondamental et dis-
tinctif de la présence d’une intelligence. D’où le
célèbre énoncé de Blaise Pascal qui souligne la
fragilité de l’homme dans son corps, mais sa
grandeur par la pensée : «L’homme n’est qu’un
roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un
roseau pensant».2Or, il arrive qu’un accident ou
que la maladie prive quelqu’un temporairement ou
définitivement d’une portion plus ou moins
importante de l’exercice de sa capacité intel-
lectuelle. Cette privation diminue-t-elle l’être con-
cerné au point de lui retirer une partie ou la tota-
lité de sa nature d’être pensant?
Dans son observation des êtres naturels en mou-
vement, la philosophie utilise les concepts de puis-
sance et d’acte. La puissance désigne ce qui est
potentiel ou virtuel. L’acte représente ce qui existe
effectivement. La graine est un arbre en puissance,
alors que l’arbre est un arbre en acte.
L’oreille qui n’entend plus lors d’une infection
recouvre sa capacité d’entendre une fois guérie.
Lorsqu’elle n’entendait plus, l’oreille conservait la
possibilité, la puissance d’entendre. En bonne
santé, l’oreille entend, elle exerce sa fonction;