Ceux qui condamnent le concept
d’euthanasie volontaire le font au nom
de la transcendance de la vie qui ne
peut être laissée à la disposition de
l’homme. Ils soutiennent le caractère
intrinsèque à la personne de la dignité.
De plus, justifier l’euthanasie impli-
querait qu’il est des circonstances où
la mort serait préférable à la vie. Cela
voudrait dire que la vie en soi n’est
pas toujours un bien, et elle en per-
drait son caractère sacré. Dès lors
bien des dérives seraient possibles
amenant la société à réclamer son
contingent de morts volontaires. Rejeter
l’euthanasie volontaire ne suppose
pas pour autant l’abandon du malade
à la douleur et à l’acharnement théra-
peutique. La douleur est reconnue dans
sa non-finalité. Elle “
distord le langage,
déforme les mots, empoisonne l’esprit
(9)
”. Elle n’est pas salvatrice et il n’est
pas sans intérêt de rappeler la décla-
ration de Pie XII, du 24 février 1957, à
propos de l’analgésie : “
L’acceptation
de la souffrance sans adoucissement ne
représente aucune obligation et ne répond
pas à une norme de perfection (…) On
peut éviter la douleur sans se mettre
aucunement en contradiction avec les
Évangiles (10)
.” Et si pour éviter la
douleur survient la mort, il ne peut,
pour autant, y avoir faute. C’est la
théorie du double effet qui s’origine
dans la pensée de saint Thomas
d’Aquin : une action est moralement
fondée si elle est orientée vers la réa-
lisation d’un bien même si elle doit
avoir des effets secondaires morale-
ment irrecevables – ici, la mort de
l’autre. Mais qui n’a pas la foi ne
manquera pas d’opposer que nous
sommes responsables de la totalité de
nos actes.
On s’appuiera alors sur le code de
Déontologie
(11)
, texte hautement poli-
tique puisque le médecin tire son droit
d’exercer de la loi et d’elle seule
(12)
.
Les articles 37
(13)
et 38
(14)
devraient
permettre de faire face à toutes les
situations. Pour M. Le Gueut-Develay,
ils “
prohibent l’euthanasie active, n’in-
vitent pas à l’acharnement thérapeutique
et insistent sur les soins palliatifs qui
consistent en soins actifs dans une approche
globale de la personne en phase évoluée
ou terminale d’une maladie potentielle-
ment mortelle. La Société française d’ac-
compagnement et de soins palliatifs
(1992) ajoute : les soins palliatifs s’atta-
chent à prendre en compte et à soulager
les douleurs physiques ainsi que la souf-
france psychologique, morale et spiri-
tuelle (15)
”. À leur propos, R. Sebag-
Lanöe écrit : “
En soulageant les
souffrances sans pour autant provoquer
la mort de façon délibérée, les soins pal-
liatifs permettent le déroulement du pro-
cessus naturel de la mort et laissent la
possibilité au malade et à ses proches de
vivre ce mieux de la fin connu depuis
l’Antiquité qui favorise d’ultimes échanges.
Les soins palliatifs ne représentent-ils
pas de ce fait la forme la plus aboutie du
respect de la mort d’un individu ? (16)
”.
Dans son avis n° 63, du 27 janvier
2000, le Comité consultatif national
d’éthique (CCNE) “
manifeste son total
accord
” avec une telle définition et
ajoute : “Leur mise en œuvre résolue
devrait permettre, autant que faire se
peut, à chaque individu de se réappro-
prier sa mort, réconforté par les siens
et par ceux qui l’entourent
(17)
.”
Il n’en demeure pas moins que “
cer-
taines situations peuvent être considé-
rées comme extrêmes, exceptionnelles
(18)
” mettant soignant et patient dans
des conditions “
hors normes
” telles
que la finalité des soins palliatifs ne
puisse être réalisée : “
C’est alors que
se pose la question de l’euthanasie pro-
prement dite (19)
.” C’est, bien entendu,
d’euthanasie volontaire qu’il s’agit, le
CCNE participant au consensus géné-
ral condamne de façon unanime un
acte envisagé ou effectué hors de toute
forme de demande ou de consentement
de la personne ou de ses représentants.
C’est cette euthanasie volontaire pour
laquelle milite la Fédération mondiale
pour le droit de mourir dans la dignité
à laquelle appartient en France l’Asso-
ciation pour le droit de mourir dans la
dignité (ADMD). H. Caillavet, son
président d’honneur, justifie comme
suit l’euthanasie : “
L’euthanasie, un
mot qui ne doit pas faire peur. Imposer
une vie à celui qui veut mourir, n’est-ce
pas porter atteinte à sa dignité ? (…) Il y
a deux façons d’aborder la mort. La maî-
triser ou la subir. En cela, le suicide
conscient est l’acte authentique de la
liberté de l’homme. Pour tous ceux qui
considèrent que la vie ne vaut pas la peine
d’être vécue, que d’un bien elle est deve-
nue une malédiction, nul pouvoir, serait-
il religieux, médical, législatif, moral, ne
saurait se dresser contre leur décision de
mourir, parce qu’ils sont seuls juges de
la qualité de leur vie (20)
.” On retrouve
une même argumentation dans la pro-
position de loi relative au droit de mou-
rir dans la dignité : “
Toutes personnes en
mesure d’apprécier les conséquences de
ses choix et de ses actes est seule juge de
la qualité et de la dignité de sa vie ainsi
que de l’opportunité d’y mettre fin (…)
Elle peut obtenir une aide active à mou-
rir lorsqu’elle estime que l’altération
effective et imminente de cette dignité ou
de cette qualité de vie, la place dans une
situation telle qu’elle ne désire pas pour-
suivre son existence (21)
.” Ainsi, est posée
la question du droit à mourir ou, comme
l’écrit A. Hocquard : “
la mort : un droit
de l’homme (22)
?” et de préciser
qu’“
entre ceux qui affirment qu’il y a
urgence à proclamer un véritable droit à
la mort et ceux qui répètent que l’eutha-
nasie ne peut prétendre à la licéité, car
on pourrait légaliser l’homicide, le
conflit semble irréductible (23)
”.
Se pose ici une question philosophique
d’une grande complexité, celle de
l’autonomie de l’homme et, à travers
elle, celle de l’éternelle opposition entre
le déontologique et le téléologique.
C’est aussi un questionnement psycho-
Scien ce et co nscie n ce
Le Courrier de colo-proctologie (IV) - n° 4 - oct.-nov.-déc. 2003
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