Participation du consommateur, coproduction, co-création…

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Participation du consommateur, coproduction, co-création : typologies,
enjeux marketing et implications managériales
Accroche
La participation du consommateur « travailleur » ou « collaborateur de l’entreprise » suscite de plus
en plus d’intérêt chez les chercheurs et les marketeurs. Source d’opportunités elle présente aussi un
certain nombre de risques dans sa mise en œuvre.
Résumé
Les notions de participation consommateur et plus encore coproduction ou co-création apparaissent
de plus en plus fréquemment dans les publications scientifiques. Un article publié en 2015 visant à
clarifier la notion de co-création de valeur recense 181 publications de chercheurs sur le thème. Le
développement des systèmes de libre-service et la mise en place de plateformes de stockage de
données et d’échange renforcent les possibilités et occasions de « travail » du consommateur. La
participation du consommateur « travailleur » ou « collaborateur de l’entreprise » se justifie sur le
plan économique mais aussi marketing en matière d’innovation, de distribution, de services, mais aussi
de gestion de la relation client, de gestion de l’image de marque et bien sûr dans le cadre des
communautés en ligne. Cependant, si la participation consommateur peut sembler « un nouvel
eldorado pour le marketing », sa mise en œuvre comporte un certain nombre de risques pour
l’entreprise et ses parties prenantes.
Mots clefs
Participation du consommateur, coproduction, co-création, marketing collaboratif,
autoproduction, self-service technologies
Les notions de participation consommateur et plus encore coproduction ou co-création apparaissent
de plus en plus fréquemment dans les publications scientifiques. Un article publié en 2015 dans la
revue RAM
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visant à clarifier la notion de co-création de valeur, ses composantes, ses moteurs, ses
conséquences s’appuie pour ce faire sur 181 publications de chercheurs en marketing, management
ou innovation réalisées lors de la dernière décennie dans les principales revues académiques.
Le développement de la participation active du consommateur c’est-à-dire sa contribution à un
processus de production ou création repose à l’origine sur des justifications économiques (volonté de
l’entreprise de réduire le poste personnel et d’améliorer la productivité) et s’est intensifié ces
dernières années dans de nombreux secteurs grâce aux progrès en matière d’automatisation, à la
digitalisation croissante de l’univers marchand, au développement des réseaux sociaux et plus
récemment aux innovations exponentielles en matière d’objets connectés. Le développement des
systèmes de libre- service et la mise en place de plateformes de stockage de données et d’échange
renforcent en effet les possibilités et occasions de « travail » du consommateur.
L’intérêt marketing est autre. Au-delà de l’aspect économique et des réductions de coût donc de prix
potentiels, l’intérêt pour la participation du consommateur « travailleur » ou « collaborateur de
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Thomas Leclercq, Wafa Hammedi, Ingrid Poncin Dix ans de co-création de valeur : une revue
intégrative RAM 2016
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l’entreprise
2
» se justifie sur le plan marketing en matière d’innovation, de distribution, de services,
mais aussi de gestion de la relation client, de gestion de l’image de marque et bien sûr dans le cadre
des communautés en ligne. Différents courants théoriques s’intéressent au le du consommateur en
matière de production, de création de produit, de service, d’expérience et/ou de valeur. Les divers
termes utilisés et les notions qu’ils recouvrent ne font pas toujours consensus ce qui complexifie un
peu la compréhension des enjeux et quelques auteurs tentent de clarifier ces notions émergentes dans
la littérature scientifique. La notion de participation des consommateurs et les concepts liés renvoient
d’une part à des choix organisationnels de l’entreprise (volonté de faire participer le client et
organisation de cette participation) d’autre part au comportement du consommateur et à sa volonté
d’être actif, de contribuer à la création mais également à une vision de la valeur, les consommateurs
étant à l’origine de la création de valeur d’usage, de la création d’expérience, plus globalement de la
création de valeur. Des classifications de la participation permettent d’éclairer différents aspects,
notamment la question de la motivation des consommateurs à participer. Les pratiques marketing
récentes font une place de plus en plus grande au consommateur acteur qu’il s’agisse d’une réalité à
prendre en compte et gérer au mieux afin de faciliter le rôle du consommateur et son adhésion, ou
d’une opportunité à saisir pour une meilleure adéquation des offres aux besoins des consommateurs,
une amélioration de la satisfaction, de l’engagement, un levier de création de valeur. Ainsi, de plus en
plus, le consommateur est-il mis à contribution au sein même du processus marketing. Cependant, si
la participation consommateur peut sembler « un nouvel eldorado pour le marketing »
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, sa mise en
œuvre comporte un certain nombre de risques pour l’entreprise et ses parties prenantes et, mal gérée
ou inadéquate, peut être perçue par le consommateur comme une forme d’exploitation. Un certain
nombre de publications s’efforcent d’envisager des recommandations pour optimiser la participation
consommateur.
I. Notions de participation, coproduction, co-création et autres pratiques de collaboration
consommateurs
1) Les courants historiques
Dans leur article « Dix ans de co-création de valeur : une revue intégrative » Thomas Leclercq, Wafa
Hammedi et Ingrid Poncin identifient trois courants de recherche : le comportement des
consommateurs, les services, la gestion des innovations. Cela s’applique plus largement à l’ensemble
des notions ci-dessus.
Pour le marketing des services, la co-production client-entreprise est inhérente au processus de
fabrication. Le processus de Servuction théorisé par Eric Langeard et Pierre Eiglier
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dans les années
80 nécessite un certain degré de participation du client. Le service est la résultante des interactions
entre le personnel en contact, le support physique et le client. Sans participation client, la réalisation
de la prestation de service n’a pas lieu. Production et consommation sont simultanées. La participation
peut prendre différentes formes : physique (pousser un caddie au supermarché), intellectuelle
(concevoir son aménagement de cuisine sur un logiciel), voire affective (action spontanée). Elle peut
être passive (simple présence) ou active et demander plus ou moins d’efforts au consommateur. Pour
être optimisée, la participation client ou coproduction du service doit être gérée par les équipes
marketing afin de vérifier la cohérence avec le positionnement ; les équipes et clients doivent être
formés, les outils adaptés et les interactions facilitées.
2
Marie Anne Dujarier Quand consommer c’est travailler Idées décembre 2009
3
Eric Vernette, Elisabeth Tissier Debordes La participation du client, la co-production, la co-création, un nouvel
eldorado pour le marketing ? Editorial DM janvier-mars 2012
4
Eric Langeard, Pierre Eiglier Servuction 1987
3
Partant du fait que toute offre y compris celle concernant les produits a pour but final de rendre un
service au consommateur (il n’achète jamais un produit mais les services que celui-ci peut rendre),
Vargo et Lusch
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ont développé ultérieurement (2004) l’idée que la logique des services doit être
généralisée en lieu et place de la logique produit dominante -Good Dominant Logic- qui sépare
strictement production et consommation, ne s’intéressant qu’à la première pour évaluer la valeur. La
logique dominante doit devenir celle du service -Service Dominant Logic- qui considère globalement
production et consommation et reconnait le rôle du consommateur au sein du processus de création.
Pour la SDL, le consommateur est coproducteur, la valeur est perçue et définie sur la base de la valeur
d’usage. La « SDL » implique que la valeur est définie et co-créée avec le consommateur et non
uniquement par l’entreprise. Pour Vargo et Lush, cela implique de collaborer et d’apprendre du
consommateur.
Parallèlement, pour Prahalad et Ramaswamy
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les consommateurs de plus en plus actifs et informés
sont acteurs d’une personnalisation de l’expérience de consommation. Leur article publié en 2004
est considéré comme fondateur de la notion de co-création de valeur. L’interaction entre l’entreprise
et le consommateur est le lieu de création et d’extraction de valeur. Les entreprises doivent s’efforcer
de proposer des interactions de grande qualité permettant aux consommateurs de créer une
expérience unique, tout au long de la vie du produit, se différenciant ainsi des offres concurrentes.
Pour Prahalad et Ramaswamy, le simple transfert d’activités au consommateur dans le cadre d’un self-
service, la personnalisation de masse, le co-design (activités mettant en jeu la participation du
consommateur) ne relèvent pas de la co-création. La co-création est plus que le co-marketing. Le rôle
des consommateurs et des collaborateurs des entreprises converge, la valeur est co-créée à de
multiples points d’interaction. Le marché n’est plus une cible mais « un forum pour des conversations
et interactions entre les consommateurs, les communautés et l’entreprise ».
Dans le cadre de la CCT (Consumer Culture Theory Arnould et Thompson 2005) un certain nombre de
travaux de recherche ont été menés autour du rôle du consommateur : expérience, appropriation,
détournement de produits et de marques, confusion des rôles personnel/consommateur, rôle des
communautés de consommateurs. Dans un article paru en 2009 sur « les figures du nouveau
consommateur » Bernard et Véronique Cova
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montrent comment la figure du consommateur créatif
se construit au milieu des années 2000, après celles du consommateur individualiste puis hédoniste,
requérant toujours plus de compétences de la part du consommateur. Ainsi celui-ci doit savoir non
seulement dialoguer (marketing relationnel), jouer un rôle (marketing expérientiel) mais aussi intégrer
des ressources (marketing collaboratif).
Le courant du marketing de l’innovation met lui aussi en lumière le rôle des consommateurs. Le
premier, Von Hippel (1978), étudie le rôle des « lead users » dans la définition des nouveaux concepts
ou produits. Ces consommateurs présentent une forte expérience et expertise dans un domaine
donné. Ils participent à l’évolution de ce marché. Ainsi les entreprises ont intérêt à mobiliser ces « lead
users » dans le cadre d’une innovation collaborative. Les recherches récentes
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montrent, pour de très
nombreuses catégories de produits, moments de vie ou passions, le développement de communautés
de « lead users » qui échangent et travaillent sur des projets innovants et créatifs grâce à Internet.
5
Stephen L. Vargo, Robert F. Lusch Evolving to a New Dominant Logic for Marketing JM 2004
6
C.K. Prahalad, Venkat Ramaswamy Co-creation experiences: the next practice in value creation Journal of
interactive marketing 2004
7
Bernard Cova, Véronique Cova Les figures du nouveau consommateur : une génèse de la gouvernementali
du consommateur RAM 2009
8
Fuller et al 2007 cité dans Bernard Cova, Pascale Ezan Le consommateur-collaborateur : Activités, attentes et
impacts, le cas du passionné de Warhammer
4
2) Typologies de participation et motivations des consommateurs
De multiples critères permettent de caractériser le phénomène de participation et, selon Cadenat et
al.,
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« celui-ci se trouve fragmenté en de multiples modalités dont il est difficile de trouver le
dénominateur commun ». La participation consommateur peut intervenir à différents moments,
prendre différentes formes, être plus ou moins suscitée et encadrée par les entreprises. Les
motivations des consommateurs à participer, « moteurs de la participation » selon Leclercq, Hammedi
et Poncin diffèrent selon les cas de figure et les profils consommateurs. Les typologies proposées
permettent de clarifier les notions.
Autoproduction dirigée versus coproduction collaborative
La distinction établie par Marie-Anne Dujarier
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peut servir de point de départ à une classification.
Marie-Anne Dujarier distingue trois types de travail du consommateur :
- des tâches simples externalisables dans le cadre de la production, de la distribution et de l’après-
vente. Le consommateur réalise seul à l’aide d’un outil un travail opérationnel. Dans ce cas, l’entreprise
« repousse » vers le client un certain nombre de tâches faites auparavant par le personnel (utilisation
des automates ou du site Internet bancaire, self scanning au supermarché, édition de billets de cinéma
ou de transport…). Il s’agit d’une « autoproduction dirigée » c’est-à-dire réalisée par le consommateur
pour lui-même, fortement encadrée par l’entreprise et pas forcément récompensée. Par exemple, les
services bancaires sur Internet peuvent être payants car présentés comme un service supplémentaire.
- un ensemble de tâches regroupées sous le terme de « coproduction collaborative ». L’entreprise
dans ce cas « aspire » les informations, les idées, les créations des consommateurs. Elle pratique le
crowdsourcing
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grâce à des consommateurs volontaires souvent non rémunérés. Il s’agit alors de co-
création, co-production, co-design, de marketing participatif, collaboratif. Ce travail de collaboration
peut être individuel mais a bien souvent lieu dans le cadre de communautés de marques, de
consommateurs, d’utilisateurs.
M.A. Dujarier insiste sur l’opposition entre ces deux premières formes de participation, entre le
travailleur, ni décisionnaire ni même parfois volontaire, et le collaborateur associé aux décisions.
- Enfin un « travail d’organisation » peut être réalisé par le client pour pallier les contradictions et les
insuffisances de l’entreprise (former un autre client à un nouveau système, mettre la pression sur un
salarié, contrôler la qualité d’une prestation, rechercher le meilleur rapport qualité prix…).
Volonté de l’entreprise versus initiative du consommateur
La participation n’a pas toujours pour origine une volonté de l’entreprise mais peut être à l‘initiative
du consommateur. Les travaux de Bernard Cova mettent en lumière les formes de participation à
9
Sandrine Cadenat, Audrey Bonnemaizon, Florence Benoit Moreau, Valerie Renaudin Regards sur la
coproduction du client : comment les entreprises nous font-elles participer ? DM Avril juin 2013
10
Marie Anne Dujarier Quand consommer c’est travailler Idées décembre 2009
11
Terme de J Howe 2006. Définition JF Lebraty 2009 : externalisation d’activités vers la foule
5
l’initiative du consommateur. Il définit la notion de « Consumer made »
12
comme « le résultat de la
mise en jeu de compétences par des consommateurs afin de modifier ou d’améliorer l’offre des
entreprises et arriver ainsi à une création originale ». L’évolution de la société et des technologies
permet l’émergence du « prosumer » (producteur-consommateur) décrit par le sociologue et
futurologue alvin Toffler en 1979. Après les postures de détournement (comportement déviant) ou de
contournement (posture de rébellion), les consommateurs adoptent aujourd’hui des postures de
« retournement ». La consommation étant centrale et source d’identité pour l’individu, ce dernier
veut jouer un rôle actif, collaborer avec l’entreprise, soit par participation immédiate à la conception
ou production soit par réinterprétation a posteriori de l’offre de l’entreprise (comme le font par
exemple les fanatiques du tuning
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dans l’industrie automobile). Pour les sociologues, il s’agit d’un
retour de la passion de créer venant compenser la chute du rôle du travail. La créativité peut être
individuelle ou collective. Bernard Cova reprend le terme de « bricoleurs » pour parler des
consommateurs créatifs et les différencie des lead users préfigurant les besoins de la masse, achetant
régulièrement et recherchant la reconnaissance de l’entreprise. Le consommateur créatif, lui,
recherche son plaisir personnel, la reconnaissance des autres passionnés, collectionne les objets culte
et ne cherche ni à améliorer l’usage des produits ni la reconnaissance de l’entreprise. Les entreprises
doivent donc apprendre à tirer profit de ces initiatives spontanées des consommateurs plutôt que de
les subir.
Formes d’autoproduction en fonction des choix d’entreprise et des compétences
consommateurs
Bernard Cova, Pascale Ezan et Gregorio Fuschillo
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ont distingué plusieurs formes d’autoproduction.
- L’autoproduction dirigée décrite par M.A. Dujarier s’étend à double titre ces dernières années en
concernant un nombre croissant d’activités (au-delà des activités de service et de distribution) et
d’autre part parce que les consommateurs réalisent des tâches de plus en plus nombreuses.
L’autoproduction dirigée nécessite un « apprentissage technique et social pour faire du consommateur
un acteur compétent et productif » et favorise plutôt l’individualisation des activités.
- La deuxième forme de participation, nommée autoproduction accompagnée est issue à l’origine
d’initiatives à vocation sociale qui se sont développées dans l’univers marchand. Des initiatives
collectives ou individuelles donnent naissance à des lieux permettant d’apprendre à faire soi-même.
Les notions d’autonomisation et de passion sont clés, qu’il s’agisse de garages automobiles pour
apprendre la mécanique, d’espaces culinaires ou de communautés de jeux.
Une étude de type ethnographique, permet aux auteurs de mettre en évidence deux autres types
d’autoproduction : l’autoproduction facilitée par l’entreprise et l’autoproduction émancipée.
- Lors de l’auto production facilitée (cas de passionnés de Warhammer chez Games workshop jouant
entre eux autour d’une table mise à disposition en magasin), le rôle de l’entreprise est de fournir une
plateforme physique ou virtuelle permettant de faciliter l’autoproduction des consommateurs. Il s’agit
du modèle que l’on retrouve chez e-Bay, Le Bon Coin, Blablacar ou encore Airbnb. Le système d’offre
encourage l’autoproduction mais limite le périmètre des activités. La liste des entreprises proposant
12
Bernard Cova Consumer made quand le consommateur devient producteur DM avril 2008
13
Personnalisation et optimisation des performances d’un véhicule par ajout d’accessoires ou pièces
mécaniques
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Bernard Cova, Pascale Ezan, Gregorio Fuschillo Zoom sur l'autoproduction du consommateur RFG 2013
1 / 22 100%

Participation du consommateur, coproduction, co-création…

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