Rencontres économiques Le Royaume-Uni ou comment être dans l’Union sans être dans l’Euro 26 novembre 2013 Synthèse Rencontres économiques – Le Royaume-Uni ou comment être dans l’Union sans être dans l’Euro - 26 novembre 2013 Sommaire 2 Sommaire..........................................................................................................................2 Le Royaume-Uni ou comment être dans l’Union sans être dans l’euro..............................3 Ouverture : Royaume-Uni, être ou ne pas être en Europe ?........................................................................3 Histoire de l’adhésion du Royaume-Uni à la communauté européenne......................................................3 Marie-Claude ESPOSITO.......................................................................................................................................................3 1950 – 1969 : l’attentisme des gouvernements conservateurs vis-à-vis de la construction européenne.....3 1970 – 1979 : une entrée négociée dans l’Europe..................................................................................................4 1979 – 1990 : Margaret Thatcher et l’Europe.........................................................................................................5 1990-1997 : John Major, les opt-outs et l’intégration à la carte .........................................................................6 1997-2010, les travaillistes et l’Europe : une période d’ambiguïté ...................................................................6 Conclusion : les constantes de la politique britannique en Europe.....................................................................7 L’économie du Royaume-Uni : situation et perspective..............................................................................8 Hermione GOUGH................................................................................................................................................................8 Une embellie pour l’économie britannique.............................................................................................................8 L’esquisse d’une vision économique pour l’avenir : le « better deal » de Cameron.........................................9 Quel avenir du Royaume-Uni au sein de l’UE ?.........................................................................................10 Sir Graham WATSON..........................................................................................................................................................10 Débat avec la salle...................................................................................................................................11 Les Britanniques et l’UE, quelle vision ?................................................................................................................11 Pourquoi le Royaume-Uni n’entre-t-il pas dans l’euro ?.....................................................................................13 Les élections européennes : scrutin européen ou national ?.............................................................................13 Comment donner envie d’Europe ?........................................................................................................................14 L’euro, pour quand ?.................................................................................................................................................14 Sigles...............................................................................................................................16 Rencontres économiques – Le Royaume-Uni ou comment être dans l’Union sans être dans l’Euro - 26 novembre 2013 Le Royaume-Uni ou comment être dans l’Union sans être dans l’euro 3 Animateur : Didier ADES, journaliste économique Ouverture : Royaume-Uni, être ou ne pas être en Europe ? Didier ADES Le Royaume-Uni fait partie de l’Union européenne (UE) sans être dans l’euro. Pourquoi, historiquement, ce pays veut-il être dans l’Europe sans y être ? Il a dit non à l’euro et est sorti du serpent monétaire européen. Margaret Thatcher, réclamant « I want my money back », signifiait bien vouloir de l’Europe, mais sans ses inconvénients, ou tout au moins donnait-elle cette impression aux continentaux. La Grande-Bretagne veut-elle donc vivre l’Europe ou préfère-t-elle vivre sa vie ? Les mauvaises langues diront du Royaume-Uni qu’il est la main de Washington en Europe. Ce pays, qui s’est vu par deux fois refusée l’entrée au sein de la Communauté économique européenne (CEE) par le général de Gaulle, grippe et donne du piquant à ses relations avec l’UE, voire joue parfois le rôle de poil à gratter de l’Europe. Histoire de l’adhésion du Royaume-Uni à la communauté européenne Marie-Claude ESPOSITO Professeur émérite, Université Sorbonne nouvelle – Paris 3 L’histoire du Royaume-Uni dans l’Europe peut s’analyser à travers les positions qu’il a adoptées lors de temps clés de la construction européenne. Jusqu’à l’arrivée de David Cameron au pouvoir le 11 mai 2010, elle se décline en cinq périodes distinctes : - l’attentisme des gouvernements conservateurs successifs de 1950 à 1969 - les négociations et renégociations de l’adhésion du Royaume-Uni à l’Europe (1970-1979) - les années Thatcher d’affrontements sur l’Europe au sein même du parti conservateur (1979-1990) - l’intégration à la carte de la période Major (1990-1997) - le tournant ambigu des années travaillistes de Tony Blair puis Gordon Brown (1997-2010). • 1950 – 1969 : l’attentisme des gouvernements conservateurs vis-à-vis de la construction européenne En 1951, Robert Schuman et Jean Monnet proposent au gouvernement travailliste britannique de rejoindre la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). Celuici justifie son refus d’y adhérer par les nationalisations en cours au Royaume-Uni. De nouveau invité à rejoindre la CEE lors du traité de Rome de 1957, le pays réitère son refus de s’inscrire dans un projet jugé trop fédéraliste, et crée sa propre Association européenne de libre-échange (AELE) en janvier 1960, avec l’espoir de regrouper à terme les pays de l’AELE et ceux du marché commun. Le 31 juillet 1961, le Premier Ministre conservateur, Harold Macmillan, annonce à la Chambre des Communes la décision de son gouvernement de déposer une demande d’adhésion du Royaume-Uni aux Communautés européennes, et cela pour au moins deux Rencontres économiques – Le Royaume-Uni ou comment être dans l’Union sans être dans l’Euro - 26 novembre 2013 raisons : les succès économiques enregistrés par les Etats membres de la CEE ne le laissent4 pas indifférent, et il craint de se trouver isolé sur la scène internationale. Cependant, la position intransigeante de la France, par la voix du général de Gaulle, fait échouer cette première négociation le 28 janvier 1963. De Gaulle craint, en effet, que le Royaume-Uni remette en cause la Politique agricole commune (PAC), que le statut de monnaie de réserve de la livre sterling pose de graves difficultés à la CEE, et se méfie de la « relation spéciale » que ce pays entretient avec les Etats-Unis. En 1967, poussé par une situation économique très difficile (dévaluation de la livre en novembre 1967) et constatant le relâchement des liens économiques avec le Commonwealth, pendant que les relations économiques avec les pays membres de la CEE sont en augmentation, le Premier Ministre travailliste Harold Wilson dépose une deuxième demande d’adhésion. Jusque-là, les travaillistes ont refusé toute idée de rapprochement avec la CEE, craignant qu’il nuise à la consolidation du Welfare State, au développement des relations économiques avec le Commonwealth, et au renforcement de la relation spéciale avec les Etats-Unis. Le Royaume-Uni se heurte de nouveau au veto du général de Gaulle, décision qui sera très mal ressentie par les Cinq autres membres de la CEE , le premier veto français et la politique de la « chaise vide » pratiquée par la France de juin 1965 à janvier 1966 au sujet de la PAC ayant créé beaucoup de rancœur. • 1970 – 1979 : une entrée négociée dans l’Europe Le premier élargissement de la CEE, en 1973, est rendu possible par le départ du général de Gaulle 1 . Georges Pompidou, qui lui succède, le 15 juin 1969, fait preuve de pragmatisme et accepte, lors du sommet de La Haye (1 er et 2 décembre 1969), d’ouvrir des négociations pour l’adhésion de nouveaux membres à la CEE, en contrepartie de l’aboutissement des négociations sur le financement de la PAC. La France accepte également que soit entamée la réflexion sur la mise en place d’une union économique et monétaire (UEM), dans la foulée des idées émises dans le premier et le deuxième plans Barre 2 . A cette fin, les ministres des Finances des Six décident, en février 1970, de créer un comité, présidé par Pierre Werner, président du gouvernement luxembourgeois 3. Au Royaume-Uni, les conservateurs remportent, contre toute attente, les élections de juin 1970. Le 30 juin, la CEE ouvre les négociations avec le très pro-européen Premier Ministre britannique Edward Heath 4 , ainsi qu’avec le Danemark, l’Irlande et la Norvège qui conditionnent leur propre adhésion à celle du Royaume-Uni. Vue du Royaume-Uni, l’issue des négociations dépend de la France dont Londres redoute l’inflexibilité. Le pays est en effet prêt à accepter les traités européens, à condition de bénéficier d’une période de transition et d’ajustements portant sur : - la contribution du Royaume-Uni au budget communautaire et au financement de la PAC - les produits laitiers de Nouvelle-Zélande - le sucre en provenance du Commonwealth. Les négociations sont difficiles jusqu’au sommet qui a lieu les 20 et 21 mai 1971 entre Edward Heath et Georges Pompidou. Parmi les questions les plus importantes discutées lors de ce sommet, on note les questions institutionnelles et la livre sterling. Le président français Le général de Gaulle démissionne à la suite de l’échec du référendum du 27 avril 1969 portant sur la régionalisation et la réforme du Sénat. 2 Voir les Plans Barre I & II ; source : Centre de recherche et de documentation sur le processus de la construction européenne (CVCE) http://www.cvce.eu/content/publication/2011/12/1/a27c0587-77ad-479e-a644-cb56dbaf9c90/publishable_fr.pdf 3 Voir Rapport au Conseil et à la Commission concernant la réalisation par étapes de l’Union économique et monétaire dans la Communauté, dit « Rapport Werner » ; source : Commission européenne http://ec.europa.eu/economy_finance/emu_history/documentation/chapter5/19701008fr072realunionecomon.pdf 4 C’est lui qui avait conduit les négociations lors de la 1ère demande d’adhésion. 1 Rencontres économiques – Le Royaume-Uni ou comment être dans l’Union sans être dans l’Euro - 26 novembre 2013 veut s’assurer qu’Edward Heath accepte le compromis de Luxembourg, selon lequel les5 questions cruciales pour un pays donné doivent être votées à l’unanimité des Etats membres de la CEE. Georges Pompidou peut être totalement rassuré sur ce point, car les craintes de Heath ne portent pas sur ce compromis, mais sur le fait que l’Europe puisse choisir une voie supranationale. Le La livre sterling pose problème à l’ensemble de la Communauté européenne en raison de son statut de monnaie de réserve. Mais dans la mesure où Edward Heath s’engage à ce que la devise britannique acquiert progressivement les caractéristiques d’une devise communautaire, le Président français peut là encore être rassuré. Les négociations, qui reprennent après le sommet dans une atmosphère apaisée, donnent le feu vert pour le premier élargissement et aboutissent, le 1 er janvier 1973, à l’adhésion du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark à la CEE . Toutefois, lors de la campagne pour les élections de 1974, le débat sur l’adhésion du RU à l’Europe permet à l’aile gauche du parti travailliste et aux syndicats de manifester leur opposition à l’adhésion. Aussi, quand le travailliste Harold Wilson redevient Premier Ministre, il s’engage à renégocier un accord plus favorable pour le Royaume-Uni, et qui sera soumis à référendum. Il veut obtenir une modification de la PAC et une diminution de la contribution britannique au budget communautaire. Il obtiendra partiellement gain de cause lors du Conseil de Dublin, de mars 1975, puisqu’un un mécanisme correcteur est introduit en matière budgétaire, mais il n’obtiendra pas de changement concernant la contribution britannique au budget. Le référendum promis aura lieu en juin 1975 et l’adhésion du Royaume-Uni sera confirmée par une large majorité d’électeurs. Le Système monétaire européen (SME) entre quant à lui en vigueur en mars 1979. Si le Royaume-Uni accepte que la livre sterling fasse partie du panier de monnaies qui composent l’European currency unit (ECU), il refuse de participer au mécanisme de change qui oblige chaque banque centrale à défendre le cours pivot de sa monnaie vis-à-vis de l’ECU. • 1979 – 1990 : Margaret Thatcher et l’Europe Lorsque Margaret Thatcher arrive au pouvoir en juin 1979, le parti conservateur n’est pas aussi eurosceptique qu’il le deviendra par la suite. Les ténors conservateurs de l’époque sont même plutôt pro-européens. Thatcher elle-même, ministre de l’Éducation dans le gouvernement d’Edward Heath, a fait campagne pour l’adhésion, lors du référendum de 1975 5, et elle n’a jamais essayé de faire sortir son pays de la Communauté européenne, même si elle a parfois menacé de le faire. Thatcher a une vision de l’Europe très différente de la vision fédéraliste de Jacques Delors, alors président de la Commission européenne. Le discours de Bruges du 20 septembre 1988 6 est emblématique de cette vision, somme toute, très proche de celle de Gaulle lorsqu’il était Président de la République française. Comme de Gaulle, Thatcher est favorable à la méthode intergouvernementale pour construire l’Europe. Mais, ses convictions libérales la poussent à refuser la bureaucratie bruxelloise et à réclamer des réformes pour que l’Europe soit efficace. Dans son discours, Thatcher rappelle également que la sécurité de l’Europe est assurée par l’OTAN et non par la CEE. Enfin, elle revendique une Europe ouverte sur l’entreprise et le monde, qui parle d’une seule voix et qui « joue sa partie dans le monde global, qui regarde vers l’extérieur et non vers l’intérieur et qui préserve la communauté atlantique ». Dans les faits, les relations entre le Royaume-Uni et l’Europe sont notamment marquées par : lire le discours de Margaret Thatcher 16 avril 1975 ; source : Margareth Thatcher Foundation http://www.margaretthatcher.org/document/102675 6 lire le discours : http://www.margaretthatcher.org/speeches/displaydocument.asp?docid=107332 5 Rencontres économiques – Le Royaume-Uni ou comment être dans l’Union sans être dans l’Euro - 26 novembre 2013 - l’Acte unique européen (AUE), dont le Royaume-Uni est un ardent défenseur, puisqu’il6 concrétise la création du grand marché intérieur ; on soulignera le rôle important joué par le commissaire britannique, Lord Cockfied, dans ce processus 7 ; - la contribution britannique au budget européen : Thatcher s’oppose au budget de la PAC (qui représente alors 80 % du budget européen) et pour lequel le Royaume-Uni est l’un des plus gros contributeurs, alors qu’il est le 3 ème pays le plus pauvre de la CEE, et qu’il reçoit peu de financements de Bruxelles. Grâce à l’opiniâtreté de son Premier Ministre, le Royaume-Uni obtiendra une diminution de sa contribution lors du sommet de Fontainebleau de 1984 - l’appartenance de la livre sterling au mécanisme de change du SME ; Thatcher s’y oppose et est en désaccord sur ce point avec son chancelier de l’Echiquier, Nigel Lawson, et son ministre des Affaires étrangères de l’époque, Geoffrey Howe, qui tous deux soutiennent l’idée que rejoindre ce mécanisme est la seule manière de parvenir à une diminution de l’inflation au Royaume-Uni, toutes les méthodes utilisées jusqu’ici s’étant soldées par un échec. Ce différend entre Thatcher et deux poids lourds de son gouvernement aboutira à la démission de Lawson ; - la réunification allemande, que Thatcher va refuser jusqu’au bout, ce qui contribuera à son isolement sur la scène européenne. Thatcher prononcera un discours très anti-européen devant la Chambre des Communes, à l’issue du sommet de Rome du 30 octobre 1990 8 , qui a pour effet d’augmenter encore davantage la division du parti conservateur entre les pro-européens et les eurosceptiques, et de provoquer la démission de Geoffroy Howe, l’un de ses plus fidèles soutiens. Lors des élections pour la direction du parti conservateur, Margaret Thatcher décide finalement de jeter l’éponge, lorsqu’elle est mise en en ballotage à l’issue du 1 er tour. Elle quitte le pouvoir le 28 novembre 1990. • 1990-1997 : John Major, les opt-outs et l’intégration à la carte Coopératif dans un premier temps, John Major durcit sa position sur l’Europe face à la montée de l’euroscepticisme des au sein du parti conservateur. Au début de son mandat, le Royaume-Uni signe le traité de Maastricht, mais obtient une opting-out clause pour ne pas entrer dans la troisième phase de l’Union économique et monétaire (UEM) . Il s’ensuit qu’il conserve son autonomie totale en matière de politique monétaire, qu’il n’est pas soumis aux dispositions du traité concernant les déficits excessifs, pas plus qu’il n’est concerné par les dispositions du traité concernant la Banque centrale européenne et le Système européen des banques centrales (SEBC) Puis, la livre sort du SME en septembre 1992, à la suite d’une grave crise spéculative. Major accusera l’Allemagne de ne pas avoir assez soutenu la livre, alors qu’elle se portera au secours du franc un an plus tard. A partir de cette date, la position de John Major vis-à-vis de l’Europe se radicalise. Dans le cadre des négociations pour le quatrième élargissement, il refuse que la minorité de blocage pour le vote à la majorité qualifiée soit modifiée, mais il n’aura pas gain de cause, et il subira les attaques à la fois des pro-européens et des eurosceptiques de son parti. s. De même, il s’oppose à ses partenaires européens sur le nom du successeur de Jacques Delors, et, en utilisant son droit de veto, provoque une crise européenne – Jacques Santer sera finalement le candidat du compromis. Enfin, il s’oppose avec véhémence à la décision d’embargo sur les exportations de viande britannique, décidé pendant la crise de la vache folle. • 1997-2010, les travaillistes et l’Europe : une période d’ambiguïté Francis Cockfield (1916-2007) : Secrétaire d’Etat au Trésor britannique de 1979 à 1982, il sera de 1985 à 1989 membre de la Commission européenne 8 lire le discours : http://www.margaretthatcher.org/document/108234 7 voir article de The Economist (mai 2003) sur les critères de Gordon Brown : http://www.economist.com/node/1752320 7 Rencontres économiques – Le Royaume-Uni ou comment être dans l’Union sans être dans l’Euro - 26 novembre 2013 En pro-européen, Tony Blair souhaite mieux arrimer son pays à l’UE, pour qu’il y joue un rôle7 de leadership sans renoncer à la relation spéciale du Royaume-Uni avec les Etats-Unis. Son attitude se traduit par des actes forts. Il signe par exemple le traité d’Amsterdam, bien que le Royaume-Uni n’entre pas dans l’espace Schengen, joue un rôle important dans la préparation du traité de Lisbonne, et signe le chapitre social du traité de Maastricht, ainsi que la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). La position britannique sur l’euro est plus ambiguë : Tony Blair y semble favorable mais Gordon Brown, son chancelier de l’Echiquier, s’y oppose et fixe cinq critères que l’économie britannique 9 doit remplir pour entrer dans la monnaie unique. Le Royaume-Uni obtient par ailleurs un maintien de son droit de veto sur la fiscalité et certains aspects sociaux du traité de Nice. Blair profite également des vetos français et néerlandais au traité constitutionnel pour suspendre le processus référendaire qui devait avoir lieu au Royaume-Uni. Finalement, le bilan européen de Tony Blair est mitigé, le Premier Ministre ayant dû tenir compte de la montée de l’euro scepticisme au sein du parti travailliste et de l’opinion publique. Quant à Gordon Brown, il a, en arrivant au 10 Downing Street, la réputation d’être plutôt eurosceptique, compte tenu de la position qu’il a adoptée vis-à-vis de l’euro. Dans les discours 10 où il parle de l’UE, l’Europe qu’il appelle de ses vœux est une entité qui ne peut plus se permettre de perdre son temps dans des réformes institutionnelles, qui est ouverte sur le monde extérieur, et qui joue pleinement son rôle dans la globalisation. Appelée « global Europe », elle se définit uniquement en termes économiques, et Brown sait bien, comme ses prédécesseurs Thatcher et Blair, que le Royaume-Uni y a toute sa place, car son économie y est très largement intégrée. Et c’est cette Europe-là, qu’il souhaite voir devenir plus compétitive, ce qui implique un approfondissement du marché unique et une réforme du budget européen qui réduise les financements accordés à la PAC et réoriente les ressources ainsi dégagées vers la recherche et l’innovation. Dans la pratique, Brown accepte de signer, le 13 décembre 2007, le traité de Lisbonne, dont les principaux points ont été négociés par son prédécesseur ; mais celui-ci étant très controversé au Royaume-Uni, il le fait ratifier par la Chambre des Communes, le référendum étant jugé beaucoup trop risqué. Pour la petite histoire, mais qui en dit long sur l’état de crispation de l’opinion publique et d’une partie de la classe politique, il n’est pas présent lors de la cérémonie officielle, au prétexte d’un agenda trop compliqué, et signe le traité en catimini plus tard dans l’après-midi. Puis, Brown a été est confronté, comme tous les autres responsables des pays de l’UE, à la crise financière de 2007-2008, qui se révèle plus dévastatrice au Royaume-Uni que dans les autres Etats membres, compte tenu du poids du secteur financier dans le PIB (un peu plus de 30%). Il opte pour une intervention massive de l’Etat dans le secteur financier, n’hésitant pas à nationaliser plusieurs établissements en détresse. • Conclusion : les constantes de la politique britannique en Europe Depuis son entrée dans la Communauté européenne, la relation du Royaume-Uni avec ses partenaires européens est marquée par une alternance de périodes de rapprochement et d’éloignement, les deux grands partis politiques n’ayant pas une attitude constante vis-à-vis de l’intégration européenne. Toutefois, chez les dirigeants politiques, on trouve des constantes dans leur vision de l’Europe quand ils en ont une : - l’avenir du Royaume-Uni ne se trouve pas hors de l’Europe, mais dans l’Europe ; - l’Europe à laquelle ils adhèrent est celle du grand marché unique ; 9 G. Brown, « Global Britain, Global Europe: a Presidency founded on Pro European Realism », Discours prononcé à Mansion House », 22 juin, 2005, G. Brown, Global Europe: full-employment Europe, HM Treasury, octobre 2005, http://www.hmtreasury.gov.uk./media/2/A/global_europe_131005.pdf G. Brown, « Global Europe », discours prononcé à Londres devant des hommes d’affaires, le 14 janvier 2008. http://www.pm.gov.uk/output/Page14251.asp 10 Rencontres économiques – Le Royaume-Uni ou comment être dans l’Union sans être dans l’Euro - 26 novembre 2013 - l’Europe a besoin de se réformer pour être efficace ; - la méthode de construction européenne doit être intergouvernementale. 8 Il peut paraître paradoxal qu’au moment où l’intergouvernemental joue un rôle croissant dans la construction européenne, l’euro scepticisme en augmentation constante au Royaume-Uni s’est, lui, radicalisé pour confiner parfois à l’europhobie. L’économie du Royaume-Uni : situation et perspective Hermione GOUGH Ministre conseillère près l’ambassade de Grande-Bretagne en France • Une embellie pour l’économie britannique En 2013, l’avenir de l’économie britannique est enfin considéré avec optimisme. La récession a pourtant touché durement le pays : le Produit intérieur brut (PIB) a diminué de 7 % en 2008-2009, c’est-à-dire le double de la baisse subie par les Etats-Unis et le triple de celle subie par le Royaume-Uni au cours des années 1990. Aujourd’hui, la reprise s’accélère : l’économie croît, le déficit se réduit et 1,4 million d’emplois ont été créés dans le secteur privé depuis 2010. Le taux de chômage du Royaume-Uni (7,7 %) est inférieur à celui de la plupart des pays de la zone euro. De plus, les taux d’intérêt sont proches de leur niveau historiquement le plus bas, et la dette privée a diminué de plus de 40 % depuis le premier trimestre 2010. Par ailleurs, la banque d’Angleterre prévoit que l’inflation (de 2,7 %) atteindra sa cible de 2 % d’ici 2015. Les prévisions de croissance ont été révisées à la hausse (1,3 % en 2013 et 2,2 % en 2014 selon l’UE). La reprise semble donc en marche. Figure 1 - l'évolution du PIB britannique par trimestre (en points de croissance) La politique économique actuelle du gouvernement britannique combine la responsabilité budgétaire, l’activisme monétaire et les réformes structurelles. La responsabilité budgétaire était nécessaire face au déficit record du Royaume-Uni : il représente encore 7 % du PIB, mais a diminué d’un tiers depuis 2010. Le taux de consolidation, un point de PIB par année, est conforme aux recommandations du Fonds monétaire international (FMI) 11 . Cette politique d’austérité semble donc porter ses fruits. D’ici 2017-2018 la dépense publique devrait revenir à sa moyenne de long terme, après avoir atteint en 2009 son plus haut niveau en trente ans. Le Royaume-Uni a privilégié la réduction des dépenses comme voie de consolidation budgétaire depuis 2010. L’objectif de réduction des dépenses de 80 milliards de livres, fixé en 2010, est réalisé aux deux tiers. 11 lire Le Rapport Pays du FMI n°13/210 – juillet 2013 : http://www.imf.org/external/pubs/ft/scr/2013/cr13210.pdf Rencontres économiques – Le Royaume-Uni ou comment être dans l’Union sans être dans l’Euro - 26 novembre 2013 9 La politique monétaire active du Royaume-Uni facilite son désendettement et soutient la demande. La Banque d’Angleterre a maintenu son taux directeur à 0,5 % depuis 2009 et mène une politique d’assouplissement quantitatif, ce qui représente 375 milliards de livres d’achats d’actifs 12 . Mark Carney, gouverneur de la banque d’Angleterre, a indiqué que le taux directeur n’augmenterait pas tant que le taux de chômage ne serait pas revenu à 7 %. Le gouvernement vise une inflation à 2 %. Enfin, la dépréciation de la livre (de 21 % par rapport à l’euro depuis 2007) contribue à la compétitivité des exportations britanniques. Le gouvernement britannique s’est engagé dans des réformes structurelles, dont les différentes orientations sont : - avoir le système fiscal le plus compétitif du G20. Ainsi, le taux d’impôt sur les sociétés est le plus bas du G7 et sera le plus bas du G20 en 2015 (20 %) - consacrer, dans le budget 2013, 100 milliards de livres aux investissements dans les infrastructures - réformer et consolider le secteur bancaire pour le rendre plus résistant aux chocs - déployer une stratégie industrielle pour rééquilibrer l’économie et soutenir les entreprises et la croissance à long terme. L’industrie au sens large représente ainsi 20 % du PIB (13 % pour la seule industrie manufacturière) - rendre les entreprises plus concurrentielles dans une économie mondialisée. Le RoyaumeUni mène ainsi une stratégie portant sur huit grands secteurs technologiques. Le Royaume-Uni est aussi traditionnellement très ouvert aux investissements étrangers et tourné vers l’international – une entreprise comme Jaguar 13 , par exemple, n’appartient plus à des Britanniques mais continue de créer des emplois et de la richesse dans le pays. Mark Carney, Canadien de naissance, illustre également cette ouverture d’esprit toute britannique. La prospérité britannique dépend également de celle de la zone euro puisque le pays réalise la moitié de son commerce extérieur et de ses investissements directs avec l’UE. C’est pourquoi le Royaume-Uni soutient pleinement le renforcement de la zone euro et la création de l’union bancaire pour assurer la stabilité de la zone. Néanmoins, ces renforcements doivent aussi préserver les intérêts du marché unique et de l’UE. L’intégrité du marché unique ne doit pas être remise en cause. Il faut assurer une équité entre les pays membres de l’UE non-membres de la zone euro et les pays appartenant à cette dernière. Cette équité fait partie des cinq principes de réformes proposées par David Cameron en janvier 2013 pour offrir un « better deal » au Royaume-Uni et à l’Europe. • L’esquisse d’une vision économique pour l’avenir : le « better deal » de Cameron David Cameron souhaite que le Royaume-Uni continue de jouer un rôle central dans l’UE 14 , dont les politiques portent aussi sur l’énergie, l’environnement, la politique étrangère, etc. Le Royaume-Uni joue un rôle clé dans ces domaines. voir le rapport (3ème trimestre 2013) sur le programme d’achats d’actifs de la Banque centrale britannique : http://www.bankofengland.co.uk/publications/Documents/other/markets/apf/apfquarterlyreport1310.pdf et http://www.bankofengland.co.uk/monetarypolicy/Documents/mpcvoting.xls 13 Tata Motors , premier constructeur automobile indien propriétaire, a fusionné les deux marques Jaguar et Land Rover rachetées à Ford, en 2008. Le groupe est depuis 2013 Jaguar Landrover Ltd. ; il emploie 25000 personnes dans le monde 14 Lire le discours du Premier ministre David Cameron sur l’Europe du 23 janvier 2013 : https://www.gov.uk/government/news/david-camerons-eu-speech--2 12 Rencontres économiques – Le Royaume-Uni ou comment être dans l’Union sans être dans l’Euro - 26 novembre 2013 10 Cependant, le Premier Ministre britannique souligne également la nécessité de réformer l’Europe et a proposé plusieurs pistes pour cela, que partagent plusieurs autres membres de l’UE : - assurer un principe d’équité - améliorer la compétitivité de l’UE - instaurer un principe de flexibilité - imaginer un principe de subsidiarité, c'est-à-dire que les compétences octroyées à l’UE reviendraient aux Etats s’ils sont plus à même de les gérer - garantir la légitimité démocratique, face au désenchantement des peuples européens vis-àvis de l’UE. A ce titre, un récent sondage montre que 41 % des Français soutiennent la politique de l’UE, contre 43 % des Britanniques 15 . David Cameron souhaite renforcer le rôle des parlements nationaux dans le processus législatif européen, puisqu’ils sont plus proches des citoyens. En cas de victoire du parti conservateur aux élections de 2015, un référendum sera organisé pour interroger les Britanniques sur leur souhait de rester ou non dans l’UE. Le Premier Ministre a déjà affirmé qu’il ferait campagne pour que son pays reste dans l’UE. Son discours a lancé un débat dans le pays, si bien que la Confederation of British Industry (CBI) – l’équivalent britannique du MEDEF – a récemment publié un rapport dans lequel 80 % des chefs d’entreprises expriment leur souhait que le Royaume-Uni reste dans l’UE 16 . Les mois à venir seront clés pour l’avenir de l’Union. Le Royaume-Uni y voit une opportunité de débattre et de poursuivre les réformes. Quel avenir du Royaume-Uni au sein de l’UE ? Sir Graham WATSON Député européen, Président du groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE) Je ne suis ni représentant du gouvernement britannique, ni professeur de droit constitutionnel, mais simplement député au parlement européen depuis 1994 et actuel président du groupe ADLE 17 . Je connais la thèse populaire en France quant aux relations entre le Royaume-Uni et l’Europe. Moins de deux décennies séparent le veto français à l’adhésion britannique et le « I want my money back ». Cependant, je ne crois pas que le Royaume-Uni soit moins européen que la France. Les Britanniques n’ont jamais voté contre un traité européen, même s’ils doutent de la vélocité de la construction européenne. En 2005, lors du référendum sur le traité constitutionnel, j’ai été surpris de découvrir en France une insularité envers l’Europe que j’associais davantage à mon propre pays. La conception britannique de l’UE reste celle d’une communauté économique plutôt que d’un projet politique. Depuis 1994, j’ai observé de grands changements en Europe : elle s’est élargie, utilise l’anglais comme langue de travail, est devenue plus qu’un marché unique. L’impératif de la paix est atteint, même si la prospérité se fait attendre. Aujourd’hui, d’autres défis se présentent : comment rester concurrentiels dans un marché mondial et face aux bas salaires étrangers ? Comment combattre le changement climatique et assurer la sécurité énergétique d’une Europe dépendante du gaz russe ? Comment protéger les Européens de la criminalité Sondage du Pew Research Center – voir article de The Economist (16 nov.2013) sur le sujet : http://www.economist.com/news/europe/21589895-french-increasingly-think-europe-problem-not-solution-d-sillusion et résultats sondage (mai 2013) : http://www.pewglobal.org/2013/05/13/the-new-sick-man-of-europe-the-european-union 16 voir communiqué de presse du CBI (12/09/2013) : http://www.cbi.org.uk/media-centre/press-releases/2013/09/8-out-of10-firms-say-uk-must-stay-in-eu-cbi-yougov-survey 17 Lors du congrès de l’ADLE, le 29/11, le mandat de président de Sir Graham Watson a été renouvelé voir : http://www.aldeparty.eu/en/news/alde-party-congress-elects-new-bureau 15 Rencontres économiques – Le Royaume-Uni ou comment être dans l’Union sans être dans l’Euro - 26 novembre 2013 11 organisée à l’échelle mondiale et qui touche près de 5 trillions de dollars par an ? Comment rendre l’Europe capable de développer des réponses supranationales à des défis supranationaux ? Sommes-nous prêts à créer une nécessaire Europe politique ? La question se pose partout en Europe et se posera certainement par référendum, d’ici 2020, au Royaume-Uni. Je pense que son issue en sera positive, mais le serait-elle ailleurs en Europe ? Je note la montée des mouvements populistes et d’extrême-droite dans les urnes partout en Europe, y compris au Royaume-Uni où le United Kingdom Independence Party (UKIP) a réalisé un score de 26 % lors des dernières élections communales… Seule l’Allemagne semble épargnée, bien que l’on ne sache pas encore ce que deviendra le parti Alternative für Deutschland 18 . Je note également l’incapacité de l’Europe à s’accorder sur des politiques fondamentales comme l’immigration, l’énergie ou la lutte contre la criminalité. Comment être en Europe sans être dans l’euro ? Les traités européens ne requièrent pas une adhésion à l’euro des pays devenus membres avant 2004. A moyen ou long termes, le Royaume-Uni devrait rejoindre la monnaie unique. Il l’a à ce jour refusé, car les traités de Maastricht et d’Amsterdam ont construit une Europe politique sans résoudre certains problèmes fondamentaux (finances publiques, cotisations pour les retraites, etc.). Quand ces problèmes fondamentaux seront résolus, le Royaume-Uni rejoindra cet important projet européen. Non, le projet européen n’est pas en suspens face à la défiance britannique. Il est simplement victime de difficultés auxquelles les instances européennes n’ont pas encore trouvé le courage de répondre. Mais il existe une demande sociétale pour créer une Europe qui fonctionne et réponde aux défis du 21 ème siècle. Peut-être la politique suivra-t-elle cette demande. La défiance britannique, quant à elle, est limitée. Les positions des principaux partis politiques britanniques sur l’Europe ont évolué, notamment celles des conservateurs. Cependant, si John Major a fait face au refus de six députés lors du vote sur le traité d’Amsterdam, David Cameron devra, lui, faire face à 106 opposants à l’UE lorsqu’il proposera son référendum. Le Premier Ministre britannique est pragmatique. Il n’a pas pu faire sortir le Royaume-Uni de certaines politiques européennes car les libéraux-démocrates de la coalition gouvernementale ne l’ont pas permis. Il a promis un référendum pour 2017. Ce référendum devrait avoir lieu quoi qu’il arrive, et porter sur un nouveau traité dont l’Europe aura besoin d’ici 2020. En effet, le traité de Lisbonne a créé une Europe démocratique, dont l’architecture politique ressemble à celle des pays européens (un Parlement, une administration, une cour de justice, etc.).Cependant, l’envergure de la crise économique nécessitera prochainement un nouveau traité, qu’il faudra bien soumettre au peuple. Je suis convaincu que nous pourrons remporter ce référendum. D’ailleurs, l’industrie britannique s’est récemment mobilisée en faveur de l’Europe. Quant à l’UKIP, il dispose de douze députés au Parlement européen, qui sont les équivalents parlementaires des hooligans lors des matches de football ! Ma crainte est qu’ils se joignent, après les élections, aux députés des extrêmes-droites européennes pour créer un groupe difficile au Parlement européen. Le Royaume-Uni est, pour le moment, plus simple à gérer que l’UE. Débat avec la salle • Les Britanniques et l’UE, quelle vision ? David ADES l’AFD, parti eurosceptique allemand, créé en février 2013, obtient 4,7 % des suffrages aux législatives de septembre de la même année. 18 Rencontres économiques – Le Royaume-Uni ou comment être dans l’Union sans être dans l’Euro - 26 novembre 2013 12 Les prochaines élections européennes auront lieu en mai 2014. Quel taux d’abstention prévoyez-vous au Royaume-Uni et en France ? Sir Graham WATSON En 1979, le taux de participation s’élevait à près de 70 % alors que le Parlement européen n’avait pas de pouvoirs. Ce taux était en moyenne de 30 % lors des dernières élections européennes alors que le Parlement dispose maintenant de pouvoirs substantiels. Cependant, nos concitoyens ont pris conscience de l’importance de l’Europe ces cinq années de crise. Je crois que ce taux de participation sera donc plus important, aux alentours de 40 à 45 % du moins dans ma circonscription. De la salle Il semble que le sentiment pro-européen soit plus constant au Royaume-Uni qu’en France, où Bruxelles est accusée de tous les maux. Comment les Britanniques perçoivent-ils l’Europe ? Sir Graham WATSON Plus le niveau de gouvernance est distant, plus il est facile de le critiquer. Les Britanniques considèrent que l’Europe coûte cher et emploie trop de personnel. Ils jugent cependant que leur sécurité est liée à l’adhésion à l’UE. Marie-Claude ESPOSITO La relation entre le Royaume-Uni et l’UE est complexe. Les deux principaux partis politiques connaissent une radicalisation de leurs positions vis-à-vis de l’Union, mais je ne pense pas que ce soit le cas de l’opinion britannique. Ceux qui se sentent concernés par elle ne sont pas opposés à l’UE. Hermione COUGH Un Britannique moyen se demandera souvent pourquoi les décisions prises au niveau européen ne le sont pas plus près de lui. La légitimité démocratique de l’UE est une véritable question. Cependant, l’UE joue un rôle important lorsqu’il s’agit, par exemple, de négocier l’accord transatlantique avec les Etats-Unis. Le Royaume-Uni seul ne le pourrait pas. Les Britanniques pensent que nous sommes plus puissants à plusieurs. Cet accord transatlantique peut être un signe fort d’une Europe qui fonctionne. Marie-Claude ESPOSITO Gordon Brown insistait pour que l’UE passe à l’action et cesse de tergiverser sur des questions institutionnelles, en se réformant. Par ailleurs, il est intéressant de constater que des affiches pour les prochaines élections européennes fleurissent déjà à Londres quand la France est totalement muette sur le sujet. Sir Graham WATSON Tony Blair était un Européen convaincu mais il n’avait pas le courage de ses convictions. Il a eu la possibilité de faire entrer le Royaume-Uni dans l’euro en 1997. Les entreprises et la City s’y attendaient, mais il ne l’a pas fait. Je considère qu’il s’agit d’une erreur : s’il l’avait fait, l’UKIP 19 ne réaliserait pas des scores aussi importants. Créé en 1993, le United Kingdom Independence Party (UKIP) a remporté 26 % des voix pour les communes du RoyaumeUni où il se présentait, aux élections municipales de mai 2013. Au Parlement européen, l’UKIP compte neuf députés sur 73 députés britanniques. 19 Rencontres économiques – Le Royaume-Uni ou comment être dans l’Union sans être dans l’Euro - 26 novembre 2013 13 Hermione GOUGH Personnellement, je ne pense pas que le Royaume-Uni entrera dans l’euro à moyen terme. Ce n’est pas la politique du gouvernement actuel. • Pourquoi le Royaume-Uni n’entre-t-il pas dans l’euro ? De la salle Pourquoi le Royaume-Uni ne veut-il pas entrer dans l’euro ? Est-ce un attachement à la monnaie pour elle-même ou le refus de perdre un levier de politique économique ? Marie-Claude ESPOSITO Le gouvernement britannique a voulu conserver sa souveraineté et sa politique monétaire. Il garde sa monnaie comme instrument de politique macro-économique. Cela lui a d’ailleurs permis de relancer ses exportations. Le moment serait ainsi mal venu de rejoindre la zone euro. Hermione GOUGH Le gouvernement précédent souhaitait que le Royaume-Uni remplisse cinq critères pour pouvoir entrer dans l’euro, or il ne les remplissait pas en 2003. La politique du gouvernement actuel ne repose pas sur ces cinq critères et face à l’avenir de la zone euro, dont l’architecture est actuellement complétée, je pense que le projet d’adhésion à l’euro du Royaume-Uni s’éloigne. En outre, ces dernières années, la liberté de la politique monétaire nous a servis. C’est pourquoi il est peu probable que le Royaume-Uni rejoigne l’euro à moyen terme. Le Royaume-Uni raisonne l’Europe selon une logique économique en premier lieu. Il a une tradition de libre-échange, d’ouverture et de pragmatisme. En 2003, lors de la période de déficit excessif de la France et de l’Allemagne, les questions de souveraineté nationale, de politiques budgétaire et fiscale étaient mises en exergue, face aux devoirs européens. Or, les Etats membres faisaient alors preuve d’un certain laxisme dans la recherche d’accords… Chaque pays raisonne en fonction de l’intérêt national en priorité, c’est d’ailleurs le défi des membres de la zone euro : comment concilier la nécessité de l’intégration et la légitimité démocratique des décisions pour des politiques aussi fondamentales ? • Les élections européennes : scrutin européen ou national ? David ADES Les Britanniques votent-ils pour l’Europe ou en fonction d’une politique intérieure, à l’instar de ce que font les Français ? Sir Graham WATSON Il existe une tendance à voter en fonction de questions nationales lors d’élections européennes, ce qui est un problème pour l’Europe et la démocratie. Ainsi, les élections européennes sont davantage similaires à 28 élections nationales. C’est pourquoi il faudrait qu’un plus gros pourcentage de députés européens soit élu sur des listes transnationales . Déjà, une disposition du traité de Lisbonne prévoit que chaque parti choisisse son candidat à la présidence de la Commission européenne. Il est prévu qu’après les élections, le Conseil européen se réunisse et demande au candidat du parti majoritaire au Parlement de tenter de former une administration. Les socialistes ont choisi leur candidat, Martin Schulz. Les libéraux-démocrates (ADLE) choisiront le leur le 1 er février 2014 à Bruxelles 20 . Les Verts le feront fin janvier et le Parti populaire européen (PPE) le 6 ou 7 mars. Dans cette situation, 20 Voir : http://www.aldeparty.eu/en/news/alde-party-candidate-commission-president-be-announced-1-february Rencontres économiques – Le Royaume-Uni ou comment être dans l’Union sans être dans l’Euro - 26 novembre 2013 14 peut-être aurons-nous un débat davantage européen. Cependant, il est difficile de créer une mentalité européenne, tant en France qu’au Royaume-Uni. • Comment donner envie d’Europe ? De la salle Le bilan des politiques européennes en matière de criminalité, d’environnement, de fiscalité, de défense, etc. est consternant. Quel nouveau souffle politique donner à l’Europe pour qu’elle souffre moins de son image ? Sir Graham WATSON Il faut une honnêteté politique. On ne peut pas dire que l’Europe n’agit pas. L’Europe, ce sont les chefs d’Etat et de Gouvernement, les ministres qui se retrouvent quasiment quotidiennement. On ne peut pas accuser l’Europe de ne rien faire si nous n’agissons pas lorsque nous nous retrouvons à Bruxelles ou Strasbourg. Mais, comme l’exprimait François Mitterrand, chaque fois que vous essayez de faire bouger un pays, l’histoire vous prend par les chevilles. De la salle Comment peut-on construire l’Europe et rapprocher les peuples entre eux alors que des actions d’espionnage industriel sont menées avec la complicité de certains pays de l’UE ? Par ailleurs, un accord de libre-échange est en cours de négociation avec les Etats-Unis. L’Europe a-t-elle été en mesure de répondre efficacement aux révélations sur l’espionnage économique ? David ADES Cette histoire fait scandale auprès du grand public, mais l’espionnage économique n’est pas une nouveauté. Sir Graham WATSON Chacun sait ce qui se fait en matière d’espionnage. La seule bonne approche serait de construire un système européen ou même transatlantique. Nous en avons besoin pour lutter contre la criminalité. Nous avons aussi besoin d’un contrôle démocratique plus important. Par ailleurs, Airbus est un exemple de réussite industrielle européenne. Nous disposons d’autres industries fortes, et d’un marché plus important que le marché américain. Nous devons donc pouvoir construire un accord de libre-échange qui avantage les deux parties. Hermione GOUGH L’Europe serait plus proche des Européens si elle travaillait à la simplification des normes. En matière de coopération, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, etc. ont des relations fortes pour lutter contre le terrorisme. La coopération en matière de défense est très étroite et la confiance bien établie. • L’euro, pour quand ? David ADES Pendant combien de temps est-il encore possible d’être dans l’Union sans être dans l’euro ? Sir Graham WATSON Nous ignorons quelle sera la position des autres pays qui ne font pas partie de l’euro. Je ne sais pas comment le Royaume-Uni entend encore garder les avantages de la City sans participer à l’union bancaire. Pour préserver la position de Londres, dont dépend l’économie du Royaume-Uni, nous devons faire partie des mécanismes européens. Rencontres économiques – Le Royaume-Uni ou comment être dans l’Union sans être dans l’Euro - 26 novembre 2013 15 Cependant, je n’imagine pas un gouvernement conservateur capable de prendre cette décision. Cela serait moins difficile pour un gouvernement de gauche. Peut-être le RoyaumeUni rejoindra-t-il l’euro d’ici une dizaine d’années. Marie-Claude ESPOSITO Peut-on être sûr à l’heure actuelle que la zone euro fonctionnera dans le temps ? La crise de la dette souveraine pose cette question autrement. Pour que la zone monétaire fonctionne il faudrait que des gouvernements plus courageux prennent des mesures d’abandon de souveraineté, ce qui n’a pas été fait. Hermione GOUGH Je trouve optimiste d’envisager que le Royaume-Uni rejoigne l’euro dans un horizon de dix ans. Cela prendra sans doute plus de temps. Par ailleurs, les réglementations européennes qui portent sur les services financiers s’appliquent aussi au Royaume-Uni. Le pays dispose des outils nécessaires pour lutter contre l’instabilité bancaire. David ADES Si l’euro risquait l’éclatement et que le Royaume-Uni pouvait le sauver en y adhérant, le ferait-elle ? Hermione GOUGH Chaque pays considère d’abord son intérêt national. Le Royaume-Uni a intérêt à ce que la zone euro soit stable et en croissance. C’est pourquoi il soutient les pistes de renforcement de celle-ci. Sir Graham WATSON Je ne suis pas pessimiste quant à l’avenir de l’euro. En 2008, le système bancaire européen a pu être maintenu en l’état grâce à l’euro et à l’action de la Banque centrale européenne (BCE) qui a injecté plus d’un milliard d’euros sur les marchés. Les conditions dans lesquelles le Royaume-Uni pourrait entrer dans l’euro ne dépendent pas de l’euro, mais du référendum britannique à venir. Marie-Claude ESPOSITO Je partage l’avis de Sir Graham Watson en matière de courage politique, mais suis plus pessimiste quant à l’avenir de l’euro. En 2003, le Royaume-Uni remplissait quatre des cinq critères posés par Brown comme condition à l’entrée dans l’euro. Tony Blair aurait alors pu avoir le courage politique de franchir le pas, mais ne l’a pas fait. Rencontres économiques – Le Royaume-Uni ou comment être dans l’Union sans être dans l’Euro - 26 novembre 2013 Sigles 16 ADLE : Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe AELE : Association européenne de libre-échange AUE : Acte unique européen BCE : Banque centrale européenne CBI : Confederation of British Industry CECA : Communauté européenne du charbon et de l’acier CEDH : Convention européenne des droits de l’homme CEE : Communauté économique européenne ECU : European currency unit FMI : Fonds monétaire international PAC : Politique agricole commune PPE : Parti populaire européen SME : Système monétaire européen UE : Union européenne UEM : Union économique et monétaire UKIP : United Kingdom Independent Party Rencontres économiques 26 novembre 2013 © IGPDE 2013