Les parcours, entre courants et contre courants Intervention à la

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Les parcours, entre courants et contre courants
Intervention à la journée d’étude de l’ANCIO, 18 Novembre 2016
Ou la question d’un nouveau « paradigme » qui déplace les conceptions
antérieures et met en tension l’usager, avec ses droits et son projet, les
« institutions » qui l’accueillent en fonction de politiques publiques en
pleine mutation et, enfin, la société plus largement. Une question critique,
donc, pour les associations ? Christine Chognot ajointe au directeur
général, responsable de la mission de prospective Uniopss.
La notion de parcours est un axe central des politiques publiques à
l’œuvre dans le champ de l’action sociale, médico-sociale et de la
santé. Elle traduit notamment, mais pas seulement, la mise en œuvre de
droits renforcés pour l’usager, qu’il s’agisse de ses droits dans les
établissements et services ou, plus largement, de ses droits dans la
société : la personne peut en principe choisir son parcours car elle a des
droits plus solides qui la protègent de la toute-puissance des
institutions ; elle peut aussi bénéficier en principe de droits et de
dispositifs associés, lui permettant un meilleur accès de droit commun
à l’emploi, au logement, à la santé, supposés constituer des leviers à
mobiliser dans logique de réseau , c’est-à-dire avec des politiques
plus transversales, coordonnées sur le territoire. Mais derrière ce
courant a priori simple et positif se présentent des logiques plus
complexes et plus contrastées : la promotion de parcours autonomes et
librement choisis recouvre aussi d’une part la recherche d’économies,
avec des solutions « hors les murs » promues parce qu’elles sont moins
onéreuses pour les finances publiques, et d’autre part la tension qui se
joue autour de la notion d’individu équipé de droits supposé capable de
conduire sa vie. Ce qui, en pratique et pour différentes raisons, n’a rien
d’évident. Ainsi la notion de parcours traduit une avancée, mais une
avancée problématique notamment car : elle veut transformer les
politiques sans que les moyens nécessaires ne soient toujours
réunis (1), elle bouscule les pratiques en introduisant un autre rapport
avec la personne accompagnée dont les conséquences ne sont pas
simples à réguler (2), et enfin elle appelle un retour nécessaire, mais en
grande partie occulté, sur les conceptions de la vie en société et plus
spécialement du rapport de l’individu au collectif (3).
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1) Un changement de logique pour les politiques publiques
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La notion de parcours traduit l’introduction progressive, sur plusieurs
décennies, de nouveaux principes directeurs qui vont peu à peu
supplanter ceux hérités de la culture politico- administrative
française, portant la marque du rationalisme scientifique et du modèle
bureaucratique, où dominaient des politiques nationales traduites en
organisations et dispositifs spécialisés et standardisés, pensés d’ «en-
haut ». Bien que cette transformation progressive n’ait pas d’emblée
institué une nouvelle logique saisie comme telle, celle-ci se cristallise peu
à peu et dessine les contours d’une nouvelle conception de l’action
publique, dont découle nécessairement une organisation repensée. Cette
mutation, toutefois, est loin d’être stabilisée et des tensions demeurent,
qui interdisent toute naïveté quant à la construction opérée : celle-ci recèle
des risques et des limites autant que des avancées et des potentiels.
(1) L’affirmation symptomatique et emblématique du droit de
l’usager dans la loi 2002-2 du 2 janvier 2002.
Préparée par des années de concertation, précédée par des réformes
partielles qui ont progressivement transformé la régulation (ou plus
précisément accentué l’encadrement financier) des établissements ou
services sociaux et médico-sociaux, la loi 2002-2 du 2 janvier 2002
cristallise la prise en compte d’un nouveau rapport des institutions
sociales à la personne. Elle prolonge le mouvement engagé dans le
champ hospitalier autour des droits du malade, mais aussi le courant
porté par plusieurs lois spécifiques au champ social, comme la loi de
1984 sur le droit des familles, ou la loi de 1998 contre l’exclusion. Ce
courant est encore accentué, en 2005, avec la loi sur l’autonomie et la
citoyenneté des personnes handicapées et en 2007 avec la loi réformant
la protection de l’enfance, sans oublier le droit au logement opposable
(DALO) et la CMU. La notion de parcours, indissociable de celle des
droits de la personne, a ainsi irrigué plusieurs textes fondamentaux qui,
par strates successives, ont façonné le droit de la sanet celui de
l’aide et de l’action sociale renforcés dans leur volet relatif aux droits
des individus.
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Voir à ce sujet les analyses de Robert Lafore « Droit de l’aide et de l’action sociale » 2015 ; « Refonder les
solidarités », Uniopss, DUNOD 2016
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(2) Un autre cadre conceptuel pour l’action sociale
Avec la loi du 2 janvier 2002, l’ « usager » est porteur de droits et
libertés désormais consacrés (dans un titre spécifique du Code de
l’action sociale et des familles) et traduites en normes de fonctionnement
pour les établissements et services ; avec, pour l’essentiel : respect de la
dignité, de l’intimité, de la vie privée, libre choix des prestations, prise en
charge individualisée, droit à la participation, exigence de
contractualisation. Parallèlement les approches sectorielles
autonomie, lutte contre l’exclusion, protection de l’enfance, - confortent
les droits de la personne et tendent à favoriser la prise en compte de
ses choix, avec son entourage, dans un environnement plus adapté :
l’accessibiliet la mise en réseau devraient rendre moins naturelle la
solution du placement dans une institution spécialisée. Les droits
dans l’institution spécialisée n’ont de sens que reliés aux droits dans la
société, ce qui suppose des politiques et des services publics école,
transports, logement, - globalement repensés pour être facteurs
d’inclusion. Le nouveau cadre conceptuel de l’action sociale porte une
transformation intrinsèque ; il veut aussi ré-encastrer l’action sociale
dans l’ensemble des politiques publiques : les droits sociaux
spécifiques sont des passerelles pour accéder au droit commun
(logement, santé, éducation et formation, culture, transports, ...) à
condition que l’ensemble des politiques et dispositifs soient inclusifs,
adaptés, accessibles,….
Les principes directeurs d’une telle évolution procèdent d’une double
filiation :
- celle de l’affirmation des droits sociaux, elle-même adossée au
courant des droits fondamentaux (institués au plan national et
promus et protégés par des juridictions spécialisées comme le
Défenseur des Droits en France ou la Cour européenne des droits
de l’Homme)
- et celle du principe de non-discrimination, notion importée du
monde anglo-saxon et relative au droit des groupes. Il s’agit
encore d’une notion hybride, coexistent l’arrimage à la notion
d’égalité des chances (que l’on va rétablir afin que les individus aient
des capacités équivalentes pour s’inscrire dans la compétition que
leur impose la société) et l’arrimage à la notion de respect des
différences (croyance religieuse, orientation sexuelle, appartenance
culturelle, …).
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(3) Le passage d’une logique de l’offre à une logique de la demande ?
La « techno bureaucratie » (Robert Lafore) caractéristique de la
conception française de l’ensemble des administrations et services
publics a son ombre portée dans le champ de la santé et du social : dans
le modèle hérité les établissements et services sont spécialisés,
organisés autour de la technicité des professionnels, avec des filières
distinctes et cloisonnées (établissements et services catégorisés, au
fonctionnement normé) correspondant à des publics dédiés. Dans cette
logique, le programme institutionnel s’impose à l’usager, qui est catégorisé
et « assujetti ».
L’affirmation des droits de la personne droits généraux comme le
droit au logement et le droit à l’insertion ou droit dans l’institution –
bouscule ce rapport pour aboutir, en principe, à une logique qui repose
sur des attentes et des besoins exprimés. Mais l’application de cette idée
générale n’est pas évidente car le fonctionnement collectif politiques
générales, fonctionnement d’établissements et services - ne peut être la
simple agrégation d’interfaces individuelles. On peut en tous cas retenir
que deux courants très différents se conjuguent pour déstabiliser la toute-
puissance supposée des institutions référées au modèle « ancien » :
- d’une part la mise en cause, par le courant néolibéral et l’affirmation
des vertus marchandes « supérieures », de la logique publique et des
organisations dédiées à la réalisation de missions d’intérêt général
équivaut à délégitimer les régulations instituées au profit d’une libre
articulation entre l’offre et la demande par la voie du marché : c’est en
particulier la logique des services à la personne le gré à gré est
supposé répondre de manière optimale aux besoins, et au moindre
coût pour la collectivité… (Est-ce bien le cas ?).
- d’autre part, et à contrecourant, se développent non seulement la
contractualisation interne, mais aussi en principe la connaissance des
besoins qui, en amont de la planification, doit permettre la meilleure
adéquation des réponses à la situation sociale en général comme aux
attentes des individus. C’est l’approche populationnelle qui veut
corriger l’aveuglement de l’approche purement économique et
organisationnelle de la régulation.
Les adéquations théoriques selon lesquelles [droit de la personne +
parcours = meilleure adéquation individuelle et collective des réponses]
ne sont pas simplement vérifiées et la question du pilotage collectif
demeure épineuse. Elle se rejoue actuellement au niveau du territoire.
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(4) Du vertical sectoriel à l’horizontal en réseau : le territoire comme
solution ?
Le passage du sectoriel spécialisé au transversal redéfinit le
territoire comme nouveau centre de gravité. La logique du parcours
d’individus équipés de droits bouscule leur rapport interne à l’institution
grâce au libre choix, à l’individualisation des prises en charge et à la
contractualisation, aux organes de concertation et de participation
comme elle bouscule le rapport de l’institution à son environnement. Les
parcours supposent des réponses lisibles, cohérentes, concrètement
accessibles, d’la montée en puissance du territoire. A cet échelon de
proximité, l’on suppose ( ou espère) que la cohérence introuvable au
niveau national va se trouver rétablie, se jouent à la fois le potentiel de la
coordination des politiques publiques (avec le principe de la
transversalité et l’outil des « pactes locaux » par exemple) et le défi d’un
portage élargi où, comme dans la logique du développement local, la
population et l’ensemble des acteurs du territoire sont associés.
Mais, trente ans après les lois de décentralisation dans le champ
social, cette mise en cohérence par le local demeure « en chantier ».
Les déclarations d’intention vont certes en ce sens de manière
relativement consensuelle (voir par exemple les propos convergents des
décideurs publics au Congrès de l’Uniopss en mars 2016) mais les
pratiques sont très diverses et souvent s’en éloignent. Sans oublier des
productions très récentes de cadres administratifs qui vont en sens
totalement inverse… L’enjeu est alors celui du choix des acteurs et d’une
certaine manière de leur éthique dans la mise en œuvre d’une politique
publique au-delà de la « donne » que représente un système donné.
(Actes du Congrès de l’Uniopss, Tome 1 les séances plénières). Une
posture volontariste pour la cohérence et la coopération semble un facteur
clé pour les politiques du champ social et de la santé.
(5) Avancées et limites, ou les droits dans la confrontation au réel
Le premier enjeu pour les parcours est celui du socle des droits. « Pour
nous, le parcours choisi, en situation de précarité, ça n’existe pas. Si on
se retrouve en situation de précarité, ce sont des non choix, et on est
soumis à plusieurs non choix. On va choisir le plus favorable et le moins
désagréable à vivre sur le moment ». Il faut ainsi « commencer par les
constats avant de parler de la participation des publics dits accompagnés
ou défavorisés. Ces individus ont des besoins, ils sont dans une logique
de survie : un individu qui ne peut pas accéder pleinement à l’alimentation,
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