Parcours, usager, citoyen, territoire : les décalages d`un nouveau

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Parcours, usager, citoyen, territoire : les décalages d’un nouveau
« paradigme »
Christine Chognot Uniopss - 26 Novembre 2015
Journée détude Conférence de territoire de la Meuse
La notion de parcours, reliée à la notion d’accompagnement, bouscule les politiques et les
pratiques ; elle introduit un autre rapport avec la personne accompagnée, avec des dispositifs
(emploi, santé, logement, …) qui deviennent des leviers à mobiliser dans logique de réseau.
Les politiques sociales ou de santé et leurs rigidités sont questionnées, comme le sont les
modes d’intervention, avec tout l’enjeu d’une dynamique collective à construire.
L'accompagnement social et les politiques sociales
« Le Pont », journal de l’Uriopss Nord Pas de Calais, Juin 1996 – édito
L'accompagnement social - nouveau concept dans l'action sociale - traduit un changement d'approche de
l'intervention sociale. Il ne s'agit pas d'une mesure ou d'un dispositif en plus mais d'une autre action sociale.
Purement technique cette dernière est vouée à l'échec. L'accompagnement social centre l'action - pour ne pas
dire recentre - sur la cohésion sociale, l'accès au droit, l'exercice de la citoyenneté. (…)
Ce mode d'action touche l'accompagnement et l'accompagné, car il en respecte le cheminement, il intègre le
parcours des personnes ; il s'articule sur une notion d'échange et de réciprocité. Il met donc en mouvement à
partir d'une démarche volontaire des personnes accompagnées. Les dispositifs sociaux existants ne sont alors
que des leviers, l'accompagnement touche aussi bien à l'emploi, la formation, le logement, la santé, l'accès aux
droits. (…)
Dans les concertations en cours avec les pouvoirs publics, nous renforçons sans cesse ce concept qui fait voler
en éclat le cartésianisme des dispositifs. Comment l'intégrer dans les politiques sociales ? Il serait incompatible
avec l'économisme dominant et toute planification descendante ! Il remet en cause les politiques sociales :
donner des mètres carrés, distribuer une aide alimentaire, mettre en place une allocation ou ouvrir un accès aux
droits, ce n'est pas suffisant même si c'est nécessaire.
Les obstacles administratifs levés, il reste aux professionnels, aux bénévoles à lever les appréhensions, par une
démarche dynamique de la personne accompagnée, dans un parcours continu comprenant l'interaction avec
l'environnement. La solution proposée (logement, soins...) revient à faire un pari sur la personne, pari qu'il faut
suivre car la solution proposée peut rapidement tourner à l'échec, faute d'une prise en compte globale de la
personne dans un travail en réseau. La relation qui s'engage résultera de la nature de l'aide demandée et de
l'aide apportée, d'autant plus solide que la question posée aura été traitée au fond, AVEC la personne.
Accompagner prend du temps.(…)
Comment reconnaître et intégrer l'accompagnement social assuré par une constellation d'associations dans les
politiques sociales reste la question. (…)
Il sagit en fait dappréhender un triple décalage au niveau des politiques publiques, des
pratiques et du rapport de lindividu au collectif.
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1 Un changement de logique pour les politiques publiques
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La notion de parcours traduit l’introduction progressive, sur plusieurs décennies, de nouveaux
principes directeurs qui vont peu à peu supplanter ceux hérités de la culture politico-
administrative française, portant la marque du rationalisme scientifique et du modèle
bureaucratique, dominaient des politiques nationales traduites en organisations et
dispositifs spécialisés et standardisés, pensés d’ «en-haut ». Bien que cette transformation
progressive n’ait pas d’emblée institué une nouvelle logique, celle-ci se cristallise peu à peu
et dessine les contours d’une nouvelle conception de l’action publique, dont découle
nécessairement une organisation repensée. Cette mutation, toutefois, est loin d’être
stabilisée et des tensions demeurent, qui interdisent toute naïveté quant à la construction
opérée, qui recèle des risques autant que des potentiels.
L’affirmation symptomatique et emblématique du droit de l’usager dans la loi 2002-2
Préparée par des années de concertation, précédée par des réformes partielles qui ont
progressivement transformé la régulation (ou plus précisément accentué l’encadrement
financier) des établissements ou services sociaux et médico-sociaux, la loi 2002-2 cristallise la
prise en compte d’un nouveau rapport des institutions sociales à la personne. Elle prolonge le
mouvement engagé dans le champ hospitalier autour des droits du malade, mais aussi le
courant porté par plusieurs lois spécifiques au champ social, comme la loi de 1984 sur le droit
des familles, ou la loi de 1998 de lutte contre l’exclusion. Ce courant est encore accentué, en
2005, avec la loi sur l’autonomie et la citoyenneté des personnes handicapées et en 2007 avec
la loi réformant la protection de l’enfance. La notion de parcours, indissociable de celle des
droits de la personne, a ainsi irrigué plusieurs textes fondamentaux qui, par strates
successives, ont façonné le droit de la santé et celui de l’aide et de l’action sociale.
Un autre cadre conceptuel pour l’action sociale
Avec la loi du 2 janvier 2002, l’ « usager » est porteur de droits et libertés désormais consacrés
(dans un titre spécifique du Code de l’action sociale et des familles) et traduites en normes de
fonctionnement pour les établissements et services ; avec, pour l’essentiel : respect de la
dignité, de l’intimité, de la vie privée, libre choix des prestations, prise en charge
individualisée, droit à la participation, contractualisation. Parallèlement les approches
sectorielles autonomie, lutte contre l’exclusion, protection de l’enfance, - confortent les
droits de la personne et tendent à favoriser la prise en compte de ses choix, avec son
entourage, dans un environnement plus adapté au sens où l’accessibilité et la mise en réseau
devraient rendre moins naturelle la solution du placement dans une institution spécialisée.
Les droits dans l’institution spécialisée n’ont de sens que reliés aux droits dans la société,
supposant des politiques et des services publics école, transports, logement, -
globalement repensés pour être facteurs d’inclusion. Le nouveau cadre conceptuel de l’action
sociale porte ainsi sa transformation intrinsèque ; mais il procède aussi, en principe, au -
encastrement de l’action sociale dans l’ensemble des politiques publiques : les droits sociaux
spécifiques sont des passerelles pour accéder au droit commun (logement, santé, éducation
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Voir à ce sujet les analyses de Robert Lafore Droit de l’aide et de l’action sociale 2015
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et formation, culture, transports, ...) à condition que l’ensemble des politiques et dispositifs
soient inclusifs (adaptés, adaptables, accessibles,…).
Les principes directeurs d’une telle évolution procèdent d’une double filiation :
- celle de l’affirmation des droits sociaux, elle-même adossée au courant des droits
fondamentaux (institués au plan national et promus et protégés par des juridictions
spécialisées comme la Cour européenne des droits de l’Homme)
- et celle du principe de non-discrimination, notion importée du monde anglo-saxon et
relative au droit des groupes. Il s’agit encore d’une notion hybride, coexistent
l’arrimage à la notion d’égalité des chances (que l’on va rétablir afin que les individus
aient des capacités équivalentes pour s’inscrire dans la compétition que leur impose
la société) et l’arrimage à la notion de respect des différences (croyance religieuse,
orientation sexuelle, appartenance culturelle, …).
Le passage d’une logique de l’offre à une logique de la demande ?
La « techno bureaucratie » (Robert Lafore) caractéristique de la conception française de
l’ensemble des administrations et services publics a son ombre portée dans le champ de la
santé et du social : dans le modèle hérité les établissements et services sont spécialisés,
organisés autour de la technicité des professionnels, avec des filières distinctes et cloisonnées
(établissements et services catégorisés, au fonctionnement normé) correspondant à des
publics dédiés. Dans cette logique, le programme institutionnel s’impose à l’usager, qui est
catégorisé et « assujetti ».
L’affirmation des droits de la personne droits généraux comme le droit au logement, le droit
à l’insertion ou droit dans l’institution bouscule ce rapport pour aboutir, en principe, à une
logique qui repose sur des attentes et besoins exprimés. Mais de cette idée générale ne
découle pas une application évidente car le fonctionnement collectif politiques générales,
fonctionnement d’établissements et services - ne peut se définir comme la simple agrégation
d’interfaces individuelles. On peut en tous cas retenir que deux courants très différents se
conjuguent pour déstabiliser la toute-puissance supposée des institutions référées au modèle
« ancien » :
- d’une part la mise en cause par le courant néolibéral et l’affirmation des vertus
marchandes « supérieures », de la logique publique et des organisations dédiées à la
réalisation de missions d’intérêt général conduit à délégitimer les régulations
instituées au profit d’une libre articulation entre l’offre et la demande par la voie du
marché : c’est en particulier la logique des services à la personne le gré à gré est
supposé répondre de manière optimale aux besoins, et au moindre coût pour la
collectivité…
- d’autre part, et à contrecourant, se développent non seulement la contractualisation
interne, mais aussi en principe la connaissance des besoins qui, en amont de la
planification, doit permettre la meilleure adéquation des réponses à la situation
sociale en générale comme aux attentes des individus. C’est l’approche
populationnelle qui veut corriger l’aveuglement de l’approche purement économique
et organisationnelle de la régulation.
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Il semble clair que les adéquations théoriques (droit de la personne + parcours = meilleure
adéquation individuelle et collective des réponses) ne sont pas simplement vérifiées et que la
question du pilotage collectif demeure épineuse.
Du vertical sectoriel à l’horizontal en réseau
Le passage du sectoriel spécialisé au transversal redéfinit le territoire comme nouveau centre
de gravité. La logique du parcours d’individus équipés de droits bouscule leur rapport interne
à l’institution grâce au libre choix, à l’individualisation des prises en charge et à la
contractualisation, aux organes de concertation et de participation comme elle bouscule le
rapport de l’institution à son environnement. Les parcours supposent des réponses lisibles,
cohérentes, concrètement accessibles, d’où la montée en puissance du territoire. A cet
échelon de proximité, l’on suppose ( ou espère) que la cohérence introuvable au niveau
national va se trouver rétablie, se jouent à la fois le potentiel de la coordination des politiques
publiques ( avec le principe de la transversalité et l’outil des « pactes locaux » par exemple) et
le défi d’un portage élargi où, comme dans la logique du développement local, c’est la
population et l’ensemble des acteurs du territoire qui sont finalement associés.
La question de l’institution d’une dimension collective
La logique du parcours, adossé à des droits individuels, porte une marque individualiste : « à
la vision d’une société différenciée verticalement mais en recherche d’intégration par le haut
dans l’ensemble englobant de la nation, on substitue progressivement l’image d’une société
segmentée horizontalement par des appartenances multiples tant subies que revendiquées,
qu’il convient de rendre compatibles entre elles » (Robert Lafore). Mais il serait illusoire de
penser qu’il suffit de renverser purement et simplement un ordre antérieur, considéré comme
excessivement dominateur car tutélaire, pour lui substituer une logique d’individus libérés
enfin pris en compte dans leurs aspirations et singularités. Ce serait en tous cas la disparition
pure et simple de la construction des intérêts communs, sans laquelle la collectivité ne peut
exister. C’est toute la question des logiques surplombantes à retrouver, à instituer, pour
fonder les arbitrages entre l’individuel et le collectif, entre le général et le particulier.
2 Un changement de logique pour la pratique sociale
Comme l’illustrent de nombreux travaux conduits avec des associations, la logique de
parcours bouscule les pratiques à l’intérieur même des établissements et services aussi bien
que dans leur rapport à leur environnement. C’est par exemple ce que met en lumière un
travail de prospective effectué dans la région Rhône-Alpes : l’Espace Recherche prospective
(ERP) - reliant l’Uriopss, la CNAPE, plusieurs associations, l’institut gional du travail social
(IREIS), des acteurs de la société civile a conduit sur plusieurs mois un travail d’analyse et de
remise en perspective sur le thèmes des parcours des jeunes, dont l’on peut tirer des
questionnements généraux pour l’ensemble du champ social, médico-social et de la santé.
Le constat de départ était celui des ruptures de parcours subies par les jeunes, du fait de
l’incohérence des dispositifs comme de leur absence de prolongement une fois atteint l’âge
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de la majorité. La démarche prospective s’est cristallisée autour de la volonté commune de
dépasser les blocages du système existant et de valoriser toutes les marges de manœuvre
possible, afin d’offrir une meilleure réponse aux jeunes.
L’enjeu réside dans la remise en sens du travail, autour de la finalité même des pratiques et
des politiques sociales. Car si les moyens en présence pour aider des familles, des jeunes, des
enfants, sont importants, avec de fait des ponses adaptées grâce à l’engagement de tous et
notamment des professionnels, il n’en demeure pas moins que l’on observe aussi le manque
de coordination, de fluidité, de coopération, ainsi que des institutions qui continuent à
travailler en circuit fermé sans s’inscrire dans leur environnement ni se relier à la société civile,
d’où des parcours qui « dans certaines situations deviennent chaotiques, faits d’échecs,
d’exclusions à répétition » et donc de souffrance pour le jeune.
Les réflexions partagées questionnent les conceptions du travail social. En effet, les
discontinuités de parcours ont un impact global sur la vie de l’enfant ou de l’adolescent
concerné : par exemple lorsque les changements répétés de lieu de vie ou de scolarité le
fragilisent sur le plan affectif et relationnel, mettant en péril ses relations avec les autres
jeunes, comme avec les adultes autour de lui ; ou quand la sortie des dispositifs, à la majorité,
est vécue comme un « lâchage » par le jeune qui se retrouve isolé, dans l’obligation de
s’assumer, se loger, trouver un emploi. Comme l’ont souligné les participants à ces travaux,
« l’épreuve peut être particulièrement brutale et éprouvante ». L’enjeu principal est donc de
dépasser les cloisonnements pour construire une vision d’ensemble, c’est-à-dire qui
appréhende, dans une logique de coresponsabilité des acteurs ou institutions concernés, tout
ce dont le jeune peut avoir besoin sur le plan affectif, relationnel, éducatif, social et de la san
et tout ce qui peut l’aider à circuler, en tant que personne singulière, entre différentes
solutions possibles.
Il s’agit pour cela de travailler sur les postures professionnelles pour dépasser les
corporatismes, mais aussi tout simplement les cultures professionnelles trop étanches qui
sont un frein à la coopération entre acteurs. Il s’agit aussi de développer des pratiques
différentes et, comme le suggèrent les travaux de l’ERP, de privilégier des formes
d’intervention légères, souples, évolutives et davantage inscrites dans le territoire,
interventions inspirées par exemple du « case management » ou des principes de l’action
sociale communautaire pratiquée au Canada. D’où un enjeu en termes de formation, de
conception des postes (avec par exemple des postes de coordinateurs de parcours).
Les parcours questionnent en ce sens l’organisation des établissements et services, au-delà
des postures professionnelles. Ainsi, les expériences observées par l’ERP mettent elles en
lumière des transformations dans l’organisation interne : le parcours induit une relation plus
horizontale avec le jeune, qui va par ricochet bousculer les relations sociales internes, dans le
management comme dans l’organisation des services, avec plus de place à l’initiative, plus de
coordinations informelles, plus de relations avec l’extérieur, …. Cette logique du parcours
suppose aussi une coopération inter services, inter établissements, avec l’émergence d’une
fonction de pôle de ressource et d’aide à l’orientation pour certains établissements, dont le
« cœur de métier » mute ainsi du « placement » au « pivot».
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