ÉDITORIAL « Penser solidairement la fin de vie » Réflexions à propos du rapport Sicard éditorial DOI : 10.1684/med.2013.0991 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Danièle Lecomte Médecin de soins palliatifs, ancienne responsable de l’équipe mobile de l’HEGP, Vice-présidente de l’ASP fondatrice (www.aspfondatrice.org) danielecomte @hotmail.com Mots clés : accompagnement de la fin de la vie ; euthanasie ; respect des directives anticipées ; soins palliatifs ; soins terminaux [Advance Directive Adherence; Euthanasia; Hospice Care; Palliative Care; Terminal Care] La France est aujourd’hui le pays dont la législation sur les droits des malades et la fin de vie est la plus élaborée et a inspiré la réflexion des pays voisins. Trois lois ont été promulguées, en 1999 [1], 2002 [2] et 2005 [3]. Sur les 27 pays de la communauté européenne (470 millions d’habitants), 3 ont dépénalisé l’euthanasie (28 millions d’habitants) : les Pays-Bas en 2001, la Belgique en 2002 et le Luxembourg en 2009 ; les autres États européens ont opté pour le renforcement des droits des patients et l’encadrement de l’arrêt des traitements. L’assemblée parlementaire du Conseil européen (APCE) a rappelé le 25 janvier 2012 le droit à la vie tel qu’il est inscrit dans l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme qui dispose que « la mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement » et que « le désir de mourir exprimé par un malade (...) ne peut jamais constituer un fondement juridique à sa mort de la main d’un tiers » [4]. Lors de la campagne électorale présidentielle de 2012, le candidat socialiste avait inscrit dans l’engagement 21 de son programme la question de l’aide active à mourir : « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité » [5]. En décembre 2012, le Président Hollande a confié à une commission présidée par Didier Sicard une mission de réflexion sur la fin de vie avant que des projets de loi ne soient discutés lors de la session parlementaire du printemps. Le rapport de cette commission est 292 MÉDECINE septembre 2013 maintenant connu [6]. Mais qu’en est-il de la connaissance et de l’application des lois existantes ? Sont-elles suffisantes ? Que demande la société française du XXIe siècle ? Que signifie dans les sondages l’adhésion d’une majorité de la population à la légalisation de l’euthanasie ? Le rapport de la mission Sicard apporte des éléments de réponse La commission de réflexion sur la fin de vie en France éclaire les craintes des citoyens face à une médecine toute puissante, peu respectueuse de leur parole et de leur autonomie. Le sentiment général est qu’on meurt mal en France. Mourir est vécu comme l’échec de la médecine et non pas comme la fin naturelle de la vie. La peur de souffrir, d’être abandonné, est très présente. La « bonne mort » souhaitée est sans souffrance et choisie, considérée comme l’ultime liberté. L’euthanasie représenterait alors une réponse à cette crainte de mal mourir. On constate que les patients méconnaissent les lois, ignorent leurs droits et les obligations faites aux médecins. La limitation ou l’arrêt des traitements sont perçus comme un abandon. La personne de confiance ou les directives anticipées ne sont pas connues. L’accès aux soins palliatifs est insuffisant, inégal et trop tardif. Pour lutter contre cette méconnaissance des lois et des possibilités existantes, la commission fait des recommandations importantes : Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. – informer la société et les professionnels sur la loi Leonetti et en exiger l’application ; – former les professionnels à la relation humaine et au juste soin ; – redéployer les ressources d’un curatif disproportionné vers un meilleur « prendre soin » de la fin de vie ; – développer la culture palliative et abolir la frontière entre soin curatif et soin palliatif ; – impliquer davantage les accompagnants bénévoles ; – réduire les inégalités dans l’accès à l’accompagnement ; – développer les soins palliatifs à domicile. Concernant l’aide active à mourir, la commission reste prudente : – Dans la phase ultime de l’accompagnement en fin de vie, en cas d’arrêt volontaire, à la demande du patient, de tout traitement visant à prolonger sa vie, on peut autoriser, après discussion collégiale, une sédation profonde terminale pour éviter un acharnement à « laisser mourir » ; – L’assistance au suicide ne peut être envisageable que si sont garantis pour la personne la liberté de choix et l’autonomie, un réel accès à l’accompagnement et au soulagement des symptômes, dans le cadre d’un échange collégial entre le malade, les proches, le médecin traitant, un soignant accompagnant le malade et un médecin non engagé dans les traitements en cours. La commission met en garde au sujet de la dépénalisation de l’euthanasie en rappelant que tout déplacement d’un interdit crée d’autres situations limites, suscitant une demande infinie de nouvelles lois. Une politique focalisée sur la création de nouveaux droits ne modifierait pas significativement les conditions du vivre et du mourir lorsque l’on est atteint d’une maladie grave. Le rapport conclut sur l’importance « d’une société solidaire qui ne se substitue pas à la personne mais lui témoigne écoute et respect au terme de son existence ». Ces propositions raisonnables, sont-elles réalistes et réalisables ? L’illusion de toute-puissance de la médecine est partagée par les malades autant que par les médecins. L’obstination déraisonnable est bien souvent demandée par les patients eux-mêmes ou leurs proches. Aborder la question de l’incurabilité et de la mort reste tabou pour beaucoup. De plus, autoriser les médecins à donner la mort, ne serait-ce pas renforcer symboliquement leur pouvoir et redoubler les raisons de la méfiance de la société ? La grave crise de confiance exprimée par la société à l’égard de ses médecins ne peut trouver de résolution dans une loi qui donnerait l’illusion de clore un débat alors qu’elle ne ferait que le masquer. C’est un véritable changement culturel qu’il faut envisager pour redonner sa place à l’accompagnement des plus vulnérables, à une médecine qui ne vise pas la performance mais le mieux-être de chacun. Liens d’intérêts : L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts en rapport avec cet article. Références : 1. Loi no 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs. 2. Loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé dite loi Kouchner. 3. Loi no 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie dite loi Leonetti. 4. Résolution 1859 de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (ACPE) du 25 janvier 2012. 5. http://www.parti-socialiste.fr/dossier/le-projet-de-francois-hollande 6. Rapport remis au Président de la République le 18 décembre 2012 consultable sur le site : http://www.social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport-de-la-commission-de-reflexionsur-la-fin-de-vie-en-France.pdf MÉDECINE septembre 2013 293